143 rue du désert



Vendredi 25 Juin 2021 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Documentaire de Hassen Ferhani – France/Algérie – 2019 – 1h40 – vostf

En plein désert algérien, dans son relais, une femme écrit son Histoire. Elle accueille, pour une cigarette, un café ou des oeufs, des routiers, des êtres en errances et des rêves… Elle s’appelle Malika.

Hassen Ferhani est né à Alger en 1986. De 2003 à 2008, il co-anime le ciné-club de l’association Chrysalide à Alger. En 2006, il réalise son premier film, un court métrage de fiction : Les Baies d’Alger sélectionné en compétition officielle par plusieurs festivals internationaux. En 2008, il participe à l’Université d’été de la FEMIS et réalise, dans ce cadre, un court documentaire Le vol du 140. Il co-réalise en 2010, un film documentaire, Afric Hotel. Tarzan, Don Quichotte et Nous, réalisé en 2013, a été présenté à Visions du Réel et au FID Marseille ainsi que dans plusieurs festivals internationaux. Dans ma tête un rond-point, son premier long métrage, plusieurs fois primé, est sorti en février 2016. En 2019, le jury du Festival international du film de Locarno décerne le Léopard du Meilleur Réalisateur émergent à 143 rue du désert dans la Compétition Cinéaste du présent.

Notre article

par Josiane Scoleri

143 rue du Désert est un de ces films modestes, adeptes revendiqués du « Less is More ». Le dispositif est on ne peut plus minimaliste. Unité de lieu, caméra fixe, quant au temps, est-ce qu’il passe vraiment au 143 rue du Désert? Le premier plan fixe le cadre: cette cahute perdue dans l’immensité du désert où les personnages et les animaux paraissent minuscules. Puis apparaît Malika, imposante, assise à sa petite table et nous savons d’emblée que le réalisateur, comme cette femme seule et plutôt silencieuse, ont beaucoup à nous dire. Sur la table, un sac de ciment (?) ou de tout autre produit industriel, dont la marque est Nedjma, écrit en rouge sur toute la longueur du sac. Nedjma, comme le roman emblématique de Kateb Yacine. Nedjma, la jeune fille métisse insaisissable, rêve ou apparition, incarnation de la liberté et de l’Algérie toute entière. Le ton est donné.

143 rue du Désert sera un film résolument modeste et pourtant incroyablement ambitieux, capable de nous faire glisser sans prévenir de la Vie Minuscule à l’Histoire avec un grand H. Hassen Fehani tire un parti sans cesse renouvelé de toutes les ouvertures, porte, niches, fenêtres comme autant de cadres dans le cadre qui s’imposent à notre regard. La plupart du temps, nous sommes exactement à la hauteur du regard de Malika, assise à sa table qui regarde le monde par l’embrasure de sa porte, toujours ouverte sur cette route qui traverse le désert. La route de l’Unité africaine, symbole de l’Algérie indépendante inaugurée à l’époque par Boumédiène lui-même. Malika y fera allusion plus loin dans le film. Camions (les plus nombreux), voitures ou motos, la plupart ne font que passer, mais certains s’arrêtent et le monde dans toute sa diversité entre alors chez Malika. Car Malika, dans sa solitude, ne vit pas en ermite. (cf la très belle scène avec les musiciens où elle se met à danser, en rythme et en souplesse malgré ses jambes fatiguées et son embonpoint). Son petit commerce lui permet de tisser des liens et de prendre le pouls de ce qui se passe autour d’elle.

Le film est ainsi une succession de saynètes qui nous amènent petit à petit à en savoir un peu plus sur Malika, mais qui brossent surtout un portrait collectif de l’Algérie d’aujourd’hui, de jadis et de naguère. Un très bel exemple nous est donné avec la scène où un habitué fait écouter à Malika un discours historique de Boumédiène sur son téléphone portable. Les époques se télescopent et les grandes envolées du passé semblent soudain bien dérisoires sur cet écran étriqué. Nul besoin de commentaire, le contraste avec la situation actuelle se passe de mots. Malika est une femme d’un certain âge, visiblement usée par la vie, mais ses yeux brillent souvent de malice et il émane d’elle une force de caractère peu commune. Le simple fait qu’elle soit là à tenir son café toute seule dans un tel environnement dit assez que nous avons à faire à quelqu’un d’exceptionnel qui force le respect de tous les hommes auxquels elle a à faire. À l’intérieur, le réalisateur la filme souvent en plan moyen et elle emplit tout l’espace de sa silhouette massive. Sa présence face à la caméra dit clairement sa détermination.

