Blind Sun



Vendredi 29 avril 2016 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de  Joyce A. Nashawati – France, Grèce – 2015 – 1h28 – vostf

Grèce. Futur proche. Une station balnéaire frappée par une vague de chaleur. L’eau se fait rare et la violence est prête à exploser. Ashraf, immigré solitaire, garde la villa d’une famille française en son absence. Dans ce paysage aride, écrasé par le soleil, il est arrêté par un policier pour un contrôle de papiers…

Notre critique

Par Bruno Precioso

Pour qui a dans l’oreille le nom de la scénariste et cinéaste franco-grecque, Joyce A. Nashawati évoque le monde fantastique – si ce n’est celui d’un cinéma de peur : ses films figurent dans les sélections de Gérardmer, Montréal et Edimbourg, ou dernièrement du PIFFF (Festival International du Film Fantastique de Paris).

Si Blind Sun est le premier long-métrage de la jeune réalisatrice, elle n’est donc ni à proprement parler une débutante, ni totalement une inconnue dans le milieu du cinéma; ses trois courts-métrages précédents ont en effet été remarqués (Le Parasol en 2008, La Permission en 2013) voire salués en festival à l’image de son deuxième court-métrage au Festival du Film Fantastique de Gérardmer.

Au fil de ces courts se sont affirmés à la fois des intérêts qui confinent à l’obsession (pour l’errance, l’étrange, les ambiances éthérées) et une équipe à laquelle elle est restée largement fidèle lors de ce passage au long format, et qui contribuent à donner une certaine épaisseur concrète à ce style éminemment personnel. C’est aussi que la cinéaste laisse parler une identité originale très perceptible à l’écran; elle a partagé son enfance entre Beyrouth, Accra, le Koweit et Athènes. La passion du Septième art s’affirmant dès son adolescence, elle étudie le cinéma en Grande-Bretagne puis à Paris où elle reçoit une bourse de thèse.

Ses premiers travaux inscrivent au coeur de sa démarche le travail d’écriture – elle a signé elle-même tous ses scénarios, produit ses trois courts, s’intéresse à tous les métiers partie prenante du processus de création. Aussi le film est-il pensé dès sa constitution comme une oeuvre aussi littéraire que cinématographique, et chacune des deux approches artistiques y conserve une entière autonomie.

« Soleil de Justice, et toi myrte glorieuse, je vous en prie, n’oubliez pas mon pays » (Odysseus Elytis)

Inévitablement compte-tenu du parcours de la réalisatrice, le cosmopolitisme est une composante du film, aussi forte derrière la caméra qu’à l’écran. C’est que les problématiques effleurées ou suggérées fourmillant dans le registre du murmure, sont à la fois nombreuses et ténues, multiples mais sobrement traitées jusqu’à l’ascèse. L’atmosphère particulière installée par la réalisatrice progresse sur le fil du rasoir, s’égare dans les méandres oniriques d’une intrique de plus en plus incertaine – bien difficile d’ailleurs à rapporter après coup tant une part importante de l’épaisseur du film tient à des sensations davantage qu’à des actes décelables. Cette structure du dream-like n’est pas nouvelle, et confère au film une teinte d’hybridation flirtant avec le film de genre sans pourtant s’y résoudre.

C’est aussi que le film semble parcouru de fantômes. Fantômes de cinéastes dont les oeuvres viennent à l’esprit moins comme citations que comme invocations; figures banales ou allégoriques du destin; incarnation d’une Grèce au bord de la crise de nerf qui prend presque l’ampleur de Yorgos Arvanitis, directeur de la photo attitré de Theo Angelopoulos (dont on rappellera la mort, fauché à 76 ans sur le tournage de son dernier projet par… un policier grec); spectre surtout du soleil qui accompagne la cinéaste depuis Le Parasol de ses débuts. Ce soleil oppresseur omniprésent suffit à effacer l’hypothèse de la carte postale pour ajouter à la polyphonie du film : acteur du film, métaphore aux multiples facettes, il est à la fois l’identité de cette terre et sa malédiction, et un puissant révélateur des sens.

