Alice



Mardi 08 Mai 2007 à 18h – 5ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Jan Svankmajer – Tchécoslovaquie – 1988 – 1h24 -vostf

Alice est dans sa chambre lors qu’un lapin empaillé revient à la vie et s’enfuit. La jeune fille décide de le suivre à travers le tiroir d’un bureau débouchant sur une caverne…

Notre critique

Par Pablo del Val

Le film commence par l’étrange rencontre entre Alice, une petite fille, et un lapin blanc empaillé qui se décide à quitter sa vitrine. En se lançant à la poursuite de ce singulier lapin, Alice se verra amenée à vivre d’étonnantes aventures et à rencontrer d’autres surprenants personnages inspirés de ceux d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, dont la Chenille, le Chapelier Fou et le Lièvre de Mars, ou encore la Reine de Coeur. Il s’agit peut-être d’un rêve ou d’une histoire sans logique issue de la débordante imagination d’un enfant… Ou s’agit-il plutôt, tout simplement, de la réalité vue sous une autre logique ?

Le réalisateur Jan Svankmajer, un des plus grands cinéastes tchèques, est né en 1934 à Prague, où il vit toujours. Il a réalisé depuis 1964 une trentaine de films, son premier long-métrage étant cette Alice, qui date de 1988. Beaucoup de ses court-métrages sont considérés des chef-d’oeuvres du cinéma d’animation (il utilise la technique dite de « stop-motion » ou animation photogramme à photogramme), qui ont influencé de façon décisive des créateurs qui reconnaissent Svankmajer comme un de leurs maîtres. Ainsi, les frères Quay (Institut Benjamenta, L’Accordeur de tremblements de terre), Henry Selick (L’étrange Noël de Monsieur Jack) ou John Lasseter (Toy Story), ou encore Tim Burton, Terry Gilliam ou Jean-Pierre Jeunet. Après Alice, Svankmajer a réalisé quatre autres long-métrages (le dernier en 2006), où l’action réelle a gagné progressivement de la place sur l’animation, sans renoncer jamais à celle-ci.

Pour comprendre un peu l’univers de Svankmajer et les obsessions qui reviennent d’un film à l’autre, notamment dans Alice, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un artiste à facettes multiples : céramiste, sculpteur, peintre, poète… Il commence sa formation dans les années 50 à l’Institut des Arts Appliqués de Prague, puis au Département de Marionnettes de l’Ecole des Arts Scéniques. Il commence à travailler comme directeur de théâtre en association avec le Théâtre des Masques et le Théâtre Noir, puis il rentre dans le mythique théâtre de marionnettes Lanterna Magika, où il entre en contact pour la première fois avec la réalisation cinématographique. Admirateur de l’oeuvre de Max Ernst, de Dali et des surréalistes, il commence à exposer ses oeuvres pendant les années 60 et, en 1970, l’écrivain Vratislav Effenberger l’invite à joindre officiellement le Groupe Surréaliste Tchèque, le seul qui existe actuellement et dont Svankmajer fait toujours partie. C’est en 1960 qu’il rencontre sa femme, Eva Svankmajerova (1940-2005), artiste (peintre, écrivain…) surréaliste comme lui et qui collabore très étroitement à ses films : on lui doit notamment la direction artistique (les décors) d’Alice.

Pour Svankmajer, le cinéma est un moyen de plus de concrétiser ses visions surréalistes. Il est souvent très intéressé dans ses films par les objets quotidiens, qu’il aime ériger en vrais personnages, nous montrant ainsi une face cachée de la réalité, une interprétation onirique ou une vision subversive. Il faut donc les animer par la technique du stop-motion : l’animation devient ainsi non pas un aboutissement artistique, mais un simple outil d’expression, bien qu’indispensable. L’animation servira à Svankmajer à montrer dans ses films non seulement le mouvement des objets, mais aussi leur transmutation, un concept qui lui est très cher et qu’on verra plusieurs fois mis en pratique dans Alice. Dans ce film comme dans toute l’oeuvre de Svankmajer, les objets sont importants pour la façon dont nous leur accordons une signification, dont ils nous font évoquer des émotions ou des souvenirs, ou bien encore la façon dont nous nous identifions à eux et leur donnons ainsi une âme.

