Hors jeu



Vendredi 26 janvier 2007 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Un film de Jafar Panahi – Iran – 2006 – 1h28 – vostf

Qui est cet étrange garçon assis tranquillement dans le coin d’un bus rempli de supporters déchaînés en route pour un match de foot ? En réalité, ce garçon effacé est une fille déguisée. En Iran, les femmes aussi aiment le foot mais elles ne sont pas autorisées à entrer dans les stades. Avant que le match ne commence, elle est arrêtée et confiée à la brigade des moeurs. Pourtant, cette jeune fille refuse d’abandonner. Elle use de toutes les techniques possibles pour voir le match, malgré tout.

Cinquième long métrage de Jafar Panahi, Hors jeu a remporté le Grand Prix du Jury au Festival de Berlin en 2006, ex aequo avec Soap.

Notre critique

Par Philippe Serve

Depuis quelques années, le cinéma iranien ne se résume plus à la simple équation : Iran = Abbas Kiarostami et /ou Mohsen Makhmalbaf. Et c’est tant mieux ! Car le nombre et la diversité des nouveaux cinéastes en provenance de ce pays signifient l’éclosion de talents tout neufs. Il faut ainsi citer Samira Makhmalbaf – fille précocement douée de Mohsen – avec La Pomme (1997, elle a alors seulement 17 ans !), Le Tableau noir (1999, Grand Prix du Jury à Cannes) et A cinq heures de l’après-midi (2003, Prix du Jury et Prix œcuménique cannois), Bahman Ghobadi (38 ans) avec Un temps pour l’ivresse des chevaux (1999, Caméra d’Or à Cannes), Chansons du pays de ma mère (2002) ou Les Tortues volent aussi (2003), le moins connus Hassan Yektapanah (Djomeh, 2000) et, surtout, Jafar Panahi.

Né en juillet 1960, Panahi apprend le métier de réalisateur au Collège de Cinéma et de Télévision de Téhéran, puis se fait la main de manière plus pratique sur des courts et moyens métrages pour la télévision. Il réalise un téléfilm en 1992, L’Ami, avant de franchir un nouveau palier en devenant l’assistant-réalisateur de Abbas Kiarostami sur Au travers des oliviers (1994).

Dès l’année suivante, il tourne son premier long, Le Ballon blanc (Badkonake sefid, dont il assure aussi le montage) et remporte la très convoitée Caméra d’Or au Festival de Cannes. Le film a bien mérité sa récompense, tant il apparaît maîtrisé. Le scénario – signé Kiarostami – tient sur une demi-feuille de papier à cigarette et c’est bien la réalisation de Panahi qui le transcende. Ancré dans une tradition cinématographique où la frontière entre fiction et documentaire se fait plus que ténue, refusant tout effet de caméra ou d’esthétisation du plan, ne boudant pas les plans fixes mais sans leur accorder le caractère systématique que l’on trouve chez Kiarostami, Le Ballon blanc évitait aussi de tomber dans le piège trop récurrent de l’assimilation de films d’enfants – constante du cinéma iranien – avec un obligatoire récit d’apprentissage. Une simple histoire, contée avec beaucoup d’humour et qui coule de la première à la dernière seconde sans le moindre hiatus dans un style documentaire rappelant inévitablement le Néo-réalisme italien. Ajoutons-y une magnifique direction d’acteur, notamment envers l’inoubliable petite Aida Mohammad-Khani, l’héroïne du film. Revoir ce film plus de dix ans après sa sortie reste un moment de grande fraîcheur et démontre que Jafar Panahi était bien destiné à devenir l’un des plus grands cinéastes de son pays.

