In the mood for love



Vendredi 28 février 2003 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Wong Kar-wai – Hong-Kong – 2000 – 1h38 – vostf

Hong Kong, 1962. M. et Mme Chow emmenagent dans leur nouvel appartement le meme jour que leurs voisins, M. et Mme Chan. Sans comprendre comment cela a commence, Chow Mo-wan et Chan Li-zhen apprennent que leurs epoux respectifs ont une liaison. Cette decouverte les choque mais les rapproche. Ils se voient de plus en plus souvent mais le voisinage commence a s’en apercevoir. Il semble n’y avoir aucune possibilite pour eux de vivre une relation amoureuse. Mais la retenue, les reserves emotionnelles de Mme Chan hantent M. Chow, qui sent ses sentiments changer.

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«In the mood for love n’est pas un film comme les autres. A première vue, le spectateur se perd dans l’histoire comme dans un labyrinthe sans fin, le ton irrite, l’esthétique fatigue, les personnages déroutent ; mais ce méandre trouve en réalité sa raison d’être à travers une vision subtilement orchestrée du réel. In the mood for love est unique, par l’usage de son espace-temps, et, suite à cela, des musiques, des effets et de la couleur. Il se loge au cœur des émotions vécues du spectateur comme le douloureux secret dans le creux d’un mur, et c’est dans le spectateur, et non dans le film, que cette superbe histoire d’amour (et l’intention metteur en scène) réalise son objectif : toucher à l’éternité. La force essentielle du film de Wong Kar-Wai tient dans la mise en place de deux niveaux d’expression conjointement liés. Le premier, puisque le cinéma avant tout raconte, met en place une histoire déchirante, celle d’un homme, Mr Chow (Tony Leung), tombant amoureux de sa voisine (Maggie Cheung). Les deux individus sont pourtant tous deux mariés, mais ils découvriront vite que leurs conjoints respectifs entretiennent une relation, ce qui précipitera ainsi la leur. Mais, suite à la difficulté de la situation, le couple va se séparer et leur amour devenir un souvenir perdu et dispersé dans le temps. Et c’est du temps qu’il est question au second niveau, puisque Wong Kar-Wai est l’un des plus grands artificiers du temps et de la mémoire, et plus particulièrement de l’exploration introspective de la conscience. Mais ce deuxième niveau n’est pas, malgré sa prédominance, l’objet même du film : il ne fait que renforcer le propos, il transforme cette histoire d’amour impossible en un souvenir dégradé mêlé aux projections de la conscience, prenant la forme de couleurs étouffantes, de ralenti ou encore de répétition.

In the mood for love est pareil aux mauvais souvenirs qui nous hantent, à ces impressions futiles mais déplaisantes qui nous traversent de tant à autre. L’impossibilité de cet amour, de cette passion muette, qui nous rappelle à tous quelque chose, réside peut-être moins, comme on l’a trop souvent dit, dans la pression sociale et le regard de la société que dans les intentions des personnages. En effet, la première barrière est posée par la dépendance respective des deux amants à leurs conjoints. Nous savons remarquons aisément que Mme Su aime son mari, elle en est tiraillée jusqu’au plus profond d’elle-même jusqu’à culpabiliser d’aimer un autre homme. Elle en aime donc deux, mais, d’autre part, son mari l’a trompé. Ainsi, tout au long du film, elle va être poursuivie aussi bien par sa culpabilité que par sa tristesse, ce qui se traduit forcément dans l’esthétique choisi par Wong Kar-Wai : une image close et oppressante, aux couleurs étouffantes. Le cinéaste ne filme que ce choix, à savoir le fait d’assumer ou pas cet élan vers un autre, cette trahison dont elle ne veut pas, mais contre laquelle elle ne peut rien faire.

Pourtant, ne faut-il pas comprendre la forme du film, l’esthétique, d’un autre point de vue ? Si In the mood for love est un chef d’œuvre, on le doit à sa réflexion sur le temps et la mémoire. Il ne s’agit plus uniquement d’une simple histoire d’amour impossible, mais d’une réflexion sur le statut même de cette histoire, sur la manière dont, dans le présent, elle déploie avec sa part de fantasme et d’imaginé. In the mood for love apparaît en effet comme une sorte de prisme mental, un jet de mémoire projeté en image. Le film aurait pu s’ouvrir avec une ballade de Chow dans le vieux temple avant qu’il n’enterre son secret à jamais. Cette scène se situe dans le présent, tandis que l’ensemble du film (hormis la scène où Su retourne chez les Koo) provient de l’assemblage entre la mémoire et l’imagination du personnage principal.

