Un grand voyage vers la nuit


 


Lundi 10 Février 2020 à 20h30 – 18ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Bi Gan – Chine – 2019 – 2h18 – vostf

Luo Hongwu revient à Kaili, sa ville natale, après s’être enfui pendant plusieurs années. Il se met à la recherche de la femme qu’il a aimée et jamais effacée de sa mémoire. Elle disait s’appeler Wan Qiwen…

Notre article

par Bruno Precioso

En seulement deux courts-métrages et deux longs, Bi Gan s’est déjà imposé comme une voix singulière dans la nouvelle génération de cinéastes chinois. Déjà les critiques parlent de « Huitième génération ». Originaire de Kaili, dans la province du Ghinzou où il a tourné tous ses films, Bi Gan aime la nuit. Nous aurions tout aussi bien pu programmer son premier film Kaili Blues pour lequel il avait obtenu le Léopard d’Or à Locarno en 2014. Son cinéma rime avec mystère dans de longues scènes énigmatiques où nous plongeons dans une sorte de rêve éveillé qui semble être celui des personnages eux-mêmes. Et l’intrigue, si tant est qu’il y en ait une, est surtout prétexte à jouer avec la mémoire et le temps. Je parlerais ici plutôt d’une quête. Il faut bien un moteur pour que les personnages se mettent en mouvement. Si le rêve lui-même ne suffit pas, souvent une vieille photo permet de remonter le temps. Elle devient talisman, amulette, boussole et viatique.

Le voyage peut commencer. La caméra de Bi Gan a une douceur, une fluidité dans le mouvement, comme si elle glissait lentement sur du velours. Elle prend son temps pour détailler un pan de mur ou le reflet d’un néon derrière une vitre. Ici, l’image sert avant tout à créer une atmosphère, d’où le soin apporté à la composition des plans et à la lumière : loupiote, flamme de briquet ou lampions dans les rues, il y a du Georges de la Tour chez Bi Gan. La source lumineuse, souvent décalée, sert de pivot autour duquel tourne tout le plan, avec des zones d’ombre qui persistent et qui attirent d’autant plus notre regard. Puis la lumière se met à danser, les formes tremblent et se dissolvent presque dans la nuit, et là nous sommes plutôt dans le tachisme, avant que l’image retrouve sa netteté. D’autres fois, c’est un objet de couleur vive qui concentre toute la lumière, comme la robe verte de Wan Qiwen dans la scène du tunnel à peine éclairé par les minuscules phares de la camionnette de Luo Hong Wo. Et la scène dure sans effort plus de 5 minutes.

La structure du film elle-même rappelle celle des rêves, avec un montage sans transition où les temps se télescopent. C’est toujours au spectateur à s’y retrouver, et dans certains cas, ça peut prendre quelques secondes avant de se rendre compte que nous ne sommes plus dans le même espace-temps. Le réalisateur joue avec tous ces éléments à la fois pour nous donner des pistes et nous perdre.

La musique intervient aussi dans ce puzzle et revient comme un contrepoint associé à la mémoire. Néanmoins, le récit avance, un indice en appelle un autre, nous faisant passer d’un endroit à l’autre. Le héros espère retrouver sa belle, mais tel un mirage, celle-ci se dérobe sans cesse. Chaque fois qu’il croit toucher au but, il arrive encore et toujours trop tard. Il faut aller encore plus loin. Plus loin dans le rêve, plus loin dans l’improbable. La réalité elle-même se révèle fuyante. Le cinéma est d’ailleurs très présent dans le film. À la fois par des citations et des clins d’oeil (Wong Kar Wai, Les années rebelles), Tarkovski, Stalker), mais aussi Wang Bin (À l’ouest des rails) et bien d’autres.

