All we Imagine as Light



Samedi 16 Novembre 2024 à 20h

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Payal Kapadia, Inde, 2024, 1h58, vostf

Sans nouvelles de son mari depuis des années, Prabha, infirmière à Mumbai, s’interdit toute vie sentimentale. De son côté, Anu, sa jeune colocataire, fréquente en cachette un jeune homme qu’elle n’a pas le droit d’aimer. Lors d’un séjour dans un village côtier, ces deux femmes empêchées dans leurs désirs entrevoient enfin la promesse d’une liberté nouvelle.

Notre Article

par Bruno Precioso

S’il n’échappe à personne que l’Inde est l’une des plus belles terres d’élection du cinéma, cela faisait 30 ans qu’aucun film indien n’avait été présenté en compétition à Cannes (depuis Destinée, de Shaji N. Karun en 1994). Pour le retour du sous-continent au plus grand des festivals, Payal Kapadia a frappé fort puisqu’elle a reçu le Grand prix du jury pour All we imagine as light, son premier long-métrage de fiction… un coup d’essai qui est donc un coup de maître. Reconnaissons toutefois que la réalisatrice, quoique débutant dans la fiction, n’est pas tout à fait une novice : ses courts-métrages (4 entre 2014 et 2018) ont d’emblée été remarqués par les distributeurs, et son 1er (et superbe) long documentaire, Toute une Nuit sans savoir, avait été sélectionné à la Quinzaine des Cinéastes 2021 pour y remporter l’OEil d’Or du meilleur documentaire. Elle a alors 35 ans, et s’impose aux yeux du public comme une cinéaste ancrée politiquement, portant une voix féminine forte.

Vue d’Inde, la chose n’est pas nouvelle : après 5 ans comme vidéaste publicitaire Payal Kapadia avait été admise en 2012, à 26 ans, au Film and Television Institute of India pour s’y former au “vrai” cinéma… avant de voir sa bourse suspendue et ses études mises en péril en 2015, à la suite d’une plainte de l’Institut pour ses actions de protestation contre la nomination de l’acteur ultranationaliste Gajendra Chauhan au poste de président du FTII. L’ensemble de son travail dès lors se pense comme résolument politique. Parmi les cinéastes qui l’inspirent, la réalisatrice cite celles et ceux qui allient le vocabulaire du réalisme sans fard et le goût du conte, de Miguel Gomes à Alice Rohrwacher ou Agnès Varda (elle cite Cléo de 5 à 7). La tradition féminine des fables de l’Etat du Maharashtra avait, dans l’esprit de Payal Kapadia, à se marier à un cinéma de la ville qui a nourri la réalisatrice. Une manière, dit-elle, de faire dialoguer Apichatpong Weerasethakul et la Chantale Ackermann de News from home.

Watering the Neighbour’s Garden – [Avoir une fille,] c’est arroser le jardin de son voisin. (Proverbe indien qui sert de titre à l’étude de la démographe Isabelle Attané/2017)

Ce 1er film plante d’abord son décor à Mumbaï, dans les quartiers de Lower Parel et Dadard d’où est originaire la réalisatrice, et dont les filatures de coton aujourd’hui moribondes ont largement dessiné le paysage urbain. Le contexte géographique est éminemment social, tant la crise de cette économie très localisée a engendré un déséquilibre de subsistance dans lequel les femmes originaires du sud ont eu à assumer la survie de leurs familles que les hommes désertaient. L’essence du film ne tient pourtant pas dans cette piste sociale. Sur les terres de Bollywood où les coûts de tournage sont très élevés et les contrôles nombreux, Payal Kapadia a imaginé un tournage hybride à 2 caméras : l’une, classique, utilisable sur les lieux autorisés ; pour les endroits où elle n’avait pas pu en obtenir de la mairie une petite Canon EOS C70 ressemblant à un appareil photo qui trompait les autorités, l’équipe simulant d’être en repérage : « Les acteurs se prêtaient volontiers au jeu car ils ont tous déjà tourné des films indépendants. L’expérience n’en était que plus enrichissante ». Si elle permet de former une équipe par la solidarité, cette contrainte de tournage imposée aussi aux cadrages, au rythme des plans, contribue à tisser un film nourri de ses contingences, qui se tient au plus près des corps et des lieux dans ce qu’ils ont de plus cinématographique. Hybride, le film l’est à plus d’un titre, à commencer par son architecture.

