Vendredi 12 juin 2009 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Henri Duparc – Côte d’Ivoire – 1988 – 1h31 – vostf
Demi-Dieu, ainsi se nomme-il lui même car seul maître après Dieu dans le village, décide pour harmoniser chaque jour de la semaine de prendre une sixième femme. Il garde le septième jour pour le repos ou la récompense de la meilleure d’entre elles. Mais voilà que la nouvelle épouse, Binta, arrive de la ville !
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Avec Bal Poussière, son troisième long-métrage,Henri Duparc rencontre son premier grand succès public tant en Afrique qu’en France. C’est le type même de la comédie qui aborde, l’air de ne pas y toucher, des sujets graves et qui amène le public à la réflexion par la dérision et les éclats de rire.
Henri Duparc se situe volontiers à contre-courant du cinéma d’auteur de bon nombre de réalisateurs africains dont les films ne sont presque pas vus en dehors des festivals internationaux. Pour lui, « un film n’existe que par son public ». Et ce qui compte, c’est de faire des films où les spectateurs peuvent se reconnaître, où ils savent exactement de quoi il retourne, où leur adhésion est immédiate.
Un style narratif simple et direct et des sujets solidement ancrés dans le vécu de tout un chacun, voilà les ingrédients qui font mouche et qui sont au cœur de Bal Poussière. De plus, et c’est là un deuxième élément qui le différencie de la plupart de ses collègues, Henri Duparc refuse systématiquement de se situer du côté du drame. Quelque soit la gravité, voire le tragique de la situation – et l’histoire de l’Afrique peut très certainement se lire comme une suite sans fin de calamités -, l’heure n’est ni à la plainte, ni à la dénonciation, encore moins à la mythification du paradis perdu de l’Afrique originelle. Le cinéma d’Henri Duparc nous parle d’aujourd’hui et de maintenant, sans faux-semblants ni faux-fuyants. En abordant tous les sujets qui font mal : l’excision ( L’herbe sauvage 1977, ) la polygamie (Bal Poussière 1988 ), la prostitution et le SIDA (Rue Princesse 1994) ou encore l’émigration ( Une couleur café 1997 et Caramel 2004).
Sujets souvent tabous que l’humour permet d’aborder en désamorçant en amont les préjugés du spectateur moyen. Bal poussière est à ce titre l’un des films les plus représentatifs d’Henri Duparc. D’abord parce qu’il se situe d’emblée du côté des femmes. Mariage forcé ou polygamie, le film fustige, avec malice, mais sans équivoque, ces deux institutions qui font de la femme une éternelle mineure. Ses héroïnes ne sont pas pour autant des militantes du MLF. Elles ont elles aussi leurs contradictions et leurs faiblesses. Mais, il est clair que c’est par elles que la société peut évoluer. En Afrique comme ailleurs, « la femme est l’avenir de l’homme ». Notre héros en revanche fait l’objet de toutes les moqueries. À commencer par son surnom de « Demi-Dieu » qui résume à lui seul le statut, l’image de soi et surtout l’ironie des villageois qui ne sont pas dupes. Ce personnage incarne tous les travers du machisme à l’africaine. L’homme cumule tous les pouvoirs et vit en patriarche à qui tout est dû. Sa main-mise sur le village et les villageois qui travaillent pour lui est le pendant de sa toute-puissance à l’égard de ses femmes qui dépendent de lui. Favoritisme, arbitraire, domination, il applique les mêmes recettes dans les deux cas. Ce type de situation – oh combien courante- permet au réalisateur de développer son plaidoyer en faveur de l’éducation des filles, condition sine qua non à leur émancipation future et de leur éventuelle indépendance économique.
Les acteurs chez Henri Duparc sont souvent des non-professionnels et quelques fois, ils donnent hélas le sentiment de s’appliquer à réciter leurs lignes… Mais, curieusement, cette moindre qualité du jeu d’acteur qui serait rédhibitoire à peu près partout ailleurs, ajoute au cocasse du film. Il faut dire qu’ Henri Duparc filme ses acteurs, et encore plus ses actrices, avec une gourmandise évidente. Et le spectateur se prend volontiers au jeu. La musique, très présente et très dansante, apporte elle aussi une tonalité joyeuse au film. Les seuls moments où l’on passe à une « musique de film » plus sérieuse et plus ou moins occidentale accentuent encore le burlesque, voire le grotesque des scènes où Demi-Dieu se prend lui toujours très au sérieux…. Et les couleurs elles-mêmes apportent du rythme avec les tenues des femmes, toujours chatoyantes, qui juxtaposent en permanence et avec une évidence impensable ailleurs les tonalités et les motifs les plus improbables aux yeux du spectateur occidental. Le réalisateur a construit son film par saynètes successives où chacune ajoute à la précédente et contribue au rythme du film qui va crescendo. De la querelle des Anciennes et des Modernes, qui se traduit ici par l’affrontement entre les Pagneuses et les Robeuses et la transformation du métier de tailleur en robeur, à la scène de la nuit de noces, Henri Duparc nous régale de mots d’esprit et de répliques qui font mouche. Et le « belote/re belote » de Bal Poussière mériterait d’être aussi célèbre que le «Tu me fends le cœur» de Pagnol dans une partie de cartes plus traditionnelle.
