
Vendredi 17 Janvier 2025 à 20h
Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Ghassan Salhab, Liban, 1998, 1h56, vostf
Après dix ans d’absence, Khalil retourne au Liban à la fin des années quatre-vingt. Son retour à Beyrouth sème l’émoi, le doute et la colère chez sa famille, ses amis et ses compagnons de lutte. Ce retour provoque également une réflexion sur la vie, la guerre, la mort, l’identité.
Après avoir grandi au Sénégal, Ghassan Salhab s’installe en 1970 avec sa famille au Liban. En 1975, il vient poursuivre ses études à Paris. Depuis, il vit entre Paris et Beyrouth. Dès 1991, Ghassan réalise de nombreux courts métrages parmi lesquels Après la mort (1991), Afrique fantôme (1994), La Rose de Personne (1998) ou encore De la Séduction (1999). Très attaché à la ville de Beyrouth, il met en scène deux drames qui se déroule en son sein : Beyrouth fantôme (1998), qui obtient le Prix de la Meilleure Bande Son au Festival des Trois Continents à Nantes, et Terra incognita, sélectionné dans la section « Un Certain Regard » au Festival de Cannes 2002. Il a également réalisé Le Dernier Homme (2005), 1958 (2009), La Montagne (2011), La Vallée (2015), L’encre de Chine (2016), Une rose ouverte/Warda (2019) et La rivière (2021).
Notre Article
par Bruno Precioso
Lorsqu’il naît à Dakar le 4 mai 1958, un an jour pour jour après la projection de Vers l’inconnu de Georges Nasser, le 1er film libanais sélectionné au festival de Cannes, Ghassan Salhab ignore que son pays est déjà en proie à un conflit inter communautaire qui fait figure de répétition générale aux conflits à venir. Il passe son enfance au Sénégal, dans une autre dérive géopolitique, plus douce peut-être, qui accompagne la fin de l’Empire jusqu’à ce que ses parents négociants choisissent de retourner en 1970 au Liban, où la guerre le rattrape. Circulant entre Paris et Beyrouth de 1975 à 2002, le franco-libanais réfute pourtant tout sentiment d’exil. Paris lui offre de découvrir le cinéma dans son extraordinaire richesse jusqu’aux formes les plus expérimentales (Salhab cite Mekas, Snow, Brakhage…), lui souffle une vocation. Il se tourne vers l’Idhec à laquelle sa nationalité française lui donne droit en même temps qu’elle exige de lui d’être en règle avec le service militaire. Il renonce à l’un et à l’autre.
Tard venu donc à la réalisation, il entame sa carrière par cet objet hybride, mi-fiction romanesque pour mieux concentrer la lumière, mi-documentaire donnant la parole à la plaie vive encore. Beyrouth fantôme, coup d’essai de Ghassan Salhab, est primé au festival des Trois-continents. Il a alors 40 ans. Commence une carrière ramassée d’une vingtaine d’année marquée par six longs métrages : après Beyrouth fantôme (1998), Terra Incognita (2002) est lui aussi hanté par le grand fantôme de la capitale martyre. C’est avec ce 2e opus que le Libanais accède à une notoriété internationale, lors d’une projection cannoise remarquée dans la Sélection Un certain regard. Puis viennent 4 longs-métrages, tous sélectionnés dans différents festivals internationaux : Le dernier homme (2006) est projeté à Cannes et à Locarno, de même que 1958 (2009). La Montagne (2011) confirme le bon accueil des festivals pour ce cinéma très personnel, et La Vallée sélectionné à la Berlinale 2014, reçoit à Fribourg le prix FIPRESCI. Le Libanais a également poursuivi une exploration formelle au fil d’une trentaine d’essais, courts métrages et « exercices vidéo » dans lesquels il refuse les compromis qu’exige la distribution cinématographique : son dernier documentaire par exemple, autour de la Thaoura, la « révolution » de 2019-2021, Contre-temps (2024), dure 5h45. En dehors de ses propres réalisations, Ghassan Salhab collabore à l’écriture de scénarios, enseigne dans différentes universités au Liban, écrit des essais, des nouvelles et publie en 2012 un roman, Fragments du Livre du naufrage. Et malgré l’hommage que lui rend en 2010 le Festival de La Rochelle, son cinéma a attendu une décennie pour retrouver les honneurs du grand écran.
