Vendredi 23 septembre 2005 à 20h45
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Pablo Berger – Espagne – 2003 – 1h33 – vostf
Dans l’Espagne puritaine franquiste au début des années 70, Alfredo Lopez, vendeur à domicile d’encyclopédies, est marié à Carmen, désireuse d’avoir un enfant. L’entreprise, dans laquelle travaille ce dernier, est au bord du gouffre financier. Pour s’en sortir, elle va trouver une solution des plus singulières et des plus surprenantes : elle propose à ses employés de réaliser des films scientifiques en super 8, pour l’élaboration d’une soit disante « encyclopédie mondiale sur la reproduction », destinée aux pays scandinaves. Le couple va accepter cette proposition.
Notre critique
Par Pablo del Val
Espagne, début des années 70 : un pays tout proche de la mutation politique, sociologique et d’une profonde évolution des moeurs mais encore sous la chape de plomb du franquisme. Deux personnages : Alfredo, vendeur d’encyclopédies à domicile, et sa femme Carmen qui désire par-dessus tout avoir un enfant, lequel ne semble jamais devoir arriver. Pour gagner un peu plus d’argent, ils s’engagent avec Don Carlos (le patron de la maison d’édition pour laquelle travaille Alfredo) à tourner chez eux des films érotiques en super-8 pour une (soi-disant) encyclopédie sur la reproduction et destinée à être distribuée dans les pays scandinaves…
La première chose qui frappe dans ce film est la superbe photographie qui arrive à capturer les couleurs et la lumière fades d’une époque, si lointaine déjà, où on commençait en Espagne à parler de sexe malgré la morale très puritaine qui régnait sur le pays. Les fragments des séquences tournées par Alfredo et Carmen en super-8 constituent pour le réalisateur une sorte de jeu lui permettant de réaffirmer cette vocation de retour, d’immersion en quelque sorte, dans le passé.
Extraordinaire travail d’écriture du scénario également, en particulier les portraits psychologiques très soignés des deux personnages principaux, Alfredo et Carmen, tous deux fragiles et émouvants : portraits remplis de tendresse malgré l’ironie qui s’en dégage parfois; il en va de même du récit de leur histoire d’amour qui devient de plus en plus passionnante au fur et à mesure que cet amour doit surmonter des difficultés et des épreuves sans fin. Sans oublier tous les détails de comédie noire entourant cette histoire d’amour, les petites touches éparses peignant le tableau d’une époque historique que Pablo Berger ne veut pourtant pas transformer en fresque, juste en donner une image, ironique et acide à la fois.
Pourtant, la dimension la plus remarquable du film est sans doute à chercher dans la direction d’acteurs, laquelle débouche sur les interprétations majestueuses et pourtant très retenues, sans aucun effet spectaculaire, des deux interprètes principaux. D’une part, Candela Peña : née en 1973, elle justifie ici les raisons pour lesquelles on la considère comme une des meilleures actrices du cinéma espagnol d’aujourd’hui. D’autre part et surtout, Javier Cámara (né en 1967, vu précédemment dans les deux derniers films de Pedro Almodovar, Parle avec elle ou il jouait l’infirmier Benigno, et La Mauvaise Education), qui apporte tout un tas de nuances à un personnage en évolution constante tout le long du film et surtout une vraisemblance très difficile à atteindre. Le moment où il découvre l’Art à travers le Cinéma sans jamais oublier l’amour pour sa femme constitue peut-être le sommet de cette évolution. Une femme inspirée par le désir d’avoir un bébé avec l’homme qu’elle aime, un désir qui imprègne d’ailleurs toute l’histoire du début à la fin.
Sur le web
Torremolinos 73 est le premier long-métrage de Pablo Berger, originaire de Bilbao et jusqu’alors réalisateur de courts métrages et de clips. Il a d’ailleurs réalisé en 1988 Mama, un court métrage dans lequel en tant que directeur artistique, l’actuel réalisateur espagnol Alex de la Iglesia. Egalement professeur, il a enseigné à la New York Film Academy et dirigé des cursus aux universités de Cambridge, Yale et à La Fémis.
