Les bêtes du sud sauvage



Vendredi 25 Janvier 2013 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Benh Zeitlin – USA – 2012 – 1h32 – vostf

Le film sera précédée du court-métrage Le Portail de Lam Engle (France, 2009, 14′)

Hushpuppy, 6 ans, vit dans le bayou avec son père. Brusquement, la nature s’emballe, la température monte, les glaciers fondent, libérant une armée d’aurochs. Avec la montée des eaux, l’irruption des aurochs et la santé de son père qui décline, Hushpuppy décide de partir à la recherche de sa mère disparue.

Notre article

Par Bruno Precioso

« Si vous n’y prenez pas garde, les journaux finiront par vous faire haïr les opprimés et adorer les oppresseurs. »  (Malcolm X)

Avant même sa sortie aux Etats-Unis le 27 juin 2012, le premier long métrage de Benh Zeitlin n’a cessé de recueillir tous les suffrages : 16 récompenses cumulées aux Etats-Unis après le prix du festival de Sundance qui a ouvert le bal en janvier 2012, deux à Deauville, quatre à Cannes avant Londres, Stockholm… et quatre nominations pour les oscars 2013. Un incontestable coup de maître pour ce coup d’essai de Zeitlin, cinéaste ‘‘débutant’’ né dans le Queens en 1982 épris de cinéma depuis toujours semble-t-il : après avoir participé à la fondation du collectif artistique de production Court 13 en 2004, il produit 3 courts entre 2005 et 2008 dans l’esprit de cette association très libre d’artistes amis dans laquelle chaque collaborateur a l’espace d’influer aussi largement qu’il le souhaite sur une création que Benh Zeitlin n’envisage que comme le fruit d’une intelligence collective. Arrivé à la Nouvelle Orléans en 2006, 8 mois  après les ravages de Katrina, en quête d’un lieu pour tourner son 3ème court Glory at sea, Benh Zeitlin se trouve spontanément intégré à une famille de figurants bénévoles, d’acteurs improvisés, de voisins qu’il ne quittera finalement plus. C’est pour prolonger le partage vécu lors de ce court qu’il se lance dans l’aventure des Bêtes du sud sauvage, déménage en Louisiane, et y vit depuis.

Le long métrage est bien entendu plus lent à émerger notamment pour des questions de moyens, sans pour autant remettre en cause l’esprit collectiviste et bricoleur. Les effets spéciaux sont de véritables acrobaties potaches utilisant les moyens du bord, et toute hiérarchie est rigoureusement bannie : la jeune actrice principale (Quvenzhané Wallis, 9 ans aujourd’hui, 6 au début du tournage) découverte presque par hasard au terme d’une longue et infructueuse campagne de castings, modifie entièrement son texte à mesure du tournage ; Dwight Henry qui interprète son père Wink, boulanger dans le quartier de Zeitlin, est non-professionnel comme tous les acteurs du film. Le script et les dialogues n’ont cessé d’être réécrits pour tenir compte des remarques et de la personnalité de chacun des acteurs. Le scénario emprunte à Juicy and delicious, pièce de théâtre de Lucy Alibar, une amie d’enfance devenue donc co-scénariste des Bêtes.

Un univers fragile

Le tournage commence le 20 avril 2010, jour même de l’explosion de la plateforme Deepwater Horizon de BP, et l’équipe de tournage vit dès lors une sorte de contre-la-montre dans la ville la plus proche de la plateforme, filmant en franchissant quotidiennement les barrières de protection avant l’arrivée de la marée noire. On en eût à bon droit conçu une angoisse écologique, mais cette préoccupation nourrit le projet dès le début de son écriture.