« On ne fait pas un passeport aussi facilement qu’on fait un homme. » (Ghassan, à Khalil)
C’est le hasard d’une dette d’argent impossible à rembourser qui met entre les mains de Ghassan Salhab sa 1ère caméra, une Bolex super 8. L’objet encombrait, il devient pour le garçon de 10 ans une inespérée arme d’observation du monde ; sénégalais d’abord, libanais lorsqu’il débarque à Beyrouth. Il a 12 ans, vient de quitter sa terre d’insouciance natale, et saisit instantanément que ce déplacement l’amène au cinéma ; aiguise son oeil, éveille son oreille. Le créole arabo-franco-wolof qui avait cours à Dakar place le jeune Ghassan Salhab dans l’inconfortable position du maladroit, à la place du « cheveu sur la soupe » pour utiliser ses mots. Autant que la caméra qui ne le quitte pas et documente, déjà, cet à-côté du monde et à-côté du temps, le judo et la boxe que son père a commencé à lui enseigner au Sénégal constituent son moyen d’expression privilégié avec les enfants de son âge. Seule l’extension des camps palestiniens de Sabra et Chatila, quartier voisin du sien, lui semble une terre d’accueil, peuplée de réfugiés Palestiniens eux-mêmes « pas chez eux sans être des étrangers ». Là, les plaisanteries sur son mauvais arabe n’entrainent aucune exclusion, n’appellent nulle violence. Ce déplacement originel, géographique, territorial, identitaire, invente pour lui une manière d’être à la fois étranger et familier, dont Ghassan Salhab fait la trame de son cinéma. Car si l’appartenance nationale l’indiffère dès avant l’expérience de la guerre civile qui finit de l’en écoeurer, le territoire, lui, est porteur de sens : des individus, des inspirations, des désirs, des frustrations, des lieux concrets, des lieux de vie et de mort… le pays dans le sens géographique du terme donc, pas la Nation. C’est la raison pour laquelle tous ses films sont tournés plus qu’au Liban, à Beyrouth même. Ghassan Salhab attend 2011 et La Montagne pour s’en éloigner : toutefois si le territoire n’est pas nommé, c’est toujours le Liban qui au coeur du film. Pas le sujet du film : il revendique de ne pas réaliser de films « sur » mais des films « où ». Chez Ghassan Salhab, le lieu s’entend comme une entité vivante, inconnue et familière. Un intime, intériorisé, en même temps qu’un extérieur.
« Il y a des expériences dont la fiction ne peut pas rendre compte. Alors on doit utiliser l’autre grand discours narratif – la confession et le témoignage. » (Antonio Munoz Molina)
« J’ai essayé d’inciter les plus jeunes à travailler de manière collective, à s’aider (…) Mais le Liban est un petit pays, il y a cette tendance à croire que l’oxygène que tu prends, tu me le prends… Ce sentiment qu’il n’y a pas de place pour tout le monde. » L’art de Ghassan Salhab réside avant tout dans une attention aux corps dans l’espace, où la difficulté à élargir le champ souligne une histoire qui se fait au dépend de, en dépit de… En faisant de la partition un motif à la fois constitutif et destructeur du film, le réalisateur prolonge la ligne de fracture de l’espace jusque dans les personnages, enclenche la mécanique du soupçon : chacun se dédouble, chaque lieu marqué dans l’espace se tient sur la crête du passé et du présent, chacun s’efforce, au prix de la dualité, de faire coexister la loi du groupe et la trajectoire individuelle. Des interactions où le ‘‘et’’ est denrée rare, l’expérience d’une identité de diaspora qui se constitue en absence par la tension entre le révélé et le caché. Pour s’être trouvé condamné à un irrémédiable décalage, un inévitable déplacement, la salle de cinéma est le seul endroit où Ghassan Salhab se soit jamais senti à sa place, le seul territoire dont il fût totalement familier. Et si comme le disait Godard, « le cinéma est un autre pays », peut-être à l’écran Ghassan Salhab saura-t-il trouver au fantôme de Beyrouth une terre où reposer. La condition pour renaître enfin.
