Vendredi 14 Février 2020 à 20h30 – 18ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de John Cassavetes – USA – 1977 – 2h24 – vostf
La célèbre comédienne de théâtre Myrte Gordon est la vedette d’une pièce de Sarah Goode : « The Second Woman ». Après une représentation à New Haven, Myrte assiste à la mort d’une jeune admiratrice passionnée…
Notre article
par Joseph Morder
Le théâtre filmé est dans le cinématographe. La vie s’y immisce partout, à travers les plus petits recoins, surtout ceux qui sont invisibles. La respiration du texte, de l’image et bien entendu des acteurs. Qu’est-ce que jouer ? Faire faux, semblant, rendre l’authenticité des sentiments ? Le théâtre précisément, tout ce qui vient des origines de l’Humanité. La représentation.
Et voilà Opening Night, le vertige, la perdition absolue, le plaisir total de ne plus savoir où on en est. Ça cause d’une époque où les gens fumaient, filmaient, faisaient l’amour, se disputaient, se caressaient, s’engueulaient en direct, cassaient leurs téléphones, leurs verres de champagne, où le portable se trouvait dans les limbes, le virtuel était de la poudre de perlimpinpin.
Il y avait les corps, les sexes, les visages, les baisers, les coups, les blagues. Rire, oui, rire intensément et par là même pleurer, sans limites, verser des torrents de larmes. Et puis, il y a eu tout ce qui relève de la transmission, c’est-à-dire l’Art, ce qui a fait la Civilisation, notre culture, notre société, nos différences et hélas, les guerres. Mais la paix, la vraie, passe par le combat intérieur, c’est ce qui fait que la vie est précieuse, une bénédiction. Et puis, mon Dieu, les religions. Le cinéma sans le « tographe », le ciné tout court. Kino. Mot allemand et autre. La beauté du son. Lorsque je parlais espagnol enfant il y avait un mot qui me faisait rêver : « écran », c’était le titre d’une revue latino-américaine consacrée au Septième Art. Septième Ciel. Paradis. Hollywood. La vérité, là-dedans, le mensonge, l’illusion intégrale du sentiment authentique. L’Amour.
Longtemps, j’ai cherché. Quoi. L’essence de mon existence. J’étais enfant, je le suis heureusement toujours (du moins je le veux !). Et je voulais faire des films, comme ceux que je voyais. Mélodrames, comédies musicales, récits d’aventures, passages du Temps, les sagas familiales. Je cherchais, je m’identifiais, je pleurais, je riais, je vivais intensément. Je voulais monter sur cette scène au-dessus de laquelle trônait cet écran perlé et immaculé vite inondé par les énormes problèmes de la vie, des conflits, des résolutions, des happy-end, parfois des fins tristes. Je voulais être là-dedans, surtout à partir du moment où ma mère me révéla que tout y était faux, que ça ne tenait que de l’artifice. Pourtant, j’éprouvais des sentiments pour de vrai ! Comment se faisait-il ?
Alors, j’ai entrepris une interminable exploration. Monter sur cette scène. Faire semblant d’être un personnage qui est tout le contraire de moi. Néanmoins, je le vivais vraiment, je m’en étais accaparé (ou j’en étais prisonnier, c’est surtout ça et c’est le bonheur). Dans tout ça, la liberté. Etre acteur. Etre actrice. Pour moi, ça passait et ça passe par la mise en scène. Raconter, filmer des histoires qui me plaisent.
Faute de moyens, ça commençait par ma propre vie. Dans ma tête, je m’écrivais des bandes annonces. Les stars évoluaient autour de mon petit cerveau ébloui. Elizabeth Taylor, Lana Turner, Rita Hayworth, Ava Gardner, Judy Garland et des constellations à l’infini. Avec le passage des générations, d’autres vinrent et puis il y eut un cinéaste qui fit des films chez lui, avec ses amis, avec sa famille. La maison, ces conflits, ces mythiques verres de whisky, se bourrer la gueule et jouir de vivre. Il avait une femme, des enfants et des amis, ils vivaient ensemble, ils se filmaient, jour et nuit, sans cesse. Pourtant, tout était de l’artifice. Shadows. Faces. Une Femme sous Influence. Un très bel homme, une très belle femme. Et ça cognait, ça criait, ça s’aimait, ça se détestait ! Ciel, quel Bonheur !
