Carmin Profond



Vendredi 07 Octobre 2005 à 18h15 – 3ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Arturo Ripstein – Mexique – 1996 – 1h51 – vostf –  Interdit aux moins de 16 ans

Tiré d’un fait divers authentique, l’épopée sanglante d’un couple kitsch des années quarante. C’est l’histoire de Coral, jeune infirmière mexicaine qui voue une admiration sans borne à Charles Boyer. Un jour, elle découvre dans un magazine le sosie de son idole, Nicolas. Elle le séduit, s’impose et l’aide à plumer les veuves et les célibataires.

Sur le web

Fils du producteur Alfredo Riposte Jr, Arturo Ripstein est né à Mexico en 1943. Il y suit des études de cinéma à l’université nationale autonome où il crée le centre universitaire d’études cinématographiques. De formation plus pratique que théorique, il oriente ses travaux universitaires sur l’aspect industriel du cinéma.
Au début des années 60, il est l’assistant de Luis Buñuel sur le film L’ange exterminateur. Puis en 1965, il réalise son premier long métrage, Le temps de mourir (Tiempo de morir, d’après un script original de Garcia Marquez – traduit en langue mexicaine par Carlos Fuentes. Pour ce premier film Arturo Ripstein rend convaincant le drame d’un personnage incapable d’échapper à son destin, thème qui deviendra central à toute son œuvre. 
Dès lors, sa carrière devient une des plus significative et des plus importante du cinéma mexicain et international de ces dernières décennies, ce qui lui vaut de nombreux prix tant au niveau national qu’international. Il est reconnu sur tout le continent sud-américain et aussi en Espagne comme étant un cinéaste majeur.
 L’univers de Ripstein est proche de celui de Buñuel à travers des films très cruels portant une critique acerbe de la société comme dans Le château de la pureté (El castillo de la pureza, 1972), où une famille est enfermée par le père afin d’être préservée de la corruption, ou comme dans L’ Empire de la fortune (El imperio de la fortuna, 1986) qui raconte l’ascenscion et la chute d’un homme qui s’’enrichit grâce à un coq de combat. 
En 2001 il réalise La vierge de la luxure, oœuvre surréaliste inspirée d’un récit de Max Aub sur un scénario de Paz Alizia Garciadiego, sa compagne et scénariste depuis L’empire de la fortune en 1986. (avoir-alire;com)

Le propos de Ripstein est simple : illustrer le thème de l’amour fou. Mais Carmin profond n’est pas un film romantique. Les héros ne sont pas riches, fins et délicats. Le réalisateur déclare : « J’aime les survivants. » De faits, ses personnages sont des épaves. L’héroïne, Coral Fabre (Regina Orozco) est la négligence même, aussi bien dans l’apparence que dans l’art du crime ­ elle ne pense même pas à faire disparaître l’instrument de son premier meurtre. Son acolyte, Nicolas Estrella (Daniel Gimenez Cacho) est d’un ridicule achevé. Faible et chauve, rien ne le terrorise plus que l’idée qu’on devine qu’il porte une perruque. Ancienne embaumeuse à la morgue, Coral semble se maintenir elle-même artificiellement en vie. Sur l’affiche du film, leur ombre, en forme de poignard, ne dit pas seulement que leur destin s’accomplit avant le meurtre, mais aussi qu’ils sont eux-mêmes déjà morts ou en sursis.

Si Coral Fabre n’avait eu un petit quelque chose en trop ­ de la chair ­, si Nicolas Estrella n’avait eu un petit quelque chose en moins ­ des cheveux ­, deux veuves et une célibataire seraient toujours en vie. Mais voilà : à cause de cette chair en trop, à cause de ces cheveux en moins, Coral et Nicolas se sont trouvés et se sont aimés. Et parce que leur amour se nourrissait de leurs petites misères physiques et de leur grande misère morale, le crime allait être leur destin : faits l’un pour l’autre, contre les autres… (1)

