Andalucia



Samedi 19 mars 2016 à 20h30 – 14ième Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Alain Gomis  – Sénégal/France – 2007 – 1h30 – vostf

Du dribble de Pelé à la danse de Mohammed Ali sur le ring, Yacine voudrait ne retenir de la vie que des moments uniques. Dans son royaume – sa caravane, sa musique, ses héros – il est le maître du jeu. Mais voilà que Yacine rencontre par hasard Djibril, un ami d’enfance. Il se trouve alors confronté à ses origines, à sa cité, à ses frustrations, à ses désirs inassouvis… Alors Yacine s’en va. Il décide de repartir à zéro, sans bagages ni attaches..


En première partie, projection du court-métrage: Ahlem de Alessandra Pescetta (2014, Italie, 18′) en présence de la réalisatrice.

Ahlem et Victoria, deux adolescentes étrangères vivant en Sicile font du bénévolat pour un centre de réfugiés. « Quel est ton rêve aujourd’hui ? » se demandent-elles souvent. Un jour, Ahlem dévoile à Vicky l’origine de son nom.

Notre article

par Martin De Kerimel

Ahlem (Sogni):

L’histoire nous enseigne qu’à l’époque où ils ont donné vie au cinéma, les frères Lumière n’avaient pas encore pris conscience des potentialités artistiques de leur invention. Il y aurait mille livres à écrire, mille débats à mener, mille idées à partager, pour dire aujourd’hui l’importance et l’utilité de ce que nous appelons désormais, spontanément, le septième art. Mais si nous croyons si fort en lui, c’est sans doute, entre autres, parce qu’il raconte le monde. Le monde ou plutôt un monde, qu’il s’agisse d’une copie du nôtre, d’une nouvelle mouture fantasmée ou d’une improbable chimère tout à fait détachée de nos réalités…

Alessandra Pescetta l’expliquera probablement bien mieux que ses exégètes, mais il semble incontestable que, pour trouver la matière du court-métrage que nous vous présentons, elle a puisé dans la source intarissable de l’actualité. Et, quand d’autres préfèrent détourner le regard et ne plus penser, elle s’est intéressée au sort de ceux que nous avons pris l’habitude d’appeler des migrants. Elle nous propose de penser à eux, une vingtaine de minutes durant, mais aussi et surtout de nous intéresser également à ceux qui ont choisi de les aider. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs motivations ? S’imaginent-ils vraiment capables de changer quelque chose à une situation aussi tendue que complexe ? Nous vous laisserons le découvrir et y réfléchir. Notre modeste souhait, c’est que cela permette ensuite d’ouvrir une nouvelle discussion. L’occasion, par exemple, de nous demander en quoi, si concret soit-il, Ahlem est également une oeuvre de fiction. Comme de très nombreux autres travaux de cinéma, ce film s’est fait connaître grâce aux festivals. Parti d’Italie, il a fait du chemin, étant programmé en Finlande, en Suède, aux États-Unis, en Hongrie, en Pologne, en Corée du Sud, en Lituanie, en Croatie, en Russie, en Belgique ou en Australie. Il est aussi déjà passé à Nice, au cours d’Un Festival c’est trop court, l’événement de nos amis de l’association Héliotrope. Il y a d’ailleurs gagné un Prix spécial du jury. Autre récompense remarquée : une mention spéciale aux Rencontres Femmes Méditerranée de Marseille.

Notre histoire croisée et notre quotidien partagé nous rapprochent d’Ahlem et de ses rêves. L’imaginaire est une notion très importante, dans ce film – sa conclusion vous dira pourquoi. La force évocatrice et le lyrisme d’Alessandra Pescetta nous invitent à nous intéresser également à l’autre côté du rivage, là où les hommes et les femmes d’hier et d’aujourd’hui sont parfois poussés à l’exil. Ceux-là sont-ils si éloignés de nous, finalement ? Sommes-nous tous étrangers, quelque part ? Pouvons-nous retrouver en l’autre ce qui nous est commun ? Est-il vraiment nécessaire de faire de très gros efforts pour nous comprendre ? Pouvons-nous au contraire y arriver sans difficulté ? Comment la terre sur laquelle nous vivons influe-t-elle sur notre perception des choses ? Certaines de ces questions peuvent nourrir nos pensées devant ce court-métrage. Sa lecture du monde est évidemment partielle : il en appelle donc aussi à notre conscience, à nos ressentis, pour inventer le reste – ce qu’il ne dit pas et laisse dans l’ombre. Là où se logent tout à la fois nos peurs, nos envies et nos espérances.