Mme Su n’est en fait que l’objet des souvenirs et des projections de Mr Chow. Ce que nous voyons à l’écran, ce n’est ni une histoire en train de se dérouler, avec son pesant de narration et de codes bien précis, ni un souvenir, au sens du simple retour au passé. C’est la douloureuse présence d’un espace-temps indéfini, entremêlant souvenir et fantasme, qui remonte sans cesse à la conscience. Il revient à la mémoire sous diverses formes, sans pour autant être un souvenir ; ce qu’illustre entre autre la musique. En effet, la musique, et par conséquent les images qui l’accompagnent, n’est que la projection mentale d’une sensation liée au souvenir de Mme Su. La première fois qu’elle va chercher des nouilles, nous voyons la scène deux fois, une fois de manière fantasmée, magnifiée, et une seconde plus réelle. Dans la seconde, les futurs amants se saluent, tandis que dans la première ils ne se voient pas. Ainsi, la musique s’incarne dans le corps fantasmé, dans les faits et gestes, rappelant à Chow la splendeur et l’émotion que lui suscitait cette femme, mais également l’atmosphère et les conditions liées à son amour.
La structure de cet espace-temps enfoui au sein de la mémoire de Chow renforce, comme nous l’avons dit tout à l’heure, le coté éphémère et irrécupérable du film, ainsi que sa douleur. A tort d’être un flash-back, In the mood for love n’est que l’assemblement en cet espace-temps de brefs souvenirs évanescents, c’est-à-dire des gestes furtifs, des impressions, des visions… Il s’agit moins d’une histoire que du souvenir d’un corps, en l’occurrence celui du personnage interprété par Maggie Cheung. Combien de fois ne voyons-nous pas sa peau ou son visage ? N’est-elle pas objet du film ? D’ailleurs, le film ne raconte par grand-chose, et les personnages sont d’une platitude et d’une superficialité évidente. Cela confirme notre point de vue : ce n’est pas une histoire, mais le souvenir morcelé, flou et brumeux d’une histoire d’amour qui a fait mal. In the mood for love, c’est même la mort d’un souvenir, au sens où celui-ci disparaît et sera bientôt réduit au néant, et dont il ne reste plus que de fausses parcelles (fantasmées) prenant la forme de gestes furtifs ou de relents d’atmosphère (bref, le film n’est plus que ce souvenir) ; mais c’est également le resurgissement perpétuel dans le présent (le présent, c’est le film même, en tant que témoin en acte des pensées de Chow) des douleurs du passé. L’esthétique tire donc sa légitimité d’une toute autre source que le contexte social ou sentimental. Si l’image est étouffante et les couleurs nauséeuses, ce n’est pas seulement pour traduire une exigence purement interne liée à l’impossibilité de l’amour, mais, les images –et les différents choix de celles-ci- découlent directement de cet espace-temps mental. Elles traduisent les regrets, la douleur et la nostalgie du passé, et, d’autre part, elles transcendent le souvenir tel qu’il fût. Ainsi, la réalité de cette histoire ne s’est pas vraiment déroulée comme cela, c’est la mémoire qui travaille la perte du souvenir en le reconstituant tant bien que mal par des impressions. C’est pourquoi, je le rappelle, il s’agit non pas d’un souvenir en tant que tel, mais le souvenir d’impressions et de sensations qui sont magnifiées dans un lieu infini et indéfini où Chow revit infiniment la perte de son amour et l’impossibilité de changer la réalité.

Ainsi, le ralenti et les « effets » ne sont pas, dans In the mood for love, que des brillances techniques dont la présence réside dans l’intention de faire « beau ». Paradoxalement à leur beauté formelle et évidente, ils expriment le raté et la perte du temps. Il en va de même pour la répétition, qui témoigne l’impossibilité de retrouver concrètement le fait même, et l’impossibilité d’être dans le fait, d’y retourner pour le revivre. D’où la mise en abyme de la fiction même. Les scènes de répétitions, aussi bien au sens propre qu’au figuré (les scènes improvisées du départ de Chow et de l’aveu du mari), ne sont pas les faits narratifs d’une histoire mais l’envie de modifier et de retrouver cette réalité perdue. Autrement dit, si Chow se souvient des scènes où lui et Su se préparent à affronter leurs émotions, c’est pour essayer de modifier le passé. Ce passé (et ses souvenirs, promesses…) qui, pourtant, se révèle si proche, va connaître le même sort que la situation politique au Cambodge (le génocide ne sera pas empêché par les français) et la trace des ancêtres symbolisée par le temple : l’oubli et l’éphémère, tout en laissant un trace, mais douloureuse et inoubliable.