La 1ère partie, tournée entre le 15 juin et le 22 juillet 2023 selon un calendrier précis dicté par la mousson, contraste puissamment avec la deuxième partie, tournée en novembre au bord de la mer, dans un village du littoral de Ratnagiri (sud-ouest de l’état du Maharashtra). La lumière de mousson, toujours un peu grise et bleutée à Mumbai où le bleu est la teinte universelle des tissus, bâches et autres éléments de protection contre la pluie. Elle s’impose à l’image pour donner à la mégapole son identité crépusculaire : « Il fallait qu’on attende le changement de saison. Sur la côte occidentale de l’Inde, il n’y a pas beaucoup de saisons – uniquement la mousson ou la saison sèche. Je voulais qu’on ressente ces deux climats différents. (…) A Ratnagiri où se déroule la deuxième partie, le paysage se transforme totalement après la mousson. La nature verdoyante et luxuriante se couvre d’herbes sèches et la terre vire au rouge. Cette latérite rouge fait partie intégrante de l’identité du Ratnagiri. Je voulais marquer cette évolution afin qu’on perçoive les couleurs des deux paysages, à deux saisons différentes, la lumière crue contraste, parfois violemment, avec l’état d’esprit initial à Mumbai. » La sortie de la nuit comme une déconstruction. C’est d’ailleurs la démarche même de Payal Kapadia que de dé-re-construire le film avec ses actrices, en prenant en compte leurs relations réelles sur et en dehors du plateau, les inspirations qu’elles apportent au fil du tournage : forte de sa pratique de documentariste, Payal Kapadia teste pour voir, réalise un montage intermédiaire afin d’élaguer des plans ou, à l’inverse, d’écrire puis de tourner de nouvelles scènes. Une 1ère partie nourrit la suivante, la leçon de la 1ère saison entraîne, au montage de la 2ème, un déplacement des équilibres du film et un glissement de l’écriture qui éclaire d’un jour nouveau ses personnages.

« Le son vient de l’objet vers nous. Alors qu’au contraire, le regard va vers l’objet, il est toujours domination. »

Couleurs, construction des plans, mais aussi travail très précis sur le son dessinent ces trajectoires : la réalisatrice indienne suit la proposition de Lucrecia Martel : « Le son transmet beaucoup d’information, d’ordre spatial, mais aussi émotionnel. Ça nécessite un corps qui se soumet à la durée, qui se laisse aller. Si pour penser le cinéma, ou pour en faire, tu te places à l’endroit du son plutôt qu’à celui de l’image, ça t’oblige à d’autres choses. » Payal Kapadia s’emploie à faire du son l’outil d’une adresse physique au spectateur, une manière de l’engager, compare le son au cinéma à l’eau dans une piscine agitée par un nageur qui se répercute, à l’autre bout du bassin, sur un autre nageur sans l’entraîner nécessairement dans la même direction.

Le dispositif du film, comme les plans eux-mêmes, incorpore cette forme d’incertitude qui rend les existences flottantes, fragiles, mais aussi mobiles et donc susceptibles d’échapper au temps (celui, chichement mesuré, du capitalisme) et à l’espace (celui, cloisonné et contraignant, de la ville) ; d’en être exclues aussi. Il n’est pas anodin que 2 des 3 personnages du film exercent un métier certes respecté mais aussi exposé et particulièrement féminisé dans un pays où les femmes représentent à peine 24% de la population active, un pourcentage en constante régression. On sait avec les travaux de la géographe Shilpa Phadke (Why loiter ?, 2011) que le temps des femmes en Inde fait l’objet d’une pression et d’un contrôle permanents. Le rythme du corps des femmes dans l’espace public est un enjeu politique, le film de Payal Kapadia en fait sa matière.

Sur le web

À travers son long-métrage, la réalisatrice a voulu aborder un fait de société réel à Mumbaï, comme elle l’explique : « Les filatures de coton de Mumbai ont largement dessiné le paysage urbain des quartiers où se passe la première partie du film (Lower Parel et Dadar). Quand les filatures ont fermé leurs portes, les gens ont eu beaucoup de mal à rebondir. C’est à ce moment-là que de nombreuses femmes, dont les maris avaient perdu leur gagne-pain, ont commencé à entretenir leur famille. La plupart de ces femmes sont originaires des régions de Raigad et Ratnagiri« .

