DU VENDREDI 03 MARS AU VENDREDI 10 MARS 2023
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Notre Festival annuel est consacré aux éléments à l’écran : l’air, la terre, l’eau et le feu et s’intitule :
Les éléments au cinéma : Élémentaire, mon cher Lumière !
Les éléments sont synonymes de vie, et donc de mouvement. Et nous savons bien que le cinéma est mouvement dans son essence même (il suffit de penser à l’américain « movies » pour dire film). Il se situe au plus près de la vie précisément par sa capacité à enregistrer tout ce qui bouge. Lorsqu’on pense aux éléments, le mouvement semble évident pour le feu, l’air et l’eau, mais on oublie souvent que la terre, associée de prime abord à la stabilité, est en fait en perpétuel mouvement, à la fois par sa rotation dans l’espace et l’éternelle transformation de son cœur en fusion. Or, seuls la caméra et son « œil-vérité » sont capables de capter les variations infinies de la matière et du vivant. Quel que soit la beauté d’une photo ou d’un tableau, l’image fixe est condamnée par définition à ne transcrire qu’un instant fugace, un millionième de seconde. Alors que, pour reprendre le mot de Godard : « Le cinéma, c’est la vérité 24 fois par seconde ». Il est d’ailleurs frappant de constater que lors de la toute première projection publique des frères Lumière, le 28 décembre 1995, le programme de 10 films comprenaient à la fois une vue dite « documentaire », La mer et une vue dite « comique » en fait, la première œuvre de fiction, à savoir L’arroseur arrosé. Ces deux films d’à peine une minute chacun résument à eux seuls notre ambivalence face aux éléments. D’un côté, un milieu naturel qui n’est pas le nôtre, qui peut être plaisant, mais où nous nous devons d’être prudent, De l’autre, l’eau d’un tuyau d’arrosage apparemment apprivoisée et inoffensive qui peut cependant reprendre ses droits à tout moment. Mais qui dit Lumière, dit nécessairement aussi Méliès, le magicien-inventeur-explorateur inlassable. Dès ses premiers « tableaux » (1896) Georges Méliès filme tempêtes, orages et éruptions volcaniques, s’aventure sous les flots et jusque sur la Lune pour se livrer à mille expérimentations avant-gardistes et autres effets spéciaux dont il avait le secret. Son rapport aux éléments est de l’ordre de la fascination, source de magie inépuisable, matrice du cinéma du rêve qui était le sien. C’est donc tout naturellement qu’une sélection de ses courts-métrages a trouvé sa place dans la programmation. La plupart des films que nous avons choisis pour cette 20ème édition du festival ont pour particularité de mettre au cœur du récit ce qui sert d’habitude plutôt de simple décor à une histoire ou une séquence. Des films portés par le désir de plonger au cœur de ce qui nous permet de vivre et qui en même temps nous constitue jusqu’à vouloir saisir l’insaisissable comme le projet fou de Joris Ivens, prêt à affronter le désert de Gobi à 90 ans pour tenter de filmer le vent lui-même. (Une histoire de vent, Chine, 1988). D’autres films ont une approche moins frontale et se saisissent d’un élément – l’eau pour Dark Water (Hideo Nakata, Japon 2002), le feu pour Ashkal (Youssef Chebbi Tunisie 2022) dans sa dimension métaphorique et symbolique avec ce je- ne- sais- quoi d’inquiétant, voire d’angoissant, propre à tout ce qui dépasse la condition humaine.
