Leonera



Vendredi 20 mars 2009 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Pablo Trapero – Argentine – 2008 – 1h53 – vostf

Une jeune femme est emprisonnée, enceinte et soupçonnée de meurtre après avoir été retrouvée auprès des corps de deux hommes. Incapable de se souvenir de ce qui s’est véritablement passé, elle découvre l’univers des prisons pour femmes enceintes ou mères, autorisées à garder leurs bébés jusqu’à l’âge de 4 ans.

Notre critique

Par Philippe Serve

LE SILLON ARGENTIN

Pablo Trapero n’appartient pas à la Nouvelle Vague cinématographique argentine. Pour la simple et bonne raison que celle-ci n’existe pas. De même qu’il n’y a pas de Nouvelle Vague roumaine, coréenne, mexicaine, israélienne ou belge, toutes cinématographies en pointe aujourd’hui. Idem pour le cinéma allemand, très différent à ce niveau de son glorieux ancêtre  – le Jeune Cinéma allemand des années 60-70. Car pour parler de Nouvelle Vague, il faut un élément unificateur fort au-delà d’une simple temporalité et, bien sûr, de talent. Un véritable manifeste – l’Allemagne d’hier pré-citée, le Danemark du Dogme – ou bien une origine et un combat commun, tel le Free Cinema anglais des années 50-60 venu de la BBC ou sa contemporaine Nouvelle Vague française enracinée dans l’aventure des Cahiers du Cinéma, forment la plupart du temps les ciments nécessaires à la constitution « officielle » de nouvelles vagues.

Au-delà donc des appellations naissant de la paresse intellectuelle et du goût pour la facilité et le raccourci de certains critiques,  il n’en reste pas moins que Pablo Trapero est aujourd’hui l’un des cinéastes les plus passionnants de son pays, l’Argentine, aux côtés de Lucretia Martel (La Cienaga, La Niña Santa, La Femme sans tête), Daniel Burman (Le fils d’Elias, Les Enfants sont partis) et autres  Diego Lerman (Tan de repente) ou Esteban Sapir (Telepolis), sans oublier Carlos Sorin (Historias Minimas, Bombon el perro, El camino de San Diego).

Leonera est le cinquième long-métrage de Trapero et son premier à avoir été sélectionné pour la compétition officielle du Festival de Cannes (2008). A 37 ans seulement, le natif de Buenos-Aires a déjà fortement marqué les esprits. Diplôme universitaire en cinéma sous le bras, il tourne les années suivantes trois courts-métrages dont il signe aussi, pour les deux premiers, le scénario. C’est en 2001 que sort son premier long-métrage, Mundo Grua. En prise avec la réalité argentine de l’époque, le film fait l’unanimité. Son noir et blanc granuleux, son côté social – plus que directement  politique -, ses atours de documentaire attirent l’attention et impressionnent. On y trouve aussi ce côté typiquement latino-américain d’une ironie parfois tranquille, parfois mordante apportant à l’ensemble un (faux) dérisoire qui ne fait, paradoxalement, que renforcer la force du propos.

Luis Margani dans Mundo Grua (2001)

Deux ans plus tard arrive la grande confirmation du talent du jeune cinéaste avec El Bonaerense (2003). Comme dans Mundo Grua et dans ses films suivants, Trapero place son personnage principal dans un contexte difficile et hostile. Ici la banlieue très violente de Buenos Aires et le comportement de la police qu’a rejoint quasiment malgré lui un simple serrurier. Le succès critique de son premier film vaut au réalisateur d’être l’invité de la sélection Un Certain Regard à Cannes. Le film y est loué très fort mais c’est dans un autre festival, à Chicago, qu’il remporte le prix de la critique internationale (FIPRESCI). Une fois encore, le regard de type documentaire, sans complaisance et comme distancié, a fait mouche. Ce (faux) polar urbain tire sa force de sa sobriété, de son refus du pathos et des effets soulignés, caractéristiques de l’auteur que l’on retrouve intactes dans Leonera.

El Bonaerense (2003)

En 2003, Pablo Trapero réalise un road movie familial – comme son titre le suggère – Voyage en famille (Familia rodante). Mêlant drame et comédie, présent et passé, prenant sa source dans les propres souvenirs d’enfance du cinéaste, le film voit les débuts – plus que réussis – de la propre grand-mère de Trapero (83 ans) dans le  rôle principal. Il s’agit dans cette œuvre douce-amère et selon les propres mots de son auteur, « d’un portrait vivant d’êtres dont les vies s’écrivent avec force. » Présenté au Festival de Venise (section Horizon), le film – bien que très différent de ses deux premiers – démontre à nouveau le don de Pablo Trapero pour la rigueur et la sobriété dans la mise en scène. Toujours attaché au sort des petites gens, dessinant en filigrane l’image même de son pays, cette Argentine en crise luttant contre son passé de dictatures multiples et se rêvant toujours comme la plus européenne des nations du continent, Trapero la joue en finesse, la subtilité n’étant pas la moindre de ses qualités.

En 2006 sort Nacido y criado (litt. Né et élevé), le film le plus étrange et peut-être le plus ambitieux à ce jour de Trapero. Construit autour du thème de la peur qu’inspire la possible perte des êtres aimés, le film a été tourné pour sa plus grande partie en Patagonie par un froid glacial et sous la neige puis, au dégel, par des vents extrêmement violents. Le cinéaste reconnaît volontiers que son film peut être lu sous un angle métaphorique et politique, le sujet des desaparecidos – les disparus de la dictature argentine de Videla et consorts – restant un vrai traumatisme parmi la population. Le film divise davantage la critique que les trois précédents. Plus noir, plus lent, c’est une œuvre en crise et sans concessions. Pour la première fois, Trapero y dirige son épouse, Martina Gusman, actrice de formation mais jusqu’à présent travaillant dans la production.

Nacido y Criado (2006)

De second rôle dans Nacido y criado, Martina Gusman va passer au premier pour Leonera (litt. L’antre – ou cagede la lionne). Sans doute l’œuvre de la pleine maturité pour son époux. Sur un sujet facilement casse-gueule, celui des prisons de femmes et de la condition des jeunes mères qui y donnent naissance, Trapero réussit un film de très grande (re)tenue. Tournant comme toujours le dos aux effets faciles ou démonstratifs, refusant la moindre once de pathos ou de sentimentalisme, agrippé à ses choix documentaristes – il tourne dans des vraies prisons avec pour figurants de vraies prisonnières et de vraies gardiennes – le cinéaste atteint un sommet de maîtrise. Mais il est aussi servi par la très grande révélation du film, Martina Guzman. Dans un rôle qu’elle fait évoluer avec une intelligence suprême de la première à la dernière seconde, la productrice, épouse et actrice de Pablo Trapero crève l’écran, mais elle aussi tout en sobriété, loin, très loin de ce que nous aurait infligé une star hollywoodienne en quête d’un Oscar.
Ne serait-ce que pour sa performance, Leonera mériterait d’être vu. Mais le film a bien d’autres atouts dans sa manche que je vous laisse volontiers découvrir par vous-même.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


Partager sur :