Plaisirs inconnus



Vendredi 21 mars 2003 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Jia Zhang-ke – Corée du Sud – 2003 – 1h52 – vostf

A Datong, en Chine, Xiao Ji et Bin Bin, âgés de 19 ans, sont tous les deux au chômage. Ne se voyant aucun avenir, ils passent leur temps à traîner dans les rues. Xiao Ji est amoureux de Qiao Qiao, la chanteuse vedette de la région, et vit à travers les fictions américaines. Bin Bin, pour qui sa mère envisage une carrière militaire, aime le karaoké et les dessins animés. Dans cette Chine qui change, les deux adolescents résistent difficilement aux appels du monde occidental et à l’attrait de l’argent facile.

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Plaisirs inconnus est le troisième long métrage réalisé par Jia Zhang Ke. Le cinéaste chinois a été révélé par Xiao Wu artisan pickpocket (1997) et Platform (2000). Pour ce nouveau projet, le réalisateur avait d’abord l’intention de tourner un documentaire sur la ville de Datong quand les deux tiers des ouvriers des mines environnantes se sont retrouvés au chômage. Il a alors cherché à faire un film sur la colère des couches inférieures. Trois semaines après que ce projet se soit imposé à lui, le tournage débutait avec une trame narrative très fine autour de laquelle l’équipe a pu ensuite improviser. Il abord la réalité de la Chine contemporaine de manière quasi documentaire. On voit ainsi la réaction de la foule à l’annonce que le pays organisera les jeux olympiques de 2008 ou les nouvelles d’un attentat perpétré par un ouvrier au chômage qui a fait exploser son immeuble en 2001.

Après Platform, Plaisirs inconnus est le second film de Jia Zhang Ke à avoir pour personnages principaux des adolescents. Pour son troisième long métrage, le cinéaste a privilégié la jeunesse de la fin des années 1990 plutôt que celle des années 1970 et 1980. Les deux générations ont des caractéristiques bien particulières. Celle des années 1990 est vouée à une existence solitaire du fait du contrôle des naissances. Elle est beaucoup plus ouverte à l’économie de marché et à la mondialisation. Le combat pour les libertés individuelles a en partie était gagné par les générations précédentes. La principale pression que ces jeunes subisse est désormais d’ordre économique.

Plaisirs inconnus comme les deux films précédents de Jia Zhang Ke ont été tournés sans autorisation des autorités chinoises. Le cinéaste a ainsi une liberté créatrice totale. En contrepartie, ses films ne sont pas montrés dans les réseaux officiels chinois.

Plaisirs inconnus a été tourné à Datong (« Grande Concorde » en chinois classique) une ville industrielle de la province dont Jia Zhang Ke est originaire au nord-est de la Chine. Le cinéaste avouait s’être inspiré pour de nombreuses scènes du paysage urbain particulier du lieu.