Andalucia:

Qui suis-je ? Où cours-je ? Dans quel état j’erre ? Admettons-le : la boutade est un peu facile. Pourtant, elle pourrait être la triple maxime de Yacine, le héros d’Andalucia, film français d’inspirations multiples. Avant de vous le montrer, nous aimerions planter quelques éléments de décor. L’idée : vous préparer à être surpris – ce que nous espérons franchement.

Andalucia est un film français. S’il ne nous semble pas absurde de l’intégrer à la thématique « Exils » de notre Festival 2016, c’est aussi parce qu’il nous parle de ce qui peut exister ailleurs, à travers les yeux d’un personnage un peu lunaire, qui ne sait pas très bien qui il est exactement. Yacine, donc : ce Pierrot lunaire déambule dans les rues de Paris à la recherche d’une vérité qu’il n’a visiblement pas encore croisée – la sienne. Efficace dans son boulot quand il décide de travailler, notre homme enchaîne les contrats courts et ne se fixe nulle part. Il n’a que peu d’amis, ramène parfois une fille dans sa caravane, mais ne s’attache pas vraiment. Son passé est apparemment révolu, son présent assez flou, son avenir imprévisible. Quand il revient en arrière, il subit le rejet de ceux qu’il a quittés. Quand il essaye vaguement d’aller de l’avant, il ne sait pas trop quelle direction choisir. Est-ce pour cela qu’il a l’air perdu ? C’est possible. Il lui faudrait trouver un guide, chez les autres ou en lui-même. Problème : comme il n’a de cesse de le répéter à sa conseillère Pôle Emploi, il n’a pas envie non plus de rester au même endroit tout le temps…

Insensiblement d’abord, puis plus franchement par la suite, Andalucia relie donc la question de l’exil à celle de l’identité. Quand on le regarde, une question se pose : ce long-métrage étonnant contient-il quelque chose d’autobiographique ? Il est notable en tout cas qu’il vient d’un réalisateur lui-même enfant de cultures croisées : Alain Gomis est le fils d’une mère française et d’un père sénégalais. Né en 1972, il a étudié l’histoire de l’art et, ancien étudiant de la Sorbonne, y a obtenu une maîtrise d’études cinématographiques. S’il choisit d’interroger les questions d’identité, c’est peut-être aussi parce qu’il y a été confronté au cours de travaux antérieurs à sa vocation de cinéaste de fiction : ancien animateur d’ateliers vidéo pour la ville de Nanterre, il y a réalisé des reportages, en particulier sur les jeunes issus de l’immigration. L’Afrance, son tout premier long, avait pour personnage un Sénégalais venu faire des études dans notre pays, avec toutefois d’emblée l’intention de rentrer en Afrique sitôt son cursus terminé. Rien ne se passait ainsi et El Hadj Diop découvrait surtout… les centres de rétention de notre chère République. Pour le coup, il y a bien là un peu d’autobiographie. Alain Gomis soulignait en effet, lors de la sortie du film, qu’il s’était inspiré de l’expérience d’un membre de sa famille. Et d’expliquer sa volonté de parler d’une partie des exilés : ceux qui veulent absolument retourner chez eux, jusqu’alors restés tout à fait invisibles au cinéma, d’après lui.

L’homme est pétri d’influences diverses, depuis les cinéastes africains Djibril Diop Mambety et Mahamat-Saleh Haroun, jusqu’aux maîtres européens, Jean Vigo, Michelangelo Antonioni ou Andreï Tarkovski. Alain Gomis dit qu’il aime arpenter ce qu’il appelle des « territoires incertains » et des « univers flottants ».

