Bled Number One



Vendredi 20 octobre 2006 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Un film de Rabah Ameur-Zaimeche – France, Algérie – 2005 – 1h37 – vostf

A peine sorti de prison, Kamel est expulsé vers son pays d’origine, l’Algérie. Cet exil forcé le contraint à observer avec lucidité un pays en pleine effervescence, tiraillé entre un désir de modernité et le poids de traditions ancestrales.

Bled Number One ou l’Agérie d’aujourd’hui vue par Kamel-la-France. À la fois, l’Algérie ancestrale, la lumière de cette terre immémoriale qui nous relie à tous les mythes de la Méditerrannée, les coutumes et les fêtes traditionnelles, la magie et les exorcismes, et l’Algérie d’aujourd’hui, traversée de contradictions, entre passé et modernité, entre ville et campagne, entre aspiration à la liberté et archaïsmes, entre ouverture et enfermement. Un regard à la fois plein de sollicitude et d’inquiétude. Et avant tout un film foncièrement féministe.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Rabah Ameur Zaïmeche, âgé de 40 ans aujourd’hui, s’est fait remarquer par un premier film sorti en 2002 qui a d’emblée obtenu le Prix « Découverte » du Festival de Berlin en 2001, le Prix Louis Delluc et le prix de la Jeunesse au Festival de Cannes en 2002. Wesh Wesh, qu’est-ce-qui se passe ? est un film saisissant avant tout par sa singularité absolue dans le paysage cinématographique français. Rabah Ameur Zaïmeche est anthropologue de formation, et cela se sent dans ses films, notamment par la proximité très forte qu’il établit entre le cadre et les personnages. Regard documentaire et totale implication personnelle vont de pair ou, pour le dire autrement, rigueur et émotion ou encore brut de décoffrage et poétique…

Avec Bled Number One, Rabah Ameur Zaïmeche creuse son sillon et transporte son film dans ce lieu qui constituait le hors – champ de Wesh Wesh, l’Algérie, et plus précisément le bled. Bled fondateur, bled des origines bien sûr, mais comment ne pas entendre l’ironie de ce number one – en anglais dans le titre- le numéro un, le premier, le meilleur de tous les bleds. L’anglais, vecteur à la fois de l’uniformisation du monde – et malgré tout – d’une certaine modernité, accolé en un seul mot à l’arabe où bled signifie simplement village et au français avec sa connotation dépréciative : un bled pour dire un trou paumé, coupé de la marche du monde (exemple flagrant de la manière dont le rapport de force colonial est entré dans la langue…). Kamel débarque donc au bled. Les habitants l’appellent tout de suite Kamel-la-France… Il commence par observer (cf. le long plan séquence d’ouverture) justement comme quelqu’un venu de France, comme nous, spectateurs. Et c’est là un des grandes forces de tout le début du film. On ne peut s’empêcher de se demander dans quelle mesure Kamel a bien les clés pour comprendre son nouvel environnement et si ce qui est montré à l’écran, explicite pour les habitants du village, l’est aussi pour lui (le trafic d’alcool, le barrage routier, la fête traditionnelle, etc.).

Et puis brusquement, après cette première partie d’exploration, un état des lieux et des êtres en quelque sorte, le film bascule sans prévenir dans la fiction à proprement parler avec l’arrivée de Louisa et de son enfant. À partir de là, le film va prendre une autre allure et par-là même un autre rythme. De même qu’on ne sera jamais pourquoi Kamel a quitté la France, on ne sait pas non plus, au départ, pourquoi Louisa vient se réfugier au bled avec son fils. Le réalisateur, fidèle à son principe, ne s’embarrasse pas d’explication, mais, dans un cas comme dans l’autre, on sent bien que c’est tout simplement parce qu’ils n’ont pas pu faire autrement. Avec le personnage de Louisa, le film va peu à peu développer toute la force dramatique qu’il portait en creux jusqu’ici, et le centre de gravité du récit va se déplacer jusqu’à faire de cette jeune femme la véritable protagoniste du film. Éclate alors à l’écran toute la problématique de la place de la femme et de l’évolution des sociétés traditionnelles où la femme n’a de rôle qu’en tant que mère. Louisa, mère elle aussi, veut autre chose pour elle-même. Elle veut exister en tant que personne. C’est le combat des femmes partout et depuis toujours. Un combat où elle est seule. La mère fait ce que la société attend d’elle et lui prêche la soumission. Idem pour le frère qui a recours aux méthodes elles aussi traditionnelles des hommes : la violence physique et l’enfermement. Sans parler du mari ou de la belle-mère… Si Louisa veut se situer en dehors de la norme, c’est donc forcément qu’elle est dans une espèce de folie. Le seul à n’être pas prisonnier de ces schémas-là, c’est Kamel, qui vient d’ailleurs, Kamel-la-France qui va être présent et l’écouter. Ce qui donne lieu à deux des plus belles scènes du film. Celle de la « cure » traditionnelle sur la plage et celle où Louisa va révéler ce qu’elle porte en elle devant un Kamel médusé autant que nous.

Dans toute cette partie du film où nous entrons pas à pas dans l’histoire de Louisa, le rythme est plus heurté avec une alternances de scènes dures (le mari, le frère, le rejet, la violence) et de scènes douces (la nature, l’écoute, la musique, l’espoir).

Mais cette douceur ne va pas suffire et nous abordons alors la dernière partie du film où la progression dramatique est implacable. Pour terminer dans ce qui semble être la dernière chambre du désespoir où pourtant quelque chose de vital est rendu possible qui ne l’était pas à l’extérieur. Louisa, dépouillée de son statut de mère, ne peut plus être qu’une paria. Et nous découvrons avec elle qu’elle est loin d’être la seule dans ce cas. Le sort de ces femmes enfermées, pour la plupart pour avoir tenté d’échapper à l’enfermement, a quelque chose de terrible, de profondément tragique. Et là, Rabah Ameur Zaïmeche réussit, sans avoir l’air d’y toucher, à passer à nouveau du plan individuel (l’histoire de Louisa) à celui de l’ensemble de la société sans jamais sombrer dans le pathos ou l’acte d’accusation. C’est un cinéaste. Il nous donne à voir. Et nous sommes tous concernés par ce qu’il nous montre. Et malgré tout, malgré l’enfermement et le manque de perspective, la ténacité de la vie est là, filmée dans une dernière scène poignante où certains se prendront sans doute à rêver. Mais comment ne pas ressentir en même temps ce persistant pincement de cœur ? On sent chez Rabah Ameur Zaïmeche une manière de filmer juste, comme on dit d’un acteur qu’il joue juste. Loin du formatage des écoles de cinéma, il nous parle de ce qui lui tient à cœur. Son engagement – et ce n’est certainement pas un hasard s’il joue le rôle principal dans ses deux films – est le gage de son parler vrai. Gageons qu’il le conserve.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


Partager sur :