Les surréalistes, dès le début du mouvement, ont considéré Lewis Carroll (1832-1898) comme un des leurs : en 1929, Louis Aragon fait la première traduction française de La Chasse au Snark (1876) et, deux ans plus tard, il publie dans la revue Le Surréalisme au service de la Révolution un article intitulé Lewis Carroll en 1931. Celui-ci analyse sa littérature du non-sense tout en louant la dimension subversive d’une oeuvre qui essaye, avec Alice au pays des merveilles (1865) et De l’autre côté du miroir (1871), de renverser la vision du monde que les adultes ont tenté jusqu’alors d’imposer aux enfants.

Ce n’est donc pas étonnant que Svankmajer (qui avait déjà réalisé en 1971 un film sur le Jabberwocky, à partir du poème qui apparaît dans De l’autre côté du miroir) s’attaque à une adaptation très originale d’Alice au pays des merveilles. Dans son film, Svankmajer reste assez fidèle à la structure narrative du récit de Carroll. En effet, des douze chapitres de celui-ci, Svankmajer en reprend neuf qui lui servent de point de départ pour créer un Pays des Merveilles très personnel. On peut dire que la logique surréaliste selon laquelle s’enchaînent les événements dans le film est en quelque sorte équivalente à celle du conte d’origine, mais le résultat n’en est pas le même pour autant. Il ne peut en être autrement, puisque une partie de la logique carrollienne s’avère une logique du langage et de l’utilisation de ce dernier, dont les jeux de mots et les calembours. Svankmajer, qui réduit les dialogues au minimum, utilise plutôt des associations visuelles. Il se sert, comme on l’a vu, des objets quotidiens qui apparaissent à plusieurs reprises comme points de repère et possèdent des fonctions différentes ou se transmutent selon l’évolution du récit.

Il y a aussi chez Svankmajer la volonté de créer une atmosphère particulière, une sorte de Pays des Merveilles sans merci en utilisant une lumière glauque, un bâtiment délabré comme décor de la plupart des scènes et une bande sonore très attentive à toutes sortes de bruits : tic-tac omniprésent des horloges ou grincements de mécanismes surprenants, mais aussi craquements, crépitements, crissements, grognements… On pourrait parler du rôle des portes donnant accès à des lieux et surtout à des situations inattendues, rôle que Svankmajer emprunte au livre de Carroll ; mais beaucoup plus originale, et beaucoup plus surréaliste au sens profond du terme, est l’utilisation constante des tiroirs comme passages d’un niveau de réalité à un autre, comme liens entre le désir et l’action, entre le rêve et la conscience.

Comme le dit le personnage d’Alice au début du film : « Maintenant vous verrez un film… fait pour enfants… peut-être. Mais j’allais presque oublier : vous devez fermer les yeux, sinon vous ne verrez rien !« . En sortant du cinéma, vous croirez avoir vu seulement un film. N’en soyez pas aussi sûrs : un prochain matin, en vous levant du lit avec encore quelques bribes d’un rêve dans la tête, vous ouvrirez peut-être le tiroir à chaussettes d’une armoire que vous croyez la vôtre… Et alors…

Sur le web

La première mondiale du film a eu lieu à Annecy, dans le cadre du Festival international du film d’animation 1989.

Alors qu’il se concentrait sur la réalisation de petits films surréalistes (ce qui lui a permis de se faire un nom en République Tchèque), Jan Svankmajer s’était déjà penché sur plusieurs livres de Lewis Carroll à partir desquels il avait réalisé quelques courts-métrages. A l’époque déjà, le cinéaste savait que son univers et celui de l’écrivain avaient assez de points communs pour que cela donne naissance à un long-métrage.

