A simple life



Lundi 04 Février 2013 à 20h30 – 11ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Ann Hui – Hong-Kong – 2011 – 1h59 – vostf

Ah Tao est né à Taishan en Chine. Elle est au service de la famille Leung depuis 60 ans, soit quatre générations. Aujourd’hui, elle vit seule avec Roger, le dernier membre de la famille Leung à Hong Kong.

Notre critique

Par Philippe Serve

La cinématographie hongkongaise relève avant tout du cinéma de genre. Avant de trouver sa propre identité, elle fut très longtemps et étroitement associée à celle de la Chine dite continentale. Les échanges entre Shanghai, centre névralgique de production, et Hong Kong ne cessèrent presque jamais durant un demi-siècle, en particulier lors de l’âge d’or du cinéma chinois (1931-37). Durant ces années de collaboration artistique, l’interdiction par le Guomintang (parti nationaliste de Chang Kai-chek au pouvoir sur le continent) des films commerciaux, ainsi que ceux tournés en une autre langue que le mandarin, permettent au cinéma de la péninsule de faire entendre le début d’une petite musique personnelle, tous ces films trouvant un terrain plus favorable à HK. Le lien est suspendu suite à l’occupation de Shanghai par les forces japonaise (1937) qui voit des milliers de professionnels du 7ème art se réfugier sur l’île (colonie britannique depuis 1842 et le traité de Nankin sanctionnant la première des infâmes guerres de l’opium). Quatre ans plus tard, HK est à son tour envahie par l’armée nippone. Un second âge d’or shanghaien, plus bref que le premier, fait la transition entre la fin de la seconde guerre mondiale et la victoire des forces communistes face à celle du gouvernement nationaliste (1949). Hong Kong y participe à nouveau activement. L’instauration de la République Populaire à Beijing draine vers la colonie un nouveau contingent de cinéastes, acteurs, actrices, techniciens. Ceux-ci dominent très vite la production locale, laquelle va continuer à se diversifier toujours plus, surtout à partir de la rupture des relations diplomatiques avec la Mère patrie en 1951. Du coup, le cinéma Taïwanais prend le relais de Shanghai comme partenaire privilégié. L’apport de cette cinématographie, toute aussi chinoise malgré son demi-siècle d’occupation japonaise (1895-1945), se montre parfois décisif, le meilleur exemple restant le grand cinéaste King Hu qui se partage entre Taiwan et HK. Les amarres étant d’une certaine manière larguées, le cinéma de HK se tourne avec plus de liberté encore vers la diversité et la multiplication des genres. Le quasi monopole du studio de production Shaw Brothers tout au long des années 60, seulement concurrencé par la Golden Harvest lors de la décennie suivante, l’illustre à merveille. On y multiplie les adaptations d’opéras mandarins ou cantonais, celles de grands romans classiques, on ressuscite les wu xia pian (films de chevalerie souvent teintés de fantastique), on tourne des comédies à tour de bras, musicales ou pas. La Golden Harvest accentue la tendance à l’éclatement en développant les films de kung-fu, propulsée par sa star – vite mondiale – Bruce Lee, au destin en forme de comète (quatre films seulement, mais une place définitive dans l’histoire du cinéma). Dans la foulée, le monde entier assiste à une déferlante d’oeuvres du même genre – des meilleures aux pires – agrémentée d’une très populaire souscatégorie, la comédie kung-fu.

C’est alors que surgit une Nouvelle Vague, plus proche du Free cinéma anglais de par la nature de ses origines que de sa consoeur française – bien de ces nouveaux cinéastes proviennent en effet de la télévision et notamment de ses départements documentaires – tournée vers un cinéma d’auteur plus exigeant et une volonté de rupture qui ne durera qu’un temps. Au premier rang de ces cinéastes, Ann Hui On-wah.

