Vendredi 16 juin 2017 à 20h30
Film de Sherif El Bendary – Egypte/France – 2016 – 1h38 – vostf
Quand Ali rencontre Ibrahim. Ali, d’un tempérament jovial, voue un amour inconditionnel à Nada, sa chèvre. Sa mère ne le comprend pas et décide d’envoyer Ali chez un guérisseur. Il y rencontre Ibrahim, un ingénieur du son qui souffre d’acouphènes qui parasitent son travail et sa joie de vivre. Ali, Nada et Ibrahim entreprennent un voyage thérapeutique qui les conduira d’Alexandrie au Sinaï et qui bouleversera leur vie.
Notre critique
Par Martin De Kerimel
Peu de films égyptiens sortent en France chaque année : aucun n’a été diffusé en 2016 et il n’y en a eu que six au cours des cinq années précédentes. Il faut remarquer également que, parfois, certains sont en réalité des coproductions, franco-égyptiennes notamment. C’est le cas d’Ali, la chèvre & Ibrahim, mais c’est son origine africaine qui m’a donné envie de vous le présenter. Chers spectateurs / lecteurs, je vais être franc avec vous : cette audace, je l’ai eue à l’aveuglette, sans me soucier au préalable des qualités scénaristiques et formelles du long-métrage. J’ai pris un certain risque…
Je me sens donc un peu obligé de vous présenter le réalisateur, Sherif El Bendary. L’année prochaine, il fêtera à la fois ses quarante ans et les dix ans… de sa sortie diplômée de l’Académie des Arts et du Cinéma du Caire (où il enseigne aujourd’hui). Curieux parcours : cet encore jeune homme se destinait initialement à devenir ingénieur, tout en suivant des cours de comédie. C’est finalement en mettant en scène des pièces de théâtre qu’il a compris que le cinéma serait la meilleure source d’expression de ses talents. Mais, avant de s’adonner à la fiction, il travailla d’abord pour la pub et, à l’occasion de ses premiers pas personnels, réalisa des documentaires. Ali, la chèvre & Ibrahim est sa toute première fiction. Pas de surprise : elle raconte effectivement l’histoire de deux hommes et d’un animal, mais pas question de dévoiler l’intrigue en détails dans ce modeste fascicule. Il faut d’abord que vous voyiez le film !
Serez-vous surpris ? Séduits ? Embarqués ? Ou au contraire déçus ? Ce sera à vous d’en décider (et même d’en débattre !). Chez CSF, nous partons du principe qu’il y a toujours autant de réactions possibles à un film donné que de spectateurs dans la salle. Bref, le plus cohérent, c’est encore de vous expliquer les intentions du réalisateur. Sherif El Bendary remonte quelques années en arrière : il explique que le cinéma égyptien des années 80 était néo-réaliste, en conséquence des changements politiques d’après la guerre de 1973 (contre Israël). L’idée, dit-il, était alors de montrer un Caire oppressant et des habitants en révolte. Le cinéaste estime qu’à ce jour, la Révolution récente a amené des difficultés encore plus grandes et une ville toujours plus violente. C’est pourquoi il s’est efforcé d’inventer des personnages hors-norme, assez décalés finalement pour (je cite) « exprimer l’irréalité et l’absurdité de la vie qu’ils mènent ». Assumant un peu de grandiloquence, il ajoute même : « Je vois ce film comme le début d’un mouvement qui reflète honnêtement la ville, mais également toute sa complexité. Cela peut paraître démesuré ou exagéré, mais c’est l’histoire que je voulais raconter avant de mourir ». Bigre ! On ne pourra pas lui reprocher de manquer d’ambition ! Avant que vous le jugiez trop prétentieux, je vous dirai tout de même que le cinéma égyptien revient de loin. Il faut se souvenir qu’il fut longtemps l’un des plus prolifiques dans cette région du monde, au point même d’être nationalisé au cours des années 60. Un demi-siècle et bien des soubresauts plus tard, la Révolution de 2011 avait paralysé toute production ! Fort heureusement, mais non sans mal, les caméras de la fiction semblent avoir de nouveau droit de cité. Reste que Sherif El Bendary, lui, est discret sur les questions politiques – en tout cas dans le scénario d’Ali, la chèvre & Ibrahim. Peut-être y pointerez-vous tout de même quelques petites allusions, ici et là…
Vous trouvez que j’ai utilisé peu d’images pour ce texte ? C’est vrai et c’est délibéré. J’aime autant que vous les découvriez (et appréciez) à l’écran. Pour l’heure, je préfère attirer votre attention sur un autre élément technique : le son. Sherif El Bendary indique qu’il a voulu en faire un élément déterminant de son film, dès le début. Il a eu quelque difficulté d’ailleurs à trouver le juste équilibre, qui permette de rendre compte du handicap de l’un de ses personnages… sans que cela puisse gêner les spectateurs. Plus difficile, et dans l’idée de façonner un film urbain, il a tenu à utiliser chaque son comme le révélateur d’un lieu particulier. Une autre façon de retrouver « son » Caire, tel qu’il le vit, le ressent, l’entend. Et d’en faire, du coup, un personnage à part entière.