Je voyais ça sur cet écran adoré. Je commençais à faire mes petits films autobiographicomélodramatiques. Je m’interrogeais depuis le début sur le cinéma(tographe) que je voulais faire, inspiré de ma vie ou pas ? Je faisais des allers retours entre l’orchestre et la scène. Je n’avais pas vraiment de réponse.
Et un soir, dans une salle obscure, arrive Opening Night. John Cassavetes et évidemment Gena Rowlands. Peu à peu, j’entre avec délectation et une certaine panique (parce que c’est nécessaire à la jouissance ?) dans cet écran adoré, tant et tant et tant. Je vois une grande actrice de théâtre, qui joue donc une pièce, et puis un événement bouleverse sa vie fictive, mais est-elle fictive, et là, là, là, la vache, la scène s’écroule, qu’est-ce qui est vrai qu’est-ce qui est faux. J’entre dans les limbes, c’est une horrible éternité. Je suis perdu, oh oui, hourra. Et voilà que je ne sais plus où se trouvent mes sentiments, la caméra m’emmène sur scène et dans la vie appelée réelle, et puis je ne sais plus si je suis encore sur scène, me trouvé-je dans une chambre pour de vrai ? Camera en italien, ça veut tout dire, obscura.
Gena/Myrtle entre dans cet univers de perdition paradisiaque qui est l’enfer. Elle tombe, elle est affaissée et je sais qu’elle se relèvera et n’en deviendra que plus vivante que jamais. Ce serait donc ça la survie, ce jeu de rôles, je renie le mot thérapie pour ce qui est de l’Art, mais là, ça va au-delà de ce qui est le Tout : c’est une guérison, en fait une résurrection. La nuit est devenue jour ou l’inverse. Des ténèbres sort la lumière, qui n’avait jamais disparu : la flamme se trouve toujours en nous.
Donc, voilà le théâtre filmé, et pour moi comme pour Sacha Guitry, Marcel Pagnol, Georges Méliès, les frères Lumière, Alice Guy, Jean-Luc Godard, Orson Welles, Charles Chaplin, Jean Renoir, Marguerite Duras, Jacques Rozier et tou(te)s les autres, c’est là que réside la vérité de l’artifice, peut-être la réponse. Dans Opening Night, John Cassavetes fait en sorte que le cinéma se déplie dans toute son incarnation, c’est purement charnel, sa modernité met notre époque dans l’arrière-garde, et pourtant il y a aujourd’hui des résistant(e)s qui n’ont tout simplement jamais été dans le formatage. Ce sont elles et eux qui nous sauveront, qui nous sauvent déjà.
Opening Night sonde l’âme humaine au plus profond de nous-mêmes. Gena/Myrtle se rendant sur scène, ivre-morte, est plus vivante, puissante et sobre que jamais : c’est l’art de la survivance, tout simplement l’art de vivre.