Deux ans plus tard (1997), Panahi remporte le Léopard d’Or, récompense suprême du festival de Locarno, avec Le Miroir (Ayneh). Le film – toujours inédit, hélas, en France – part d’une nouvelle histoire de petite fille, le bras en écharpe et obligée de faire seule le chemin menant de l’école à la maison car sa mère n’est pas venue la chercher. Mais l’enfant ne connaît pas le chemin et la jeune actrice finit par vouloir vraiment rentrer chez elle en prenant la poudre d’escampette du bus où le réalisateur l’avait installée ! Le documentaire prend alors le pas sur la fiction et alterne entre les instants joués par la jeune actrice et ceux, bien plus fréquents, où elle refuse d’assumer son rôle, plongeant l’équipe technique dans le chaos de ce qui est devenu du cinéma-vérité.

2000 sera vraiment l’année de la consécration : Le Cercle (Dayereh) remporte le Lion d’Or à Venise et est unanimement salué comme un chef d’œuvre. Panahi nous expose, caméra le plus souvent portée, quelques heures à Téhéran de la journée d’un certain nombre de femmes dont on suit les pérégrinations à tour de rôle : trois évadées de prison dont une célibataire et enceinte, une infirmière, une mère célibataire, une prostituée. La forme circulaire du film épouse totalement le propos et s’y fond. Cercle infernal aux parois duquel ces femmes, éprises de liberté et qui n’en forment plus qu’une seule, simplement déclinée, se heurtent littéralement. Panahi signait là une mise en scène tranchant avec celles de certains autres films iraniens grâce à un rythme très soutenu et pourtant comme distanciée et calme, tournant le dos à tout lyrisme et plus encore à l’hystérie qu’un tel sujet aurait pu provoquer. Film magnifique et, aussi déprimant qu’il puisse paraître, non dépourvu d’espérance, loin de là. D’abord par la formidable envie de vivre, de résister, de toutes ces femmes, par leur courage affiché mais aussi, très paradoxalement, par sa fin : ne faut-il pas voir dans la réunion de toutes ces victimes dans une même cellule comme une sorte de cercle de solidarité que rien ne saurait briser, et porteur, quelque part, de lendemains plus chantants ? Le film fut interdit de sortie en Iran.

Après une telle oeuvre, il apparaissait bien difficile de maintenir la barre aussi haute. Sang et or (Talaye sorkh, 2003 et présenté à CSF le 15 avril 2004), avec un scénario à nouveau écrit par Abbas Kiarostami, fut également interdit de projection en Iran, ce qui ne l’empêcha pas de remporter quelques prix, même si moins prestigieux que les précédents. Film très déprimant, Sang et or met le doigt là où ça fait mal et, bien que décrivant une réalité très iranienne, nous parle aussi d’un monde qui est le nôtre, divisé toujours plus entre « ceux d’en haut« , nantis et prospères – même sous un régime islamiste tel que celui des mollahs réduisant leurs libertés individuelles – et « ceux d’en bas« , déclassés, désœuvrés et laissés-pour-compte.

Hors Jeu, son nouveau film que nous vous présentons en exclusivité sur Nice, a déjà remporté le Prix du Jury au dernier festival de Berlin. Plus léger dans son humeur et par son humour que Sang et or, il n’en parle pas moins une nouvelle fois d’un sujet sérieux : la place de la femme dans la société iranienne d’aujourd’hui. Jafar Panahi reste fidèle à ce qui rendait ses films précédents si précieux : une réalisation proche du documentaire, très souple et surtout sans affectation. Une fois de plus, l’idée est de partager avec le spectateur des instants de vie réelle, de montrer à l’écran des personnages dans toute leur humanité, c’est à dire aussi bien dans le positif que le négatif. Panahi est tout sauf manichéen. Pas question pour lui de désigner les bons et les méchants au sein d’un peuple qui, de toute façons, se retrouve victime d’un régime qu’il condamne de façon souvent métaphorique. La première dénonciation (qui entraîne toutes les autres pour qui veut bien lire le sous-texte) est l’absurdité absolue du monde dans lequel ses personnages tentent de vivre. A l’inverse de ses deux précédents films, le cinéaste a donc choisi la voie de la satire, voire de la franche comédie. Ce parti-pris n’annule en rien la force du propos, il aurait même tendance à le renforcer. La fin du film, si improbable qu’elle puisse paraître, sonne ouvertement comme un espoir, comme un appel à ne pas désespérer. Là encore, Hors Jeu s’oppose en quelque sorte à Sang et or.