Andalucia répond bien à cette définition. L’histoire ne dit donc pas s’il lui ressemble, mais la chose est entendue : pour faire de son film une quête intéressante, le réalisateur a su trouver le complice idéal, en la personne de Samir Guesmi. C’est bien simple : le comédien est absolument de toutes les scènes, comme scruté à la loupe. D’un bout à l’autre du métrage, la caméra lui colle aux basques et saisit toutes les expressions de son visage. L’occasion est belle de (re)découvrir un stakhanoviste du cinéma français : l’air de rien, l’artiste tourne depuis bientôt trente ans et, depuis son rôle ici, en a enchaîné 25 autres en une décennie seulement… sans compter les courts-métrages, le théâtre et la télévision ! Même si son nom ne vous dit rien, vous l’avez certainement déjà vu au détour d’une scène dans un autre long-métrage : son parcours artistique l’a entraîné vers des collaborations multiples, avec notamment Noémie Lvovsky, Agnès Jaoui et Sólveig Anspach, Alain Chabat et Arnaud Desplechin, Guillaume Canet et Bruno Podalydès. Un parcours des plus variés. Comment voit-il son personnage, pour ce qui est, paradoxalement, son premier grand rôle ? « Son essence, c’est une fêlure, un déséquilibre, une inadaptation, répondait-il fin 2007. Yacine a tous les sens éveillés, toutes les antennes dressées. Il est en alerte ». Samir Guesmi précisait toutefois qu’il n’est pas son alter ego. « Je ne suis pas l’archétype du bourgeois blanc auquel peuvent s’identifier les cinéastes, notait-il également, en 2012. C’est peut-être pour cela que les premiers rôles ne pleuvent pas. Avec un gars comme Alain Gomis, Français d’origine étrangère comme moi, et même si les raisons de notre entente sont complexes, il y a un endroit où l’on se rencontre ». Question(s) d’identité, toujours…

Á sa manière, et malgré son titre en trompe l’oeil, Andalucia parle donc aussi de la France contemporaine, de ses villes et banlieues, de ceux qui ont un toit et de ceux qui n’en ont pas. Ce faisant, il peut lui arriver de nous renvoyer à nos propres questionnements identitaires. Comment sommes-nous français ? Qu’avons-nous d’étranger ? De fait, aucune conclusion définitive n’est assénée : le déroulé du scénario, dans sa déconstruction même, nous invite plutôt à penser que chercher à se connaître vraiment est la meilleure manière de se libérer. Pour y parvenir, il n’y a pas ni cri, ni haine, ni réelle violence : une certaine forme de douceur poétique l’emporte et, bien aidée par la musique, dessine un récit insaisissable, qui correspond bien à l’air du temps, sans pourtant dresser l’inventaire de ce qui va et de ce qui ne va pas. Comme son héros, c’est en s’échappant vers d’autres horizons que le film finit par se révéler. Les choses sont-elles si simples ? L’exil serait-il salutaire ? Il n’est pas interdit de le penser. Vous en jugerez par vous-mêmes. Comme presque toujours avec le bon cinéma, il se peut qu’il y ait presque autant de ressentis et d’impressions… que de spectateurs dans la salle.

Sur le web

« Que signifie être aujourd’hui un fils d’immigré maghrébin en France ? Comment conquérir la dignité individuelle face à l’humiliation collective au quotidien ? Comment être à la fois français de plein droit et dépositaire d’une mémoire et d’une identité colonisées ? Comment vivre cette différence sans qu’elle soit diluée par l’intégration ni aliénée par le communautarisme ? Ces questions, dont l’actualité nous rappelle l’urgence, Andalucia, deuxième long-métrage d’Alain Gomis après L’Afrance (2001), les pose de la plus belle manière. En les laissant remonter à la surface plutôt qu’en les assénant frontalement, en signant un film qui tient davantage d’une incarnation poétique à la Artaud que d’un traité sociologique à la Bourdieu. » (Jacques Manelbaum/Le Monde)