Sur le web
Le film ne déroge pas à la règle habituelle des films de John Cassavetes : une histoire dans un court laps de temps. Ainsi, l’intrigue d’Opening Night n’excède pas cinq jours. Véritable film culte auprès des spectateurs, Opening Night inspire même les plus grands cinéastes. Si l’histoire vous dit quelque chose, ne cherchez pas : Pedro Almodóvar s’en est inspiré pour son film Tout sur ma mère en 1999, dans lequel Marisa Paredes vit un événement similaire à celui de Gena Rowlands. De nombreux acteurs et metteurs en scène célèbres font une apparition dans Opening Night. Parmi eux, Peter Bogdanovich et les habitués de John Cassavetes, Peter Falk, célèbre interprète de Columbo déjà vu dans Husbands en 1970, et Seymour Cassel, qui débuta dans le métier aux côtés du cinéaste avec Shadows (1959). Lors de la sortie de son premier long-métrage, Shadows en 1958, John Cassavetes déclarait qu’il lui paraissait impossible d’être à la fois metteur en scène d’un film et l’interpréter. Ça ne lui a pas empêché, pour Opening Night, de jouer pour la troisième fois dans une de ses réalisations (après Husbands en 1970, et Minnie et Moskowitz l’année suivante). Il réitérera d’ailleurs l’expérience une dernière fois pour Torrents d’amour en 1984. Lors de la scène où Gena Rowlands arrive ivre au théâtre, elle ne simule pas, elle s’est véritablement rendue ivre pour jouer au mieux cette scène. Opening Night permit à Gena Rowlands de remporter un Ours d’Argent de la Meilleure Actrice au Festival de Berlin. Il fut également sélectionné Hors-Compétition au Festival de Cannes 1992, pour fêter les 15 ans de sa sortie.
«On peut dire de l’œuvre de John Cassavetes qu’une place primordiale est réservée à l’acteur. Il lui donne une telle liberté, que le film pèse entièrement sur ses épaules. Et c’est justement parce qu’avant d’être le réalisateur que l’on connaît, il a commencé comme comédien, qu’il laisse l’interprète s’affranchir de toutes règles lui permettant de s’approprier le rôle et d’en faire son double. Amoureux du théâtre qui fait la part belle à l’acteur, il lui écrit une pièce : Une femme sous influence, mais devant l’effort psychologique qui lui est demandé, son épouse Gena Rowlands lui demande de l’adapter pour le cinéma. C’est en tournant Opening night en 1976, qu’il peut enfin réaliser son rêve, filmer le théâtre ou du moins l’essence même : le comédien. Car il y a bien une distinction dans la profession, l’acteur de cinéma n’est pas le même que celui du théâtre et c’est à cela que s’est attelé Cassavetes à travers ses films : essayer de filmer l’acteur de théâtre. C’est pourquoi le spectateur a souvent l’impression d’assister à une captation d’une pièce en plusieurs actes et que par bien des égards son cinéma soit si atypique. Véritable hymne au métier d’acteur, Opening night est sans doute le chef-d’œuvre de Cassavetes. Une mise en abîme exceptionnelle, à travers une comédienne, Myrtle incarnée par Gena Rowlands, qui répétant le rôle d’une femme vieillissante ne supporte pas le reflet de son image et l’alcool aidant, vire à la limite de la schizophrénie. Cassavetes nous dévoile le secret de cet art : être capable de saisir l’âme humaine, voler la vie de quelqu’un d’autre et ne pas hésiter à y plonger au risque de s’y noyer. Le jeu ne doit plus exister, il faut être ce personnage. L’interprétation de Gena Rowlands est tout simplement bluffante. Une nouvelle fois, Cassavetes la sublime par des gros plans où il saisit toute sa fragilité et sa qualité d’artiste. Elle est l’actrice qui doit en camper une seconde, qui devra elle-même jouer sur scène un autre rôle. Proche d’un dédoublement de la personnalité, la folie est révélée par une mise en scène judicieuse dont ce magnifique plan avec le jeu des miroirs où Myrtle se démaquille. Dans Opening night, Gena Rowlands donne la réplique à son époux John Cassavetes qui se délecte de son rôle d’acteur, lui aussi vieillissant. La dernière