In the mood for love doit beaucoup, pour deux raisons, à L’impératrice Yang Kwei-Fei de Mizoguchi (Wong Kar-Wai semble s’y référencer indirectement : l’ami de Chow se rend, hasard ou coïncidence, chez une prostituée nommée Kwei-Fei !), dans lequel une vieux roi au seuil de la mort se souvient de la femme qu’il a aimé et qu’il a du faire pendre suite aux pressions de son peuple. Le premier lien réside dans l’approche de la temporalité. En effet, le souvenir se conçoit, comme dans le film de Wong Kar-Wai, sous la forme d’une exploration de la conscience, en l’occurrence celle du roi. Mizoguchi filme le moment où il tombe amoureux et, dans la seconde partie, la douleur qu’il ressent face au choix cruel de sacrifier son amour au nom de ses valeurs. Par conséquent, le lien unissant les deux histoires devient évident : amour impossible, renoncement, primat des valeurs sur l’amour… Wong Kar-Wai n’offre en réalité qu’une relecture du chef d’œuvre de son maître, film dont il a su saisir l’intelligence subtile. Mais à la différence de Mizoguchi, dont le travail sur le souvenir découle encore d’une approche semi narrative, Wong Kar-Wai procède de manière différente, comme nous l’avons dit ci-dessus. Le souvenir n’est plus que le témoin de sentiments perdus, de sensations éphémères, que la mémoire répète sans cesse dans une espace-temps trans-historique où s’expriment les regrets et la mélancolie d’un personnage en quête de renouveau. L’impératrice Yang Kwei-Fei préfigure à bien des égards ce modèle, notamment dans l’utilisation de l’espace et des couleurs, et, surtout, dans ses choix de mise en scène. Ces deux films remarquables, en terme d’éthique, c’est-à-dire de choix, apportent un nouvel éclairage sur le statut du souvenir et de la mémoire dans le cinéma dramatique, ne le réduisant plus uniquement au ressort narratif. Ils emboîtent donc le pas de Resnais, sauf que, dans les premiers films de sa carrière, ce dernier pose le problème de la mémoire et de la conscience en interaction avec l’Histoire (ce que ne font pas les deux autres). C’est chez Mizoguchi, avec Kwei-Fei, que Wong Kar-Wai trouve la matrice de son cinéma qu’il exploitera sous diverses formes dans l’ensemble de son œuvre.

In the mood for love est donc bel et bien un chef d’œuvre, et ce grâce à son travail sur le temps et la conscience à travers le souvenir. Mais il ne faut pas omettre non plus la déchirante histoire d’amour, certainement l’une des plus belles que le cinéma nous ait offert récemment. Ce succès, on le doit aux choix, éthiques et esthétiques, du metteur en scène (ce qui constitue l’essence d’un bon film) qui apportent un regard intime et introspectif sur les difficultés de l’amour et des passions. In the mood for love, au final, ressemble à une boite à souvenir que le spectateur passe en revue, dans laquelle aucun morceau ne tient ensemble, mais dont les cendres du temps nous traversent comme les bons et mauvais souvenirs d’une vie passée.» (objectif-cinema.com)

Fidèle à sa mémoire très parcellaire de petit garçon dans le Hong-Kong des années 60, Wong Kar-Wai n’a pas besoin de davantage de « reconstitution » (mot honni dans son système de représentation) pour faire d’In the mood for love un film aussi universel qu’intemporel. Il ne conserve très peu de notes qu’afin de mieux varier les tempos et les arrangements, et faire de la répétition le motif central du film. Cette réduction à l’os de la fiction, cette fétichisation des corps des comédiens et de détails de l’environnement des personnages (sans oublier la très belle musique de Michael Galasso, à la fois ritournelle sentimentale qui fait frissonner et architecture secrète du film), correspond à la fois à un total réalisme du traitement du sentiment amoureux (de quoi se souvient-on une fois que c’est fini, sinon de détails aléatoires et de moments suspendus ?) et à un parti pris d’amplification des éléments résiduels qui est la suite logique du processus premier de fétichisation à outrance.