Comme le film, le tournage a été réalisé en deux parties. La première a eu lieu à Mumbaï au mois de juin et juillet 2023, en pleine mousson. Le festival de Ganapati au milieu de All we imagine as light fait office de transition avec la seconde partie, tournée en novembre de la même année comme l’explique Payal Kapadia : « Il fallait qu’on attende le changement de saison. Sur la côte occidentale de l’Inde, il n’y a pas beaucoup de saisons – uniquement la mousson ou la saison sèche. Je voulais qu’on ressente ces deux climats différents. » dit-elle avant de poursuivre : « Étant donné que la deuxième partie se déroule à Ratnagiri, le paysage se transforme totalement après la mousson. La nature verdoyante et luxuriante se couvre d’herbes sèches et la terre vire au rouge. Cette terre rouge fait partie intégrante de l’identité du Ratnagiri. Je voulais marquer cette évolution afin qu’on perçoive les couleurs des deux paysages, à deux saisons différentes« .

Forte de son passé de documentariste, Payal Kapadia a d’abord fait un premier montage très sommaire de son film, afin d’élaguer des plans ou, à l’inverse, tourner de nouvelles scènes. Au montage, dans la seconde partie, elle a ainsi mis l’accent sur la relation forte entre les trois femmes.

All we imagine as light est le premier long-métrage de fiction de Payal Kapadia, après plusieurs courts-métrages et un long-métrage documentaire, Toute une Nuit sans savoir, présenté à la Quinzaine des Cinéastes 2021 et vainqueur de l’Œil d’Or du meilleur documentaire.

Le film a été en grande partie réalisé à Mumbaï, dans les quartiers de Lower Parel et Dadard d’où est originaire la réalisatrice. Une volonté qui a impacté le budget puisque l’industrie du cinéma hindi se trouve dans la ville et les coûts sont ainsi plus élevés. En revanche, la deuxième partie de All we Imagine as light a été tournée au bord de la mer, dans un village du littoral de Ratnagiri.

Payal Kapadia a tourné avec deux caméras. La première a été utilisée sur les lieux pour lesquels elle avait obtenu les autorisation de tournage. La seconde, une petite Canon EOS C70 a servi dans les endroits où elle n’avait pas pu avoir l’aval de la mairie. Pour tromper les autorités, l’équipe simulait d’être en repérage : « Les acteurs se prêtaient volontiers au jeu car ils ont tous déjà tourné des films indépendants. L’expérience n’en était que plus enrichissante« , confie la réalisatrice.

Les scènes de l’hôpital et de l’appartement de Prabha et d’Anu ont été tournées dans des lieux désaffectés qui seront prochainement démolis. Chacun a été repéré par le régisseur extérieur, Kishor Sawant. En Inde, le métier d’infirmières qu’exercent Anu et Prabha est très respecté et les femmes qui choisissent cette profession sont encouragées dans leur démarche.

Les trois actrices du film, Kani Kusruti, Divya Prabha et Chhaya Kadam sont toutes les trois issues du cinéma indépendant indien. Divya Prabha est même l’héroïne du film Ariyippu, sélectionné au Festival de Locarno en 2022.

Le film a été produit par un producteur indien, Chalk and Cheese et par une société de production française Petit chaos, qui avait déjà produit son long-métrage documentaire Toute une nuit sans savoir (2021).

Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2024.

« Historiquement, l’Inde est un grand pays de cinéma, pas seulement pour Bollywood. Peu de films, néanmoins, nous parviennent de là-bas, si bien qu’on a peu de nouvelles du pays et de ses habitants. All We Imagine as Light nous en donne et de fort belle manière, sur un ton personnel de chronique, à la fois intime et pudique. Payal Kapadia, 38 ans, nous avait déjà enthousiasmés avec Toute une nuit sans savoir (2022), un documentaire poético-politique autour d’une grève d’étudiants, où se confondaient images d’archives d’une lutte et correspondance mélancolique.

On retrouve ce goût du fragment au générique de ce premier long métrage de fiction, où des gens de la campagne racontent en voix off leur installation à Mumbai (Bombay) et leur lien avec cette mégalopole cosmopolite. Dont la réalisatrice prend aussitôt le pouls : quais de métro bondés, marchés, brouhaha, gargotes, bruits parasites, trafics routiers, grands immeubles, flux continus. Atmosphère générale finement rendue, avant qu’on passe au particulier, en faisant connaissance avec Prabha et Anu, deux amies proches et différentes, qui rivalisent d’assurance et de beauté douce… » (telerama.fr)

« … La caméra, dès le début d’All We Imagine as Light, circule dans les rues. C’est une ambiance nocturne et colorée, soulignée par la beauté de la photographie signée Ranabir Das. La manière qu’a Kapadia de filmer la ville offre un cadre remarquable autour des protagonistes. Dans Toute une nuit sans savoir, la réalisatrice allait du personnel au collectif, des lettres d’amour à un mouvement de révolte. Le personnel et le collectif se rencontrent immanquablement dans All We Imagine as Light, où l’on narre des existences secrètes mais on ne peut jamais totalement isoler celles-ci de la ville surpeuplée habitée par les personnages.

