Au travers des oliviers



Samedi 27 février 2010 à 20h30 – 8ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film  de Abbas Kiarostami – Iran – 1994 – 1h43 – vostf

Une équipe de cinéma arrive dans un village du nord de l’Iran dévasté par un tremblement de terre pour réaliser un film « Et la vie continue« . Hossein, jeune maçon, est engagé pour un petit rôle dans le film. Sa partenaire est Farkhonde, la jeune fille du voisinage dont il est amoureux.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Avec Au travers des oliviers, Kiarostami creuse un des thèmes qui revient comme un serpent de mer dans plusieurs de ses films et qu’on pourrait résumer par ces quelques questions : Qu’est-ce-que l’image ? À quoi sert la représentation ? En quoi cela touche-t-il à l’image de soi et à nos relations avec les autres ?  Et quel est le rôle du faiseur d’images dans toute cette histoire ? Il ne faut pas oublier à ce propos que Kiarostami est venu au cinéma par la peinture,  qu’il est aussi photographe et poète ( une autre manière de parler en images).

Troisième film de ce que les critiques de cinéma, ont appelé « la  triologie de Koker » (du nom du village où les trois films ont été tournés dans le nord de l’Iran), Au travers des oliviers (1994)  nous entraîne frontalement sur le tournage d’un film de… Kiarostami, même s’il n’apparait pas  à l’écran et prend soin de laisser le rôle du metteur en scène au seul acteur professionnel du film. Déjà,  le deuxième film de la série, Et la vie continue (1990), relatait le voyage effectivement réalisé par Kiarostami et son fils (là aussi joué par un acteur professionnel accompagné de son propre fils) pour essayer de retrouver les deux petits héros de Où est la maison de mon ami ? (1987,  le premier film) peu de temps après le terrible tremblement de terre qui avait ravagé toute la région. Se posait déjà la question de la responsabilité de l’artiste, de la réalité des images et de leur capacité  – ou non – à rendre compte du réel.

Au travers des oliviers est né des rencontres advenues au cours ce périple entre routes bloquées, éboulements de terrain et villages en ruines. Un voyage  marqué par l’omniprésence de la mort et qui est pourtant un hymne à la ténacité des hommes : Et la vie continue ( dont le titre original en persan est « La vie et rien d’autre », un titre on ne peut plus clair). Vu dans cette perspective, Au travers des oliviers  peut se lire comme un hommage aux survivants. D’abord, parce que Kiarostami a réellement rencontré Tahereh et Hossein pendant  son voyage juste après le tremblement  de terre. Et surtout parce que tout ce qui se raconte dans le film tourne autour de la question de l’amour, l’éternel objet de notre quête que nous avons généralement tant de mal à saisir et encore plus à garder. Et raconter des histoires – qui globalement sont toutes des histoires d’amour et/ ou de guerre, les deux aspects indissociables de notre manière d’être au monde – c’est certainement une  des activités les plus immémoriales de l’humanité. Et à n’en pas douter l’une des plus essentielles. C’est là que Kiarostami choisit de nous montrer ce qu’on ne montre généralement pas à l’écran, à savoir comment le cinéma s’y prend pour raconter une histoire, C’est  le travail du cinéma en train de se faire,  le tournage, dans ses différentes étapes,  avec ses petites histoires, ses difficultés, etc. Où l’on voit à chaque moment à quel point le cinéma est une affaire collective, où chacun doit tenir sa place au risque de l’existence même de l’œuvre.

Bien sûr, des films montrant des tournages pour en mettre à nu les ficelles, les chausse-trappes ou les affres,  il en existe bon nombre et ils ponctuent d’ailleurs l’histoire du cinéma depuis son origine. Mais ce qui fait, je crois la spécificité et l’originalité de Kiarostami, c’est la manière dont nous glissons constamment et souvent sans transition du plan du cinéma – ce qui est en train d’être tourné, les acteurs en train de dire leur rôle, etc. – à la vie même des personnages qui s’incarne sous nos yeux en même temps qu’ils sont en train de la vivre.

Tout l’art de Kiarostami consiste à nous embarquer – et  tout notre plaisir à nous laisser embarquer –  dans cette transformation permanente entre le metteur en scène exigeant  qui fait reprendre une scène quatre, cinq fois, jusqu’à ce qu’elle corresponde à ce qu’il a en tête, et qui doit d’ailleurs aussi être capable d’y renoncer par moments, et le cinquantenaire débonnaire qui prend le temps de s’occuper des enfants pendant une pause ou qui incarne une figure paternelle bienveillante vis à vis d’un Hossein désemparé face au refus répété de Tahereh.

Presque tous les personnages glissent ainsi d’un plan à l’autre et pour nous, comme pour Hossein, les scènes de tournage – au-delà de l’exercice imposé –  font sens avant tout  parce qu’elles offrent une possibilité de rencontres inespérées,  qui plus est répétées, entre les deux jeunes gens et du coup, le suspense est là (vieille ficelle de cinéma). La prochaine rencontre permettra-t-elle d’apporter quelque chose bénéfique à une histoire d’amour qui se trouve dans l’impasse ? À cause au premier chef des conventions sociales : elle étudie, il est illettré, sa famille possédait visiblement une maison et quelques terres, il n’a que ses mains pour travailler, etc. Toutes ces difficultés nous le rendent forcément éminemment sympathique. Notre cœur va bien sûr à Hossein, mais a-t-il raison  de s’obstiner?  A-t-il raison de fonder tout son espoir sur un  seul et unique regard furtif que la belle lui aurait lancé ?  L’interprétation qu’il fait de ce regard est-elle la bonne ? On le voit, le suspense augmente à chaque séquence. Lui répondra-t-elle ? Nous cherchons nous aussi ce que peut bien signifier la moindre déviation de Tahereh par rapport au rôle ou au texte écrit pour elle. Et lorsque, à la fin du film, nous le voyons courir à perdre haleine à travers les oliviers pour essayer encore une fois de rejoindre la jeune fille, nous haletons sur notre siège au moins autant que lui. Kiarostami, en maitre du suspense a bien sûr l’élégance de nous laisser le choix de la réponse. Mais il réussit surtout, et c’est là son coup de maître,  à nous faire oublier que c’est lui qui est derrière l’autre caméra, celle qu’on ne voit pas, que c’est lui qui a écrit le scénario, non seulement du film dans le film, mais du film tout court. Alors, la vraie vie de Hossein et de Tahereh ressemble-t-elle vraiment à ce que voyons dans le film? Ou n’est-ce pas encore une histoire que nous raconte Kiarostami ?

Ceux qui ont vu le film précédent, Et la vie continue croient sans doute  posséder un indice supplémentaire. Mais au fond, comment peuvent-ils en être sûrs ?  Ne doit-on pas en tant que spectateur se poser encore une fois la même question ? Et là, sans prévenir, nous nous retrouvons catapultés  devant la boîte de « Vache qui rit » de notre enfance. Force est de constater que  le mystère demeure entier. Et c’est tant mieux. Gageons qu’il demeurera aussi longtemps que vivra le cinéma  pour nous faire vibrer et réfléchir, rire et pleurer. Comme dans la vraie vie ? Plus fort que dans la vraie vie ? Ou peut-être tout simplement autrement.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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