Sur le Web

« Une vie entre deux siècles. Fixons la un instant vers la fin des années quatre-vingt du précédent siècle, le vingtième du nom. La fin d’une décennie que nous pensions être la toute dernière ligne droite d’une guerre (in)civile. Je vivais alors entre Paris et Beyrouth, ou, du moins, à Paris et à Beyrouth, à tour de rôle. J’avais tout juste trente ans, mon cheminement s’inclinait chaque jour un peu plus vers le cinématographe (oui, ce mot), mais si j’avais effectivement écrit une fiction qui se déroulait à Beyrouth, un franc élan me manquait pour franchir le pas, pour oser me jeter. Instinctivement, si je puis dire, je sentais que ce n’était pas encore mon/le temps de la fiction. Muni d’une caméra vidéo Hi8 et de plusieurs cassettes, j’avais décidé de filmer frontalement plusieurs personnes, proches et inconnus, de plus ou moins ma génération, je leur posais quelques questions que je croyais alors être des plus simples parce que directes. Que faisaient-ils les “premiers jours” ? Où étaient-ils ? Quel était leur quotidien ? Ont-ils du se déplacer ? Ont-ils pu ? Quelles étaient alors leurs aspirations ? Qu’en est-il aujourd’hui ? Ce n’est que bien plus tard que j’ai saisi que non seulement ce n’était pas encore le moment pour de telles questions ou pour toute autre question, mais surtout que je n’étais pas prêt moi- même à (me) les poser. La caméra est une chose étrange, elle établit un bien étrange rapport au monde, à vos « semblables » d’autant plus. Vous les observez, comme s’ils appartenaient à une autre espèce. Familiers et étrangers à la fois. Plus je filmais, plus j’accumulais des « témoignages », plus je réalisais que c’était sans issue et que nul montage n’en sortirait. Je prenais des notes sonores et visuelles, je les accumulais. J’avançais à tâtons. A travers leurs mots, je cherchais les miens. Je voulais à tout prix mettre des mots, des phrases, faire sens.
Je n’étais pas encore à l’écoute du silence, de leur silence, encore moins du mien. Je n’étais pas plus à l’écoute de l’entre. Je suppose que ce cheminement m’était nécessaire. Ces notes ont « disparu » suite à un mauvais archivage, négligence personnelle. Mais nous le savons, rien ne disparaît réellement, tout se transforme, disait “le vieux de la montagne” (Sheikh al jabal). Ainsi, quelques années plus tard, la guerre plurielle solennellement achevée (nul besoin de préciser ici ce qu’il en est vraiment de ce soi-disant achèvement), la fiction écrite avait resurgi, et avec elle ces traces analogiques. Réécrivant ce scénario, et repensant à ces témoignages (que je n’avais plus revus, que je ne pouvais revoir), je m’étais arrêté sur cette observation d’Antonio Munoz Molina : “Il y a des expériences dont la fiction ne peut pas rendre compte. Alors on doit utiliser l’autre grand discours narratif – le témoignage et la confession.”