On écoute donc attentivement les voix et les témoignages. On ausculte, et l’on s’ausculte soi-même. On s’habitue à l’instabilité tandis que les jours et les nuits pourtant défilent. Un spectre viendra-t-il nous rendre visite lorsque le soleil se sera couché ? Payal Kapadia dépeint la nuit comme un espace de liberté où se font les confidences les plus intimes. Un moment plus silencieux où l’on entend mieux le pouls fragile des héroïnes. La nuit est un lieu à soi : on y écrit des poèmes, on regrette de ne pas avoir le droit d’être en colère ou de ne pouvoir échapper à son destin – ainsi, la nuit permet d’imaginer une lumière…

… Kapadia dépeint avec un regard d’une riche humanité ce qui lie ses héroïnes, ce qui nous lie tout court. Elle examine tous les possibles, notamment ceux des amoureux secrets. Les gestes sont parfois craintifs, comme lors de cette scène où un caillou est jeté timidement en représailles contre un panneau. On détale et on en rit. La réalisatrice parvient à signer un film chaleureux sans que celui-ci ne soit mièvre, elle filme quelque chose de réaliste mais la poésie de son point de vue semble proche d’un basculement fantastique. C’est la grande beauté de ce film qui propose un visage du cinéma indien qu’on voit peu – et qui est paradoxalement assez facile d’accès… » (lepolyester.com)

Payal Kapadia fait partie de ces cinéastes émergentes qui, dès leur premier long-métrage, sont devenues de magnifiques promesses. Si Toute une nuit sans savoir était plein de défauts et pas totalement abouti, il portait en lui la marque des grand.e.s auteur.e.s, capable de créer des formes et se lancer à corps perdu dans un projet hybride, malin. Un documentaire infusé de fiction de telle façon qu’il est bien difficile de lui trouver une case, une catégorie, ce qui semble un obligation dans un univers culturel dominé par les algorithmes et les plateformes gorgées de « contenus » devant correspondre à une attente bien précise. La réalisatrice, elle, ne correspond à rien de ce type, et si son premier était une surprise imparfaite, elle fait de nouveau un saut dans le vide pour, encore, expérimenter quelque chose qui est, sans nulle doute, à rebours des codes du cinéma contemporain…

… En peu de choses, l’autrice parvient à planter un regard singulier sur une histoire banale, où la sororité prime sur le masculin, le supplantant au centre du plan et du regard de la caméra. En cela, All we imagine as Light est aussi épuré que Toute une nuit sans savoir était sophistiqué. Il retranche dans la mise en scène tout ce qui pourrait nuire à sa vérité pour toucher au plus près l’intensité du sentiment amoureux. En deux films, Payal Kapadia devient une figure incontournable d’un cinéma indépendant indien qui s’est longtemps cherché, en marge de l’industrie Bollywood omniprésente, laissant peu de place au cinéma d’auteur. Le style et la différence affichées par Payal Kapadia sont un ravissement, transformant la promesse en certitude, celle d’un talent qui devrait nous enchanter dans les années à venir. » (lebleudumiroir.fr)

« Comme pour tisser un lien avec la forme documentaire de son précédent film, Payal Kapadia ouvre All We Imagine as Light sur des voix anonymes témoignant de leur expérience de vie citadine. À Mumbai, le rythme est intense, chaotique, et le temps semble ne jamais s’arrêter dans une perpétuelle fuite en avant. La cinéaste accompagne ses paroles d’un travelling laissant entrevoir des habitants qui s’activent autour de plusieurs étalages de marché, sans que notre regard puisse réellement se poser sur ces visages inconnus. Si le film s’embarque ensuite dans une véritable fiction, le récit n’en demeure pas moins en prise constante avec le réel.

