2/Duo



Vendredi 07 Décembre 2012 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Nobuhiro Suwa – Japon – 1997 – 1h30 – vostf

Yu, vendeuse dans une petite boutique, habite avec Kei, un acteur fauché qui vit à ses crochets. Un jour, Kei propose à Yu de l’épouser. Cette demande inattendue perturbe l’équilibre du couple…

Notre critique

Par Bruno Precioso

Le septième film de Nobuhiro Suwa, 2/Duo, sera pour nous son premier. Il sort en France avec quinze ans de décalage, c’est dire aussi pour les spectateurs français après M/Other ou Un couple parfait, des longs métrage qui ont eux trouvé le public et un accueil critique favorable. Attendre 2012 pour voir sortir en France un premier film datant de 1997, un paradoxe pour celui qu’on désigne souvent comme « le plus Français des cinéastes japonais« .

La France et le documentaire

Après des études de cinéma à l’Université Zokei de Tokyo (dont il set devenu directeur depuis 2010), l’itinéraire de Suwa débute comme assistant réalisateur à la fin des années 70, aux côtés d’une génération neuve qui fait du jisshu eiga (films autoproduits), une véritable révolution créative. Le Pia Film Festival, conçu par les indépendants, fait émerger un nouveau public tout en engendrant un véritable boom du 8 mm au Japon. Dans les années 80, Suwa se met au service de quelques figures de ce cinéma indépendant tout en effectuant ses premiers pas de metteur en scène, tournant en 8 et 16 mm. Il est primé en 1985 au Pia Film Festival pour son premier long-métrage en 8 mm, Hanasareru gang. Suit une bifurcation vers la télévision dans les années 90, où il emprunte la voie du documentaire télévisuel; s’inspirant de Jean Rouch et Frederick Wiseman, il se pose la question du statut du réel capté par la caméra, souci majeur de réflexion du « cinéma direct ». De ce passage par le documentaire son cinéma postérieur reste imprégné, tant formellement que du point de vue des enjeux de ce qui est donné à voir.

Sans avoir reçu la culture française ni appris le français, Suwa confesse une attirance pour les collaborations avec la France, qui l’a conduit à diriger des longs-métrages utilisant la France et le français comme cadre et univers sonore (jusqu’à tourner intégralement en français, dans Un couple parfait). Depuis 2001 et H/Story en effet, la France marque la totalité de sa production, culminant en 2009 dans sa co-réalisation de Yuki et Nina avec Hippolyte Girardot.

Une naissance à Hiroshima le prédisposait sans doute à un dialogue avec le cinéma français de la Nouvelle Vague, tout particulièrement avec Alain Resnais (dialogue dont il s’acquittera avec H/Story, revisitant Hiroshima mon amour), et c’est bien là l’une des clefs des thèmes chers à Suwa, et de la forme qu’il développe à l’écran.

« J’ai éprouvé les limites de la fiction »

Après ses années de documentaire pour la télévision, Suwa recentre sa réflexion sur le cinéma et sur la forme de ce qui est présenté à l’écran. Entre improvisation et mise en scène son cinéma questionne inlassablement le réel par le biais d’un délicat compromis entre fiction et documentaire, qu’il tente de résoudre depuis 2/Duo, selon la méthode mise en place à l’occasion de ce premier long. « Je n’avais pas vraiment prémédité ou calculé la façon dont j’allais tourner ce premier film, or c’est devenu ma méthode de travail par la suite. A l’époque, les films entièrement improvisés n’existaient pas. De ce point de vue-là, c’était un film novateur. Par contre, je ne veux pas dire que je l’ai fait sereinement, avec certitude. C’était un peu fermer les yeux et sauter dans une rivière: j’étais vraiment dans l’inconnu le plus total« .

Ayant considéré que la fiction ne parvenait pas à rendre compte du réel, notamment à l’occasion de la réalisation pour la télévision de sujets qui mélangeaient réalité et fiction, ou qui nécessitaient de recomposer la réalité, Suwa souhaite dans ses films de fiction « saisir la réalité plus directement« , se rapprochant pour ce faire du mode d’expression du cinéma-vérité: artificialité des éclairages et des sons réduite au minimum, quitte à rendre les conversations à peine audibles, ou noyées dans les bruits extérieurs. Le silence est ici un des moyens de communication des personnages de ses films, une particularité que le réalisateur a attribuée à sa culture japonaise. Le jeu des perspectives et des lignes de regard dans de petits univers clos s’attache aussi à la caméra de Suwa, multipliant les angles de vue contraste avec l’immobilité de la caméra, la fixité et la longueur des plans.

L’improvisation, autre aspect majeur du travail de Suwa, s’impose après 2/Duo pour tous les films de fiction. Sur cette première fiction, la rédaction du scénario est pour lui une épreuve, de même que le simple choix d’un sujet à filmer ou pire, le polissage de répliques « naturelles« . A l’inverse, l’équipe technique et les acteurs avaient été choisis avant le premier mot du scénario, s’imposant comme une évidence. Ce n’est qu’en se défaisant de l’essentiel du scénario (3 pages conservées sur plus de 30) et des répliques rédigées que Suwa rencontre son film. « Pour moi le cinéma ne consiste pas à créer un monde mais à le visualiser, à saisir le monde. Je me suius donc demandé pourquoi je devais écrire un scénario. Cette démarche allait en fait à l’encontre de mes intentions cinématographiques. » Le canevas se réduit donc au strict nécessaire, certaines répliques pouvant être écrites mais jamais leurs réponses. Pas d’indications de placement ni de déplacements, pas de priorité à la caméra sur l’acteur… Le processus de jeu lui-même est intégré au film, les acteurs pouvant être interrogés sur leurs réactions, le choix des mots de leurs répliques dans des scènes d’interview indexées au film.