Sur le web

Le cinéaste revient sur la genèse du projet : « Il y a huit ans, l’équipe nationale iranienne battait l’Australie et se qualifiait pour la coupe du monde. Les joueurs reçurent un accueil triomphant de la part de la population. En Iran, l’entrée dans un stade de foot est interdite aux femmes. Mais cette fois-ci, près de cinq mille femmes passèrent au dessus de la loi et entrèrent dans le stade pour célébrer la victoire des joueurs. Cet évènement suscita de nombreux débats. Je me rappelle avoir lu à cette époque l’article d’un journaliste sportif qui expliquait que dans la Grèce ancienne les femmes étaient confrontées au même problème. Pour pouvoir supporter leurs fils qui étaient de vrais héros sportifs, elles se déguisaient en garçon. Il y a quatre ans, j’étais dans les gradins du stade où s’entraîne notre équipe nationale et à ma grande surprise, je reconnus ma fille, cheveux courts et chemise large, qui se faufilait parmi les hommes. L’idée du film est née ce jour-là. Quand j’ai réalisé que l’Iran était à nouveau sur le point de se qualifier pour la coupe du monde, j’ai décidé que c’était le moment de le faire.

Depuis la révolution islamique en 1979, les femmes sont interdites d’entrée au stade en Iran. En avril 2006, le président Ahmadinejad a souhaité revenir sur cette décision, ce qui a provoqué la foudre des ayatollahs locaux, horrifiés par cette possible mixité. Le président a donc abandonné son idée de décret. Quant au film lui-même, il était toujours interdit en Iran au moment de sa sortie en France.

Hors jeu a été tourné le 8 juin 2005 pendant que se jouait Iran-Bahrein, match de qualification pour la Coupe du monde. Dans la première séquence, le spectateur s’invite dans le car des supporters qui partent assister à la rencontre, et le film s’achève avec leurs réactions à la fin du match. “Le film est construit sur le modèle d’un documentaire. L’endroit, l’évènement et les personnages sont réels« , précise le réalisateur. « Par ailleurs, l’unité de temps donne au spectateur le sentiment de regarder un évènement qui se déroule en temps réel. Je voulais que l’action reflète cette ambiguïté entre fiction et documentaire. C’est pour cette raison que j’ai choisi de ne pas travailler avec des comédiens professionnels. Leur présence aurait introduit une notion de fausseté.

Jafar Panahi revient sur les obstacles rencontrés au cours du tournage : “En Iran, il n’est pas très difficile d’obtenir une autorisation pour filmer un match de football, mais si vous filmez des filles dans un stade, ce n’est pas la même chose. Et puis nous savions que ma réputation en tant que réalisateur serait un problème. Nous avons essayé d’être très discrets, et évité tout contact avec la presse. Cependant, cinq jours avant la fin du tournage, un journal publia un article mentionnant que je tournais un nouveau film. Les militaires reçurent immédiatement l’ordre d’interrompre le tournage et de saisir mes rushes afin qu’ils soient vérifiés. J’ai évidemment refusé et dit à l’officier chargé du cinéma en Iran que je ne voulais pas voir un seul soldat sur les lieux de tournage. Heureusement, il ne restait que quelques scènes à tourner, dans un minibus. Nous avons quitté la zone sous contrôle militaire et terminé le film à six kilomètres de Téhéran.« 

Comme dans Le Cercle, il est encore question de la condition de la femme en Iran :  » Ce que je veux, c’est susciter une prise de conscience. Faire comprendre au monde occidental qu’en Iran, nombreux sont ceux qui ne jouissent pas des libertés fondamentales, et qu’on ne peut toujours pas mener une vie normale« , expliquait Jafar Panahi lors de la conférence de presse à Berlin. Il a toutefois précisé : « Je voulais que le spectateur quitte avec la salle avec le sourire« 

