Bushman



Vendredi 26 Avril 2024 à 20h

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Film de David Schikele, USA, 1971, 1h15, vostf

En 1968, Martin Luther King est assassiné et la guerre du Biafra entraîne une terrible famine. Gabriel a fui le Nigéria et vit à San Francisco, au contact de la communauté afro-américaine comme des milieux bohèmes blancs. Dans ces États-Unis très agités des sixties, sa vie d’exil est jalonnée de rencontres, d’escapades et d’errances, mais il reste habité de souvenirs et de la nostalgie du village de son enfance. Bientôt, son visa arrive à expiration…

Notre Article

par Josiane Scoleri

Lorsqu’on ne parle pas précisément des peuples de l’Afrique australe, l’usage courant de «bushman» désigne quelqu’un qui vit dans la brousse (le «bush»), ou qui en est originaire et qui en conserve les manières (sous-entendu plutôt frustres). Il est significatif que le réalisateur ait sciemment choisi ce titre pour son film, dans un geste souvent adopté par les mouvements anti-discrimination qui consiste à s’emparer des insultes pour les brandir avec fierté comme un étendard. Dans la même veine, le film s’ouvre sur un homme noir marchant sur une route avec ses chaussures en équilibre sur la tête. Bushman,le film, va ainsi s’amuser à parsemer son récit de moments d’«Épinal» sur la vie paisible au village, les fêtes traditionnelles, les interdits, etc… Au point qu’ Alma (qui vient de Watts, quartier ghetto de Los Angeles) finit par dire à Gabriel qui arrive du Nigeria:«You’re not a real Nigger» ou bien «You can’t talk Black». Bushman a des allures modestes. Son Noir et Blanc n’a rien de spectaculaire, mais la photographie est néanmoins très soignée et la composition des plans plus sophistiquée qu’il n’y paraît. David Schikele a à coup sûr le sens du cadre et le film est marqué dans chaque scène par des images à la fois simples et fortes qui restent longtemps dans l’œil. C’est un signe qui ne trompe pas. Mais ce qui fait le charme du film, tel qu’on le découvre aujourd’hui, 55 ans après le tournage, c’est ce ton léger qui le caractérise et qui, à lui tout seul, transmet quelque chose de l’air du temps, ce «Zeitgeist» juvénile des années 60 plein de vie, de facéties et d’espoir dans l’avenir. Envers et contre tout. Car tout n’est pas rose, loin s’en faut. Les dialogues entre Alma et Gabriel sont, à cet égard, particulièrement savoureux et significatifs. Le réalisateur joue à fond la carte du contraste culturel entre les deux, tout en restant léger. Et au détour d’une phrase, après quelques plans sur des affiches de pub où apparaissent des Noirs, Gabriel paraphrase spontanément Franz Fanon*: «Tout est blanc chez eux, sauf la couleur de leur peau». C’est dit. De manière générale, Bushman est un film qui joue très habilement des oppositions. Schickele insère ainsi à plusieurs reprises au montage des images d’actualités sur la guerre du Biafra en cours à ce moment-là au Nigeria face aux nombreux flashbacks idylliques sur la douceur de vivre à l’africaine. Ou encore le gouffre qui sépare Alma, la militante qui n’a pas froid aux yeux de Patience, la bien-nommée, la femme de Gabriel restée au village, dont il reçoit une lettre. * Franz Fanon: Peau noire, masques blancs (1952).

Le tableau prend forme ainsi peu à peu sous nos yeux. C’est un portrait à chaud d’une jeunesse multiple qui se cherche et dont les voies vont bientôt diverger. Mais au moment du film, en 1968, tous le mouvements cohabitent encore et des passerelles existent entre les différentes formes de lutte et d’expérimentation. Tous sont en train d’inventer un nouveau rapport au monde et aux autres. Ou du moins essaient-ils de le faire. Ainsi, après une première partie consacrée à la «question noire» avec notamment, après la scène du bar, celle du départ d’Alma, dans ce salon «bourgeois» qui n’a rien de militant, mais où ça cogite ferme, Schickele ouvre le champ de ses observations aux mouvements de la contreculture qui secouent les fondements de la société de consommation américaine. Le film montre simplement la proximité entre jeunes hippies contestataires (blancs pour la plupart) et militants pour les droits civiques, mais il le fait à travers le regard de Gabriel. Et c’est là que réside toute son efficacité. Gabriel n’est pas un Candide, c’est un jeune étudiant qui a été lui-même victime de la répression dans son pays. Le décalage est plus subtil que ça, mais il n’en est pas moins réel. La scène avec le révérend homo qui le drague en est un exemple cocasse, mais elle permet au réalisateur de mentionner «en passant» la question des droits des homosexuels, déjà très présente à San Francisco à l’époque. On se rend compte en fait, au fur et à mesure de la progression du récit, que Gabriel se tient nécessairement à la même distance dans tous les milieux qu’il découvre avec un détachement lucide. À cet égard les scènes d’excursion ou de fête où Noirs et Blancs sont ensemble sont particulièrement significatives, exprimant à la fois une utopie en train de se vivre et les limites de l’expérience. Au passage, le compagnon de la jeune femme blanche qui passe un week-end avec Gabriel s’appelle Othello!