On trouve là l’une des explications de cette extrême multiplicité des niveaux de perception de Blind Sun, dont l’identité éclatée se retrouve dans le dédoublement de la musique : certains morceaux participent à l’action, voulus par Joyce Nashawati comme rétro et hantés en résonance avec les thèmes du film; d’autres composent la musique originale  qui vise un sentiment d’étrangeté suggérant un malaise diffus. Par contraste, Blind Sun parle peu : « J’aime qu’un film soit davantage du côté du rêve – ou du cauchemar; or, les dialogues ne constituent pas un axe onirique très puissant. Les décors, les costumes, le son et la composition du plan jouent en revanche un rôle primordial. J’aime travailler sur le suspens, la tension, le mystère. Il y a souvent aussi un attrait, une tendance à la paranoïa dans mon travail. Comme si la réalité était quelque chose à quoi on ne peut pas croire. Comment peut-on être certain de quoi que ce soit ? Je crois beaucoup au film comme un voyage ou comme artisanat, ce qui signifie qu’il s’agit d’une pratique, et qu’elle me guide davantage que je ne la conduis.« 

« Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. » (L’Etranger, A. Camus)

Le sens éclate donc et le film suggère puissamment plutôt qu’il n’affirme, laissant au spectateur le soin d’un décryptage qui fait courir le risque du vertige. On pourrait en effet chercher dans ce Blind Sun qui parle si fort du présent depuis son uchronique futur proche des thèses à relier pour en tirer une analyse socio-politique, sinon un discours militant. Pourtant Joyce Nashawati insiste bien sûr sur cet aspect : son film n’a pas été pensé comme un film politique, il s’intéresse spécifiquement à certains états du personnage principal indépendamment de sa situation sociale. Faire de Ashraf un personnage en marge permettait de rassembler en lui les ingrédients ouvrant les portes d’un monde qu’elle entend faire fonctionner; c’est seulement le spectateur qui le nomme avec les mots du présent de journal télévisé : immigré, migrant, musulman… cette dimension-là naît à l’extérieur du film et le contamine inévitablement, mais secondairement.

Avec la réalisatrice – et la forme invite à se concentrer sur cet aspect – on reste dans un tableau épuré et qui se place plus simplement du côté du symbole, porté par une mise en scène sensorielle et énigmatique baignant le spectateur (en même temps que le personnage principal) dans une indétermination où l’on s’enfonce doucement jusqu’à perdre pied. Les repères temporels, la matière même de l’image subissent cette lente érosion où la chaleur mêle au réel les distorsions de la perception.

Dès lors tout finit par pénétrer l’espace du film devenu poreux, hors-champ et profondeur de champ dans ce monde riche en mirages et en chimères, avec pour objectif de restituer l’étrangeté embusquée dans la réalitée. Bien entendu, Blind Sun est un premier film auquel manque encore une certaine maîtrise; admettons d’ailleurs que le projet est ambitieux et peut-être un peu incertain. Mais puisque Joyce Nashawati elle-même se place dans la logique de l’artisan, rappelons que la formation s’achevait avec la réalisation d’un chef-d’oeuvre, « ouvrage que le compagnon aspirant à la maîtrise devait exécuter suivant des règles précises édictées par le corps de métier auquel il appartenait et sous le contrôle d’un jury de maîtres« .

Blind Sun pourrait bien être cette oeuvre en forme de porte à double sens – porte de sortie pour l’apprenti quittant l’âge de la formation, porte d’entrée dans l’autonomie artistique… souhaitons qu’elle nous donne envie de suivre la carrière de cette nouvelle venue dans l’artisanat cinématographique.

Sur le web

En présentant le point de vue et les conditions d’un migrant, Blind Sun devient malgré lui un film d’actualité mais, malgré son final énigmatiquement politique, la réalisatrice se refuse le film social ou engagé pour préférer le film de genre. De ce fait, elle pénètre d’emblée l’esprit de son personnage pour faire de ses hallucinations une réalité alternative onirique, donnant ainsi naissance à une œuvre sensible, sensitive et, dans la complémentarité, sensorielle. Le monde se pare d’allures inquiétantes, menaçantes, tant bien par le scénario qui oscille entre horreur et thriller que par une plastique sur tous points intéressante. Joyce A. Nashawati confronte les éléments et brouille les pistes, l’eau apparaît presque huileuse à l’image, le vent frappe le design sonore mais ne rafraîchit pas pour autant les tons chauds saturés du décor, de l’image, et les brûlures du soleil en bord de cadre. Avec ses puissants oxymores visuels et sonores, Blind Sun s’affiche comme un film d’atmosphère particulièrement réussi, contaminant le spectateur jusqu’à lui communiquer ses débuts d’allures poisseuses, l’invitant à transpirer à son tour sous le soleil, une subjectivité notamment servie par le fabuleux travail sur les matières. L’identification au personnage d’Ashraf est totale grâce au partage des sens et s’étend jusque dans son cauchemar, l’œuvre est marquée par ce climat poisseux, cette angoisse permanente d’un homme dans un pays qui n’est pas le sien, poursuivi par des ombres qui semblent lui reprocher ce dont il n’est pas coupable. L’étau se resserre autour d’Ashraf assoiffé, comme du spectateur qui ne voit aucune issu à ses déboires. La dystopie caniculaire pousse l’exercice de style particulièrement réussi à son paroxysme, c’est la plastique et l’univers qui portent le film. (Cinephilia.com)