Si le film est d’une beauté plastique qui confine au sublime, et si Wong Kar-Wai agence chaque plan comme une image amoureusement composée, et encore magnifiée par le souvenir douloureux d’une relation si brève et si ténue, cette splendeur très ouvertement fabriquée n’est jamais ni glacée (comme une pub) ni désincarnée (comme un concept muséal arty), et le film tout entier demeure irréductible à la munificence de ses photogrammes comme à la puissance de son dispositif. Parce que Wong Kar-Wai ne tend à produire que du temps avec ses images. Là réside son génie propre, son invention. Passage du temps, bien sûr, scandé par les incessants changements de robe de Mme Chan, mais aussi sentiment oppressant de la durée, du si peu de temps qui reste à un amour interdit, de la durée de la gêne quand il faudrait parler, faire un geste, et qu’on n’ose pas, et du temps suspendu, inoubliable, du premier effleurement, de la tentative enfin amorcée. Si In the mood for love touche autant alors qu’il n’aurait pu qu’éblouir, c’est que Wong Kar-Wai n’emploie tous ses effets de cinéaste virtuose, tous ses trucs de machine à dégorger des images toujours plus impures, que dans le but de restituer au sentiment amoureux son rythme juste, son asynchronisme fondamental et sa continuité parallèle et rarement sécante au temps admis par le monde. Les horloges abondent dans le film, mais elles ne marquent que le temps qui reste, qu’il faut voler sans se faire prendre la main sur l’aiguille, les instants où la vie se transforme enfin en une fiction sous le signe de la dissimulation amoureuse. Comme tous les personnages précédents de Wong Kar-Wai, les amants chastes d’In the mood for love ne cessent de se mettre en scène, de soigner leur mise et leur défroque sous les projecteurs de leur fiction privée. Cette réflexivité originelle est encore plus affirmée ici puisque Chow est un feuilletoniste pour journaux populaires et Mme Chan une midinette avide de séances de cinéma consolatrices et de bluettes « à suivre« . Incapables de franchir le pas du banal adultère que pratique pourtant leur entourage (« Nous ne serons jamais comme eux« ), ils préfèrent se plonger dans un rêve sans assouvissement dont ils agencent les temps forts et les tournants dramaturgiques  la séquence magnifique des « répétitions« . Nous sommes les spectateurs émerveillés de ce rêve cathartique.» (lesinrocks.com)

L’immense succès de Chunking Express (1994), son quatrième long métrage, lui a permis d’accéder au statut de réalisateur culte. Les spectateurs ont alors réévalué à la hausse ses films antérieurs, As tears go by (1988), Nos années sauvages (1991) et Les cendres du temps (1994). Wong Kar-Wai a également signé Les anges déchus (1995) et Happy together (1997), récompensé par le Prix de la Mise scène (Cannes 1997).

Wong Kar-Wai ne se fie pas à un script détaillé écrit à l’avance ; au contraire, il n’hésite pas à modifier largement le scénario au fur et à mesure, suivant son inspiration. Interrogé par le mensuel Positif sur les évolutions ayant affecté In the mood for love, il dévoile ainsi : « Au départ, il y avait trois histoires. L’histoire que vous voyez actuellement dans le film ne comptait que pour trente minutes dans le projet initial et était concentré essentiellement dans les décors du restaurant -le noodle shop- et de l’escalier. Puis j’ai eu conscience que c’était cela qui m’intéressait dans le projet global et j’ai développé cette partie.« 

Une partie du tournage, commencée à Pékin, dut être terminée à Macao. La rumeur veut que cela soit du au fait que les autorités chinoises auraient exigé de voir le script complet du film : or Wong Kar-Wai n’en utilise pas, préférant modifier le scénario au fur et à mesure du tournage !

Wong Kar-Wai donne souvent à ses oeuvres le titre de chansons anglo-saxonnes (As Tears go by, Happy Together). Ici, il s’agit de [I’m] in the Mood for Love, un classique américain de Jimmy McHugh et Dorothy Fields. Ce morceau ne figure toutefois pas dans le film.

Collaborateur fidèle de Wong Kar-Wai, Christopher Doyle a travaillé sur tous les films du réalisateur. Il a également participé à Noir et blanc (Claire Devers, 1986) et Psycho (Gus Van Sant, 1998). En 2000, il assure la lumière de Liberty Heights de Barry Levinson.

In the mood for love a été présenté en compétition officielle lors du Festival de Cannes 2000. Tony Leung y a obtenu le Prix d’interprétation masculine. Le film a également reçu le prix de la Commission Supérieure Technique.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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