Vendredi 09 octobre 2009 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Ettore Scola – Italie – 1976 – 1h51 – vostf
Présenté en copie neuve, une Comédie à l’italienne très al dente.
Dans un bidonville à Rome, Giacinto règne en tyran sur sa nombreuse famille. Tous acceptent son autorité et sa mauvaise humeur, car le patriarche possède un magot que chacun espère lui voler. Chaque jour, il lui faut trouver de nouvelles cachettes et défendre son bien fusil en main. Lorsqu’il décide d’installer sa concubine dans le baraquement, la révolte gronde…
Notre critique
Par Philippe Serve
Si le titre n’avait pas déjà été pris près d’une quinzaine d’années plus tôt, le film aurait pu s’appeler I Mostri (Les Monstres, Dino Risi, 1963 sur un scénario co-signé par six auteurs dont un certain… Ettore Scola). Mais personne ne s’en plaindra, tant Brutti, Sporchi e Cattivi lui va comme un gant. Giacinto et toute sa – très nombreuse – famille sont en effet tout ce qu’il peut exister d’Affreux, sales et méchants. Pas un(e) pour rattraper l’autre. A côté de la famille Mazzatella, tous les gugusses felliniens les plus improbables passeront aisément pour d’élégants drilles, au raffinement trempé dans la distinction la plus absolue.
Avec son film, Scola nous dressait le portrait d’une humanité laissée pour compte dans son monde-bidonville, aux marges d’une société romaine que nous savons – et les protagonistes avec nous – d’une opulence nourrie précisément par la mise à l’écart des damnés de la terre. Mais là où Vittorio De Sica, maître avoué de Scola qui lui avait directement rendu hommage dans son film précédent, son chef d’oeuvre absolu {Nous nous sommes tant aimés} (C’eravamao tanto amati, 74), avait montré une réelle et profonde compassion en filmant des pauvres (Miracle à Venise/Miracolo in Venezia, 1954), Scola déglingue tous azimuts. A la fable humaniste et optimiste se terminant en conte de fée du réalisateur du {Voleur de Bicyclette}, Scola oppose une farce picaresque où, sous le rire paillard généré par tant de caricatures plus hénaurmes les unes que les autres, se cachent une noirceur et une cruauté abominables.
Entassée comme du bétail dans l’unique pièce d’une cabane insalubre, la vingtaine de membres de la famille ne connait aucune loi morale, aucun sens de la solidarité, ne ressent ni respect ni sentiment commun. Seuls règnent la cupidité et les pulsions les plus charnelles. Giacinto, assis sur son magot d’invalide, a développé une paranoïa (justifiée) qu’il rumine, fusil à la main. Le borgne qu’il est devenu tient toute sa famille à l’oeil. De veilleur en voyeur, il s’étonne à peine de surprendre son fils prostitué travesti en train de lutiner une de ses belles-sœurs et n’hésitera pas à faire de même avec sa belle-fille. Dans cette galerie des horreurs, comment s’étonner de voir une mère dégorger de fierté devant les photos nues de sa fille Tommasina en pleine page de magazine pour hommes ? Et lorsque Giacinto ramène à la maison une nouvelle maitresse très fellinienne, le spectateur, arrivé à ce point du film, se surprend presque à trouver incongru la réaction violente et pleine de jalousie de son épouse légitime…
Dans cet univers perdu, à ciel ouvert et à la terre défoncée où même les chiens sont handicapés, les enfants sont parqués comme des bêtes derrière les grillages d’un enclos, amère alternative à l’école. La force du film de Scola – trait caractéristique commun à toute son œuvre – est de ne jamais asséner de discours militant dégoulinant de sentimentalisme. Son regard vise davantage la vérité que la réalité et révèle un talent exceptionnel pour mêler en un même élan comédie et tragédie. Dépassant l’héritage néo-réaliste dont il a cependant retenu les leçons, Scola fusionne le réalisme le plus sordide et la poésie naturelle la plus basique. Ce n’est pas un hasard s’il avait prévu de faire écrire une préface au film par Pier Paolo Pasolini qui devait lui-même la lire à l’écran. Pasolini devait y faire un parallèle entre cette œuvre et son propre premier film, Accattone (1961). Seul, l’assassinat du cinéaste-poète sur une plage d’Ostie le 2 novembre 1975 empêcha le projet d’aboutir.