Mais aussi, par la présence physique des personnages dans une salle. Bi Gan n’hésite pas à jouer ouvertement avec notre identification au héros en nous demandant d’enfiler nos lunettes 3D au même moment que les spectateurs présents à l’écran et pour faire bonne mesure, c’est le titre du film que nous sommes en train de regarder qui apparaît dans ce cinéma voué à disparaître. C’est bien la fin d’un monde auquel nous assistons. La fin du cinéma ? La fin du spectacle ? Mais Luo Hong Wo s’endort très vite sur son fauteuil et finit par se perdre dans un labyrinthe. On est de l’autre côté du miroir et l’enfant qui va lui servir de guide porte un crane de buffle en guise de masque. Autant dire que nous nous retrouvons soudain dans un récit mythologique. Passage initiatique, visite au pays des morts ? Luo Homing Wo finit par jeter la photo dans le feu en signe de renoncement. Les lieux traversés renforcent cette sensation d’être un peu hors du temps, entre mine désaffectée et quartiers en démolition.

Mais la mise en scène de Bi Gan recèle plus d’un tour dans son sac. Ainsi pour sortir de la mine/ labyrinthe, Luo doit emprunter une sorte de tyrolienne rudimentaire, mais au lieu de remonter à la surface comme on pourrait s’y attendre, il va s’enfoncer dans une descente vertigineuse vers la ville basse. Grâce à la 3D, nous sommes suspendus avec lui au-dessus du vide, pas franchement rassurés, par-dessus la cime des arbres, dans la nuit noire. Seul un étrange bâtiment, une sorte de hangar transparent est éclairé en contre-bas. La musique s’amplifie au fur et à mesure que nous nous rapprochons. Et la descente va durer 3 pleines minutes. Le hangar est en fait une salle de billard au bord du précipice, à mi-chemin entre la mine et les lumières de la ville d’où monte le son d’un karaoké. Et, comme dans bien des récits antiques, c’est parce que Luo a renoncé que la rencontre va avoir lieu. Une rencontre magique, comme toutes les rencontres. À ce moment-là, quand bien des films s’arrêteraient sur cette sorte d’happy end en trompe l’oeil, Bi Gan nous offre encore une demi-heure de déambulation nocturne dans un plan séquence infini, où cette fois-ci, le vêtement de la jeune femme qui accroche la lumière est une veste rouge. Et les guirlandes ou les braseros de la fête foraine ne semblent exister que pour prêter main forte aux jeux de lumière du réalisateur, noyés dans la variété chinoise, sirop pur sucre du pur mélodrame. Mais il semblerait bien que Bi Gan préfère définitivement les atmosphères plus sombres, les lieux abandonnés, mais encore habités d’une présence entêtante.
Et la maison se mit à tourner autour des amants enlacés.

Sur le web

Bi Gan, jeune cinéaste chinois, est né en 1989 à Kaili, dans la province du Guizhou. En 2013, le court métrage Diamond Sutra dont il est l’auteur et le réalisateur, reçoit une Mention Spéciale dans la catégorie Asian New Force du 19 e festival IFVA. Son premier long, Kaili Blues, remporte le prix du meilleur réalisateur émergent au 68ème festival de Locarno, la montgolfière d’or au 37ème festival des Trois Continents, et le prix de la réalisation aux 52ème Golden Horse Awards, parmi de nombreuses sélections en festivals. Il a aussi été vendu dans plusieurs territoires. Son deuxième long-métrage, Un grand voyage vers la nuit, une co-production entre la Chine et la France, a été présenté dans la catégorie Un Certain Regard lors du 71ème festival de Cannes.