Cette réflexion m’amène naturellement à vous dire ce que je sais du choix des acteurs. Pour ce premier film, le réalisateur s’est (volontairement) appuyé sur des comédiens peu connus. Il les a choisis pour être aussi différents l’un de l’autre que possible : Ali était supposé être petit et drôle, Ibrahim grand et austère. Sherif El Bendary dit avoir voulu que son scénario les place face à la découverte d’eux-mêmes. Bon… vous jugerez peut-être, pendant ou après la projection, que ces deux-là finissent par se ressembler. Parce qu’ils deviennent amis au gré des circonstances ? C’est tout à fait possible, oui. Moralité : peut-être aurez-vous, comme moi, l’impression de voir un conte en images. Cela dit, pas de blague : je ne veux pas tomber dans les clichés orientalisants…
Pour finir sur une note d’humour, vous me permettrez d’ajouter un petit mot sur Nada. Qui est Nada ? La chèvre, pardi ! En fait, grâce à la magie du cinéma, il y en a deux. Les équipes techniques auraient peiné à en trouver une jolie, puis une autre qui soit quasi-identique. L’histoire ne dit pas si, ensuite, les drôlettes sont restées obéissantes sur le tournage. Même domestiques, les animaux ne le sont pas toujours, à l’évidence. Cela valait-il le coup de s’y frotter, cette fois ? Oui, je crois. Et votre avis m’intéresse !
Sur le web
Ali, la chèvre & Ibrahim est le premier long métrage de Sherif El Bendary. Son désir d’avoir réalisé ce film est à mettre en parallèle avec la question de l’état de la société égyptienne et plus particulièrement de la ville du Caire, plus que jamais oppressante après la révolution de 2011. Le metteur en scène voit ainsi Ali, la chèvre & Ibrahim comme un film qui devrait refléter le coeur battant du Caire, sa complexité. Il confie : » Dans les années 1980, le cinéma égyptien a créé ce qui s’appelait « le nouveau réalisme ». Ce style cinématographique était le résultat des changements sociopolitiques qui ont modelé notre société après la guerre de 1973, et des politiques qui s’en sont suivi. L’une des caractéristiques les plus importantes de ce mouvement était la façon dont il montrait un Caire oppressant qui poussait les habitants vaincus à imploser et même à se révolter à la fin du film. Cette colère et cette révolte restaient bridées par les contraintes de la réalité. Maintenant, trente ans plus tard, et après une révolution qui a eu un résultat décevant, tout a changé, mais pour le pire.La ville est de plus en plus écrasante et ses habitants sont de plus en plus violents, presque au bord de la folie, sans leur ménager un espace pour les libérer de leur colère. C’est pourquoi je pense que les histoires sur cette ville et ses habitants doivent également changer. Le Caire brise leur âme, elle les mange jusqu’à ce qu’ils n’aient plus d’autre issue que de se ridiculiser et finalement détester leur propre existence. Les personnages de mon film sont assez hors norme et décalés pour exprimer l’irréalité et l’absurdité de la vie qu’ils mènent. (…) Ce n’est pas seulement mon premier long-métrage. Ceci peut paraître démesuré ou exagéré, mais c’est l’histoire que je voulais raconter avant de mourir. »
Sherif El Bendary voit Ali, la chèvre & Ibrahim comme un film sur l’amitié et la découverte de soi mais aussi sur le rejet de la société qui pousse les deux personnages Ali et Ibrahim à entreprendre ce voyage d’Alexandrie au Sinaï. Par cette histoire et ces personnages, le cinéaste a voulu exprimer son rapport passionné et passionnel avec la ville du Caire, qui suscite pour lui des émotions contradictoires, à la fois de l’amour, de la colère, une oppression, le sentiment d’appartenance, la frustration et même la haine. « Le Caire est une ville qui avale ses habitants. Ali et Ibrahim sont témoins de cette situation. Ce sont des personnages solitaires qui sont le produit de la folie de cette ville. Ils sont en train de suffoquer à cause d’elle. Mais ils refusent d’accepter cette existence absurde, ce qui les marginalise, les rend excentriques ou peut même les faire paraître fous », explique Sherif El Bendary.