Les cicatrices du passé sont là aussi, mais Malika est une femme qui assume ses choix. Frontalement et sans esbroufe. De son point d’observation, elle commente le va et vient des véhicules: Les militaires qui escortent les Qataris venus chasser la gazelle dans le désert, ou ceux qu’elle appelle Les Indiens et les Apaches, les touristes venus en quatre-quatre avec leurs guides! En cela, 143 rue du désert est un vrai documentaire, au sens noble du terme, un film de non- fiction comme disait Serge Daney. Il lui suffit de quelques phrases et d’une image fugace, sur laquelle la caméra ne s’appesantit justement pas, pour révéler tout un monde et même toute une époque. Le réalisateur intervient quelquefois. On ne le voit pas à l’écran, mais on l’entend. Malika s’adresse à lui de temps en temps. Et cela suffit à nous donner, à nous spectateurs, l’impression d’être vraiment sur le tournage du film. Un choix de mise en scène simple et efficace qui donne aux images cette dimension d’honnêteté, d’authenticité profonde. Nous sommes résolument avec Malika. Et nous le sommes d’autant plus lorsqu’elle se met à jouer la comédie avec un plaisir non dissimulé. Une petite fenêtre grillagée devient une lucarne de parloir. Et nous sommes au théâtre. Elle joue une mère qui vient voir son fils en prison. (à part qu’en fait, c’est elle qui est dedans…). Ça démarre très réaliste et ça vire rapidement au dialogue délirant. Malika a du mal à garder son sérieux et finit par éclater de rire! Retour au réel en quelque sorte, mais avons-nous vraiment jamais quitté le documentaire ? On le voit, l’air de rien, cette scène totalement inattendue pose des questions fondamentales sur le rôle du cinéma et la représentation du réel. C’est un petit moment de pure magie. Et en même temps, il va de soi que le choix d’une telle scène est tout sauf anodin dans l’Algérie d’aujourd’hui. Parmi les rencontres improbables, celle de la routarde polonaise qui sillonne l’Afrique du Nord à moto où l’on apprend au passage que Malika n’a pas eu d’enfants. Aujourd’hui encore, ne pas avoir d’enfant pour une femme du sud de la Méditerranée équivaut à une marginalisation sévère. A fortiori pour la génération de Malika. Mais dans la très catholique Pologne contemporaine, ce n’est peut-être pas si banal non plus, toute proportion gardée évidemment…

Là encore, l’air de ne pas y toucher, le film aborde par la bande les questions oh combien épineuses de l’émancipation des femmes dans nos sociétés contemporaines. D’ailleurs un peu plus tôt dans le film, Malika évoque la figure du « Borgne », chef islamiste pur et dur de la guerilla dans le Sud du pays pendant les années de plomb qui -dit-elle- la considérait comme une sainte quand d’autres ne se privaient pas pour la calomnier. Les choses sont toujours plus complexes qu’il n’y paraît… Et puis de temps en temps, on entend parler de la station-service en construction avec un café restaurant à la clef. Un plan d’engin de chantier, quelques bribes de conversation, l’inquiétude de Malika. Ça sonne inexorablement comme la fin d’un monde, sans qu’il soit besoin de développer. Et le film se termine par un très beau plan de nuit sur le nouveau bâtiment éclairé au néon. Sans emphase, mais avec cette efficacité désarmante qui caractérise tout le film.

Sur le web

143 rue du désert est le second long métrage mis en scène par Hassen Ferhani. Comme dans son premier film, Dans ma tête un rond point (2015), il est question des gens et d’un lieu. Le réalisateur raconte comment il a rencontré Malika : « Après Dans ma tête un rond-point, j’ai eu envie de prendre le large, autant pour traverser des paysages que pour faire les rencontres qui vont avec. Dans l’idée de faire un road-movie, un genre qui m’a toujours fasciné. J’ai fait plusieurs fois la route en Algérie, notamment vers le Sud, pour trouver des lieux, des personnages, des histoires…Lors de l’un de ces voyages, j’étais accompagné d’un ami, l’écrivain Chawki Amari. Nous sommes partis dans un long périple qui nous a menés d’Alger aux Hauts-plateaux, puis à Aïn Sefra et, de là, dans une bonne partie du sud-ouest algérien. On a tracé vers le centre du Sahara pour rejoindre la Nationale Une qui relie Alger à Tamanrasset…Nationale Une, c’est aussi le titre d’un livre de Chawki qui épouse la forme romanesque. Mais, à l’époque, je ne savais pas si ses personnages de son récit étaient réels ou pas. Pour moi, l’un d’entre eux, Malika, était au bord de la case ‘fantasme littéraire’. Dès que je suis entré chez elle, j’ai su que mon film était là, que c’était elle, cette dame de 74 ans qui avait décidé d’ouvrir une buvette au milieu du désert..« 

Hassen Ferhani a alors eu une idée peu commune au contact de cet endroit : y faire un road-movie inversé. Il se souvient : « Une idée paradoxale en apparence, car, normalement, c’est quoi un road-movie ? Un film qui se déroule sur une route. Et là, on était dans un endroit qui se trouve sur la route, qui existe par la route, pour la route et pour les routiers. J’ai aimé ce lieu simple qui abrite tant de choses, en plus du charisme et de la force de cette femme, qui se tenait là, dans l’un des plus grands déserts du monde. C’est inouï ce qui peut se dire et se produire dans un espace de 20 m2, comme échoué au milieu de nulle part.« 

