Les adieux à la reine



Jeudi 07 Février 2013 à 20h30 – 11ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Benoît Jacquot – France – 2012 – 1h40

En 1789, à l’aube de la Révolution, Versailles continue de vivre dans l’insouciance et la désinvolture, loin du tumulte qui gronde à Paris. Quand la nouvelle de la prise de la Bastille arrive à la Cour, le château se vide, nobles et serviteurs s’enfuient… Mais Sidonie Laborde, jeune lectrice entièrement dévouée à la Reine, ne veut pas croire les bruits qu’elle entend. Protégée par Marie-Antoinette, rien ne peut lui arriver. Elle ignore que ce sont les trois derniers jours qu’elle vit à ses côtés.

Notre critique

Par Bruno Precioso

On aurait attendu un film en costume, le brillant des ors de l’Ancien Régime, une fresque courbée sous le vent de l’histoire… Il faut dire que l’ensemble tient en trois jours : les 14, 15 et 16 juillet 1789. Bref, Les adieux à la reine aurait pu être un film historique, un film d’antiquaire comme dit Benoît Jacquot. Il n’en est heureusement rien. Jacquot s’intéresse davantage à l’écosystème qu’est Versailles, et dans cet écosystème aux interdépendances entre groupes ou individus aux relations complexes. Le choix n’était pas vraiment libre dira-t-on, puisque Les adieux à la reine adapte le roman éponyme de Chantal Thomas. Dès la lecture du livre Benoît Jacquot a l’envie de le transposer au cinéma. Mais une telle réalisation « d’époque » coûte extrêmement cher et le réalisateur ne connait pas de producteur susceptible de mettre en oeuvre un tel projet. Près de dix ans plus tard, lorsque Jean-Pierre Guérin, qui en a acquis les droits, lui propose de l’adapter, l’envie est toujours là. Le film est donc l’adaptation d’un livre. Commence alors le travail pour Benoît Jacquot et son scénariste, Gilles Taurand, qui tout en se gardant de rien dénaturer, ont dû faire des choix. Le premier est le choix d’un récit au présent, qui implique de rajeunir le personnage de la narratrice Sidonie, devenue toute jeune femme. Réduire et condenser, privilégier l’intensité, soit comme le confie Benoit Jacquot : « …tout l’enjeu de ce genre d’entreprise. Il s’agit d’oublier le livre pour mieux le retrouver. » C’est donc souvent dans les creux, les non-dits et les ‘‘non-montrés’’ que le film et ses personnages développent leurs discours. De manière plus que métaphorique, le hors-champ hante en quelques sortes le film de Benoît Jacquot. Hors-champ au sens strict compte-tenu du sujet et du moment historique choisis pour asseoir l’intrigue ; car Jacquot maintient en marge du film la « Grande Histoire », voire l’expulse du champ en ouverture pour construire son huis-clos. Hors-champ social à l’intérieur de cette réserve fermée justement, puisqu’il s’agit ici de l’univers de la domesticité de la cour, d’autant plus segmenté à Versailles. Le huis-clos sera vaste, mais pour autant pas moins étouffant, et fort peuplé (les modalités de la soumission ne manquent pas dans la société d’ordres), mais on sait que l’Enfer c’est les autres.

L’évènementiel propre de la Révolution française, ses enjeux sophistiqués, les relations de pouvoir et d’ego politique, ne sont en aucun cas le propos du film pas plus que le roi, le gouvernement, l’élite aristocratique. On se meut ici dans un perpétuel emboîtement des groupes et des espaces, découverts et détaillés pour nous avec les yeux de l’ingénuité. Sidonie explore la place qui lui revient en même temps qu’elle aperçoit laquelle elle désire, et comprend que le temps sépare l’une de l’autre. Les cohabitations forcées des courtisans aux domestiques – et jusqu’à la famille royale – n’empêchent pas cette promiscuité de se révéler rigoureusement hiérarchisée, selon des règles – des rituels – au bord de l’implosion : chacun ne travaille qu’à son prochain succès, mais les grands changements du monde extérieur imposent bientôt à chacun de ne travailler qu’à sa propre survie. Afin d’« établir un lien avec le présent » tout en évitant les anachronismes, le tournage a privilégié les lieux authentiques qui, pour être vrais, autorisaient une certaine sobriété d’effets. Ainsi la photographie se borne-telle aussi souvent que possible à la lumière naturelle et le jeu de demi-lumières crépusculaires accentue encore le puissant contraste entre le décor-Versailles et la pièce absurde qui s’y joue. La concentration et l’intensité dramatiques sont d’autant plus intenses que dans ce Versailles, lieu unique proliférant, et sur une période très ramassée (quatre jours-clefs qui ne se savent pas tels) les résonances des événements extérieurs réels ou supposés produisent un violent précipité de plein et de vide : quand le petit monde de ce Titanic royal s’éparpille et disparaît après s’être massé pour entendre la nouvelle alarme, il semble que le palais génère quantités de salles et de couloirs vides justement lorsqu’il est déserté. Un monde clos qui pressent sa propre fin et la précipite.