Les premières scènes du film ont été tournées au coeur d’une cité réputée difficile d’Orléans, il y a deux ans, pendant les émeutes.  Samir Guesmi en parle: « C’était un bordel total ; on ne nous laissait pas tourner. Avec mon partenaire, Abdelhafid Metalsi, on disait notre dialogue et on s’arrêtait dès que ça gueulait trop dehors. Du coup ça créait une tension en plus. » Le film a été tourné en HD au lieu du classique 35mm, le réalisateur explique son choix: « Je voulais être plus libre et pouvoir faire plus de prises que le 35 me l’aurait permis. Et puis la question était : est-ce qu’on arriverait à donner de la matière à la HD parce que l’image est nette partout ? Il faut donc travailler les espaces en fonction, ou bien jouer de cette platitude (…) On avait pas mal d’appréhension, mais je crois qu’on a pris beaucoup de plaisir.« 

Samir Guesmi et  Alain Gomis se sont rencontrés sur le tournage du premier film de ce dernier: {{L’Afrance}}. L’acteur y tenait un petit rôle et tous deux sont devenus très amis. C’est en pensant à lui que le réalisateur a écrit le personnage de Yacine. « En voyant les peintures de Greco, j’ai vu Yacine. Il y a une étrange ressemblance physique, mais aussi une ressemblance dans l’élan, dans une volonté du corps de s’échapper à lui-même. Yacine a existé ailleurs. On peut faire cette expérience parfois de tomber sur une personne à des milliers de kilomètres, et cette personne, on la connaît sans avoir besoin de lui parler. On a le sentiment d’avoir un accès direct à elle, donc c’est gênant, on est un peu à poil. Ce qui se passe avec Yacine est de cet ordre : il y a quelque chose de lui qui a existé et qui du coup le débarrasse de son incarnation, quelque chose le soulage. Le film est sur le resserrement et l’élargissement, sur le besoin d’exister en un point, de se circonscrire à un endroit, d’être son contour, mais finalement dans le seul but de l’exploser.« 

« C’est un drôle de sentiment que celui d’habiter son corps, comme une maison. Chacun sa carcasse à trimbaler. On fait de son mieux, mais c’est parfois lourd à porter un corps. Et puis il a une histoire, ce corps. Des regards qui le jaugent, le classent, le placent sur une échelle…Et puis des blessures, des frustrations marquées dans sa chair…et le désir d’être unique. Yacine est un héros, il a la force et le courage de plonger, là où les autres restent attachés à eux-mêmes. Yacine entame une marche vers son centre, vers la limite entre lui et les autres. Il y a là un trait d’union, un petit pont qui donne le vertige. Andalucia raconte l’histoire de la dissolution du corps de Yacine, son évaporation. Quelque chose qui plane au dessus de la tête, qu’on essaye d’attraper et qui parfois s’échappe. Comme une chanson tzigane, un chant soufi, une danse de derviches, Andalucia tourne et nous emmène, comme une invitation au rêve, une volonté lyrique, une aspiration vers les étoiles. Détachons nous de notre carcasse. » (Notes du réalisateur)

« Yacine est né en France. Yacine est né étranger. Français, mais étranger. Il a grandi dans un pays où d’un côté les autochtones se considéraient comme accueillants, et les « accueillis » se considéraient comme victimes. Dans un pays où les étrangers viennent de pays anciennement colonisés, où la colonisation est considérée comme mauvaise, mais pas tant que ça, et où l’on n’admet pas sa culpabilité. A l’instant où on s’admettrait coupable, il faudrait les considérer, ces étrangers, comme les enfants légitimes et entiers de ce pays, acceptant ainsi que la population a changée, même en partie, il faudrait adapter le cadre du pays à sa nouvelle identité. Mais ceci n’a jamais eu lieu.. Et nous devons toujours nous intégrer, jusqu’à ne différer des autres français que par notre couleur de peau. Il se dit que nous mettons en péril l’identité même du Français, sa culture, son esprit, sa civilisation. La république est mise à l’épreuve, forcée… La France doit résister, sinon elle se perdra, et elle disparaîtra. Et « on » devient « ils ». Et « ils » doivent se protéger alors que « nous » devons admettre être des barbares civilisés par ce pays qui a été bien gentil d’accueillir nos parents. » (Notes du réalisateur)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Martin De Kerimel

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