La fin du film elle-même est double. D’un côté Binta part avec son amoureux, loin des contraintes de la vie de 6ème épouse de Demi-Dieu et c’est le happy end attendu, que certains n’hésiteraient sans doute pas à qualifier de téléphoné… Mais, le film ne s’arrête pas là. Dans la foulée, la dernière scène où la jeune fille réajuste son pagne devant un Demi-Dieu toujours aussi concupiscent nous parle sans l’ombre d’un doute d’une répétition annoncée où la force d’inertie perpétue l’aliénation des unes et des autres. Une fois encore le film est moins léger qu’il n’y paraît à première vue. Nous ne sommes plus du tout dans le happy end et le spectateur est ramené vers la dure réalité du village, et des relations hommes /femmes qui n’évoluent pas si facilement que ça. Comédie donc, de part en part, mais sans la moindre petite goutte d’eau de rose. C’est ce qui fait tout le charme de ce Bal Poussière.
Sur le web
Réalisé en 1988, Bal poussière est l’un des longs métrages d’Afrique qui a le mieux fonctionné lors de sa sortie. A titre d’exemple, il a généré 300 000 entrées sur le territoire français. Abordée sous le ton d’une comédie légère, la thématique de Bal poussière n’en est pas moins grave : il s’agit en fait d’un film » féministe » qui s’attache à ridiculiser les hommes avec humour et tendresse.
Binta, incarnée par Hanny Tchelley, est une jeune ivoirienne délurée venue à Abidjan poursuivre ses études. Là, elle s’est amourachée d’un musicien qui est loin d’emporter l’adhésion de son oncle et de sa tante, lesquels, de crainte qu’elle ne soit » enceintée « , décident de la réexpédier dare-dare dans son village d’origine. Au village, l’homme le plus aisé est surnommé « Demi Dieu « , car après le Tout Puissant, c’est lui qui règne sur place. Ce patriarche polygame (il a déjà cinq épouses) est immédiatement séduit par la fraîcheur insolente de la jeune femme au franc-parler. Il demande sa main à ses parents, mais Binta ne l’entend pas de cette oreille et refuse d’être considérée comme une marchandise. Elle décide finalement d’accepter la proposition de » Demi-Dieu « , amusée par le personnage. On assiste alors à une scène hilarante pendant laquelle le futur mari annonce à ses cinq coépouses son intention d’en ajouter une sixième et d’accorder ainsi à la meilleure de la semaine le privilège de passer la nuit du dimanche en sa compagnie.
Mais Binta va perturber l’ordre de la maisonnée avec sa conception citadine et émancipée des rapports hommes femmes. Elle créé alors deux clans : celui des » pagneuses » (les épouses les plus âgées de son mari) et celui des » robeuses « , auquel elle appartient. Toutes les femmes du village adhèrent à cette répartition : il n’y a désormais plus de tailleurs, mais des » pagneurs » conservateurs et des » robeurs » évolués. Car c’est bien une opposition humoristique entre une tradition misogyne et un avenir incertain mais égalitaire que le cinéaste dépeint dans Bal poussière. Petit à petit, » Demi Dieu » voit son aura s’étioler, victime de la rivalité entre ses coépouses. Le point d’orgue de l’antagonisme féminin sera dénoué lors d’une soirée dansante, le fameux » bal poussière « , organisé sur la place du village. C’est là que » Demi Dieu » surprendra Binta en train de fricoter avec son amant venu d’Abidjan animer la fête. _ A la fin du film, l’héroïne choisit de suivre l’homme qu’elle aime, préférant l’amour à la sécurité matérielle.
Avec Bal poussière, Henri Duparc est arrivé à mettre en scène la contestation sans didactisme aucun et c’est ce que nous apprécions chez ce cinéaste.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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