demi-heure est littéralement exquise. Les deux acteurs sont sur scène devant un véritable public (venu suite à une annonce parue dans un journal local) en train de jouer leur rôle qu’ils improvisent au fur et à mesure. Gena est devenue la seconde femme, l’a réinventé. John lui-même s’engage vers cette voie. La magie opère, on sent aussi bien cette complicité qui les unit, que la sincérité de leur interprétation qu’ils ont su appréhender. L’assistance ne s’y trompe pas et rit de leur jeu, et pourtant le pari était risqué. Car Cassavetes s’est juste contenté d’écrire la partie filmée du spectacle, les spectateurs ont donc consciemment assisté à une pièce de théâtre inachevée. Par crainte de les voir s’ennuyer entre les prises, Cassavetes n’hésite pas à envoyer les comédiens sur les planches afin de les divertir. A la fin de la représentation, on remarquera la présence du clan Cassavetes (Peter Falk, Seymour Cassel), venu les féliciter. Petit bijou du cinéma, Opening night est un des rares films à rendre hommage à cet art qu’est la profession d’acteur. Epris de théâtre, de style, vous êtes cordialement invités, comme le public de l’époque, à vous asseoir et à vous régaler devant ces maîtres du jeu.» (avoir-alire.com)
«Portrait de femme à la Une femme sous influence, prolongeant la réflexion de Meurtre d’un bookmaker chinois sur le rôle de l’artiste en société, Opening Night est peut-être le film le plus construit de John Cassavetes, tendu au cordeau, délivrant une ode à la liberté d’une puissance inouïe. Tourné en 1977, Opening Night succède à Meurtre d’un bookmaker chinois dans la filmographie de John Cassavetes. Les deux films ne sont pas sans point commun. Ils présentent tous les deux un collectif artistique en mouvement. En parallèle de l’évolution des personnages principaux, se déroule la présentation d’un spectacle qui devient la caisse de résonance de leurs sentiments. L’art n’est jamais détaché de la vie, mais lié à elle, imbriqué dans son cours chaotique. John Cassavetes n’est pas un inventeur de forme. Ses narrations s’appuient sur un canevas classique. Là où Meurtre d’un bookmaker chinois empruntait au film noir, Opening Night renvoie à tous ces longs-métrages – All That Jazz, Les Chaussons rouges… – qui suivent la mise en place d’un spectacle artistique (pièce de théâtre, musical, film…) et où ce qui se déroule sur scène renvoie, influe, interagit avec ce qui se joue en coulisses. La grandeur de son cinéma tient justement dans son incroyable capacité à s’appuyer sur des structures qui nous sont familières pour mieux les détourner de leurs rails trop bien tracés. John Cassavetes sait tout du crescendo dramatique, du climax, et de ce qui fait qu’une histoire tient la route sur grand écran. Il maîtrise les ficelles de son art, sachant parfaitement comment maintenir son public en état de veille, mais les utilise d’une manière unique, en conteur halluciné de quêtes existentielles aussi insensées que profondément humaines. De la première à la dernière minute, Opening Night est un film suffocant. C’est en partie dû au filmage tout en plans serrés, travaillant les acteurs au corps, la caméra plongée dans la mêlée, donnant au spectateur la sensation d’être physiquement impliqué dans le film. Le jeu de Gena Rowlands n’y est bien sûr pas étranger, incandescent, mélange de détresse et de force. Elle a sa manière si particulière de fumer une cigarette, à la fois geste de classe et mimique maladroite, avec sa façon incroyable de jouer l’ivresse, sans fard, sans retenue. Mais cette longue mise en apnée est surtout induite par un scénario d’une profondeur bouleversante. Myrtle Gordon est une star du théâtre et une nouvelle pièce se monte sur son nom, The Second Woman, adaptation d’une pièce d’une dramaturge elle-même à succès. Un soir, à la sortie d’une représentation, une fan hystérique meurt sous les roues d’une voiture. Pour Myrtle, cet accident accélère un processus de