Bi Gan n’était pas, d’un point de vue technique, satisfait de son précédent film Kaili Blues sorti en 2016. Le metteur en scène regrettait de n’avoir pas pu faire certaines choses en raison d’un cruel manque de moyens financiers. Il explique : « Avec ce nouveau film, j’ai cherché à concrétiser mes rêves et à mieux connaître l’industrie du cinéma. Ensuite, j’étais fasciné depuis longtemps par la peinture de Chagall et les romans de Modiano. Je voulais faire un film proche de leurs œuvres, proche des sentiments et des sensations qu’on y trouve. » Il ajoute: « J’ai cherché beaucoup d’idées pendant l’écriture. Finalement c’est en feuilletant la Divine Comédie de Dante que j’ai eu l’idée de cette errance. C’est une invitation au voyage. Que les spectateurs pensent que les personnages soient morts ou vivants, ce n’est pas grave. Le film est tourné dans les environs de Kaili. Le grand immeuble a été construit par les soviétiques, à l’époque de l’exploitation de la mine à côté. Ensuite, c’est devenu une prison. Aujourd’hui, il est désaffecté. C’est un endroit qui me fascine tellement que j’ai écrit cette histoire pour l’habiter. »

Un grand voyage vers la nuit emprunte sa forme au film de genre. Bi Gan confie : « Je n’ai jamais eu de formation scénaristique. Du coup, j’ai pris mes propres habitudes en écrivant. Au début, sur le papier, Kaili Blues était un road movie. Une fois la première version écrite, j’ai commencé à la détruire de l’intérieur, petit à petit. Cela a donné une forme que j’ai aimée. Pour Un grand voyage vers la nuit, c’était au départ un film noir, dans le genre de Assurance sur la mort de Billy Wilder. C’est avec mon processus de « destruction » scène après scène, que finalement le film a pris la forme qu’il a actuellement. »

Interrogé sur les difficultés d’un tournage, Bi Gan explique: « Le tournage est toujours très dur. Je dois me sentir en danger, presque comme si je devais échapper à la mort pour continuer à créer. Souvent je me dis que le film est foutu et pourtant le lendemain une nouvelle idée me vient. Elle le fait renaître, reprendre une vie nouvelle. Je pense que se remettre en question pour sortir du confort, parfois au risque de se « détruire » est nécessaire pour les créateurs. Je suis convaincu que beaucoup de grands cinéastes sont comme ça, bien sûr sans prétendre être à leur hauteur. C’est quelque chose que j’ai expérimenté dès Kaili Blues. Que ce soit avec un gros ou un petit budget, je ne peux pas me contenter de faire un film uniquement parce qu’il y a un scénario écrit. Cela ne me suffit pas et ne me motive pas assez. »

Le fameux plan-séquence de Un Grand voyage vers la nuit a été mis en scène à la fin du tournage. Avec son équipe, Bi Gan l’a préparé longtemps et l’a tourné une première fois. Mais le cinéaste n’était pas du tout convaincu par le résultat. « C’est le gaffer de Wong Kar-wai, Wong Chi Ming, qui est venu nous donner un coup de main. Dès qu’il a préparé la lumière, j’ai été à nouveau intéressé. J’ai eu très envie de tourner le plan, alors qu’avant je n’en avais pas vraiment envie. Pourquoi ? Parce que faire un plan-séquence veut dire que tout est décidé à l’avance. On ne peut finalement que très peu le modifier. C’est vraiment le travail de Wong Chi Ming qui m’a donné envie de le tourner« , se rappelle Gan.

Le romancier Chang Ta-Chun a été consultant sur le scénario de Un Grand voyage vers la nuit. « On a beaucoup discuté de la structure du film. Par exemple, sa division en deux parties. La première partie est intitulée : Mémoire , la deuxième : Pavot , comme dans le titre du poème de Paul Celan : Pavot et mémoire . À un moment, je l’ai même envisagé comme titre du film, mais j’ai finalement abandonné cette idée« , se rappelle Bi Gan.

Parce qu’il n’était pas content de la décoration, Bi Gan a arrêté le tournage de Un Grand voyage vers la nuit dès le premier jour. Puis est venu Liu Qiang, un directeur artistique qui a un sens plastique très aiguisé, avec qui le metteur en scène a commencé à résoudre les problèmes. « Après il y a eu encore deux ou trois arrêts. Finalement le tournage s’est achevé quelques jours avant le nouvel an chinois 2018 (mi-fevrier) », se souvient Gan.