Sherif El Bendary a voulu que les comédiens principaux de son film soient des inconnus. Aly Sobhy, qui incarne Ali, est un acteur indépendant qui fait du théâtre de rue. « Et il ressemble à Nada, la chèvre. Il paraît que lorsque l’on aime un animal, on finit par lui ressembler ! », précise Sherif El Bendary. Pour le personnage d’Ibrahim, le cinéaste cherchait le contraire d’Ali : « Si Ali est petit, Ibrahim devait être grand. Ali est drôle et Ibrahim est sérieux et triste. Mon choix s’est porté sur Ahmed Magdy. »
En ce qui concerne la chèvre Nada, Sherif El Bendary recherchait une petite chèvre adorable dont tout le monde tomberait amoureux. Il fallait aussi qu’il puisse avoir, pour des raisons pratiques, une exacte doublure de la chèvre au cas où la première serait fatiguée, refuserait de travailler ou tomberait malade. « Son pelage devait être uni, sans aucun signe distinctif. Il fallait qu’elle soit obéissante et à l’aise avec les gens pour ne pas se cabrer dans la foule pendant le tournage. Il fallait qu’elle me comprenne quand je lui faisais certains signes, et il fallait aussi qu’elle ne soit pas agressive. Cela a donc pris du temps pour trouver la bonne race et ensuite pour trouver les bonnes chèvres », explique Sherif El Bendary.
Dans Ali, la chèvre & Ibrahim, Sherif El Bendary a saisi le bruit le bruit de la rue, grouillante, et également les sons qu’entend recherchait une petite chèvre adorable dont tout le monde tomberait amoureux. Il fallait aussi qu’il puisse avoir, pour des raisons pratiques, une exacte doublure de la chèvre au cas où la première serait fatiguée, refuserait de travailler ou tomberait malade. « Son pelage devait être uni, sans aucun signe distinctif. Il fallait qu’elle soit obéissante et à l’aise avec les gens pour ne pas se cabrer dans la foule pendant le tournage. Il fallait qu’elle me comprenne quand je lui faisais certains signes, et il fallait aussi qu’elle ne soit pas agressive. Cela a donc pris du temps pour trouver la bonne race et ensuite pour trouver les bonnes chèvres », explique Sherif El Bendary. Ibrahim, très stridents que le spectateur ressent presque comme une agression. Le metteur en scène précise : « Tout d’abord Ibrahim entend des sons et Ibrahim est musicien. Il y avait 5 scènes d’attaques sonores qui étaient importantes pour illustrer l’effet des sons violents sur Ibrahim. Et en même temps, je ne voulais pas que ces sons soient douloureux pour les spectateurs. Et c’était vraiment délicat, car il fallait que je trouve le juste équilibre entre un son violent et un son qui ne provoquait pas une sensation trop désagréable pour les spectateurs. Ensuite, Ali, la chèvre & Ibrahim est un film urbain. Le son du Caire emplit le film exactement comme je l’entends et comme je le ressens. Et je le ressens ainsi depuis mon dernier court-métrage Dry Hot Summers (Les Eté secs et chauds). J’ai beaucoup travaillé pour que le son reflète l’endroit où il se déroule, parce que les sons du Caire sont très différents de ceux des autres villes dans lesquelles je suis allé. »
Présentation du film et animation du débat avec le public : Martin De Kerimel.
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