Il m’a fallu des mois pour saisir que ces deux grands discours narratifs, pour reprendre les termes de Molina, ne s’opposaient pas. Au fil du travail, la frontière me semblait même de plus en plus poreuse, sans jamais cesser d’exister pour autant — le franchissement de toute frontière est un geste fondateur, révélateur. Bien entendu, mon premier long métrage en fut pleinement témoin. Les “acteurs” avaient traversé le temps de ces guerres, ainsi pouvaient-ils en parler, tout en se glissant dans une fiction. En se dédoublant, ils ouvraient un champ de réflexion, de questionnement, et ce champ se devait de rester ouvert. Plaie. Plus que tout, je redoutais et continue de redouter le conclusif, le point final qui ne serait qu’un simulacre à force de lassitude. Nulle parole ne serait être définitive, m’étais-je dit. Ouvrir, au risque de se perdre encore plus dans la complexité des choses et des êtres. Tel un fleuve divisé ou démultiplié en plus d’un affluent, eux-mêmes démultipliés, fragmentés, en autant de cours. Ecoutant les « acteurs » de ce film en devenir, mais aussi les nombreuses personnes rencontrées (parfois filmées, archives perdues elles aussi), l’évidence d’un récit, ou plutôt d’une Histoire plurielle s’imposait à moi. Histoire(s) du Liban me disais-je. Et j’avais failli alors intituler ce film ainsi. je me disais que si les vainqueurs écrivent l’Histoire, qu’en est-il quand li n’y a que vaincus (Certes de différentes grandeurs)? Qu’en est-il quand le champ et le hors-champ, pour utiliser une des obsessions du cinématographe, se retrouvent tous deux obstinément dans le même hors-champ?

Après seize années interminables, la guerre a pris officiellement fin au Liban en 1991. Une fin que nous redoutions ne jamais vivre un jour. Tant de choses furent dites sur ce conflit, tout et son contraire. Tant d’images s’accumulèrent. Rarement conflit fut autant couvert par les médias. Le « problème » libanais était incontournable. Il est devenu l’exemple même, le précurseur des conflits qui prolifèrent en cette fin de siècle. On parle de « libanisation » dès qu’un pays éclate ou est en voie d’éclatement. Certains évoquent la fatalité, d’autres la complexité du Proche-Orient, d’autres prétendent voir dans ce conflit la preuve définitive que des communautés ne peuvent en aucun cas coexister.
Comme un spéléologue, je cherchais à aller le plus loin possible au plus profond des protagonistes..
Mais la question n’est pas là. Je ne dis pas que le ou les pourquoi ne m’intéressent pas, bien au contraire, mais il(s) ne m’ intéresse(nt) qu’à l’échelle humaine. A mon échelle, puisqu’après tout cette guerre a littéralement transformé mon existence et celle d’une grande partie de mes proches. Il ne s’agit pas pour autant d’autobiographie, même si j’ai été moi aussi amené à quitter Beyrouth et que j’en suis resté, délibérément, longtemps absent. Il s’agit de grossir à la loupe des trajectoires, tranches de vie, ici celles de quelques femmes et de quelques hommes qui, pour la plupart, n’avaient pas vingt ans en 1975 quand le conflit commença. Il s’agit des conséquences de cette guerre pour le moins impitoyable sur le cours de leur existence. Le personnage de Khalil n’est pas pour autant un symbole. Il pose simplement la question de la perdition d’un individu pris dans l’engrenage d’un conflit dont il est l’un des maillons. Il pose aussi la question de la mémoire ou, pour être plus précis, du travail d’une mémoire, travail sans cesse menacé d’annihilation, sans cesse menacé d’amnésie. Gestation d’une mémoire pour le moins fragile, douloureuse. Et c’est un peu l’ambition de ce film que de lutter contre l’amnésie générale qui tend à envelopper tout le pays.
Cela bien évidemment doit être perçu à la lumière des témoignages recueillis aujourd’hui, en temps de paix officielle, maintenant que les canons se sont (définitivement?) tus, auprès des comédiens qui interprètent les rôles de la soeur de Khalil et de ses anciens amis, témoins réels de ces années de guerre. Répartis en une dizaine de courtes séquences, ces témoignages sont filmés en vidéo, sur un fond délibérément neutre, donnent, de par leur regard personnel, sortes de mises à nue, un relief tout à fait particulier à la fiction. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas, si je puis dire, la simple expérience de la guerre, mais l’expérience intérieure, celle intime, invisible – ce qu’elle nous apprend sur nous-mêmes. Ces longues années ne furent pas seulement des années de bruit, de fureur et de violence. La vie, avec toute sa gamme de sentiments, du plus banal au plus noble, eut largement voix au chapitre. Des amitiés, des amours se nouèrent et se dénouèrent, des projets de toute sorte fleurirent. Et dans ce contexte souvent exacerbé, le désenchantement qui progressivement s’installa fut bien entendu à la mesure de nos illusions.