La topographie de ce Versailles tortueux, fait de souterrains, de chambres dans des caves, de cantines en sous-sol, et qui semble condamné à vivre ainsi pour longtemps encore souligne mieux que toutes les répliques écrites le pourrissement du coeur de ce pouvoir qui bascule ; décor théâtral observé des coulisses, population de domestiques et de nobles de province prolétarisée en masse et dans toutes les groupes sociaux, entassement humain pour prix de la proximité du pouvoir… Pour habiter ce vrai Versailles, Benoît Jacquot a opéré un choix d’acteurs drastique, tant pour les rôles principaux que secondaires – disons plutôt d’actrices, car le cinéaste aime filmer les femmes et comme il le dit lui-même : « ce sont les actrices qui légitiment l’univers du film, et qui légitiment le film. » Le choix de Diane Kruger ou de Virginie Ledoyen a été largement salué, et la prestation de Léa Seydoux en Sidonie sans doute plus encore. L’ingénue incline irrésistiblement vers « le vierge papier que sa blancheur défend ». Sur son visage s’impriment des sensations nouvelles et contradictoires, qui se succèdent à grande vitesse. Une éducation sentimentale en accéléré, comme pour accompagner le chaos politique et se hisser à la hauteur des plus anciennes rompues aux moeurs de la cour. Il y a des choses qu’on ne dit à Sidonie qu’à l’oreille, dans un murmure, car on parle rarement clair dans ces boudoirs, et seule l’ambiguïté s’assume clairement. Dans ce ballet de personnages, les seconds rôles tenus par tout un univers de femmes et quelques hommes (Noémie Lvovsky, Dominique Reymond, Xavier Beauvois…) participent des tensions autant qu’ils contribuent à la formation de la jeune Sidonie. Benoît Jacquot orchestre entre elles un trafic complexe de sentiments tus mais devinés, de demandes ravalées ou éconduites. Ce petit théâtre machiavélique du désir et de ses détours se trouve néanmoins observé par les yeux de la lectrice, et si le regard décille progressivement, on contemple souvent ces femmes de dos. C’est que le parti pris de Benoît Jacquot dans ses Adieux à la reine repose sur le basculement des points de vue. Dans le jeu des liens complexes entre les femmes, il n’est pas question de victoire franche, de résolution définitive ni même de sincère explication. Benoît Jacquot ne donne d’indications que par le positionnement de sa caméra qu’il refuse de rendre illustrative ou par trop explicite : les émotions n’éclatent qu’en mineur, les tensions ne transparaissent qu’à l’occasion de scènes de détour, en arrière-plan, et sous le déguisement du prétexte. L’essentiel n’est donc jamais formulé mais l’oeil de la caméra le donne à voir. Certains objets aussi : une pendule, un motif de dahlia à broder dont la paternité reste douteuse, une robe verte… Chacun de ces éléments concrets est l’occasion d’une révélation sur le plan symbolique, et fonctionne comme une synecdoque : puisque l’Histoire est absente, refoulée du champ, les interdépendances sociales se trouvent suggérées dans les relations internes à cette hiérarchie de femmes qui incarne à la fois le mépris du peuple et le déni de la réalité. Chaque moment concret de leur lutte d’influence en dit long, avec une grande économie de moyens, sur tout un système autopsié in vivo. A cette sobriété très dense des moyens, Benoît Jacquot ajoute un travail d’une grande modernité sur les dialogues – qui a pu d’ailleurs gêner et éloigner certains spectateurs. Là encore, la forme hybride du langage employé dans cette cour signe le désir du cinéaste d’éviter le « film d’antiquaire », et l’espoir de construire une forme qui permette d’échapper au passé. Comme l’utilisation de la caméra portée traduit la volonté de Jacquot de créer « un sentiment d’immédiateté, comme si on suivait un caméraman d’actualité pendant un évènement violent » loin de la statique du film en costumes, les dialogues souhaitent écrire l’histoire au présent, au point de ménager des surprises et un vrai sentiment de suspense là où paradoxalement nul ne doute de l’issue réservée à chacun(e). Benoît Jacquot a donc recherché l’exploration amusée et malicieuse de correspondances entre l’Ancien Régime et notre époque, sur le plan des inégalités, des luttes d’influence et des tensions du désir autour du pouvoir. Avec le visage et les yeux d’une jeune et jolie ingénue pour guide.