Visiblement, Schickele s’amuse et nous avec lui. Jusque-là, nous sommes aux trois quarts du film, le rythme est resté à peu près constant, dans une sorte de flottement qui s’accorde à la démarche de Gabriel. Nous suivons ses péripéties avec délice depuis le début du film. La mise en scène laisse le temps à chaque rencontre de se déployer dans une liberté qui est elle aussi en accord avec l’air du temps. Nous savourons cet instantané historique qui nous fait l’effet d’une capsule spatio-temporelle. Et tout d’un coup, le film bascule du tout au tout. Le réel rattrape la fiction et la dépasse. C’est une fin brutale et imprévisible qui fait l’effet d’un coup de tonnerre. Nous sommes abasourdis. Pour marquer cette rupture, le réalisateur prend la situation à bras le corps, fait face à la caméra et raconte les faits. Il se sert uniquement de photos et d’images d’archives. Exit la fiction. Exit la mise en scène. Schickele est à cet égard d’une honnêteté absolue, à la fois dans le respect du film et de son acteur. Mais cette fin tronquée nous rappelle à quel point, 1968 en Californie, ce n’était pas juste «Peace and Love». La violence institutionnelle est ce qu’elle est. Là comme ailleurs. Hier comme aujourd’hui.

Sur le web

Musicien, acteur et cinéaste, David Schickele naît en 1937 en Iowa. En 1961, à la sortie de l’Université, il rejoint le Peace Corps, agence indépendante du gouvernement américain créée la même année par John Kennedy, dans le but de proposer aux pays en voie de développement des travailleurs qualifiés dans des domaines tels que l’éducation, la santé, l’agriculture… Dans cette optique, Schickele part au Nigeria donner des cours d’anglais ; très vite, il éprouve un profond attachement pour ce pays.

Pendant cette mission, Schickele fait la connaissance de Paul Eyam Nzie Okpokam, son meilleur élève, qui devient son ami. En 1966, il retourne au Nigeria pour réaliser un long métrage documentaire, Give Me a Riddle, sur l’expérience d’un Blanc dans la société nigériane. À son retour aux États-Unis, il décide de réaliser un nouveau film dans une perspective inverse : suivre son ami Paul, désormais étudiant à San Francisco, dans son quotidien.

Le tournage débute en 1968 mais, à la moitié du planning, Paul Eyam Nzie Okpokam est arrêté lors de la grève de l’Université de San Francisco, accusé de terrorisme, emprisonné pendant un an puis expulsé vers le Nigeria. Pendant de longs mois, le cinéaste fait campagne pour la libération de son ami, accusé à tort. Mais lorsqu’il apprend que ce dernier a été renvoyé de force au Nigeria, il ne sait plus comment il doit terminer son film. Finalement, il décide de faire de Bushman un instrument de lutte contre l’inhumanité et la violence de la société américaine.

« En se référant au cinéma-vérité, à la Nouvelle Vague européenne, aux premiers Cassavetes, mais aussi à l’expérience de pionniers africains comme Sembène, Ecaré ou Hondo, Schickele condamne non seulement l’Amérique réactionnaire et raciste […], mais aussi l’Amérique libérale des intellectuels progressistes qui citent McLuhan et Malraux mais […] se méprennent sur le sens profond de l’expérience humaine. Avec ironie, poésie et légèreté, Bushman nous entraîne dans les ténèbres d’une odyssée annoncée. Et pendant des jours, on ne peut penser à rien d’autre. » (Cecilia Cenciarelli, festival.ilcinemaritrovato.it) (festival-lumiere.org)

En suivant les pérégrinations d’un exilé nigérian, David Schikele sonde les tensions raciales qui gangrènent l’Amérique des années 1960. Uniquement sorti aux Etats-Unis en 1971, Bushman s’impose aujourd’hui comme un film politique dont le récit résonne encore avec l’actualité. Un jeune homme noir longe une route, ses chaussures posées sur la tête. « Un voyageur, c’est un fantôme« , assure en voix off Gabriel. Alors que la guerre du Biafra fait rage au Nigeria, ce dernier fuit ce pays et s’installe de l’autre côté de l’Atlantique. A la manière d’une odyssée contemporaine, Bushman accompagne cet homme dans ses errances et ses rencontres en tout genre. Les commentaires de Gabriel nous confient son sentiment d’exil, le montage se ponctuant d’images du Nigeria. Difficile d’évoquer Bushman sans préciser son contexte politique, marqué en 1968 par la mort de Martin Luther King et Bobby Hutton. La mise en scène de David Schikele corrèle avec ce contexte, notamment à travers l’emploi d’une caméra mobile qui figure un rapport trouble entre la fiction et le réel. Le cinéaste manifeste autant le racisme que l’hypocrisie ambiante chez les intellectuels progressistes. Le film se distingue aussi par ses échappées poétiques, telles que cette séquence de danse au rythme de « Respect » d’Aretha Franklin. Jusqu’aux derniers instants du film, Gabriel espère s’intégrer au rêve américain, mais la réalité dans toute sa violence rattrape inopinément la fiction.

Bushman, réalisé par David Schickele, nous livre le portrait d’un jeune Nigérian qui immigre à San Francisco en 1968. Cette année-là, Martin Luther King et Robert Kennedy sont assassinés au États-Unis et la guerre civile rentre dans sa deuxième année au Nigéria. L’originalité de ce film réside dans sa forme hybride, qui nous rappelle le cinéma-vérité de Jean Rouch et ou les improvisations de Cassavetes. On pense également au père du cinéma africain, Ousmane Sembène, en suivant ce jeune homme dans ses expériences amoureuses et son insertion dans un monde ouvert aux idées les plus progressistes de l’époque. Pourtant le décalage (y compris avec les afro-américains) surgit. Des scènes de danse, sur la musique d’Otis Redding et la soul d’époque, alternent avec des flashbacks de souvenirs d’enfance au rythme des percussions yoruba. La légèreté et la comédie laissent peu à peu place à une réalité plus âpre dont on ne révèlera rien. Ce film est une découverte, un cadeau, il manquait à l’histoire du cinéma une Autre Amérique. (Sabine Putorti – Institut de l’image, Aix-en-provence)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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