« Pablo Berger est un cinéaste qui aime visiblement prendre son temps et jouer avec certaines règles pour mieux les transgresser quand bon lui semble. Pour Carmen, les sommes d’argent considérables que le couple gagne en filmant ses galipettes représentent une chance inespérée de fonder enfin une famille. Peine perdue, elle n’arrive pas à tomber enceinte et se laisse doucement gagner par la dépression, d’autant plus que son époux, lui, a une nouvelle lubie : Ingmar Bergman, cité en référence absolue par le producteur pornographe qui était loin de se douter que Le Septième Sceau deviendrait, pour Alfredo, un sommet à atteindre. En offrant subitement à ses personnages une profondeur inattendue, presque inespérée, Berger quitte l’univers de sitcom qu’il s’était créé pour explorer des territoires beaucoup plus sombres, et donne à son film une dimension dramatique sans pour autant tomber dans la facilité de la recette « sexe-gloire-déchéance » propre à ce type de sujet (voir Boogie Nights de Paul Thomas Anderson ou Auto Focus de Paul Schrader). Tout à coup, Alfredo et Carmen deviennent les acteurs d’une double réflexion sur la création (originelle – donner la vie – et artistique – écrire un scénario, réaliser un film) aux multiples niveaux de lecture. Bien entendu, Pablo Berger n’oublie pas le rire, mais celui-ci se fait plus grinçant, plus dérangeant : la scène où Carmen, un landau vide à bout de bras, fuit dans un centre commercial un admirateur suédois trop pressant, évoque presque une collision improbable entre Hitchcock et le Almodóvar d’Attache-moi. Carmen et Alfredo ne peuvent pas avoir d’enfants car ce dernier est stérile ; Alfredo tournera son film, hommage appuyé à Bergman intitulé Torremolinos 73 dans lequel Carmen hérite du rôle principal, avec l’appui financier de son producteur et sans se douter des exigences de celui-ci. Dans le décor désertique et angoissant de Torremolinos, station balnéaire espagnole très courue dans les années 1970, Carmen et Alfredo uniront leur désir de création au cours d’une scène bouleversante, dans laquelle chacun réalisera, à sa façon, le souhait de l’autre. Dans cette scène, réflexion sur la notion même de cinéma, sur l’action de filmer, mais aussi sur l’idée de la transmission (artistique, physique), Pablo Berger ouvre une porte sur son âme et s’impose d’emblée comme un réalisateur à surveiller de près. » (critikat.com)
L’acteur espagnol Javier Camara a participé, ces dernières années, à de nombreuses productions à succès du cinéma espagnol. Ainsi, on a pu le voir chez Julio Medem pour Lucia y el sexo (2002) et chez Pedro Almodovar pour Parle avec elle (2002) et La Mauvaise éducation (2004).
Dans l’histoire du cinéma espagnol, Torremolinos 73 est le premier film à avoir été co-produit par des fonds espagnols (Telespan 2000, Estudios Picasso, Mama Films) et danois (Nimbus Film). Le film a également obtenu l’appui d’Eurimages, société qui s’occupe uniquement de co-productions européennes.
Torremolinos 73 a été nominé dans quatre catégories à l’équivalent des Césars, les Goya. Et les nominés sont…Javier Camara dans la catégorie Meilleur Acteur, Pablo Berger pour le Meilleur Réalisateur débutant et pour le Meilleur Scénario original et Juan Diego pour le Meilleur Second Rôle masculin. Quant à l’actrice Candela Pena, elle a été récompensée au Festival de Miami en 2004. Torremolinos 73 a été presenté aux Festivals de cinéma espagnol de Toulouse et de Malaga. Il y a remporté les prix du meilleur film, acteur et actrice, scénario, photographie et meilleure réalisation.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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