La future réalisatrice d’ Une vie simple naît en 1947 au nord de la Chine, dans la province du Liaoning (ancienne Mandchourie), d’un père chinois et d’une mère japonaise. Emigrée très tôt avec sa famille à HK via Macao (1952), elle y fait des études d’anglais et de littérature comparée, avant de partir en Angleterre se former au cinéma à la London Film School, où elle écrit une thèse sur Alain Robbe-Grillet. A son retour à HK, elle travaille pour la télévision, tout en étant l’assistante du grand King Hu. Elle tourne son premier long métrage en 1979 (The Secret). Très vite, elle affirme son identité, sa marque personnelle pour ne pas dire ses « obsessions » : traiter des rapports inter-humains et notamment familiaux, ainsi que des problèmes causés par le déracinement géographique et culturel. Son cinéma, sans être jamais militant, se montre souvent engagé. Elle marque les esprits avec une trilogie nettement anti-communiste sur le Vietnam (dont les réfugiés arrivent en masse à HK à la fin de la guerre) : Boy from Vietnam (78, pour la télévision), The Story of Woo Viet (également connu comme God of Killers, 81) et son plus fameux, Boat People (82). Dans le superbe Chant de l’exil (Song of the Exile, 90), elle raconte sa propre histoire et celle de sa mère. L’actrice Maggie Cheung Man-yuk y incarne la cinéaste avec grâce. Si Ann Hui brille dans le registre intimiste – Neige d’Eté (Summer Snow, 95) reste peut-être son plus beau film -, l’évocation historico-politique (Ordinary Heroes, 89) ou les thèmes sociaux (The Way we are, 2008 ou Night and Fog, 2009), elle sait aussi briller dans ces genres propres à Hong Kong : histoires de fantômes (The Spooky Bunch, 81), Wu Xia Pian (l’adaptation en deux parties du célèbre roman The Book and the Sword, 87) ou la romance, tel le beau Dix huit printemps, (Eighteen Springs, 97), adapté de l’immense et très populaire romancière chinoise Eileen Chang/Zhang Ailin (dont Ann Hui avait déjà porté à l’écran Love in a Fallen City en 84) et illuminé par la présence de la regrettée actrice et chanteuse Anita Mui. Elle n’hésite pas non plus à aborder les problèmes rencontrés par les lesbiennes à HK et leurs luttes pour fonder des familles non-conventionnelles (All About Love, 2010).

Avec son dernier film en date, A Simple Life, Ann Hui amène le spectateur au creux de son cinéma vérité. Elle nous plonge au coeur d’une maison de retraite, avec son lot inévitable de vieillesses difficiles, de maladies, de mort. Certes, nous sommes à Hong Kong, mais l’histoire – elle n’en a pas écrit le scénario (adapté de faits réels) – est universelle et la manière dont Ann Hui la porte à l’écran en renforce le caractère. Le film est une petite merveille de délicatesse, de pudeur, d’humour, de mélancolie tranquille. La vieille servante, Ah Tao, attachée à la même famille depuis 60 ans, famille dont il ne reste plus sur place que le fils, (Roger, un homme mature, producteur de films), allie discrétion, dévouement, humilité tandis que le Maître, élevé depuis sa naissance au contact de cette femme, a fini par épouser les mêmes valeurs. Mais Ann Hui ne le révèle que petit à petit au spectateur, par des touches presque subliminales. Andy Lau, star aujourd’hui internationale du cinéma de HK (chez Johnny To, par exemple) est parfait dans ce rôle d’homme dont la réserve naturelle est d’abord prise pour une certaine froideur. Les services rendus à sa vieille domestique semblent en premier lieu de pure convenance, une politesse de bon aloi résultant d’une éducation que l’on devine trempée dans les anciennes valeurs confucéennes. Mais lorsqu’il va plus loin qu’attendu par le spectateur, invitant la vieille dame au restaurant ou en en faisant son invitée à une soirée cinématographique, le personnage se révèle doucement et il n’est alors pas étonnant que l’entourage de la maison de retraite le prenne pour son neveu. Le lien social qui séparait le Maître et la Servante se renverse dans un premier temps pour sembler s’effacer tout à fait au profit de quelque chose qui finit par ressembler à un véritable attachement familial. Ann Hui – et on lui en sera reconnaissant – tourne résolument le dos à tout sentimentalisme ou « enrobage », qu’il soit visuel ou textuel. L’émotion affleure alors sans qu’on y prête attention et s’instaure en nous de manière durable. La réalisatrice tient cette ligne jusqu’au bout, là où bien d’autres auraient sacrifié à une dose de pathos. Deanna Yip, actrice extrêmement populaire à HK (notamment dans des séries télé où elle a souvent évolué avec Andy Lau comme mère et fils), joue sa partition au parfait diapason, avec un naturel et une modestie confondants. Les multiples récompenses recueillies pour ce rôle (dont celui de meilleure actrice au Festival de Venise) sont en tous points méritées.