L’acteur Huang Jue est né dans la province chinoise du Guangxi en 1975. Ses débuts devant la caméra sont remarqués par le public dans Baober in Love (2004). Il apparaît ensuite dans de nombreux films encensés par la critique, tels que The Master (2013) de Xu Haofeng et Falling Flowers (2013), de Huo Jianqi. Il incarnera Luo Hongwu dans Un grand voyage vers la nuit (2018).

Quant à l’actrice Tang Wei, elle est née le 7 octobre 1970 à Hangzhou, dans la province du Zhejiang. Diplômée en réalisation de l’Académie Centrale des Arts Dramatiques de Chine, elle choisit de passer devant la caméra. En 2010, sa performance dans Crossing Hennessy lui vaut le prix de la meilleure actrice aux 11e Chinese Film Awards. En 2013, Tang Wei apparaît dans la comédie romantique Finding Mr Right qui amasse $85 millions au box-office chinois et avec lequel elle remporte le titre de meilleure actrice aux Shanghai Film Critics Awards, China Film Director’s Guild Awards, et bien d’autres. En 2015, elle fait ses premiers pas en anglais dans Blackhat. Un an plus tard, Tang retrouve l’équipe de Finding Mr Right pour une suite intitulée Book of Love, qui remporte un immense succès commercial, jusqu’à devenir la comédie romantique chinoise la plus rentable de tous les temps.

Trois chefs opérateurs sont présents au générique de Un Grand voyage vers la nuit. Bi Gan raconte : « En fait, Yao Hung-I a commencé la première partie. On a travaillé plusieurs mois ensemble, puis il est rentré à Taïwan. Dong Jingsong a fait ensuite au moins la moitié de la partie en 2D, et la préparation du plan-séquence final que finalement David Chizallet a assuré. Ce dernier a aussi tourné une des scènes de la partie en 2D.« 

…«Si le cinéaste déclare être ici inspiré par la peinture de Chagall et les romans de Modiano, ce second opus mêlant romanesque décalé et cinéma d’atmosphère, récit à la première personne et construction déstructurée, convoquera de multiples autres références pour le cinéphile: la belle partition musicale lyrique de Giong Lim et Chi-Yuan Hsu accompagnant les plans furtivement sensuels ne sont pas sans évoquer le Wong Kar-wai de In the Mood for Love; les incantations introspectives font écho au ton durassien déployé dans India Song; la narration en forme de journal intime ravivera le souvenir de Cinq et la peau de Pierre Rissient; le thème du double et le récit de la recherche d’une femme aimée peut-être disparue feront inévitablement songer à Vertigo, là où la double lecture d’une histoire complexe nous replongera dans la sophistication de Mulholland Drive.

De là à penser que Bi Gan se contente de recycler les grands classiques, il n’y a qu’un pas que nous nous garderons de franchir, tant le métrage fascine par sa force onirique et son aptitude à capter l’attention des spectateurs (de bonne volonté, précisons-le), pour peu qu’ils acceptent de sortir d’une certaine zone de confort scénaristique. Le film est en fait découpé en deux parties distinctes. La première, plus cérébrale, traite du souvenir et accorde une place importante à la dimension temporelle, des flash-back implicites tentant d’éclairer le trouble affectif de Luo Hongwu, le personnage principal. Le second segment, entièrement filmé en 3D et avec un unique plan-séquence, est introduit par une scène se déroulant dans une salle de cinéma, et se concentre davantage sur l’aspect spatial, les déplacements de Hongwu, dont on ignore s’il entame une nouvelle vie ou est immergé dans un rêve, l’amenant à côtoyer une faune plus ou moins rassurante, comme ces ados jouant au billard et voulant se la jouer jeunes caïds… Bien épaulé par trois chefs opérateurs dont le Français David Chizallet, Bi Gan a tiré aussi le meilleur de ses interprètes dont la troublante Tang Wei, déjà remarquée dans plusieurs œuvres dont Office de Johnnie To. Il serait dommage de passer à côté de ce petit bijou qui mérite un bouche à oreille positif.» (avoir-alire.com)