Mumbai nous est présentée comme un endroit où le désir et l’amour affleurent, mais sont sans cesse empêchés. Prabha (Kani Kusruti) est mariée à un homme travaillant en Allemagne et à qui elle n’a pas parlé depuis un an. Elle côtoie un médecin dans une relation qui ne peut dire son nom, dont la nature platonique est imposée par son engagement stérile. Anu (Divya Prabha) vit secrètement une passion interdite avec un jeune musulman, négligeant les photos d’hommes bons à marier que son père lui envoie. Les deux femmes partagent un appartement en colocation, mais aussi un même lieu de travail, un des hôpitaux de la ville. Cette société aux règles intransigeantes n’est jamais personnifiée. Ce père inquisiteur n’a pas sa place à l’écran, ni aucune figure d’autorité qui viendrait nous rappeler l’ordre et la morale. Cela étant, la cinéaste n’a pas besoin de les faire intervenir et les femmes entre elles se chargent de veiller à ce que quiconque ne sorte du droit chemin. L’amour interdit doit être caché aux yeux de tous, mais aussi de toutes. Comme un pied de nez à ce théâtre des conventions, la cinéaste décide d’afficher en plein centre de son cadre et en orange vif le contenu des sms des personnages. Au fur et à mesure du défilement des notifications, le téléphone s’affirme comme un espace privilégié où l’intime peut enfin s’exprimer.

Le film fait aussi de la place à une troisième femme, Parvaty (Chhaya Kadam), plus âgée que les deux autres. Menacé d’expulsion pour laisser place à un immeuble de haut standing, elle incarne un autre type d’injustice. En réponse à cette ville qui n’accueille plus, qui réprime plutôt qu’elle permet, Payal Kapadia livre une seconde partie délaissant le béton de Mumbai pour se réfugier dans le sable d’un village côtier. À l’abri d’un café sur la plage, éclairé par des lumières chaleureuses, on danse, on aime et on vit à nouveau. En ne quittant jamais ces femmes et en les suivant dans cette quête de désir, All We Imagine as Light impose sa force politique en évitant tout bruit et fracas. Au contraire, il avance avec une lente détermination, affirmant d’autant plus fort sa foi en une société où les sentiments sont les seules boussoles. » (bande-a-part.fr)

« Un film en état de grâce sur la ronde des désirs qui acte la naissance d’une grande cinéaste…

… La caméra de la cinéaste refoule les rues encombrées de Mumbai et clame dès le prologue son attachement encore vigoureux pour la forme documentaire. Dès ses premières secondes, le film scrute l’agitation de la ville et se retrouve perforé de différentes voix intérieures. Les pensées et états d’âme se chevauchent, dessinant un portrait intime de la foule, soudain plus si anonyme que ça.

Au milieu de cette foule, éclôt Prabha (Kani Kusruti), une jeune infirmière. Concentrée, elle mène à l’hôpital une vie sans embûche. Anu, sa jeune colocataire, est plus rebelle. Deux vies en miroirs inversés qui vont finalement s’enchevêtrer au cœur d’une quête commune. Sous le masque impassible de Prabha se cache un amour perdu, un chagrin qu’elle ne parvient pas à soigner. Les pires doutes l’assaillent : cet amour a-t-il vraiment existé un jour ? Comme dans Toute une nuit sans savoir, il est question d’un amant disparu, mais dont le fantôme erre secrètement dans les vapeurs de l’image. Pendant ce temps, Anu (Divya Prabha) voit en cachette un jeune garçon musulman qu’elle aime éperdument.

De ce double portrait des amours contrariées, le film mène en parallèle le début et la fin d’un amour, de ses palpitations au chagrin et à l’acceptation. Par ce chassé-croisé, le film décrit l’ample et contradictoire trajectoire du sentiment amoureux. Construit comme un diptyque de la ville à la campagne, de l’effervescence urbaine à la nature apaisée, All We Imagine as Light suit le mouvement d’une régénérescence. Une boucle parfaite qui sonde la capacité des êtres à sécher leurs larmes, panser leurs plaies, sans oublier ni regretter pour qui et pour quoi battaient leurs cœurs. D’une sensualité et d’une élégance éblouissante, le film parvient à capturer toute la matière, même la plus prosaïque (un rice cooker), pour la transformer en un sublime morceau de poésie, une capsule enchanteresse qui retranscrit la fragilité émotive de ses personnages. Payal Kapadia se sert de sa caméra comme d’un stéthoscope, elle s’en saisit pour mieux nous faire entendre les pulsations internes des corps.

La captation de la ville comme monstre aliénant et pourtant ensorcelant, évoque les plus grands, notamment Wong Kar-wai. Les sens des spectateur·rices sont surmobilisés grâce à une intuition prodigieuse de la caméra. Laissant entrer dans le champ les multiples imprévus du réel (le surgissement d’une couleur, d’un visage ou d’un son). Le film ne fait jamais système. Il ne dompte pas le monde mais l’écoute et l’observe avec une immense attention.