remise en question qu’on devine déjà en cours depuis quelque temps. Elle est mal sur scène, n’arrivant pas à saisir un personnage de femme vieillissante qu’elle ne comprend pas, renâcle comme un cheval devant l’obstacle, refuse de jouer un échange de gifles qu’elle juge désormais humiliant. Elle se sent perdue dans la vie, percluse de solitude, bientôt hantée par le fantôme de la disparue, Nancy. L’alcool aidant, les représentations deviennent de plus en plus chaotiques, mettant en péril le maintien de la pièce à l’affiche. Comme dans Husbands et Gloria, tout commence par une mort. C’est elle qui impulse le mouvement, donne une urgence. Sa survenue brutale ne laisse pas le choix, ceux qui la côtoient sont pris d’une irrépressible envie d’accélérer le pas. En tombant sous les roues d’une voiture, Nancy renvoie Myrtle à la jeunesse qu’elle n’a plus, à ses 17 ans relégués loin derrière elle. À ambiance voisine, John Cassavetes se tient à l’opposé de l’«entertainer» Woody Allen qui fait s’entrechoquer de petites vies mesquines dans son Coups de feux sur Broadway pour les besoins de sa comédie. Jamais chez Cassavetes les protagonistes ne sont cantonnés à des rôles de pantins, de marionnettes dirigées par un démiurge se plaçant au-dessus ou hors du jeu, à la fois misanthrope et tristement cynique. La trajectoire de Myrtle fascine, attire, car elle est à l’inverse un appel à la liberté, un souffle de vie. Elle est pourtant entourée de bienveillance, Myrtle, d’amour même, venant de la troupe, de son producteur, ou de son metteur en scène. Mais cela ne suffit pas. Personne ne peut rien pour elle – et surtout pas la voyante qu’elle croise sur son chemin – pour l’aider à venir à bout des maux dont elle souffre. C’est d’ailleurs là la grande force du film de ne pas appuyer sur les obstacles externes, sur les contraintes qu’on lui impose. La vie est suffisamment violente comme cela pour ne pas rajouter davantage d’antagonismes. Son problème à Myrtle, ce ne sont pas les autres, c’est elle. Et sa difficulté à vivre touche, car évidemment universelle. On est avec elle, de plus en plus à chaque séquence, on la suit dans son errance, on prie pour qu’en fin de parcours elle puisse assurer ces représentations. À chaque fois qu’elle monte sur scène, on redoute le dérapage, on la soutient quand elle vacille, on ressent sa honte et son désarroi. Myrtle n’arrive pas à comprendre son rôle, car elle dit qu’il lui manque l’essentiel : l’espoir. A force de chercher, de tordre la pièce qu’elle interprète jusqu’à son point de rupture, de se perdre dans la boisson, elle va réussir à imposer la vision qu’elle a de son personnage dans une dernière confrontation fabuleuse avec son amant Maurice, Cassavetes lui-même. Elle donne à cette seconde femme, de la chair, de l’humour. Myrtle a tué son fantôme, la mort a perdu, l’espace d’un instant. Le public applaudit à l’écran, nous aussi.» (critikat.com)
… «Myrtle Gordon est-il le plus beau rôle de Gena Rowlands ? Ceux qui aiment et admirent l’actrice et les films de son époux, John Cassavetes, sont partagés entre leur préférence pour celui-là, qu’elle tient dans Opening Night (1977), et celui d’Une femme sous influence (1974). Dans les deux, elle incarne génialement un personnage sombrant dans la folie. Quand elle tourne Opening Night, Gena Rowlands n’a pas 50 ans. Mais elle les paraît par la lourdeur exténuée qu’elle confère à son incarnation d’une actrice célèbre, seule et alcoolique parvenue à la croisée de chemins personnels et professionnels… En de nombreux points, le personnage joué par Rowlands dans Opening Night semble une manière d’écho mortifère à celui incarné par Bette Davis dans All About Eve (1950), de Joseph L. Manckiewicz : le physique entre deux âges des deux héroïnes, leur rencontre déterminante avec une jeune admiratrice, leur rapport avec leur habilleuse, les répétitions dans un théâtre de New Haven, les pièces écrites par des femmes, etc. Davis