Ce film foisonnant, parcouru par de multiples problématiques, est en effet largement dominé par des inquiétudes environnementales qui vont bien au-delà du symbolique ou du mythique. L’Isle de Jean-Charles est un espace concrètement vécu par Zeitlin comme un monde qui sombre, et concentre tous les motifs du naufrage qui l’anime : une île de 16 km de long en 1960 réduite à 5km aujourd’hui, dont les habitants véritables résistants culturels, amérindiens parlant français, sont décimés et acculturés au même rythme que leur terre s’effrite. A ce naufrage d’une terre, de multiples causes : la montée des eaux certes, mais aussi la découverte de pétrole dans les fonds de  la baie, la complicité de l’Etat avec une industrie destructrice de l’environnement contre une communauté humaine lancée dans une interminable bataille de tribunaux. C’est que Benh Zeitlin ne s’intéresse pas à la sauvegarde d’une faune ou d’une flore menacées, ni même plus largement à une réflexion sur les équilibres dans un éco-système fragile ; c’est un univers de cohérence qui est menacé, où les hommes ont un statut proche de celui de n’importe quel autre occupant animal, où il s’agit de préserver des paysages, des histoires, une culture en somme.Dès la réalisation de Glory to the sea, Zeitlin voulait en tournant s’interroger sur la façon de réagir face à une telle condamnation à mort d’un univers, et investit la subjectivité du regard de son héroïne, gamine rêveuse et revêche, comme instance de résistance face à la fin du monde – la fin d’un monde, au moins. Loin de construire un discours rationnel linéaire, chaque élément du film, plutôt que de faire avancer une intrigue réduite à peau de chagrin (comme dans toute grande quête), participe d’un élan qui se montre en entier, à travers l’univers et ceux qui le peuplent. Le père va bientôt disparaître, à l’image du monde qui les entoure. Une terre qui s’effrite et s’effondre, ravagée par les ouragans, les marées noires, le réchauffement climatique et la montée des eaux. Car Zeitlin, fils de spécialistes du folklore américain, ne peut distinguer la terre de ses habitants, leurs rites et leur rapport à la catastrophe qui s’annonce. Le cinéaste adopté par les Louisianais avoue volontiers être tombé amoureux des gens « parce qu’il y a là-bas une liberté liée à l’abandon et à la pauvreté. C’est très unique, et c’est particulier à cet endroit où l’eau et la terre se mêlent… tout le monde dans le bayou a du courage et une immense fierté pour son territoire. » En terrain connu avec le roman apocalyptique américain, face à une Nouvelle-Orléans qui est une promesse : la vraie ville porte le destin de devoir être envahie par les eaux. Les Bêtes sont une sorte de recréation, de musée imaginaire, donnant à voir une communauté de pauvres (majoritairement blancs) qui vivent en harmonie dans une relation primaire avec la nature. Evidemment cette construction ne colle pas à la réalité de l’exclusion sociale de la « vraie Louisiane », mais Les Bêtes du sud sauvage est du côté de l’imaginaire. La mise en scène l’indique lors de séquences oniriques qui matérialisent des fantasmes de petite fille et ses peurs enfantines, symbolisées par ces aurochs qui figurent également les funestes augures pesant sur le rêve fragile d’Hushpuppy. Ce prénom qui désigne une spécialité locale culinaire, pose d’emblée l’idée qu’elle est réduite au silence, et qu’elle est dans une forme d’animalité (traduction littérale de « chuchoter » et de « chiot »). La forme évoque la création d’un monde sauvage… ou plus exactement la recréation d’un monde caché que les digues humaines des adultes ne peuvent plus contenir – et amène d’ailleurs à se demander qui, des hommes ou des animaux  sont les bêtes. L’œil de la caméra, presque toujours située à hauteur d’enfant, pose un regard intérieur, tendre sur cet univers de conte dit par une enfant.

Un poème et un conte

Un conte, oui, porté par une envie de raconter des choses fabuleuses ; mais pas un conte de fées. Les créatures surnaturelles n’existent que dans l’économie du récit enfantin où des héros folkloriques se confrontent à des événements extraordinaires. Le cinéaste filme le fantastique… c’est que Les Bêtes du sud sauvage est envisagé à travers le regard d’une petite fille de 6 ans, qui perçoit une réalité sans barrières, et respecter sa vision de la réalité suppose de ne dissocier pas le réel du fantasme. Si Hushpuppy croit quelque chose, c’est que c’est la réalité. Il ne s’agit nullement de la traversée d’une série de désastres (logique d’adulte raisonnable) mais avant tout d’une aventure mythique, au cours de laquelle le partage des perceptions importe d’abord. Presque chaque scène est frappée au coin de cette connivence avec le regard d’Hushpuppy : tandis que son taudis s’enflamme, elle trouve refuge sous un carton, d’où elle dessine, avec un bout de charbon, son histoire, “pour que dans un million d’années, les scientifiques puissent la retrouver et la raconter aux enfants”.