A côté du thème Maître-Servante qui justifie pleinement la place de ce film dans la programmation de ce festival, est aussi développé celui de la solitude, et pas seulement des personnes âgées. Roger lui-même ou la directrice de la maison de retraite (dont on pourra regretter que le rôle ne soit pas davantage fouillé), vivent chacun dans leur bulle. Et si les bulles peuvent se croiser, se rencontrer, voire se frotter un temps les unes aux autres, elles restent néanmoins fidèles à leur nature, isolées et isolantes. Ann Hui nous parle aussi de ça, mais là encore sans affectation, sans tristesse et encore moins désespoir. C’est la vie telle qu’elle est, voilà. On naît seul, on meurt seul et, entre les deux, on essaie comme on peut de s’entraider. Débarrassé de ses scories éphémères, reste le souffle des vies simples, tant qu’il dure. Mais encore faut-il savoir l’entendre et faire preuve de grand talent pour qui veut le restituer sur un écran de cinéma. Réjouissons-nous : Ann Hui est une réalisatrice de grand talent.

Sur le web

A simple life porte bien son titre. Il raconte la vie simple d’une femme au service d’une riche famille depuis 4 générations. Et Ann Hui raconte cette histoire simplement, avec une discrétion qui est celle du personnage. La caméra choisit régulièrement de se faire oublier, filmant de loin, comme posée en retrait, observant avec retenue ce que ce récit sur l’âge, le vieillissement, la mort, peut avoir de sordide. Mais A Simple Life est aussi un film sur la compassion. Il aurait été trop simple pour Ann Hui de faire un film sur une héroïne abandonnée, un mélo social sur une domestique oubliée par la famille aisée qu’elle a servie. Le moteur scénaristique de A simple life est bien moins caricatural.

Ann Hui rappelle en partie le cinéma de Lee Chang-Dong, l’un des maîtres asiatiques du mélodrame. Pas dans son ampleur puisque là où le Coréen privilégie des sujets impossibles, Ann Hui reste dès le départ dans l’anecdote. La structure très libre, épisodique du film marche en ce sens : pas de climax, mais des bribes de vie, quelques souvenirs. Si A simple life évoque les mélos de Lee, c’est par l’humilité de sa mise en scène, invisible mais précise, son honnêteté et son absence de tabou, sa façon de se mettre au service de l’écriture et des acteurs.

A simple life est porté à bout de bras par l’interprétation surprenante de Deannie Yip, touchante sans être lénifiante. La pudeur, le goût-des-choses simples sont parfois de fausses qualités qui hantent des films sans relief. Ce n’est pas le cas de A simple life, beau mélo, simple mais pas simpliste, profondément humain.

A Simple Life est en fait l’histoire vraie de la servante de Roger Lee Yan-Lam,  cinéaste et producteur, comme son double dans le film; il a en particulier été le producteur exécutif du film d’Ann Hui sorti en 1995 : Summer Snow, dont le scénario est une réflexion sur les rapports avec les personnes âgées, mais a aussi des analogies avec A Simple Life. Roger Lee avait promis à sa vieille servante de porter son histoire à l’écran ; quand il en a parlé à l’acteur Andy Lau, celui-ci, qui est également producteur, l’a trouvée touchante et a décidé de produire le film. A Simple Life est co-produit par la société d’Andy Lau, Focus Film et Polybona.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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