La programmation a donc modestement essayé, entre films de genre, documentaires, quasi science-fiction et fiction pure, de refléter ce rapport double que nous entretenons avec les éléments fait de fascination, de dépendance, de volonté de maîtrise mégalomane et de peur atavique. L’espèce humaine a certes, au fil de l’évolution, apprivoisé le feu, parcouru les océans, sondé la terre jusque dans ses tréfonds et même appris à voler jusqu’au firmament, mais nous savons bien au plus profond de notre humanité que nous ne sommes que fétus de paille face à la puissance des éléments. Cette tension entre vulnérabilité et surpuissance est au cœur de l’époque moderne et la période que nous sommes en train de vivre en est probablement l’illustration la plus dramatique. De tous les films du festival, La lettre inachevée de Mikhaïl Kalatozov (URSS, 1960) est sans nul doute le plus intrinsèquement « élémentaire« . La terre, l’eau, mais aussi la neige et la glace, le feu et le vent sont tour à tour convoqués dans un face à face paroxystique entre l’homme et la nature. Au-delà du sous-texte idéologique du film, nous sommes, nous spectateurs, plongés, immergés même dans la puissance pure du cinématographe qui trouve dans les paysages infinis de Sibérie, un interlocuteur à sa mesure, grâce à la maestria de Kalatozov. À l’autre bout du spectre, nous avons voulu mettre en vis à vis de ce film-monde, la langue classique du cinéma hollywoodien de la grande époque avec l’adaptation du 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne. Un film comme un éternel bain de jouvence où les effets spéciaux des années 50 ajoutent au charme de l’entreprise. Au-delà du grand écart cinématographique entre ces deux films, tous deux délectables dans des registres complétement différents, la juxtaposition des deux fait ressortir le soubassement culturel et moral qui en est le véritable moteur narratif : à savoir d’un côté, l’exaltation de « l’Homme nouveau » capable de toutes les prouesses pour La Cause, de l’autre, la sanction terrible et inéluctable destiné à celui qui tente de s’affranchir des limites de la condition humaine. Sur le plan du cinéma, il est particulièrement émouvant de constater aujourd’hui la parenté esthétique diffuse entre le film de Méliès, 200 000 lieues sous les mers (et pas 20 000!) tourné en 1907 et celui de Richard Fleischer (1954), notamment dans les scènes sous-marines. Enfin les deux films consacrés à l’élément Terre, d’un côté un documentaire (Le sel de la Terre de Wim Wenders et Joao Salgado. Brésil, 2014) de l’autre une fiction (L’âme-sœur de Fredi Murer Suisse 1985) posent tous deux la question de savoir qui façonne qui ? dans notre interaction avec la planète. L’âme-sœur pose en préalable la suprématie violemment poétique de notre environnement. C’est la terre qui donne le la et marque le rythme. À nous d’y accorder éventuellement une mélodie. On pourrait dire pour filer la métaphore musicale qu’à l’inverse, Le sel de la Terre expose preuves à l’appui jusqu’où peut nous mener notre surdité maladive et comment l’écoute est en soi la voie du salut. On le voit à travers cette brève sélection, le cinéma et les éléments, c’est une longue histoire, parsemée de chefs d’œuvre qui traverse tous les genres, toutes les cinématographies et toutes les époques pour revenir sans cesse sur cette question première du « comment vivre la condition humaine », bien plus vaste au fond que celle du pourquoi qui restera à jamais sans réponse. (Josiane Scoleri)
- Chaque film est précédé d’une présentation et suivi d’une discussion avec le public.
- Tous les films sont en version originale sous-titrée.
- Présentation des films et animation des débats: Vincent Jourdan, Bruno Precioso, Josiane Scoleri et Philippe Serve.
- Programmation : Cinéma Sans Frontières
Programmation :
Vendredi 03 mars à 20h : La lettre inachevée (Mikhail Kalatozov, URSS, 1959, 1h37, vostf). Éruption à la Martinique (Georges Méliès, France, 1902, 1’03).
Samedi 04 mars à 20h : L’âme soeur (Fredi M. Murer, Suisse, 1985, 1h58, vostf). La Sirène (Georges Méliès, France, 1904, 4’08).
Dimanche 05 mars à 17h : 20.000 lieues sous les mers (Richard Fleischer, USA, 1954, 2h07, vostf). La danse du feu (Georges Méliès, France, 1899, 1’04).
Lundi 06 mars à 20h : Dark water (Hideo Nakata, Japon, 2002, 1h41, vostf). 200.000 Lieues sous les mers (Georges Méliès, France, 1907, 10’01).
Mardi 07 mars : RELÂCHE
Mercredi 08 mars à 20h : Ashkal, l’enquête de Tunis (Youssef Chebbi, Tunisie, 2022, 1h32, vostf). Le dirigeable fantastique (Georges Méliès, France, 1905, 2’44).
Jeudi 09 mars à 20h : Le sel de la terre (Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado, Brésil, France, 2014, 1h50, vostf).Éclipse de soleil en pleine lune (Georges Méliès, France, 1907, 9’17).
Vendredi 10 mars à 20h : Une histoire de vent (Joris Ivens et Marceline Loridan-Ivens, France, 1988 , 1h20). La conquête du pôle (Georges Méliès,France, 1907, 30′).