«…Plantés dans le décor poussiéreux, insignifiant, d’une ville de province chinoise, Bin-Bin et Xiao Ji tournent en rond. Comment exister quand rien ne cadre, professionnellement, affectivement, avec un désir d’être mal défini et rigoureusement isolé de la réalité sociale et commerciale du pays (l’ouverture de la Chine à la mondialisation) ? L’Orphelin d’Anyang de Wang Chao donnait déjà un aperçu sombre et violent de la vie en Chine, de la précarité de ceux (chômeurs, prostitués) que le système exclut. Plaisirs inconnus reprend cette réalité mais, cette fois, les personnages laissés en plan (de cinéma) sont plus jeunes ; leur rapport au réel ne relève pas d’un mouvement aussi explicitement désespéré de lutte et de survie. Il n’est pas non plus porté par ce courant idéologique et révolutionnaire qui traversait Platform, le précédent film de Jia Zhang-ke. La jeunesse provinciale version 2001 a des repères trop lointains (l’Amérique et ses fictions) pour pouvoir se les approprier.
Bin-Bin et Xiao Ji ont décidé d’agir « selon leur bon plaisir« , mais entre la salle de billard, les filles et les magouilles, ce principe de vie n’est pas des plus satisfaisants. Les deux amis donnent peu cher de leur avenir : « A quoi bon vivre longtemps, trente ans, ça suffit. » Un pessimisme qui renvoie à cette jeunesse anglaise déprimée de l’époque thatchérienne qui écoutait l’album de Joy Division, Unknown Pleasures, et qui évoque le radical « no future » punk.
Ce funèbre manifeste semble particulièrement coller à la peau de Bin-Bin, dont la seule porte de sortie (l’armée), qu’il envisage depuis son licenciement, se ferme lorsqu’on lui découvre une hépatite. Bloqué chez sa mère, dans un logement pour ouvrier voisinant l’usine de textile où elle travaille, Bin-Bin regarde le monde par la télévision et n’en tire rien, sinon un état de dés’uvrement et de désolation. Ainsi, ses rendez-vous avec son amie portent dans leur mise en scène l’empreinte d’un avenir bouché : filmé en longs plans-séquences, frontalement, dans la chambre d’un hôtel karaoké, le couple se parle, chante de temps en temps, se regarde rarement, absorbant en même temps un flot d’images fictionnelles dont la lumière se reflète sur leur visage et annule leur présence.
 Plaisirs inconnus travaille en permanence à une mise à plat de tous les reliefs (désir, lyrisme, peur) susceptibles d’être soulevés par la fiction. Toute attente de ce point de vue-là est désamorcée : l’arrestation de leur pote laisse les deux amis indifférents. Plus gravement, lorsque Bin-Bin est arrêté suite à leur lamentable tentative de hold-up, il ne réalise pas la menace de mort qui plane sur lui.
Ni le mouvement du monde, ni celui de la fiction ne les portent. Même l’histoire d’amour entre Xiao Ji et la chanteuse Qiao Qiao ressemble à un ballon mal gonflé qui ne pourrait s’envoler. Jia Zhang-ke nous confronte à l’anéantissement de tout potentiel dramatique par une forme d’évidement dans le temps et dans l’espace : surplace et mouvements vains, dérision, lasse continuité temporelle, image en vidéo numérique qui marque le refus d’une forme esthétisante. Un singulier accompagnement cinématographique des personnages, qui parvient à capter de manière troublante la forme de détachement du monde qui les touche, sans que cette mise à distance soit pour autant méprisante.
Refusant tout statisme poseur et tout pathos, le troisième film de Jia Zhang-ke exprime un désespoir d’une profondeur et d’une subtilité rares. Plaisirs inconnus est un grand film, non seulement parce que c’est l’un des rares à dresser un état des lieux aussi juste de la jeunesse, mais aussi parce que sa force d’expression est issue du cœur même d’une mise en scène sobre, rigoureuse, intelligente et singulière.» (lesinrocks.com)

Plaisirs inconnus a été tourné avec une caméra numérique. Jia Zhang Ke justifie son choix non pas par goût de la clandestinité mais pour des raisons purement esthétiques et économiques. La caméra numérique lui donne beaucoup plus de liberté au moment du tournage grâce à sa légèreté.

Jia Zhang Ke s’intéresse d’abord aux marginaux, ceux qui ne s’adaptent au système. Les adolescents de Plaisirs inconnus ne font pas exception. Pour le cinéaste, ses personnages traversent une crise existentielle de l’individu : « La société ne sait pas comment se positionner face à l’expérience individuelle. Culturellement parlant, nous navons pas eu le temps de nous préparer à affronter la crise de l’individu que le système entraine déjà dans un autre jeu tout aussi cruel. L’énorme impulsion donnée au développement du pays exerce sur les jeunes une pression déconcertante face à laquelle ils se trouvent complètement démunis.« 

Mis à part Tao Zhao, qui tenait déjà un des rôles principaux dans Platform et Hong Wei Wang qui fait ici une petite apparition après avoir joué dans les deux précédents films de Jia Zhang Ke, le cinéaste a fait appel à de parfaits inconnus pour incarner les adolescents de Plaisirs inconnus. Zhao Wei Wei est un étudiant en peinture qui rêve de devenir artiste tandis que Wu Qiong vit de petits trafics comme son personnage dans le film.

Dans Plaisirs inconnus, Jia Zhang Ke fait un clin d’oeil à ses propres oeuvres et à un des films de son directeur de la photographie Yu Lik Wai. Un des personnages qui revend des vidéos au noir se voit offrir Xiao Wu artisan pickpocket, Platform et Love Will Tear us Apart. Le personnage principal du premier film de Zhang-Ke réapparaît ici. Hong Wei Wang reprend ici son rôle de Xiao Wu. De pickpocket, il est devenu mafieux.

Plaisirs inconnus a été présenté en compétition officielle à Cannes en 2002. Le film n’a remporté aucun prix.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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