Un carton contre les flammes, du charbon contre l’oubli… Cette équation résume la fragile magie du film. Elle naît des mots, des soliloques d’une petite fille, beaux comme des prières ou des prophéties. Elle naît aussi d’une mise en scène pleine de spontanéité et de fougue, qui crée un élan, une folie, une envie de transcendance. Elle naît enfin d’une trame narrative ultra-minimaliste qui permet de privilégier l’atmosphère, la picturalité, le geste artistique. Les influences de ce jeune cinéaste sont bien entendu nombreuses, évidentes parfois, on pense à Terence Malik et Alice au pays des merveilles, à Tim Burton et Moby Dick, à Kusturica et Peter Pan… mais on eût pu craindre patronage moins ambitieux pour un premier film. Car Benh Zeitlin porte une ambition élevée et mesurée tout à la fois. « Je tenais à ce que Les Bêtes du sud sauvage soit un film populaire, un film qui puisse être vu par tous. Comme un Disney des années 1970. L’histoire devait être fidèle à la poésie et au lyrisme de l’enfance incarnée par Hushpuppy, et exprimer de manière organique l’imaginaire du personnage. Malgré les aspects non conventionnels des Bêtes du sud sauvage, je voulais véritablement réaliser un conte folk. (…) J’espère très sincèrement que les projets individuels des membres de l’équipe révèlent tout l’amour et le soin qu’ils y ont apporté. Car les créateurs sans passion produisent des objets sans âme. »

Sur le web

Les Bêtes du sud sauvage est le premier long métrage de Benh Zeitlin. Ce natif du Queens (New York) n’avait jusqu’à présent réalisé que des courts métrages (Egg, The Origins of Electricity et Glory at Sea). Les Bêtes du sud sauvage est adapté d’une pièce écrite par Lucy Alibar, « Juicy and Delicious« . Le réalisateur du film, Benh Zeitlin, est d’ailleurs un ami de la dramaturge. Il a toujours souhaité écrire un court métrage à partir de l’une de ses pièces. Ce projet a finalement donné naissance à un long métrage, co-scénarisé par Lucy Alibar elle-même.

Benh Zeitlin a tenu à tourner Les Bêtes du sud sauvage en Louisiane du Sud, région qu’il connaît bien et qu’il apprécie particulièrement : J’y suis venu pour une visite qui devait durer deux mois. C’était il y a six ans, et je n’ai toujours pas l’intention de repartir. C’est ici que se trouve le berceau d’une espèce en voie de disparition : celle des gens les plus opiniâtres que je connaisse en Amérique. La région où vivent les personnages du film, le « bathub », a été créé de toutes pièces en regroupant les différentes spécialités culturelles du sud de la Louisiane. Le tournage a débuté le 20 avril 2010, le jour où la plateforme BP a explosé, causant une énorme marée noire. L’incident a eu lieu à une centaine de kilomètres au sud-est de l’endroit où Les Bêtes du sud sauvage a été tourné.

Les deux acteurs principaux du film ont été choisis de manière originale : Dwight Henry travaillait dans une boulangerie qui se trouvait à côté des bureaux de la production et Quvenzhané Wallis était inscrite à l’école primaire du quartier. Ils n’avaient jamais joué auparavant. Avant de choisir Quvenzhané Wallis, plus de 4 000 petites filles ont passé le casting pour obtenir le rôle de Hushpuppy.

Même si certains éléments fantastiques apparaissent dans le film, le cinéaste n’envisage pas cette histoire comme un véritable conte de fées : Si des moments paraissent fantastiques, c’est que Les Bêtes du sud sauvage est envisagé à travers le regard d’une petite fille de 6 ans, qui perçoit une réalité sans barrières, et je voulais respecter sa vision de la réalité en ne dissociant pas ce qui était réel du fantasme, explique Benh Zeitlin.

Les Bêtes du sud sauvage a été présenté à de nombreux festivals, dont celui de Sundance où il remporté le Grand Prix du Jury, ainsi que le Prix de la Meilleure photographie pour Ben Richardson. Benh Zeitlin est aussi passé par la sélection « Un Certain Regard » du Festival de Cannes et en est reparti avec la Caméra d’or, qui récompense les premiers films, ainsi qu’avec le prix Regard Jeune, le prix FIPRESCI et celui du Jury œcuménique.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.

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