Dimanche 04 Mai 2008 à 20h – 6ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Jane Campion – Nouvelle Zélande – 1990 – 2h40 – vostf
L’évocation de la vie de Janet Frame à travers l’adaptation de ses trois autobiographies To the Is-land, An angel at my table et The Envoy from Mirror City. Cette femme, issue du milieu ouvrier, fut internée pendant sept ans et dut sa libération à la notoriété que lui apportèrent ses récits.
Notre critique
Par Bruno Precioso
Contexte du film
Un ange à ma table , sans doute son premier titre à passer les frontières de la Nouvelle-Zélande, précède de trois ans La Leçon de piano, probablement le plus grand succès international de Jane Campion. Pourtant, ce film surgit dans une œuvre déjà fournie : 2ème long-métrage de sa carrière cinématographique, il est précédé de courts métrages, d’un premier film bien accueilli en Nouvelle-Zélande et dont un public européen déjà nombreux s’est emparé depuis le Festival de Cannes 1989 (Sweetie), et de plusieurs réalisations pour la télévision (tels que Two Friends). Jane Campion vient du milieu théâtral en Nouvelle-Zélande, puis a suivi des cours à l’Australian Film Television and Radio School de Sidney, lorsqu’elle choisit de se consacrer au cinéma. Dès son premier court-métrage, Peel, écrit et réalisé en 1982, elle remporte le Prix de la spécialité au Festival de Cannes. Ses courts-métrages suivants seront d’ailleurs tous primés. C’est donc une réalisatrice à la fois aguerrie et pourtant neuve dans ce format d’exercice qui tourne en 1990, à 36 ans, Un ange à ma table. Tiré d’une série de trois moyens-métrages tournés pour la télévision néo-zélandaise et sortis également en 1990, le film, sans que le précédent de Sweetie permette de s’y attendre, connait une notoriété nationale, puis mondiale. Si le film n’eut pas le triomphe fulgurant de la Leçon de piano, Palme d’Or à Cannes en 1993, il obtint de nombreuses récompenses, parmi lesquelles le Grand Prix spécial du Jury à Venise, ou le prix FIPRESCI à Toronto.
De Janet à Jane
Cette adaptation assez fidèle de trois nouvelles autobiographiques de Janet Frame, s’attaque à l’un des monuments, à l’un des plus célèbres écrivains néo-zélandais. Le parcours de la romancière procure à la réalisatrice un matériau romanesque de premier ordre : Janet Frame naît en 1924 dans une famille ouvrière de cinq enfants ; son goût pour la littérature l’oriente vers une carrière d’écrivain, et plus particulièrement de poète, qu’elle remet d’abord sous la pression familiale pour embrasser l’enseignement – auquel elle renonce finalement. Les années 40, marquées par un double drame, la conduisent à basculer dans un univers qu’elle n’attendait pas et ignorait absolument, et dans lequel elle se métamorphose irrémédiablement. Le succès de son premier recueil de nouvelles, Le Lagon et autres histoires (1951), la sauve probablement de cet enfermement dans un univers sans issue. Toute son œuvre par la suite reflète à la fois la nécessité d’une respiration à l’extérieur de sa chère terre de Nouvelle-Zélande, et la volonté de décrire au plus près sa douloureuse expérience. Dès lors, Janet Frame ne cesse plus d’écrire : elle achève son premier roman, Les Hiboux pleurent vraiment, qui paraît en 1957 (publié en France en 1984 chez Alinéa sous le titre La Chambre close). Ses voyages (en Europe notamment), ses rencontres l’encouragent à persévérer dans l’écriture pour aboutir au très impressionnant Visages noyés, paru en 1961, roman qui précipite le lecteur au cœur du vécu tragique de Janet Frame entre 1945 et 1952. Ce n’est qu’à son retour en Nouvelle-Zélande, en 1963, et après la rédaction de plusieurs romans dans les années 60 et 70, que Janet Frame entreprend d’écrire son autobiographie, Un ange à ma table. Les trois volets, Ma terre mon île, Un été à Willowglen (paru en France sous le titre Parmi les buissons de matagouri) et Le Messager, fournissent donc à Jane Campion la matière de son film éponyme. C’est en partie par ce film que l’œuvre de Janet Frame acquiert la renommée internationale dont elle jouit aujourd’hui. La romancière, après cet ouvrage majeur, ne quitte presque plus la Nouvelle-Zélande et laisse une œuvre qui compte onze romans, cinq recueils de nouvelles, un recueil de poèmes et un livre pour enfants. Elle met un terme à sa carrière d’écrivain en 1988 avec The Carpathians, (inédit en France). Son parcours lui aura valu la reconnaissance des milieux littéraires qui la proposent (sans succès) pour le prix Nobel de littérature en 2003. Janet Frame meurt d’une leucémie à Dunedin le 29 janvier 2004.
Un film littéraire ?
On est frappé dans le film par la qualité et la finesse des portraits de femmes dus au travail de Jane Campion. Rien d’étonnant, quand on se souvient qu’elle est la première réalisatrice à recevoir à Cannes la Palme d’Or en 1993 pour La Leçon de piano. Le choix de mettre en scène des personnages féminins ‘‘en marge’’ est en quelque sorte le fil rouge de l’œuvre de Jane Campion. Cependant, la collaboration serrée de Janet Frame à la réalisation n’est pas étrangère à tant de justesse, et si l’écrivain insiste sur le caractère profondément vivant et personnel de ces visages féminins dans son œuvre, son regard a largement contribué à les incarner, à les éloigner de visages fictionnels. Le film de Jane Campion se distingue par une volonté constante de respecter la nature éminemment littéraire de l’œuvre dont il s’inspire. La structure même du film (voix off, intertitres) rappelle l’origine littéraire du scénario, sans pour autant diluer le caractère cinématographique de l’œuvre ni aboutir à un découpage artificiel du film. Le casting, en particulier pour la première époque du film (où les enfants acteurs tiennent toute la place à l’écran) représenta l’une des difficultés les plus manifestes et le travail le plus dévoreur de temps dans la préparation du film, et les préparatifs de Campion.
Incarner une enfant trop rousse, trop pauvre, trop timide, condamnée à l’incompréhension et à l’isolement pouvait aisément aboutir à des rôles décevants. Pourtant, les choix d’acteurs et de direction assumés par Jane Campion restituent avec force les trois incarnations successives de Janet Frame aux trois âges de sa vie (on remarquera en particulier la performance de Kerry Fox, qui interprète Janet adulte). Ils permettent par ailleurs d’éclairer certains thèmes chers aux deux femmes, puisque Jane Campion retrouve en Janet Frame au moins deux de ses préoccupations majeures : la représentation de l’artiste sincèrement vouée au service de son art – et ses relations souvent difficiles avec la société de son temps ; la perception proprement charnelle, identique chez les deux femmes, de la présence de leur terre natale. Ce dernier thème est peut-être la signature la plus évidemment reconnaissable de Jane Campion. La cinéaste, dont les premières amours artistiques étaient faites de peinture (origine d’une sensibilité aux couleurs et aux lumières qui parcourt son œuvre), s’attache à donner à la mer, à la nature (notamment végétale), aux manifestations de l’espace une réalité organique. D’où aussi une certaine difficulté à trouver sa place en dehors de cette terre originelle, malgré le besoin de voyager. Le travail effectué en la matière par Stuart Dryburgh à la photo fut spécialement important (d’ailleurs reconnu), et inaugura à partir d’Un ange à ma table une collaboration au long cours avec Jane Campion.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
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