​​​​​​Ainsi, rarement le Mumbai d’aujourd’hui nous était apparu ainsi, enlaçant les amours en même temps qu’il en exclut ses habitant·es les plus précaires. Violence implacable dont un des personnages paiera les frais en devant quitter la ville pour retourner à la campagne. Commence alors un second film, plus étrange, charnel et mystique. La forêt puis une grotte permettent enfin d’accueillir la possibilité du désir d’Anu et de son jeune amant, tandis que Prabha entreprend sa lente reconstruction. D’abord isoléEs, les deux personnages se rejoignent en communion et incarnent une magnifique sororité. Un mur dressé, solidaire en réponse à la violence du monde qui les entoure. » (lesinrocks.com)

« À l’heure où une part effrayante de nos contemporains semblent vouloir faire le choix de l’isolement et de l’intolérance, l’Indienne Payal Kapadia nous rappelle, avec ce premier film couronné par le Grand Prix de Cannes, ce qu’il faut de persévérance pour garder espoir. Éloge de la douceur malgré tout.

L’espoir, comme la lumière, a ceci d’émouvant qu’il se glisse partout où on le laisse entrer, y compris les espaces les plus exigus, et colore jusqu’à notre façon d’appréhender notre environnement et ceux qui le peuplent. De l’espoir, Prabah et Anu, les deux infirmières de Mumbai (ex-Bombay), n’en manquent sans doute pas. La première, réservée, attend depuis la nuit des temps, sinon le retour, a minima des nouvelles de son mari parti travailler en Allemagne. Plus insouciante, sa colocataire, Anu, s’efforce avec plus ou moins de zèle de cacher l’amour clandestin qu’elle vit avec un garçon de confession musulmane, dans une société qui, aussi développée soit-elle, semble encore considérer les relations interconfessionnelles comme des engeances maléfiques. Elles accompagnent Parvaty, une troisième femme plus âgée et qui, pour le coup, semble avoir abandonné toute velléité de réussite après avoir été expulsée de son logement, et s’est ainsi résignée à retourner vivre dans sa province natale, épuisée de se battre contre une ville qui broie toutes celles et ceux qui ont le malheur de ralentir le pas. « On dit de Mumbai qu’elle est la ville de tous les possibles, philosophe Prabah au détour d’une des nombreuses voix off qui accompagnent les images de l’agitation urbaine. C’est surtout la ville des illusions. » Omniprésente pendant la première partie du film, la rumeur de la cité chronophage se fait grondement incessant, poussé par un montage dense et qui fait la part belle aux scènes de nuit, comme si, plus que dans une ville, c’était dans les wagons cahotants d’un train sans arrêt que les trois femmes se mouvaient. Recevant pour seule lettre d’amour d’Allemagne un robot ménager, Prabah s’accroche à l’autocuiseur muet, l’enlaçant avec une douceur qui donnerait vie aux objets les plus inertes.

C’est le point d’équilibre du film, son secret magique : d’éviter le misérabilisme en scrutant chaque étreinte, chaque sourire que s’accordent des personnages certes encerclés par les contraintes – morales, sociales, économiques – du monde moderne mais qui ne ne cèdent jamais tout à fait. Le cinéma sait cela mieux que tout, que la noirceur est aussi le plus beau moyen de mettre en valeur les instants de lumières. Persiennes humaines, nos héroïnes ouvriront toutes les portes, nous emportant avec elles dans une seconde partie buissonnière et gorgée d’un éclat qui frise le sublime, rappelant la sensualité des plus beaux films d’Apichatpong Weerasethakul, autre cinéaste alchimiste dont on sent toute l’influence poétique. Jeune réalisatrice, Payal Kapadia ne se laisse cependant jamais écraser par ses prédécesseurs, elle dont le female gaze agit comme un vêtement préservant ses héroïnes des caprices d’hommes que la caméra s’amuse à regarder avec une distance ironique. Isolés, désœuvrés, et voués à échouer, littéralement, aux pieds de leurs infirmières, les personnages masculins n’ont plus d’autre choix que de se faire spectateurs de la singulière beauté qui émane de ces femmes. Et nous-même de prendre leur exemple, rassérénés par la voluptueuse douceur de ce premier long-métrage plein de promesses. » (sofilm.fr)