Blind Sun est le premier long métrage de Joyce A. Nashawati, qui a par le passé réalisé trois courts métrages: Le Parasol (2008), La Morsure (2009) et La Permission (2013). La réalisatrice voit ses quatre films comme étant tous baignés par ce qu’elle appelle « l’inquiétante étrangeté », soit un sentiment de malaise qui provient de l’incertitude et qui crée un suspens diffus. Le film a été tourné à Thessalonique, où Joyce A. Nashawati a vécu. La Grèce est une inspiration esthétique pour la cinéaste car le temps y est très sec et les forêts brûlent fréquemment. Sa première impulsion pour Blind Sun vient d’ailleurs de quelque chose qu’elle a vécu alors qu’elle était en vacances dans ce pays : un incendie de forêt qui était si proche d’elle que des cendres se posaient sur la plage où elle se trouvait. Le ciel était rouge et il y avait un contraste saisissant entre ce décor de vacances et un sentiment de fin du monde. {{Blind Sun}} est un film d’atmosphère possédant une mise en scène sensorielle et énigmatique. Joyce A. Nashawati explique : « Le spectateur est censé « se perdre » dedans… Le film se veut un cauchemar pour Ashraf, le personnage principal, dans lequel il s’enfonce doucement jusqu’à perdre pied, entraînant le spectateur dans son vertige. Pour cela, le travail sur le son est important, tout ce qui est off, suggestif, le bruit des insectes par exemple ; tout comme l’impression de chaleur dans la matière-même de l’image, un sentiment d’errance, le temps qui semble comme arrêté… Toutes choses qui relèvent effectivement du « sensoriel ».« 

Le soleil omniprésent est presque le second héros du film. Joyce A. Nashawati a voulu que les intérieurs soient dans la pénombre, en contraste avec l’extérieur. En compagnie de son directeur de la photographie Yorgos Arvanitis, la réalisatrice a joué sur les percées à travers les rideaux, les stores, pour que les rayons du soleil soient perçus comme une agression, un siège. La lumière grecque étant tout au long de l’année plus claire, sèche, vive, comme si elle clarifiait l’esprit, Nashawati et Arvanitis ont un peu triché pour la rendre « dark par densité », comme pendant un mois d’août interminable. Elle explique: « On a travaillé pour que le soleil devienne l’ennemi d’Ashraf. C’est pour cela que j’ai choisi une maison de verre, un aquarium en quelque sorte, pour pouvoir créer un jeu avec les rideaux par exemple. Je tenais au maximum à ce que le contraste soit très grand entre l’intérieur et l’extérieur. Que le soleil s’engouffre violemment dès qu’on ouvre une porte. On a travaillé le grain de l’image en postproduction pour qu’on ait l’impression qu’on est face à une pellicule, pour qu’on retrouve quelque chose d’organique. » La crise terrible que traverse la Grèce a eu un impact sur le tournage. Ainsi, Joyce A. Nashawati se rappelle que les fournisseurs étaient aux abois, les techniciens très appauvris et les décors peu chers… Elle poursuit : « Le cinéma grec n’est pas une véritable industrie. Il est basé sur le sens de la débrouille de producteurs qui aiment l’aventure risquée de la fabrication d’un film. C’est un cinéma dépendant des co-productions, ce qui peut créer une sorte de néocolonialisme si ça se passe mal ou une rencontre culturelle passionnante quand ça se passe bien… » Joyce A. Nashawati note qu’il y a deux types de musique dans Blind Sun. Les morceaux qui participent à l’action, qu’elle voulait rétro et hantés en résonance avec les thèmes du film, et la musique originale qui avait pour but de créer un sentiment d’étrangeté tout en évitant de trop surligner le malaise du personnage.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso

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