…«On s’était déjà fait une idée du talent de ce jeune réalisateur chinois en découvrant l’excellent Kaili Blues, sorti en catimini il y a presque deux ans, dans lequel son goût des errances narratives hypnotiques et des plans-séquences étirés à l’infini en faisaient presque le nouvel étendard d’un principe d’immersion cinématographique, axé sur l’imprégnation d’un cadre et d’une atmosphère, quelque part entre Bela Tarr et Wong Kar-waï. À cette liste de références glorieuses, il faudra désormais y rajouter les noms de Gaspar Noé, d’Apichatpong Weerasethakul et surtout de David Lynch, tant Un Grand voyage vers la nuit – titre à la promesse tenue de bout en bout – s’incarne en rêve de cinéma, visuellement dément et perpétuellement inspirant.

Commençons déjà par préciser une chose : un film de Bi Gan n’est pas fait pour être compris, mais ressenti. Refusant les scènes explicatives au profit d’un fil narratif qui se veut riche en surprises, le réalisateur s’embarque ici dans une plongée fascinante au cœur de la mémoire qui mise sur la cassure, la rupture et la répétition de motifs dans un environnement tour à tour concret et onirique. On ne sera pas surpris d’apprendre que le récit, conçu au départ comme un pur film noir dans la ligne d’Assurance sur la mort de Billy Wilder, aura subi en fin d’écriture une déconstruction totale des repères temporels et de la notion de linéarité. Structuré en deux parties à la manière de très nombreux films bicéphales (de Mulholland Drive à Tropical Malady, la liste est longue…), le film ne tarde pas à dévoiler ce qui le motive : une première partie qui s’échine à mettre en perspective la place du souvenir dans un amas de temporalités éparpillées façon puzzle, et une seconde partie qui cherche à recomposer ces mêmes souvenirs de façon tactile et sensitive dans un espace visualisé en temps réel. D’où l’idée de génie qui aura laissé le public cannois bouche bée : un plan-séquence inouï de soixante minutes, riche d’une force immersive surmultipliée par l’usage du format 3D, où une réminiscence du passé peut soudain trouver une furieuse incarnation tridimensionnelle, tangible et vibrante.

À quel genre appartient Un Grand voyage vers la nuit ? Film noir ? Romance ? Fantastique ? Science-fiction ? On ramera à vouloir étiqueter le film dans une seule de ces catégories, puisqu’il réussit à toutes les combiner. Disons simplement que le résultat relève autant de la poésie que de la magie pure : chaque plan, somptueux dans ses couleurs et ses perspectives, chaque intention de montage, riche de mille niveaux de lecture, et chaque choix musical, évanescent au plus haut point jusqu’à nous donner la sensation de flotter (merci à Lim Giong, déjà fortiche sur le Millennium Mambo de Hou Hsiao-hsien !), cimentent un geste de cinéma qui nous invite à quitter le plancher des vaches, à se sentir transcendé par la grâce taboue d’un mouvement de caméra impossible, et à ne jamais oublier cette notion de « réalisme magique » qui caractérise plus que jamais notre art préféré. De toute façon, tenter de décrypter l’intégralité de ce film après une seule vision est une gageure que l’on ne se sent pas capable d’accomplir. Il faudra y revenir encore et encore, comme on revient souvent à ce qui nous obsède, comme on peut parfois se surprendre à redécouvrir le cinéma pour la première fois au détour d’un film que l’on n’attendait pas. Oui, c’est un chef-d’œuvre. Et oui, c’est un choc. De ceux qui arrivent une fois tous les vingt ans.» (abusdecine.com)

