Melaza



Vendredi 27 Juin 2014 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Carlos Lechuga – Cuba – 2012 – 1h20 – vostf

Monica et Aldo vivent à Melaza, un village cubain, où ils mènent une vie des plus modestes. Tous les matins, ils empruntent, main dans la main, la rue principale du village pour se rendre à leur travail : Monica est gardienne de l’usine désaffectée de rhum et Aldo est instituteur. Le soir venu, ils louent leur maison à Marquez, un mari infidèle et partent en promenade sur le Malecón. Mais la Police découvre la manoeuvre et leur inflige une amende qui met en péril la survie de la famille…

Notre critique

par Josiane Scoleri

Avec son premier film de fiction, Carlos Lechuga nous emmène vraiment à Cuba, pas à Varadero* ni à la Bodeguita** d’ Hemingway à La Havane, mais dans une de ces petites villes perdues sur la carte qui ponctuent les champs de canne à  sucre de l’intérieur des terres. Il faut sans doute rappeler ici à quel point Cuba rime avec sucre. Monoculture de l’île avant la révolution, elle est demeurée à la fois le fer de lance de l’économie cubaine et surtout le symbole de la solidarité révolutionnaire, puisque toute la production de sucre cubain était achetée à l’époque  par l’Union Soviétique à trois fois le prix du marché mondial… On devine rien qu’à cet exemple la catastrophe qu’a signifiée pour Cuba l’effondrement de l’URSS…

Autres temps, autres mœurs : L’usine de sucre à Melaza, la bien -ou mal- nommée, a fermé et depuis la ville est frappée d’hébétude dans sa somnolence tropicale.. « Que faire? » comme aurait dit il y a cent ans le camarade Lénine…Carlos Lechuga a choisi un point de vue presque naturaliste pour nous conter par le petit bout de la lorgnette cette vie de survie, où la démerde et le système D sont les seules planches de salut, plus ou moins vermoulues, ça va de soi. Avec une caméra qui se veut quasiment invisible, nous vivons la vie et les galères d’ Aldo et Monica, quidams lambda qui comme bien des Cubains se démènent pour garder la tête hors de l’eau.

En fin scénariste,  Carlos Lechuga ponctue son film de clins d’œil qui font ressortir le côté surréaliste et souvent dérisoire de toutes ces situations qui seraient drôles si elles n’étaient pas aussi terriblement vraies. Les enfants apprennent à nager dans une piscine sans eau, et visiblement ça ne date pas d’hier. L’instituteur trimbale le tableau noir  sur son dos de l’école jusque chez lui pour essayer de donner des cours particuliers que personne d’ailleurs ne peut se payer. (des cours d’Anglais qui plus est, langue de l’Empire, comme on dit à Cuba pour parler des États -Unis). Dans son usine désaffectée, Monica, en bonne gardienne du temple, fait religieusement tourner  des machines vieillottes pour en communiquer les performances à un quelconque bureau -résolument hors champ- qui les enregistre sûrement tout aussi religieusement. Et la vie continue, sur fond de slogans révolutionnaires et d’entraînement à la résistance à l’envahisseur qui tient lieu d’éducation physique dans les écoles…

Le rythme ample du film, avec ses nombreux plans fixes,  permet d’abord de planter le décor, de donner du sens aux mille petits détails dont l’image fourmille, mais petit à petit, au fur et à mesure que la toile d’araignée se resserre, il reflète lentement mais sûrement les difficultés dans lesquelles les personnages sont englués. De ce point de vue-là non plus, le titre du film n’est pas innocent. Car le système D, au-delà des petits boulots ou des mille moyens de contourner le système risque, au bout de quelques impasses, de nous amener à  franchir les lignes rouges que l’on s’était soi-même fixé au départ.

La force du film, malgré ses airs modestes, vient en grande partie de l’obstination du réalisateur qui ne dévie jamais de la ligne qu’il s’est fixée. Il ne cherche pas à faire monter la tension en accélérant le montage ou les mouvements de caméra. Celle-ci reste à tout moment au plus proche des personnages et laisse, de fait, carte blanche au hors champ pour nous éclairer  sur le contexte politique et social de Melaza et de Cuba plus généralement. La bande-son très soignée  va dans le même sens. Que ce soit les communiqués lus à la radio, les appels à la mobilisation répétés  par le même porte-voix de la même camionnette ou la musique elle-même, rien n’est laissé au hasard pour nous dire l’asphyxie qui menace. Mais le film ne sombre jamais dans la dénonciation ni le pathos misérabiliste. La sobriété de la caméra alliée à l’humour inhérent à bien des situations viennent contre-balancer ces moments dramatiques où Aldo comme Monica, chacun dans leur registre propre, se retrouve pris dans un imbroglio qu’ils n’ont pas su éviter et qui surtout finit pas faire tanguer dangereusement leur couple. Car « Melaza » est tout autant une histoire d’amour qu’une  chronique quasi documentaire sur la vie quotidienne à Cuba et Carlos Lechuga ne perd jamais de vue ce fil-là non plus. Il sait bien que c’est cette histoire d’amour portée par les deux protagonistes (impeccables l’un et l’autre dans les différentes péripéties auxquelles ils doivent faire face) qui rend le film si attachant.

