Bouge pas, Meurs, Ressuscite



Lundi 07 Mai 2007 à 21h – 5ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Vitali Kanevski – Russie – 1990 – 1h45 – vostf

 Les amours de deux jeunes adolescents en 1947 à Soutchan, petite ville d’Extrême-Orient transformée en zone de détention.

Notre critique

Par Philippe Serve

Pour les festivaliers de l’édition cannoise 1990, Bouge pas, meurs, ressuscite constitue un choc frontal. Un pur inconnu, débutant âgé de 55 ans, Vitali Kanevski, débarque de la prochaine ex-Urss, attirant sur lui et son film toutes les attentions médiatiques. Fascinant ses interlocuteurs par sa personnalité, son naturel et son passé (huit ans de détention en camp pour un viol qu’il nie avoir jamais commis), le cinéaste repart de la Croisette avec dans ses bagages la très convoitée Caméra d’Or récompensant le meilleur premier film.Bouge pas, meurs, ressuscite est plus qu’un excellent film, un chef d’oeuvre. Héritier des plus grands classiques soviétiques du genre tels  L’enfance de Gorki (Mark Donskoï, 1938) et L’enfance d’Ivan (Andrei Tarkovski, 1962), il réussit la gageure à être à la fois un film 100% russe et pourtant totalement universel.

L’histoire que nous raconte Vitali Kanevski est la sienne. Un film autobiographique, donc, tourné sur les lieux mêmes de son enfance, à Soutchan, petite ville près de Vladivostok, dans l’Extrême-Orient soviétique. Nous sommes en 1947, quelques mois après la fin de la guerre. Soutchan est une ville minière, d’une grande pauvreté, qui abrite à sa frange un camp de prisonniers japonais. Mais l’endroit semble être plus que cela. Tout ici indique que nous nous trouvons dans une de ces tristement célèbres zones qui parsemaient les régions les plus inhospitalières de l’Urss. Zones de confinement des déportés intérieurs politiques maintenus libres mais isolés (personne n’entre ou ne sort de ces zones), zones de terreur policière où les sbires du KGB règnent en puissants, zones de profonde misère économique.

C’est ici que vit ou plutôt survit, comme tous les êtres traversant ce film – Valerka, jeune adolescent de 12 ans (l’âge de Kanevski à l’époque), à la mère volage. Le garçon n’aime rien tant qu’ouvrir ses yeux curieux sur tout ce qui l’entoure, chaparder, faire les 400 coups à l’école et ailleurs, résister tant bien que mal aux agressions physiques des autres garçons ou essayer de grappiller quelques roubles en vendant au marché des tasses de thé aux ouvriers du coin, aux soldats amputés ou aux prostitués. Avec ce petit commerce, il entre en concurrence avec Galia, sa jeune amie, à peine plus âgée (14 ans) mais tellement plus mûre, plus raisonnable, plus maligne. Attentive et protectrice aussi. Presque maternelle, venant lui sauver la mise plus d’une fois. Valerka, lui, affiche un détachement de façade qui ne nous trompe pas – devant cette affection si visible. Kanevski a connu cette amitié qui s’enracine toujours plus profondément malgré ou grâce aux différences de caractères et aux confrontations. Il raconte son histoire personnelle jusqu’au bout, jusqu’à cette fin saisissante que je vous laisserai découvrir par vous-même mais qui explique cette obsession qui le hanta pendant tant d’année de devoir raconter. Il déclarait ainsi à la sortie de son film : « C’est l’histoire de ma vie, de mon pays, de ses habitants. J’ai été ce petit garçon de Soutchan, et la fillette (…) a été mon premier amour… J’ai fait ce film avec l’urgence vitale d’un condamné à mort« .

Ce qui frappe en premier le spectateur de Bouge pas, meurs, ressuscite sont sans doute ces décors naturels, envahis par le froid, le gel, la boue et magnifiés par un noir et blanc charbonneux. Cette portion de Sibérie n’offre pas seulement une glaciation physique, celle des paysages et des corps mais aussi des esprits, de l’âme. Kanevski, nous l’avons vu, fond en un seul mouvement histoire personnelle et universelle. De même, les lieux qu’ils filment apparaissent tout à la fois hyper réalistes et, en même temps, appartenant à une sorte de vision mythologique, parfois proche d’un fantastique en lien direct avec l’imaginaire enfantin. Le réalisateur joue magnifiquement de l’opposition entre un blanc éclatant la neige et un noir assuré par des intérieurs confinés dans lesquels se fondent littéralement les vêtements matelassés des protagonistes ou ces tourbières qui semblent à privées de la moindre chance de recevoir à jamais le moindre rayon de soleil. A défaut de lumière, Kanevski fait traverser ces paysages d’incessants rails de chemins de fer, promesses mensongères, bien sûr d’un autre ailleurs, d’un autre possible. Valerka l’apprendra à ses dépens et comprendra que le prix à payer pour un espoir déçu est trop cruel, plus qu’inhumain.

Mais Vitali Kanevski ne cède pas un seul instant à la tentation esthétique que pourraient appeler de tels paysages, y compris par leurs côtés déprimants. Ce qui n’empêche pas son film de se révéler splendide sur le plan visuel, rappelant là encore le Tarkovski de L’enfance d’Ivan (projeté au 2ème festival de CSF) et qui, lui aussi, était un premier film. Le rôle de sa caméra, tantôt fixe, tantôt agitée, de ses cadrages très travaillés sans jamais en donner l’impression, de l’alternance entre plans généraux nous perdant dans l’espace ouvert et désolé, et gros plan captivants et chargés de sens, tout ce travail de mise en scène force l’admiration.

Si nous ressortons du film avec tant d’attachement pour lui, nous le devons aussi bien sûr aux deux jeunes personnages et à la façon dont Kanevski réussit à nous les rendre proches. Nous nous y intéressons d’abord, nous nous y attachons ensuite et nous finissons par les aimer, partageant leurs jeux et leurs joies, leur désespoir et leur colère, leurs rêves et leurs destins. Cette progression dans notre approche de Valerka et Galia découlent de l’intelligence avec laquelle le cinéaste nous les présente, de la subtilité dont il fait preuve dans le portrait psychologique de ses personnages.

L’extraordinaire talent des deux jeunes interprètes doit être aussi loué sans réserves. La petite Dinara Drukarova, qui débutait à l’écran en rendant le personnage de Galia inoubliable, a fait son chemin depuis, poursuivant une carrière professionnelle (27 films à son actif aujourd’hui), notamment en France, et fut nominée en 2004 pour le César du meilleur espoir féminin pour sa performance dans « Depuis qu’Otar est parti.. » (Julie Bertucelli).

Pavel Nazarov, tout simplement éblouissant, remportera un mérité Prix de la meilleure découverte aux European Film Awards (90), puis jouera encore dans la « suite » de Bouge pas, meurs, ressuscite, Une vie indépendante (92, Ours d’Or à Berlin et Prix du Jury à Cannes) où il retrouvera sa camarade Dinara. La suite est plus étonnante. En 1994, Kanevski tourne un documentaire sur les enfants des rues, délinquants et emprisonnés pour leurs crimes à Moscou et Saint-Pétersbourg (Nous les enfants du Xxème siècle). Parmi eux : Pavel Nazarov. Cette fois il ne joue pas. Il est un vrai délinquant. Kanevski fait venir Dinara et les retrouvailles des deux adolescents est un incroyable moment de malaise et de tristesse. Pour nous, il restera à jamais l’enfant perdu mais plein de vie de Bouge pas, meurs, ressuscite, film bouleversant et inoubliable.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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