Borgman



Vendredi 20 Décembre 2013 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Alex Van Warmerdam – Pays-Bas – 2013 – 1h53 – vostf

Camiel Borgman surgit dans les rues tranquilles d’une banlieue cossue, pour sonner à la porte d’une famille bourgeoise. Qui est-il ? Un rêve, un démon, une allégorie, ou l’incarnation bien réelle de nos peurs ?

Notre article

Par Bruno Precioso

« J’essaie de ne pas donner un sens particulier à mes films. Le spectateur doit pouvoir se faire son propre avis. (…) Borgman est un film qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. » affirmait le réalisateur néerlandais Alex Van Warmerdam lors de la conférence de presse qui suivit la projection du film au dernier festival de Cannes. Et il est vrai que les interprétations les plus diverses ont fleuri dans la presse critique autour du festival et depuis la sortie commerciale du film. Il faut avouer que le film est au moins aussi énigmatique que son réalisateur, remarqué en France notamment pour Les Habitants, et dont la carrière est loin d’être un modèle de simplicité et de linéarité. D’abord tenté par la peinture, il sort diplômé en graphisme et peinture de l’Académie Rietveld d’Amsterdam en 1974 (à 22 ans) pour s’orienter immédiatement vers le théâtre. Entre 1979 et 1986 Van Warmerdam écrit et met en scène 11 pièces, reçoit au passage le titre de meilleur spectacle étranger pour Regarder les hommes tomber, puis se lance dans le cinéma avec un premier long métrage, Abel. Dès lors il conduit de front la création de sa maison de production (1993), l’écriture de théâtre et roman (De Hand van een Vremde, 1995), quelques apparitions en tant qu’acteur, la réalisation de films. Les Habitants (1992) et La robe, et l’effet qu’elle produit sur les femmes qui la portent et les hommes qui la regardent (1996) sont bien accueillis en France et lui valent une image de cinéma déroutant, conduisant volontiers à la frontière du malaise ; lui-même récuse le terme d’absurde souvent employé pour ses films.
Des 4 longs-métrages qui suivront, un seul sort furtivement en France (Ober !, 2007) et Alex Van Warmerdam resurgit donc d’une longue éclipse française avec Borgman.

« Tout se joue avec l’oeil. J’ai besoin de voir pour comprendre. » (A. Van Warmerdam)

Ce nouveau film procédant initialement de la fascination du réalisateur pour le Chacal de Fred Zinneman et de l’envie de réaliser « un film d’horreur en plein soleil », change de direction dès le passage à la phase préparatoire lorsque Van Warmerdam se rend compte que la scène qu’il voulait offrir à sa méchanceté ne lui convient pas. Ne rien montrer ou presque devient le jeu, l’oeil désormais opérant par glissements. Car c’est bien de jeu qu’il s’agit. En effet, plutôt que par son discours parabole aux lectures multiples, Borgman marque par sa maîtrise formelle, à la fois très cohérente et protéiforme. Cohérent ce mélange de douceur mystérieuse et de violence méthodique qui ne lâche aucune scène. Protéiforme, cette caméra tout en glissements silencieux d’un genre cinématographique à l’autre, parcourant tous les chemins pour les laisser en route. Quasi-western en ouverture, le film prend tous les visages possibles : thriller domestique par le travail de mise en scène et de cadrage de l’espace de la maison ; sociologique dans la peinture (pas si caricaturale) d’une famille bourgeoise ; conte fantastique à bien des endroits notamment dans les relations aux enfants ; métaphorique à travers les dialogues qui laissent entendre les règles invisibles qui s’imposent aux intrus. Aucune de ces formes ne suffit ni ne donne la clef du film, mais toutes sont pertinentes et livrent des indices à un niveau différent.

Borgman pour autant déjoue le piège de l’exercice de style car le centre de l’intérêt d’Alex Van Warmerdam est ailleurs, dans les subtiles et souvent mystérieuses relations entre les personnages. De fait, si le scénario semble assez vite sur des rails c’est par une logique intrinsèque qu’il échappe à la vaine mécanique de l’absurde. Le théâtre sous-tend l’ensemble, dans l’esprit de la représentation par actes avec décor unique, et l’irruption inopinée du burlesque n’a jamais assez de force pour tordre la course assez noire du scénario, mais suffit à produire de multiples déviations qui sont autant de contrepoints. A force de glissements il devient difficile de saisir l’enjeu de ce qui se noue, êtres ou lieux. Et c’est bien l’espace presque exclusif de la maison et du jardin, pensé dès le début par Van Warmerdam et construit pour le film qui fournit son architecture à l’histoire. Le sort de l’un est intimement lié à l’autre. Autant que le déroulement du film, c’est la mise en scène qui permet de le comprendre : les déplacements à l’intérieur de la maison, la construction des espaces comme des entités séparées, la contagion des uns par les autres tissent une trame à part entière et quelque chose du sort des vivants se joue dans l’intégrité des lieux. « C’est le premier film où je déplace la caméra alors que cela va d’habitude à l’encontre de mes croyances les plus intimes. » reconnaît le réalisateur, qui a dessiné les plans de la maison, puis construit lui-même une maquette préparatoire pour fixer les 4 mois de tournage nécessaires pour les seules scènes d’intérieur. En cela, Van Warmerdam comme Camiel Borgman et ses comparses procèdent avec l’idée d’une extrême rigueur dans l’organisation préalable. C’est aux films de braquage que le réalisateur fait référence, qui mettent en scène la planification du « coup » comme un travail de haute précision, ou pour mieux dire d’artiste. L’esprit du joueur pour qui tout le sel est dans le fait de n’avoir laissé aucune place au hasard rencontre ici celui du comédien que chaque répétition rapproche du jeu juste une fois la première arrivée.