…«Irrésistible ascension vers un village accroché au bord d’une montagne verdoyante, le premier film de Bi Gan, Kaili Blues, baignait dans une langueur et un mysticisme d’une désarmante simplicité. Son second long métrage, Un grand voyage vers la nuit, prolonge ce mouvement parabolique entamé en 2016 pour dessiner la trajectoire descendante, plongeon jusque dans les entrailles de la Terre et de la tête de son personnage principal. Avant la chute, Un grand voyage s’ouvre sur une rechute. Ayant fui Kaili – ville d’origine du cinéaste, dans le sud du pays – et sa famille des années plus tôt, le quadra Luo Hongwu s’y trouve rappelé par les circonstances, la mort de son père l’obligeant à revenir parmi les siens. S’il parvient à expédier la question de la succession, il se trouve happé par une vieille photo délogée du dos d’une horloge. De cette boîte de Pandore s’échappe un monde de souvenirs et d’obsessions gravitant tous autour de la silhouette d’une femme aimée il y a longtemps et qu’il était sur le point d’oublier. Une figure comme arrachée à un rêve filandreux, sans nom ni visage, mais qui soudain refait vibrer des parties engourdies de son âme…La beauté de ce grand voyage réside précisément dans le fait qu’il ne chemine pas le long d’un continuum linéaire d’un point A vers un point B, et qu’il échappe à toute tentative d’encapsulation cohérente. Sa saveur s’affirme plutôt dans le détour et au terme d’un processus de décantation. Le temps nécessaire au spectateur pour distinguer que la succession de scènes étrangement déconnectées les unes des autres constitue des séries d’allers-retours entre le présent et le passé de Luo Hongwu, où se réfracte en boucle l’image de cette femme. Le temps nécessaire pour se familiariser avec le langage des signes manié par le cinéaste chinois, afin de relier les symboles qui unissent une montre fracassée, un sous-sol décrépit envahi par des trombes d’eau et des paysages de friches industrielles – images de la ruine destinées à figurer cette mémoire qui se délite, file entre les doigts de Luo et ne lui laisse plus entrevoir que des échos déformés de la chose qu’il recherche si ardemment.» (liberation.fr)

«Cartésiens, passez votre chemin. Rationnels, s’abstenir. Amateurs d’histoires limpides, avec un début, un milieu, une fin, ce n’est pas pour vous. Soucieux de cohérence, oubliez tout. Le grand voyage vers la nuit proposé par Bi Gan, très jeune cinéaste chinois de 28 ans, est à la hauteur de son titre et même très au-delà de cette promesse…Comme les différentes phases du sommeil où l’inconscient projette dans notre esprit des souvenirs oubliés, reconstitués, transfigurés, Bi Gan, pour « percer l’eau à la pointe d’un couteau », partage son film en deux temps (« pavot » et « mémoire », titres inspirés des poèmes de Paul Celan) et deux formes cinématographiques. Dans « pavot », nimbé d’eau, de pluie, de ruissellement, cet homme parcourt différents lieux de sa mémoire, croit, troublé, ici et là, reconnaître le visage de cette femme. Dans « mémoire », il entre dans un cinéma, chausse des lunettes 3D (le spectateur est convié à faire comme lui) et le voyage se déploie, en relief, dans un plan-séquence d’une heure, stupéfiant miracle d’équilibre, sous-terre, sur terre et dans le ciel, au milieu de la vie nocturne et d’une fête dans sa ville natale où lui apparaît celle qu’il cherche. Cette prouesse est aussi un acte de foi en l’infini des possibles du cinéma, à sa magie de rêve éveillé. Le 7e art ne cesse de se redécouvrir, de se réinventer. C’est la grande leçon de ce conte chinois, erratique et hiératique, symphonie de couleurs tamisées, long poème visuel, énigmatique, hypnotique et sensuel.» (la-croix.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

Entrée : 8 € (non adhérents), 5,50 € (adhérents). Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

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