Derrière la façade spectaculaire d’une guerre, c’est toute une vie qui, malgré tout, battait son plein, qui tant bien que mal s’organisait.

Ainsi le film débute-t-il alors qu’une période de trêve semble perdurer, nous donnant le sentiment (si ce n’était les traces d’une destruction) d’une ville un peu comme tant d’autres. Et ces périodes de trêve furent bien plus nombreuses et plus longues qu’on ne le croit, ce qui d’ailleurs rendait cette guerre encore plus intolérable. La violence fait brusquement irruption dans le film, exactement comme elle le fit dans ces années là. Une violence qu’on entendait bien plus qu’on ne la voyait. Bruits de guerre d’abord lointains, encore abstraits, puis qui se rapprochaient, de plus en plus. Bruits de guerre plus qu’images. C’est donc dans un Beyrouth en pleine trêve que nous rencontrons Hanna, Omar, Fouad, Youssef, Soraya, Ghassan, Kamal, Nada…dans un Beyrouth certes coupé en deux mais où les actes les plus simples sont accomplis, comme prendre un verre dans un café, se promener en famille sur la corniche, faire une balade en montagne, en bord de mer… Des femmes et des hommes qui sont plus que conscients d’être en sursis, prisonniers du présent, et qui savent bien qu’ils doivent, tel un cycliste, continuer à pédaler, pour continuer à bouger, pour ne pas tomber.
La guerre, une matière vivante… je ne parle ni du bien ni du mal. La guerre n’est pas une affaire de bien et de mal. Il s’agit de son action sur l’individu. En temps de guerre, le monde se trouve là où tu es, il n’existe plus ailleurs. Une forme d’égocentrisme, la réduction du monde à soi. L’important ce n’est pas le but mais le chemin; en s’égarant, en se perdant, on construit et on (se) déconstruit.
Il s’agit aussi de détails, comme ceux du quotidien – des incessantes coupures de courant et d’eau, du téléphone qui ne marche presque plus, d’un anniversaire, des bruits de la guerre ou encore des nombreux disparus, qui, eux, risquent de ne plus jamais réapparaître… Il s’agit enfin de Beyrouth, encore et toujours, ainsi que de cette chère mer Méditerranée sans laquelle l’air aurait été irrespirable pour plus d’un; Beyrouth vue un peu à travers les yeux d’un étranger, ou du moins à travers les yeux d’un des siens revenu d’entre les morts et qui désormais la regarde, l’observe, sans plus aucun jugement, mais telle quelle, amusante, tragique, gracieuse, loufoque, peu importe. »
(Ghassan Salhab)
« …«Ce n’est pas un film facile d’accès, en partie parce qu’il est lent, sec, brut. J’ai voulu contrarier tout le côté spectaculaire, de bruit et de fureur, qu’on trouve en général dans les films de guerre», explique Salhab. «J’ai essayé de dire les choses le plus subtilement possible, et j’ai parfois laissé le son parler plus que l’image, parce que, pendant la guerre, on entendait souvent plus qu’on ne voyait». Confusion «Ce sont les individus qui m’intéressent», ajoute-t-il. «J’ai voulu parler de pertes d’identité personnelle que la guerre a provoquées. D’ailleurs, pour cela, j’ai été a contrario de ce qu’on appelle le «jeu» des comédiens. Je les ai considérés plus comme des individus que comme des acteurs ; je les ai acceptés avec leurs éventuelles maladresses. Pour le héros, par exemple, je n’ai nullement cherché à le rendre sympathique. J’ai voulu qu’il y ait confusion entre le réel et le fictif». D’où ces séquences-témoignages purement documentaires où viennent s’afficher sur l’image les véritables noms des acteurs. Côté décor, tout a été filmé dans Beyrouth, à part une séquence du côté de Jiyeh et de Damour. Ghassan Salhab précise toutefois que «le film n’est pas autobiographique, mais il est très proche de choses que j’ai vécues, très lié à un contexte que je connais». Techniquement, Beyrouth Fantôme a été réalisé par une équipe réduite franco-libanaise. Démarré en mai 1997, le tournage a duré six semaines. «Mais, il a ensuite fallu attendre longtemps pour avoir les moyens financiers pour le montage et le laboratoire», note Salhab. Aujourd’hui, il reste à trouver un distributeur pour lancer le film. «L’aventure ne fait que commencer», conclut-il. » (lorientlejour.com)