« Et ils descendirent sur terre pour renforcer leurs rangs »

Si Borgman distille avec un art consommé de la mise en scène une violence décalée dans l’univers clos conçu à cette seule fin, il est difficile et périlleux de chercher à en tirer des leçons comme de l’affilier à quelque grand ancêtre. L’exercice est tentant, beaucoup s’y sont adonnés, et il est vrai qu’il y a quelque chose de la cruauté policée du Canines de Yórgos Lánthimos dans ce Théorème pasolinien à la mode nordique. On a aussi pensé à un Funny games tout aussi rigoureux mais moins sec que chez Haneke. D’autres ont préféré inscrire Borgman dans une « école surréaliste nordique » de l’humour noir et de l’absurde aux côtés de Roy Andersson (Nous les vivants) et Anders-Thomas Jensen. Certains sont allés jusqu’à invoquer le patronage d’un Rob Zombie… mais les références avouées par Van Warmerdam sont bien éloignées – et bien déroutantes. Comme pour les Habitants, il évoque la main de Mondrian dans la mise en scène, et côté cinéma renvoie de préférence au Tati de Mon oncle dont il affirme avoir observé les cadrages qui montrent toujours assez de corps pour nourrir le ressort comique. Sans doute le film relève-t-il de toutes ces sources à la fois, puisque pour chaque claque infligée à cette famille bourgeoise, Camiel Borgman accorde aussi une caresse venimeuse.

D’autres endroits du film, une scène de chambre particulièrement frappante, font signe vers des images que le peintre Van Warmerdam ne peut avoir glissé par hasard (le Cauchemar de Füssli). Pas gratuitement non plus. La charge symbolique est indubitable dans ce choc de personnages où chacun peut lire les clins d’oeil les plus éloignés, les plus évidents : Rebecca au cinéma, Ludwig et Richard à la musique et à la monarchie, Isolde à l’imaginaire des légendes médiévales… et les scènes d’ouverture et de clôture ne peuvent manquer de faire référence à la mythologie germanique, du héros Siegfried aux Nibelungen (autre occurrence du référentiel cinématographique) dont on ne peut oublier que le nom signifie « ceux du monde d’en bas ».

A l’image de ces charlatans funambules, Borgman marche sur un fil d’une grande subtilité à partir d’un matériau somme toute assez grossier, où la drôlerie ne peut être propre et pure mais toujours marquée au sceau du grotesque et du grinçant. La poésie s’ajoute à cette matière disparate pour lui donner l’apparence d’une mythologie en équilibre instable, empruntant au conte, puisant dans un fonds de légendes noires que le monde contemporain ne parvient ni à étouffer ni à rationnaliser. Un conte diurne et ambivalent, à la douceur meurtrière.

Sur le web

Dramaturge révélé en 1979 par sa pièce Regarde les hommes tomber (dont Jacques Audiard s’inspirera pour son premier film), cinéaste, acteur et scénariste de ses films, peintre, Alex Van Warmerdam s’est fait connaître en France grâce à la sortie conjointe en 1996 des Habitants (1992) et de la Robe (1996). Puis il a mystérieusement disparu des radars, avant de faire sa réapparition en invité surprise du dernier Festival de Cannes avec son nouvel opus, Borgman, dont c’est peu dire qu’il reste fidèle au petit périmètre de son cinéma maniériste.

« Dans Borgman, j’ai voulu montrer comment le mal se glisse dans le quotidien, comment il s’incarne dans des hommes et des femmes ordinaires, normaux, bien élevés, qui sont heureux et fiers d’accomplir leurs tâches, en portant une implacable attention aux détails. Je voulais montrer qu’on ne fait pas le mal seulement par de froides nuits d’hiver, mais aussi sous la chaleur d’un soleil bienfaisant, dans l’optimisme de l’été. Je voulais montrer qu’un homme comme Borgman,  perpétuellement insaisissable, est capable d’inspirer à une femme un désir si obsédant qu’il va la laisser complètement démunie. Borgman est plus sombre que mes précédents films car je voulais aller plus loin. J’ai eu envie de plonger dans une région obscure et inconnue de mon imagination pour voir ce que j’y trouverais. Je voulais aussi faire un film très ouvert à l’interprétation, qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses. Je crois que Borgman est un film intense.« 

Borgman a été présenté en compétition du Festival de Cannes 2013, dans la sélection officielle. Il s’agissait de la première présentation du film au niveau mondial. Il marque le retour sur la Croisette du réalisateur Alex Van Warmerdam, 15 ans après sa sélection dans la catégorie Un Certain Regard avec Le P’tit Tony (1998). C’est au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg 2013 que Borgman a aussi remporté un prix. Il s’agit du Méliès d’Argent qui récompense le meilleur film fantastique européen de l’année. Après sa sélection au Festival de Cannes (premier film néerlandais sélectionné depuis 38 ans), les Pays-Bas ont décidé d’envoyer Borgman à la commission des Oscars 2014 pour représenter leur pays à l’obtention de la statuette du Meilleur Film Etranger.

Borgman marque la quatrième collaboration entre le réalisateur Alex Van Warmerdam et le directeur de la photographie Tom Erisman. Ils avaient déjà travaillé ensemble sur les derniers films du metteur en scène : Grimm (2003), Waiter (2006) et The Last Days of Emma Blank (2009). Le producteur de Borgman, Marc Van Warmerdam, est en fait le frère du réalisateur/scénariste Alex Van Warmerdam. Cela fait depuis 1973 qu’ils collaborent ensemble. Ils ont fondé cette année-là une compagnie théâtrale et ont monté plusieurs spectacles ensemble. Depuis, Marc et Alex ont également fondé leur propre société de production en 1993, Graniet Film.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.

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