Une large partie de Hors jeu est consacrée au face-à-face entre les jeunes filles et les sodats qui leur interdisent de pénétrer dans le stade. Mais cette confrontation vire en fait presque à la conversation entre jeunes du même âge. Le cinéaste explique :  » En Iran, le service militaire est obligatoire, les soldats ne sont pas des fonctionnaires mais des appelés. Ces hommes sont issus de familles ordinaires, ils sont comme tout le monde… Ils peuvent donc facilement comprendre les désirs et les envies de leur génération. Ces soldats sont là pour imposer des interdictions, et ils ne se sentent pas toujours très à l’aise avec ce qu’ils font. De l’autre côté, vous avez les plus âgés, avec des points de vue beaucoup plus traditionnels. Les traditionalistes représentent 10% de la population mais ils ont le pouvoir. Evidemment, il y a un choc entre ces deux générations. » Les différents personnages sont également liés par leur passion du football : « Au début tous ces gens sont des étrangers les uns pour les autres. Et plus la victoire approche, plus il sont soudés, formant presque une famille. Il n’y a que le football qui rend cela possible« , expliquait le cinéaste lors de la conférence de presse au Festival de Berlin.

Au terme de la rencontre, c’est l’Iran qui l’a emporté un but à 0 face au Bahrein. A la suite des matchs de qualification, l’Iran a pu participer à la Coupe du Monde 2006. Le pays, qui faisait partie du groupe D, avec le Mexique, l’Angola et le Portugal, n’est pas allé au-delà du 1er tour.

 » Panahi réalise à la fois un superbe documentaire sur le vécu de la censure religieuse en Iran et un très beau film choral autour de jeunes filles, fières de leur passion et prêtes à braver les lâches interdits mâles que l’on fait peser sur elles. Le film est extrêmement bien joué et découpé. Les quarante jours de tournage ont permis cet enchaînement fluide de la description de chacune des six jeunes filles qui prennent tour à tour le devant de la scène. La jolie jeune file du début s’efface et l’on ne comprendra qu’à la fin qu’elle est moins là pour le football que pour rendre hommage à son ami mort avec une dizaine d’autres, victimes dans la cohue du match précèdent Iran- Japon.

Ce sont donc cinq autres filles, jamais nommées, que Panahi fait exister : la rebelle qui fume, la joueuse de football, l’intrépide déguisée en soldat, celle qui s’inquiète pour son oncle et la copine de la fille que le père recherche. Des liens lâches se tissent entre elles unies par la même passion désintéressée du football et par leur révolte face à la bêtise de la censure ressentie par les gardiens eux-mêmes, qu’ils acceptent avec le moins de veulerie possible. L’agissement de ces hommes commence plutôt mal : le vendeur de posters et de places d’entrée abuse de la situation en vendant le ticket le double de son prix, le premier soldat confisque le téléphone portable à son profit mais, les efforts des deux soldats pour se conduire dignement dans une situation qu’ils subissent tout autant offre un condensé d’humanité pleine d’un humour amer. Remarquable aussi, l’utilisation du poster, achat forcé puis masque de fortune.

Mais le film donne aussi l’impression d’avoir été tourné en une seule journée et de constituer un documentaire sur ce 8 mai 2006 où l’Iran est en passe de se qualifier pour la Coupe du monde de football. Les images, toutes en vidéo numérique, ont été volées au nez et à la barbe de la censure, Panahi n’ayant évidemment pas les moyens de se payer des milliers de figurants. Certains soldats sont de vrais soldats qui ont coursé la jeune actrice. Ces plans ainsi que les rares volés aux limites du terrain dans les toilettes donnent une fièvre réaliste au documentaire alors que les clameurs du stade rendent plus cruelle encore la mise à l’écart des jeunes filles. » (cineclubdecaen.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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