« Loin de toute tentation d’oubli, le superbe Beyrouth fantôme préfère raviver les plaies de la guerre du Liban. Son réalisateur, Ghassan Salhab, y invente des solutions formelles stimulantes, associant fiction et témoignages… Beyrouth fantôme plonge où nul au Liban n’avait osé encore remettre les pieds : dans ce marécage confus, blessé et parfois nauséabond d’une guerre longue, interminable, interminée, qu’aucun Libanais n’estime réellement achevée. Une façon cinématographique d’ausculter ce que l’on nomme plus généralement la « confusion libanaise ». Son Beyrouth fantôme revient donc sur ce que le Liban avait préféré effacer de sa mémoire. Question de survie. Mais il a l’intelligence de le faire sans porter de jugement moralisateur, sans ériger de martyrs. Le faire juste au travers d’un corps paumé et presque drôle, celui d’un type en perte d’espace et de reconnaissance, continuellement absent et muet comme une tombe : un type qui a disparu dix ans, un militant de gauche que sa soeur et ses amis tenaient pour mort, glorieux combattant, martyr de la cause, idole, et qui a le mauvais goût de réapparaître comme une fleur au crépuscule des années 80, au moment où la guerre a fini par user les patiences comme les idéologies. Retour décalé, retrouvailles coincées. C’est la scène la plus symbolique du film que celle de ce retour « à la manque » : alors qu’une de ces nombreuses coupures d’électricité qui saisissent la ville à tout moment vient de bloquer l’ascenseur entre l’étage des morts et celui des vivants, Khalil est là, aussi raide qu’à son habitude, essayant de s’extirper de cet entre-deux pour retrouver sa place parmi les siens. Dans le reflet de la vitre du monte-charge, son image se trouble. Une lampe torche quasi accusatrice vient le frapper en plein visage. Ebloui, il doit faire face à sa soeur. L’essentiel du film tient dans ce mouchoir de poche : inconfortable, drôle, déceptif, sec, droit et piégé…
… La confrontation organisée entre les témoignages et la narration est la grande affaire formelle du film : loin d’une grammaire attendue opposant documentaire et fiction, telle qu’on a pu la croiser dans le cinéma d’auteur des années 70, Ghassan Salhab a, par ce tour d’affleurement cinématographique, ouvert son film sur un abîme, inventé une faille formelle qui est la traduction cinématographique du vide que renvoie son personnage-surface. L’écart entre les temps échappe soudain à la mesure : dans les témoignages, la guerre n’est pas effacée. Dans la fiction, le conflit est à ce point sans horizon qu’on doit pour vivre en faire l’abstraction. L’indécision temporelle est au creux des reins du film. Nul ne peut dire dans quelle époque on se situe précisément. Les témoignages font écho à la fiction ; le temps de guerre est passé dans la collure, le film se défait devant nos yeux. Dans le siphon de la schizophrénie de guerre, un personnage ubuesque délie les langues et les temps, brise les cycles, fait tourner la guerre. Tout est aspiré vers les tréfonds de la conscience. Dans ce puits profond, le cinéma résonne. » (lesinrocks.com)
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
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