« … All we imagine as light est une juxtaposition entre fiction et documentaire qui fabrique un film en forme de conte fiévreux aux contours vaporeux. Il aborde, grâce à son formidable trio d’héroïnes, la (re)découverte de soi, la (re)naissance du désir et celle du sentiment amoureux. Mené par la sibylline Prabha – interprétée par Kani Kusruti, actrice incandescente et véritable révélation du film – il s’articule autour de trois générations de femmes indiennes, toutes trois infirmières dans le même hôpital, qui créent une unité familiale par pure solidarité sororale au sein d’une Mumbai aux nombreux visages et en mouvement perpétuel. Activé par la réception d’un auto-cuiseur de riz rouge dernier cri, le récit sonde l’intériorité de nos héroïnes.

Pour Prabha, c’est la réactivation du désir entre l’esquisse amoureuse d’un collègue médecin poète et le souvenir lointain d’un mari expatrié en Europe. Pour Parvaty – l’aînée du trio – c’est le départ brutal d’une vie citadine pour cause de gentrification et le retour sur les plages de son village de jeunesse. Pour Anu, l’espiègle petite dernière, c’est la possibilité de vivre un amour interdit, interreligieux, à l’ombre des lourds regards de la société indienne traditionaliste. « Beaucoup du folklore de l’Inde de l’Ouest met en scène des femmes qui ne peuvent exprimer leurs désirs, le font par l’intermédiaire de fantômes. Le conte de mon film est plus contemporain, c’est comme un long rêve qui permet à Prabha d’exprimer les choses qu’elle veut dire à son mari ou lui entendre dire », dixit Kapadia. En politisant la notion d’amour et en filmant la vie des femmes citadines et émancipées, elle filme la transversalité d’une société indienne et son tissu social tout en contradictions où le mariage et l’honneur familial des femmes restent des enjeux de taille. C’est sous l’impulsion des questionnements de Prabha, personnage sévère à la bonté secrète et au sourire de Mona Lisa, que tout se reconnecte. En la soustrayant à son destin sacrificiel, Kapadia enclenche l’autre partie plus fantastique de son conte.

« Les gens l’appellent la cité des rêves. Pas moi. Pour moi, c’est la cité des illusions », assène la voix d’une passante dans la foule de Mumbai, capitale tentaculaire que filme Payal Kapadia. Aidée d’une caméra épaule flirtant avec des séquences documentaires, accompagnée d’une voix off organique qui personnifie la ville métropole, Kapadia consolide la portée politique de son récit en sondant les problématiques immobilières, capitalistes et classistes qui rongent la ville. Politiques dont nos héroïnes sont directement victimes… » (sorocine.com)

« Le cinéma indépendant indien est décidément florissant cette année : après « Santosh » et « Girls Will Be Girls » (dans lequel jouait aussi Kani Kusruti), voici donc « All We Imagine As Light ». Trois films, trois réalisatrices, trois premiers longs métrages de fiction, trois façons d’aborder la condition féminine en Inde. Et bel et bien trois regards différents, qui se complètent. Il n’est pas surprenant que ce film ouvertement féministe ait reçu le Grand Prix lors du dernier Festival de Cannes, de la part d’un jury présidé par Greta Gerwig.

À partir de l’utilisation équivoque du mot « Light » dans le titre, Payal Kapadia met en scène un film à la photo sombre où il faut s’accrocher aux espoirs lumineux, même s’ils peuvent sembler discrets. Lucide sur les droits des femmes indiennes mais refusant un strict pessimisme, « All We Imagine As Light » suit le parcours de trois femmes, et plus particulièrement de deux que tout semble opposer mais que les enjeux de liberté réunissent : l’une paraît accepter avec fatalité ce que la société attend d’elle, l’autre est bien décidée à vivre plus ou moins librement tout en restant cachée. Dans les deux cas, la pression sociale est étouffante.

Frontalement ou subtilement selon les aspects, la réalisatrice bouscule les codes et les normes de son pays. Dans la forme, elle agrémente son film de choix musicaux surprenants, utilisant tantôt les mélodies de piano à la fois douces et entêtantes de la compositrice éthiopienne Emahoy Tsegué-Maryam Guèbrou (et ce n’est pas un hasard car c’est une figure féministe) qui peuvent donner l’impression d’être transportés bien loin de Mumbai par la magie du son, tantôt la musique électronique planante créée par Topshe (notamment dans une fin qui peut apparaître comme un appel à la modernité). Mais le plus frappant, c’est la volonté manifeste de Payal Kapadia de briser les tabous du cinéma indien, en s’autorisant à montrer une poitrine nue, des baisers langoureux, une scène de sexe (certes soft mais érotique et centrée sur le plaisir du personnage féminin) ou encore une femme en train d’uriner (là aussi sans exhibition excessive, évidemment). Ainsi, réalisatrice et personnages partagent le même combat d’une irrésistible et nécessaire émancipation. » (abusdecine.com)