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L’histoire nous est racontée du point de vue de Sidonie, l’une des dames de compagnie de la Reine, qui avait pour particularité d’être l’une de ses plus ferventes admiratrices. Le scénariste Gilles Taurand va même jusqu’à comparer cette figure historique à une « groupie » avant l’heure, qui ne vit « que par procuration » dans le but de plaire à Marie-Antoinette, idole pour laquelle elle renonce à tout.

Le récit des Adieux à la reine se déroule en quatre jours, à l’aube de la Révolution française. Selon le producteur du film, Jean-Pierre Guérin, l’enjeu n’était pas de relater un fait historique, mais plutôt de voir en quoi la date de la prise de la Bastille marque une césure brutale entre l’Ancien Régime et la France moderne, au même titre que les attentats du 11 septembre.

La date de la prise de la Bastille reste gravée dans les annales. Dans Les Adieux à la reine, la nouvelle, qui se répand comme une trainée de poudre entre les murs du château, fait l’effet d’une bombe. En l’espace de quatre jours, c’est toute la monarchie qui se désagrège. Pour imager le propos, Benoît Jacquot compare Versailles au célèbre Titanic en déclarant : « C’est le Titanic, cette histoire ! Une espèce de navire considéré comme le plus beau bâtiment du monde qui soudain, en une nuit, commence à prendre l’eau, puis à couler, en déclenchant une panique formidable.« 

Peu de cinéastes ont le privilège de tourner à Versailles même. Mais le réalisateur des Adieux à la reine, Benoît Jacquot, admet avoir eu beaucoup de chance, puisqu’il a eu l’autorisation d’y installer ses équipes de tournage le lundi et les nuits. Selon lui, il était important qu’il obtienne cette possibilité car Versailles est un personnage de son film à part entière. N’aimant pas les répétitions, Benoît Jacquot a coutume de tourner rapidement, en donnant peu d’indications à ses acteurs, dont il favorise ainsi la liberté.

Marie-Antoinette a été dépeinte de mille façons dans la fiction. Avec Les Adieux à la reine, Benoît Jacquot a voulu regrouper tous les aspects de sa personnalité en un film. Il décrit les variations de comportement de la Reine comme une « météorologie d’affects », poursuivant sur le fait qu’il donne souvent des indications de jeu sous forme de métaphores climatiques à ses acteurs ! Benoît Jacquot confie que l’actrice Léa Seydoux porte les robes du XVIIIème siècle de façon anachronique. Habituée aux jeans, la comédienne, contrainte à enfiler des vêtements très guindés, a gardé une démarche moderne tout au long du film, créant ainsi un certain décalage avec la rigueur de l’époque. Loin de l’image d’un Versailles fastueux et grandiose, Les Adieux à la reine montre un palais pourrissant et gangréné par le délabrement, reflet intérieur de la dégradation extérieure de tout un état.

Le film se déroule en une unité de temps assez réduite. Cette atmosphère de panique qui plonge les protagonistes dans l’urgence fait office d’accélérateur d’émotions : « Durant ces quatre jours, les protagonistes sont en état de bouleversement permanent. Sur un temps finalement très ramassé et dans le même espace – puisqu’on ne quitte Versailles qu’à la toute fin du film – ils traversent des étapes psychologiques extrêmement contrastées, émotionnellement très fortes« . Ce procédé narratif permet à Benoît Jacquot d’instaurer une tension cinématographique qui sert l’aspect dramatique de son récit.

Pour ne pas tomber dans l’écueil d’un récit aux dimensions passéistes et surannées, Benoît Jacquot a fait le choix de positionner sa narration du point de vue de Sidonie (Léa Seydoux), qui vit l’histoire au présent : « Faire partager sa perception au spectateur était une manière de rendre les choses les plus vivantes possibles« , explique-t-il.

C’est l’actrice Eva Green qui avait dans un premier temps été pressentie pour incarner la Reine déchue, mais elle a préféré abandonner le projet. Le rôle profite donc à Diane Kruger. Gageons que ses origines allemandes et son petit accent germanique sauront faire revivre Marie Antoinette d’Autriche avec authenticité ! Par ailleurs, concours de circonstances étrange, l’actrice a l’âge exact du rôle !

Le film Les Adieux à la reine est adapté du livre éponyme de Chantal Thomas. Pas étonnant, lorsqu’on sait que sur les vingt longs-métrages réalisés par le cinéaste Benoît Jacquot, dix d’entre eux sont des adaptations de romans ! Le réalisateur confesse ainsi que la littérature tient une place très importante dans son travail.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.

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