admirait Rowlands – avec qui elle devait partager l’affiche d’un téléfilm, Strangers : The Story of a Mother and Daughter (1979), de Milton Katselas – qui le lui rendait bien, ainsi que cette dernière en témoigne dans le documentaire qu’Arte lui a consacré. Mais, mieux que Davis dans All About Eve, Rowlands contrefait l’ébriété dans la magistrale scène finale : Myrtle arrive ivre morte au théâtre, le soir de la première mais joue la pièce – en l’ayant, comme en répétitions, transformée en happening d’improvisation. Il y a aussi, dans Opening Night, la présence, dans le rôle de l’auteure de la pièce, de Joan Blondell (1906-1979), grande vedette hollywoodienne des années 1930. Cassavetes, qui a toujours aimé filmer les femmes mûres et âgées, porte un regard à la fois cruel et tendre sur ce visage qui fut, lui aussi, celui d’une jeune et jolie blonde…» (lemonde.fr)
«Opening night est un hymne à la créativité des acteurs et, plus généralement des gens du spectacle, pour échapper à la tristesse et au désespoir devant la fuite du temps et des sentiments. Même Sarah et Maurice qui condamnent Myrtle au désespoir dans sa vie réelle font « partie de la famille » et concourent au succès final. Comme habituellement chez Cassavetes, l’action est resserrée sur un faible nombre de journées, cinq ici. Le thème du sacrifice consenti à la vie du fait d’être une actrice tout autant que la force que cela permet qui sont travaillés à partir des motifs de l’alcool et du fantôme de la jeunesse. Certes plusieurs fois, avec Sarah et lorsqu’elle rencontre les parents de Nancy, le thème de l’actrice qui ne peut se permettre d’avoir des enfants est abordé mais, Nancy est moins l’enfant que Myrtle aurait voulu avoir que l’amie, le double à la fois proche et démonique qui va l’aider à dénouer la crise. Malgré son ivresse, Myrtle réussit à tenir son rôle et contraint Maurice, son partenaire récalcitrant, à improviser l’ensemble du dernier acte et à donner à la pièce le sens qu’elle souhaite : l’humour et l’espoir triomphent contre la naufrage des sentiments promis par le texte initial. Cette victoire est permise par le démon de la jeunesse qui prend possession du corps défunt de Stein. Ce sera pour Myrtle le fantôme de sa jeunesse. Cette jeunesse se révolte contre l’humiliation subie. La première hallucination de Myrtle a ainsi lieu au retour dans la loge où Myrtle a refusé de se laisser gifler et de subir le mépris de Sarah. En choisissant des très gros plans sur les parties des visages de Myrtle et Nancy, le réalisateur parvient à nous convaincre qu’elles ne font qu’une personne. Les inserts alternants de leurs mains ou d’une partie de leur visage les font se fondre en une même personne irradiante d’espoir… Myrtle est toujours la femme qu’elle a été et pas seulement « la seconde femme ». Très lucide sur ses hallucinations, elle dira plus tard à la voyante : « C’est comme quand on est enfant et qu’on a un ami imaginaire, on sait qu’il n’existe pas ». Nancy est son seul refuge pour affronter la pièce qu’elle résume ainsi » La pièce parle de la diminution progressive de mon pouvoir de femme qui va de paire avec la maturité. A un moment de la vie, la jeunesse meurt et une seconde femme entre en scène. Je crois que Nancy est la première femme de ma vie« . Myrtle cherche donc à maintenir Nancy en vie mais elle se rend compte progressivement que le fantôme a des désirs sexuels qui ne l’intéressent plus guère et qu’elle refuse sa déchéance par l’alcool. La relation devient conflictuelle et elle tue le fantôme qu’elle a créé. L’alcool, omniprésent dans le film (il faudrait compter le nombre de plans dans lesquels apparaissent une bouteille ou un verre) sert de catalyseur pour un retour à la vie qui passe par la capacité à improviser et donc à créer et garder l’espoir.» (cineclubdecaen.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Joseph Morder.
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