Avec la force d’identification propre au cinéma, nous ne pouvons pas nous empêcher de nous demander comment ils vont s’en sortir, si leur couple va tenir, s’ils vont trouver un nouveau stratagème pour arrondir leurs fins de mois, si finalement la situation à Melaza  va s’améliorer pour eux, et pour tous les habitants, si les choses peuvent changer à Cuba… C’est là que le réalisateur est beaucoup plus habile qu’il n ‘y paraît. Car comment se remettre après avoir  frôlé l’abîme, seul, à deux et collectivement? La fin du film nous laisse de ce côté-là entièrement sur notre faim.  Avec une de ces multiples « festivités » officielles si caractéristiques des régimes à parti unique, commémoration ou autre rituel où il vaut mieux, de toutes façons, ne pas se faire remarquer par son absence, le film nous replonge dans le statu quo poisseux qui gouverne toujours au destin de l’île. Mais dans un même mouvement, c’est précisément au son d’une des ritournelles habituelles du régime qu’ Aldo et Monica retrouvent leur sourire et leur joie de vivre… Chacun conclura comme il l’entend que tout est bien qui finit bien ou au contraire que décidément rien n’est près de changer… À vous de voir.

*Varadero : station balnéaire célèbre pour ses plages et ses grands hôtels réservés aux touristes.
** La Bodeguita del Medio : bar de la Havane où, d’après la légende fut inventé le fameux « Mojito », cocktail à base de rhum, de jus de citron et de menthe fraîche.

Sur le web

Au sens premier du terme, la mélasse désigne un produit liquide épais provenant de la canne à sucre. Dans le film, il est question d’une usine de sucre qui ferme ses portes dans un village où le mot « mélasse » correspond  également au nom du peuple cubain qui y vit.

Après avoir réalisé de multiples courts-métrages – dont Les Baigneuses primé au Festival du Film de Chicago – le réalisateur Carlos Lechuga est passé au format long avec Melaza. A l’origine, le script du film a été écrit dans le cadre d’un projet de fin d’études réalisé pour l’Ecole de cinéma et de télévision de San Antonio de los Baños. De nombreuses fondations ont soutenu le film et lui ont ainsi permis de sortir en salles.

« Ce qui m’a intéressé en faisant Melaza, déclare le réalisateur, était d’approcher au plus près la réalité cubaine que je voyais tous les jours, la raconter de manière naturaliste, sincère, sans excès, de manière humaniste. Je voulais recréer une histoire d’amour en temps de crise, suivre un couple qui, pour survivre, allait devoir sacrifier son intégrité. Pour rester uni, il devrait chercher des solutions qui allaient en fait les éloigner l’un de l’autre. Je voulais raconter lentement cette histoire, avec un regard neutre, en donnant les informations par fragments, pour que le spectateur n’ait pas le temps de juger mes personnages mais qu’il vive au coude à coude avec eux, comme si la main de Dieu l’avait déposé à Melaza. C’est une invitation à partager l’expérience cubaine dans sa banalité. Alors que nous allions terminer le film, j’ai compris que je racontais une histoire d’amour et que cela donnait au récit un goût d’espoir, un goût qui comme celui de la mélasse cache aussi de l’amertume. L’amertume d’une tragédie qui a lieu sous les tropiques, sous un soleil brûlant, dans les paysages verdoyants des champs de cannes à sucre avec deux amoureux qui avancent, main dans la main, vers une réalité qui ne fait qu’empirer.« 

Yuliet Cruz, qui joue le rôle de Monica dans Melaza, est très connue sur l’ile, et partage sa carrière entre théâtre, cinéma et  télévision. En 2009, elle obtient, lors de la 6ème édition du Prix Adolfo Llaurado, le Prix de la meilleure comédienne de l’année pour ses rôles que ce soit au théatre, au cinéma ou à la télévision. A 26 ans, Armando Miguel Gómez, qui interprête le rôle d’Aldo dans Melaza,  est l’un des acteurs cubains les plus prometteurs de sa génération. C’est son premier rôle au cinéma.

Melaza a remporté le prix du meilleur film latino-américain au Festival du Film de Malaga, le Prix  du meilleur film au Festival du film de Trinité-et-Tobago en 2013 ou encore le Prix spécial du jury à la 11ème édition du Festival du film latino-américain de Vancouver.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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