Malika a tout de suite accepté la proposition d’être au centre du film de Hassen Ferhani. Ce dernier raconte : « Deux mois après je suis revenu avec un ami ingénieur du son. Malika a vite compris ma démarche, elle disait aux routiers qui entraient « c’est mon film » ! « Ils font un film sur moi et sur la route ». Au fil des jours, elle me proposait de la filmer ici ou là. Par exemple, la séquence où l’on voit Malika se réveiller dans le désert vient d’elle et d’une fois où elle m’a dit : « tu ne m’as pas encore filmée allongée sur le sable ? Allons-y ! ». »

143 rue du désert possède un récit balayant plusieurs aspects de la société algérienne. Toutefois, le metteur en scène n’est pas dans une démarche sociologique : « J’essaie avant tout de faire du cinéma. Par rapport à ce qui se passe en Algérie, forcément, c’est quelque chose qui animait déjà toute la société et qui était un peu enfoui. Si on rend bien compte d’un lieu ou d’un personnage, il peut devenir un microcosme qui laisse entrevoir l’état d’une société ou d’un pays. C’est donc présent oui, il y avait des signes qu’il est plus facile de repérer après. Mais je n’ai pas cherché à les révéler et chacun est libre d’interpréter le film comme il l’entend. D’autant que ce microcosme finalement s’est déployé pour dire le monde dans toute son amplitude. Pour moi, la buvette de Malika est alors devenue une agora de démocratie.« 

Malika a vu le film en avant-première à Alger. Elle avait ouvert la séance en lançant cette phrase « Je suis Malika du désert, et ce soir je suis votre invitée« . « Pendant la projection, elle appelait les routiers pour leur dire que son film passait au cinéma et demandait des nouvelles de son chat. Malika est toujours dans son café, l’irruption de la station servie à la fin du film l’affecte un peu mais Malika en a vu d’autres« , précise Hassen Ferhani.

« …La caméra de Hassen Ferhani prend son temps, scrute le désert depuis la porte du commerce, les visages silencieux, puis laisse les discussions se dérouler, parfois décousues, parfois touchantes. Malika, en bonne commerçante, laisse dire, mais on sent bien qu’elle est loin de tout approuver. Ce documentaire contemplatif, lent, mais non dénué d’une certaine majesté, est surtout le très beau portrait d’une femme dans le désert algérien. » (avoir-alire.com)

« …Ce film raconte l’histoire d’un monde en transformation, à travers les récits de personnages intrigants qui mènent leur vie quotidienne dans ce qui semble être un lieu lointain. Malika, loin d’être une drôle de vieille dame, et peut-être une des seules personnes saines qui reste, surtout en comparaison avec certains des personnages occidentaux qui fréquentent le magasin. » (cineuropa.org)

« …Multiprimé,143 rue du désert, documentaire de l’Algérien Hassen Ferhani, met en contraste l’immensité du désert et un restaurant-buvette planté au beau milieu, soit le royaume de Malika, sphinx en djellaba et foulard, qui sait tendre l’oreille à chacun. Entre un thé et une omelette, le verbe est concis mais lumineux. Un documentaire d’une grande beauté…Projeté cet hiver au Festival international du film de Marrakech après avoir reçu de nombreux prix, de Locarno à Séoul, et de Nantes à Turin, 143 rue du désert est un miracle de documentaire. Un road-movie immobile, dans lequel la route et ses usagers investissent le petit espace habité par cette femme généreuse. La Nationale, mais aussi l’Algérie d’aujourd’hui, comme elle transparaissait déjà dans le huis clos des abattoirs de son film Dans ma tête un rond-point. Car Hassen Ferhani a le chic pour capturer la vérité des êtres, qu’ils côtoient la mort au quotidien ou investissent comme une scène ce café de 20 mètres carrés… » (telerama.fr)

« …143 rue du désert, se déroule dans le Sahara où Malika tient seule un restaurant. En dépit de son dénuement, l’endroit apparaît comme un véritable royaume dont elle serait la souveraine (son prénom signifie « reine » en arabe). Si cette femme sans enfant, mari ni famille peut d’abord sembler isolée, son commerce constitue pourtant un véritable carrefour, un lieu de passage où de nombreux voyageurs s’arrêtent pour prendre de ses nouvelles. Le monde s’invite ainsi à sa table à travers les routiers, imams, migrants ou musiciens qui lui rendent visite. La plupart lui racontent un pays au bord du chaos, où le travail manque, les étrangers sont renvoyés chez eux et le capitalisme laisse les plus démunis, comme Malika, sur le carreau. Celle-ci craint la concurrence d’une station-service en construction à côté de chez elle, qui pourrait bien lui ôter son gagne-pain. Même les fictions qui contaminent ce récit documentaire (la métamorphose d’une fenêtre en parloir de prison, un acteur qui prétend ne plus retrouver son frère) sont hantées par le spectre de l’enfermement et de la disparition. Chacune d’elle révèle cependant une note d’humour, qu’accentue la présence généreuse et enjouée de cette attachante « gardienne du vide ». » (Critikat.com)


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