Abouna, notre père


 


Vendredi 03 avril 2009 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Mahamat Saleh Haroun – Tchad – 1980 – 1h21 – vostf

Le père d’Amine et Tahir, huit et quinze ans, a quitté le domicile familial. Les deux frères décident alors de partir à sa recherche. Profondément choqués par cette brusque disparition, ils se mettent à traîner, à faire l’école buissonnière et à fréquenter les salles de cinéma. C’est là, qu’un jour, ils leur semblent reconnaître leur père à l’écran. Il volent les bobines pour garder un souvenir de leur père, mais la police ne tarde pas à les arrêter. Lasse de leur conduite, leur mère les envoie dans une école coranique.

Abouna a été présenté au Festival de Cannes 2002 dans la Quinzaine des Réalisateurs.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Abouna ou l’apprentissage par la perte

Avec Abouna, son deuxième long métrage, Mahamat Saleh Haroun signe un film à la fois sobre et fluide,  dans un étrange équilibre entre retenue et émotion. Les couleurs et le cadre sont particulièrement travaillés Amine toujours en orange, Tahir toujours en bleu, le réalisateur joue bien sûr des complémentaires, mais au-delà des associations immédiates, il compose presque toujours le plan en fonction de ces deux couleurs tant la caméra suit de près les deux protagonistes dans leur moindre mouvement. Les deux couleurs deviennent notre fil conducteur. Les autres couleurs viennent dialoguer avec elles. Les boubous de la mère, d’abord d’un vermillon flamboyant, puis justement orange et bleu, lorsqu’elle met ses fils en pension et finalement dans un beige presque éteint lorsqu’ elle aura perdu sa vitalité. Sans oublier bien sûr le satin d’un jaune éclatant porté par la jeune amie de Tahir. Le réalisateur a travaillé cet aspect essentiel du film avec Kader Badawi qui est à la fois peintre et calligraphe et cette collaboration a été visiblement fructueuse.

Au – delà du traitement de la couleur, l’utilisation de l’ombre et de la lumière est elle aussi saisissante. Nombre de scènes sont tournées dans la pénombre, voire dans l’obscurité, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’œil du spectateur doit s’habituer et ce sont souvent les taches de couleur des vêtements qui l’aident à dessiner les corps. Dans ces jeux d’ombre et de lumière, Mahamat Saleh Haroun  soigne tout particulièrement les plans en découpe à contre-jour, les rais de lumières qui zèbrent le cadre. Premier plan d’une pièce à la lumière tamisée par des rideaux dont la porte donne sur une cour écrasée de soleil – ou l’inverse etc…

Tous ces contrastes structurent l’espace et rythment l’image. Sans aller jusqu’à la virtuosité angoissante d’Apichatpong Weerasethakul dans Tropical Malady (près d’une heure dans la nuit noire de la forêt tropicale qui bruisse de tous les dangers, où le spectateur, comme le personnage, doit se fier presque exclusivement à son oreille),  il est certain que Mahamat Saleh Haroun sait filmer la nuit et rendre les atmosphères qui lui sont propres. Aussi bien le rêve que l’inquiétude qui habitent le film de part en part.

Le rêve,  c’est avant tout, bien sûr des images. À commencer par celles du cinéma. Amine ne s’y trompe pas qui préfère aller voir un film plutôt que de s’acheter une bouteille de Coca…Ce qui va donner lieu à deux des plus belles scènes du film. Ce personnage de dos à l’écran, non seulement Amine le rêve comme son père, mais la force du rêve va le faire se retourner et gratifier Amine d’un regard caméra plus vrai que vrai. Et le réalisateur va encore plus loin puisque la pellicule elle-même doit servir à matérialiser  le rêve et en apporter la preuve tangible. C’est, je crois, un des hommages les plus touchants jamais rendus  à  la magie propre au cinéma.

L’autre image synonyme de rêve, c’est celle de la mer. Il ne faut pas oublier que le Tchad est un pays enclavé au beau milieu de l’Afrique. Mais ce qui fait la force incantatoire de cette image c’est qu’elle a été envoyée par le père. Il n’est pas anodin que les deux frères demandent à leurs camarades de sortir pour pouvoir la contempler dans l’intimité. Car, on l’aura compris, Abouna est aussi un film sur l’absence et le manque. Et sur la nécessité d’en passer par là pour pouvoir se constituer.

L’épreuve est rude et nos deux héros  bien jeunes pour y faire face. Mais nous sommes en Afrique et ce genre de considérations sur l’âge d’or supposé de l’enfance s’appliquent encore moins ici qu’ailleurs. La dureté de ce pensionnat à l’ancienne n’en est qu’un des aspects et ce n’est même pas le pire. À ce stade, le cinéaste, comme le funambule sur son fil, réussit à éviter à la fois les écueils du misérabilisme larmoyant  et ceux du happy end triomphaliste. Les deux frères sont de plus en plus individualisés. L’adolescent s’aventurant sur des terrains nouveaux qu’il ne partage donc plus avec son petit frère. (le rapport à l’autorité, à la parole donnée, mais aussi les premiers émois amoureux). Le  personnage de la jeune fille sourde et muette passe comme un soleil, littéralement, dans le champ. Elle illumine pour Tahir le monde très sombre de l’orphelinat, synonyme d’enfermement, de privation et  de non-sens. Face aux paroles creuses du maître, annonées sans réflexion par les élèves, le regard et le sourire de l’adolescente sont  bien sûr d’abord un ballon d’oxygène, ils signifient surtout que la communication, la chaleur, la confiance sont possibles entre les êtres, au-delà des mots.

La fin du film, tout en délicatesse, ramène les deux tourtereaux à la dure réalité. En même temps, forts de leur expérience, ils sont capables d’agir et de prendre leurs responsabilités y compris face à la mère qui n’est plus en mesure de le faire pour elle-même. Ce qui nous donne un final grave, mais pas désespéré. La musique – la bande son est d’ailleurs remarquable de bout à l’autre du film- permet justement d’éviter le désespoir et peut-être permettra-t-elle à la mère de sortir de sa léthargie. Qui sait? Le film n’en dit rien, mais la chanson de la fin agit comme un clin d’œil, tout en finesse, à la petite mélodie fredonnée jusqu’au bout par Gelsomina dans La Strada. De l’Afrique à l’Italie, au cinéma il n’y a qu’un pas.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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