C’est dans un contexte politique tout particulier qu’Alice a été tourné. En effet, à la fin des années 80, la République Tchèque était encore sous le joug d’une dictature communiste qui, contrôlant sévèrement la production cinématographique, n’autorisait que les films de propagande ou pour enfants. Fortement anti-communiste, le cinéaste refusait de se plier à la propagande et se voyait donc obligé, s’il voulait voir ses films distribués, de se tourner vers les œuvres enfantines. Ce qui ne l’a pas empêché de prendre de grandes libertés vis-à-vis de l’œuvre originale, libertés rendues possibles par le soutien de producteurs étrangers. Si le titre a tout simplement été traduit Alice à l’international, le titre original est bien plus précis. Neco z Alenky signifie en effet « Quelque chose d’Alice« , ce qui souligne l’ambiguïté du film par rapport au livre, voire toute l’ambiguïté du personnage d’Alice lui-même.

Interrogé sur ce qui l’avait poussé à se lancer dans l’adaptation d’un livre déjà maintes fois porté à l’écran, le réalisateur explique qu’il voulait corriger ce qu’il considérait être une erreur d’interprétation de l’œuvre originale. Selon lui, toutes les adaptations précédentes présentaient les pérégrinations d’Alice comme une véritable aventure, alors qu’il apparaissait clairement dans l’œuvre de Lewis Carroll qu’il s’agissait d’un rêve. C’est cette dimension féerique et incertaine que le cinéaste a voulu transmettre : « Tandis qu’un conte présente une certaine morale […], le rêve est une expression de notre inconscient, la tentative de réaliser nos plus intimes désirs sans les barrières de la rationalité ou des inhibitions. Mon Alice est l’accomplissement d’un rêve« .

 » …De chutes vertigineuses en ascensions essoufflées, la course d’Alice dessine un espace labyrinthique, happant le spectateur à travers les pièces et séquences successives. Il faut rendre hommage au montage de Marie Zemanova qui guide cette narration en forme d’emboîtements, un procédé dont Lewis Carroll avait exploré les possibilités littéraires et qu’elle porte à un degré de perfection sur le plan cinématographique. Les collages-montages d’Alice ne cessent de bouleverser la temporalité du récit et la géographie des espaces traversés par l’enfant, comme si le fil invisible de cette narration était la méthode freudienne des associations libres. Au lieu d’une progression qui organiserait le mouvement d’un héros d’aventure, ce ne sont que chutes et rebondissements qui guident l’errance d’Alice, comme le reflux d’une mémoire de l’enfance dont elle ne parviendrait pas à s’échapper. C’est que la petite fille ne peut compter que sur ses sens pour se repérer dans cet univers hors de toute logique : elle touche à tout, goûte à tout, enfant-cannibale à l’image des têtes « arcimboldesques » s’entredévorant dans les Possibilités du dialogue, le court métrage qui fit accéder Svankmajer à la notoriété en 1983. Toutes les expériences d’Alice sont menées par cette thématique de la dévoration : manger ou être mangé pourrait être le fin mot de l’histoire, et la métaphore d’un pouvoir inique qui tranche le destin (et la tête) de ses sujets avant même de les avoir jugés. L’enfant l’a bien compris, qui dévore gloutonnement les pièces à conviction lors de son procès fantoche. Symbole de cette justice expéditive, la paire de ciseaux dont use le lapin tranchant à tout va pour satisfaire la volonté d’une reine sans cœur. Ce joyeux massacre allégorise les jeux d’enfants, dont le sadisme ne surprend plus que les adultes naïfs : « personne ne sait être aussi cruel qu’un enfant » rappelle Svankmajer …(critikat.com)

Exception faite de  Kristyna Kohoutova qui interprète Alice, pas un seul acteur n’apparaît dans le film. Tous les autres personnages sont représentés sous la forme de poupée et jouets animés image par image. Le film est donc un mélange entre vraie performance et animation.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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