« … Tissé dans un mélange captivant de densité documentaire hyper réaliste et de fibre romantique mélodramatique bien dans la tradition du cinéma indien, All We Imagine as Light brille tout particulièrement dans ses deux premiers tiers urbains et nocturnes, Payal Kapadia faisant la démonstration de sa très fine capacité à distiller esthétiquement et narrativement les multiples éléments petits et épars du quotidien. Et si le passage à la lumière est, aussi agréable soit-il, plus artificiel avec surtout un final déroutant, la cinéaste n’en impose pas moins une griffe féministe hybride et personnelle pleine de charme et à très haut potentiel artistique. »(cineuropa.org)

« … Loin de l’Inde fantasmatique véhiculée par la propagande et peinturlurée par l’industrie de Bollywood, Kapadia trace sa route, et comme cela a fait du bien au public au sortir du covid, comme cela enrichit encore le cinéma indien de redécouvrir un film où la matière contrastée de l’engagement politique électrise toute la sensualité des échanges épistolaires entre des amants séparés ! Ou plutôt de découvrir comment l’espoir de la jeunesse cerne la voix d’une femme écrivant seule, se délestant peu à peu de son attente amoureuse, sachant que l’ultime rempart avant le désespoir est ce frôlement désespéré du langage, chaque lettre envoyée se confondant avec le délire. Dans Toute une nuit sans savoir, le style épistolaire préserve une amoureuse du néant alors qu’autour d’elle ses camarades s’essaient à la politique, et les lettres échangées deviennent une vaste zone érogène irradiée par la lutte.

De ce terreau d’éveil et de révolte sort maintenant un film d’une élégance rare, posé et subtil. All We Imagine as Light a la grâce de sublimer un point de vue documentaire (la ville, la mousson, la nuit) pour esquisser le triple portrait d’une solitude transparente et vivace. Mumbai, ville monstre, n’est pas tout à fait réelle mais pas tout à fait fictive non plus. Elle porte les couleurs de la saison des pluies, vaste métropole qui seule peut accueillir tant d’histoires, tant de tendresse et tant de violence. Lorsque le film s’ouvre sur ces vues documentaires, on entend des voix, de possibles histoires qui cherchent à se raconter, des trajectoires sur lesquelles le film aurait pu s’attarder, mais il choisit aussitôt une autre voie, celle de trois femmes qui mènent un quotidien plutôt terne : Prabha, Anu et Parvaty, toutes trois travaillant dans un grand hôpital citadin…

… All We Imagine as Light, premier film indien à obtenir le Grand Prix du jury à Cannes et marquant le retour de l’Inde dans le firmament cinéphile mondial, est peut-être le grand film de notre époque. Il parle de tout cela à la fois : d’amitié, de contraception, de la différence de religions, des enjeux des castes, de la gentrification des grandes villes, et surtout de la solitude contemporaine. Ses trois héroïnes, aussi différentes que complémentaires, disent le désir, l’amour, et l’amour après l’amour à leur façon..

… Il y a une dizaine d’années, l’Inde, pays patriarcal et autoritaire, engendrait ses propres gangs féminins d’autodéfense dans les milieux les plus précaires comme le Gulabi Gang. Des centaines de milliers de femmes des basses castes ont commencé à s’organiser en commandos pour se protéger mutuellement. Les personnages de Payal Kapadia ne sont assurément pas des cheffes de milice féministes, mais de modestes travailleuses qui apprennent à s’écouter et à se secourir. Leurs voix se superposent, tissant une toile de délicatesse et de solidarité. Alors, que les présences masculines soient réelles ou fantasmées, que l’amant soit bienveillant et que le noyé doive répondre de l’absence d’un mari, tout cela n’a plus d’importance pour le trio. Quant à nous, le film peut nous libérer du mensonge d’une fin abrupte, de l’insupportable vanité d’un cinéma qui clôt le récit par une solution. Il devient alors un espoir qui dure le temps de la beauté des images, mis en scène par la puissance de la douceur. » (en-attendant-nadeau.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.

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Entrée : Tarif adhérent: 6,5 €. Tarif non-adhérent 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


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