Par ailleurs la matérialité du film est chère au coeur de Nobuhiro Suwa: la présence de la pellicule est constamment soulignée par le grain, par un montage que rien ne masque (et qui se résout en flashs ou arrêts brutaux en cours de plan), où la fiction ne peut jamais faire oublier la présence de la caméra. Les conditions concrètes de tournage s’invitent dans un film hybride qui ne cherche pas pour autant une mise en abyme ayant le cinéma lui-même pour objet, mais toujours son sujet.

L’économie de moyens est donc considérable, et a pu laisser conclure à une certaine aridité: le film est tourné en quelques jours, avec une équipe réduite et un seul objectif de caméra. C’est que le sujet exige cette âpreté, un contact physique à l’image.

Couple, duo, 2

Ici comme dans les longs métrages suivants, le motif du couple (formé par un homme et une femme) est en effet plus que le coeur, la totalité de ce qui se joue. Le titre pose d’emblée l’infinie variation sur le thème qui intéressera Suwa :le couple comme entité, composé néanmoins de deux individus constituant deux héros à part entière, porteur d’une mystérieuse autonomie et de questions qui resteront pour certaines ouvertes. En cela encore, le réalisateur japonais rejoint les films de la Nouvelle Vague caractérisés par leurs héros: personnages contemporains, jeunes et ordinaires, évoluant dans un univers quotidien et banal, observés dans les situations les moins « spectaculaires« . Tout ou presque fait signe vers les héros du cinéma français des années 60: désir exprimé d’indépendance, oisiveté, distance difficile à établir vis-à-vis de la société, de la famille. Quête d’amour. Interrogation sur ce qu’est l’amour.

Le couple comme concentré des relations humaines, de relations chez Suwa où les gens ont du mal à se comprendre entre eux du fait de quiproquos, de croisements. Pour lui, les gens ne se rencontrent pas vraiment. La question que pose Suwa serait plutôt celle de la difficulté à se positionner par rapport à l’autre. Yu (Yu Eri) et Kei (Nishijima Hidetoshi) personnages et acteurs ont d’autant plus d’attentes l’un vis-à-vis de l’autre que la prochaine réplique est effectivement à venir.

Les scènes triviales (envahissement de l’intimité par la vie professionnelle, usure du quotidien…) sont donc la matière d’un film-reportage où le scénario fonctionne par élision plutôt que par révélation, le récit de la caméra ne pouvant qu’attendre le déroulé d’une histoire encore non écrite. Délaissant la progression dramatique, Nobuhiro Suwa filme avant tout l’instant. Sa caméra capte ce que les comédiens ne peuvent entièrement contrôler – l’inflexion d’une voix, l’intensité d’un regard… A l’image de ce qui se passe entre les personnages, qui ne comprennent pas pourquoi leur amour dérape.

Le pari de ce premier film tourné en 13 jours était donc pour le moins ambitieux, comme l’admet le réalisateur lui-même: « Mon titre devait signifier les diverses oppositions, les duplicités qui existent dans ce film entre documentaire et fiction, abstrait et figuratif, homme et femme…. Parce que je pense que le cinéma est toujours dans l’entre-deux de choses incompatibles. Dans mes films, je cherche à montrer ce qui se trouve dans cet entre-deux.« 

Sur le web

2/Duo est le premier film de Nobuhiro Suwa, réalisé après 15 ans au poste d’assistant réalisateur. Ce film est resté inédit en France pendant de longues années.

Au départ, le réalisateur n’avait pas prévu de tourner son film sans scénario. Ce choix s’est imposé à lui après plusieurs réécritures du script initial : « Environ deux semaines avant le début du tournage, j’ai repris la huitième version pour lui donner une forme qui serait fidèle à mon idée de départ : dix pages fragmentaires« , explique Nobuhiro Suwa. Celui-ci a fait le choix de tourner 2/Duo avec une certaine liberté, en recherchant toujours une grande spontanéité de la part des acteurs comme de l’équipe technique : « Chaque prise a été jouée comme une expérience unique« , explique le cinéaste. De plus, le tournage du film a été rapide puisqu’il n’a duré que 13 jours et il a été effectué avec un seul objectif de caméra, pour gagner un maximum de temps. En revanche, deux mois ont été  nécessaires à Nobuhiro Suwa pour monter le film. Le début du travail a en effet été laborieux, le premier montage de quatre heures ne convenant pas au cinéaste : « (…) nous perdions l’atmosphère que la caméra de Masaki Tamura avait capturée. Nous avons retravaillé en essayant de ne pas détruire la temporalité des plans« , explique le réalisateur.

Le titre 2/Duo désigne les deux personnages principaux du film, mais aussi d’autres éléments : « (…) mon intention était plutôt de signifier avec ce chiffre 2, les diverses oppositions, les duplicités qui existent dans ce film entre documentaire et fiction, abstrait et figuratif, homme et femme…, parce que je pense que le cinéma est toujours dans l’entre-deux de choses incompatibles. Dans mes films, je cherche à montrer ce qui se trouve dans cet entre-deux. Les acteurs sont les auteurs de l’intégralité des dialogues. L’équipe technique s’est très bien adaptée à la spontanéité du tournage. Plutôt qu’un film basé sur l’improvisation des acteurs, c’est le tournage lui-même qui était une forme d’improvisation unique« , explique Nobuhiro Suwa.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.

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