Cinéaste italien le plus populaire dans notre pays – amour rendu et démontré à maintes reprises – Ettore Scola a toujours su tirer le meilleur parti de ses expériences ainsi que de ses croyances. La pratique de l’illustration humoristique – il publiera deux bandes dessinées – et douze ans d’écritures de scénarios (dont Le Fanfaron pour Dino Risi en 1962) avant la réalisation de son premier film (Parlons femmes, 1964) lui donnèrent une parfaite maitrise des arcanes du récit et des dialogues. Ses origines sudistes – il est né en Campanie en 1931 – l’ont très tôt éveillé à la pauvreté et à l’injustice dans une Italie coupée économiquement en deux.
Adolescent sous le fascisme, il s’imprègne a contrario de thèses humanistes et de marxisme. Les études de Droit qu’il suit après guerre le renforcent sans doute dans la compréhension que la Loi n’est que le reflet et la protection de la classe dominante. Mais, comme indiqué au paragraphe précédent, avec Scola pas de prêchi-prêcha. Le réalisateur du Bal (1983) et de La Nuit de Varennes (1982), deux films éminemment politiques , n’a jamais été classé parmi les cinéastes les plus engagés du cinéma italien tels que Francesco Rosi ou Elio Petri. Peut-être que pour lui le discours trop ouvertement affiché, de même que le sentimentalisme même soft à la De Sica, ne peuvent que brouiller le véritable message politique de l’œuvre. Et ce maitre de la comédie à l’italienne de privilégier l’humour vache, noir, absurde pour Ettore SCOLA mieux éveiller la conscience du spectateur. La technique était déjà patente et bien huilée dans son très amusant Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique ? (Riusciranno i nostri eroi a ritrovare l’amico misteriosamente scomparso in Africa ?, 1968), sorte de relecture personnelle du roman de Joseph Conrad Au coeur des ténèbres en forme de film-BD propulsé par un Alberto Sordi en tous points irrésistible.
Scola récidivera dans cette manière d’avancer presque caché avec Drame de la Jalousie (Dramma della geliosa, 1970) où sous une histoire d’amour à trois – tendre, drôle et tragique- il nous peint un drame social et donc forcément politique. Nous nous sommes tant aimés, sans doute l’un des cinq plus grands films italiens tous genres et toutes époques confondus, est un modèle du genre. Film tout à la fois historique (il narre 30 ans de la vie du pays à travers l’amitié et les amours de trois hommes et d’une femme), sentimental, psychologique, méta-filmique, comédie irrésistible et coup de poing à l’estomac des nostalgies et des idéologies perdues et/ou trahies, l’opus magnum de Scola se terminait sur le constat désenchanté et toujours actuel trente-cinq ans plus tard – il le restera tant que l’Injustice perdurera et que l’Homme rêvera à un monde meilleur : « Nous pensions changer le monde et c’est le monde qui nous a changé. » Un thème qui revient à la surface des interrogations échangées entre les intellectuels fatigués et désabusés de La Terrasse (La Terrazza, 1979).
Au fond, derrière le romanesque déçu de ses films – Une journée particulière (Una giornata particulare, 1977, encore un grand film politique et l’une des plus belles prestations du couple de cinéma Sophia Loren-Marcello Mastroianni) – Scola aura caché un vrai romantisme dont le diamant noir peut se trouver au sein du saisissant Passion d’amour (Passione d’amore, 1981) où le jeune et beau officier Bernard Giraudeau succombe au vampirisme amoureux de la plus laide mais aussi la plus passionnée des femmes – dont le physique n’est pas sans rappeler le Nosferatu de Murnau.
Le spectateur de Cinéma Sans Frontières trouvera-t-il une once de romantisme chez les vilains pas beaux vulgaires de Affreux, sales et méchants ? Question saugrenue ? A voir… et à en débattre après le film !
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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