Tous les héros d’Arturo Ripstein ont dû commencer ainsi : dans l’effroi de leur solitude, ils se sont vus monstrueux avant de réellement le devenir. Plus exactement, ils le sont devenus parce qu’ils se voyaient ainsi. Devant leur miroir. Au jour le jour. Seconde après seconde. Ripstein n’a besoin que d’un seul plan, le premier, pour installer le poids de cet oppressant face-à-face : un plan tournant, enveloppant, moelleux, qui va du lit où Coral, absorbée dans le « courrier des âmes perdues », abandonne son corps, jusqu’au miroir de sa coiffeuse où ce corps trop généreux se reflète à côté d’une photo de Charles Boyer. Charles Boyer, l’homme de sa vie. Du moins, avant cette annonce matrimoniale, la première qui, au grand soulagement de Coral, « ne parle pas de poids et tout ça ». Grand familier du courrier du coeur, Nicolas Estrella cultive un accent espagnol et une vague ressemblance avec Charles Boyer. C’est avec ces atouts qu’il séduit les dames, prenant bien soin de cacher ce qu’il croit être son plus terrible secret, sa calvitie : « Ne me regarde pas, je suis un monstre », hurle-t-il beaucoup plus tard à Coral, qui l’a aperçu sans son toupet. L’autre secret de Nicolas Estrella, Coral l’a découvert presque aussitôt : le bourreau des coeurs a tué sa femme. Dès lors, elle le sait, « plus rien ne pourra les séparer ». Pour lui, elle a abandonné, ivre de douleur, ses enfants dans un orphelinat. Pour lui, elle est prête à aller de ville en ville, à traquer la veuve et la célibataire, en se faisant passer pour sa soeur. Elle sait qu’elle ne risque rien, qu’il ne la tuera pas, « parce qu’elle est si grosse qu’il ne pourrait jamais se débarrasser de son corps ». Effectivement, il ne s’en débarrassera jamais. Coral, le corps de Coral, encombrant l’espace, est là lorsque Nicolas danse le tango avec la première veuve. Il est encore là, un corps sans tête, qui passe et repasse derrière le sofa où Nicolas entreprend une vieille fille mystique (magnifique Marisa Paredes). Et il est toujours là chez l’ultime veuve, alors que Nicolas a demandé à Coral de s’en aller car, désormais, il a ce corps dans la peau, il le veut et il le rappelle auprès de lui pour un dernier sacrifice.

C’est que leurs meurtres, loin de les éloigner, ont conforté leur condition d’amants. La mort est devenue l’aboutissement de leur amour. Un rite nécessaire, inéluctable, presque « naturel ». Il en va toujours ainsi, chez Ripstein : chacun est condamné à répéter indéfiniment le gâchis de sa vie, jusqu’à la punition finale qui est aussi libération. Les enfants du Château de la pureté remplissent jour après jour leurs sacs de mort-aux-rats, le paysan de L’Empire de la fortune poursuit ses combats de coqs jus- qu’à la chute. Cette fois, c’est un meurtre qu’il s’agit d’accomplir, à chaque fois plus atroce, ce qui fait de Carmin profond le film le plus noir de son auteur. Mais aussi le plus fascinant : rarement, au cinéma, on aura approché d’aussi près l’humanité des monstres. Quand est-ce que tout cela a commencé ? A quel moment des vies basculent ? Des solitudes s’unissent, des familles se créent. Des liens névrotiques s’installent. L’étau se resserre. C’est le père du Château de la pureté qui séquestre ses enfants, la mère de Début et fin qui détruit les siens. Même lorsqu’on croit s’en être libéré, la famille resurgit là où on ne l’attend pas : La Femme du port découvre trop tard qu’elle a couché avec son frère ; Coral et Nicolas s’inventent, eux, des liens incestueux. Ainsi se joue la tragédie humaine, toujours à huis clos, à l’écart du monde. Coral et Nicolas n’ont échappé à leur réclusion solitaire que pour se recréer une prison à deux.

Faux road-movie, Carmin profond fait du surplace : les deux amants traversent des paysages lunaires, des lieux abstraits qui les conduisent d’une veuve solitaire à une célibataire cloîtrée. Pourtant, grâce à eux et à leur amour vampirique, la vie, par moments, se réveille… C’est cela, le véritable scandale de ce film, et l’audace de Ripstein : au milieu de l’horreur et de façon quasi consubstantielle, il y a la part du rêve. Un rêve brûlant, sensuel, incarné. C’est, pour l’une des victimes, un soir de liberté, l’ivresse d’un tango, l’oubli des années qui passent ; pour l’autre, la promesse d’un mariage, d’une extase mystico-charnelle qui lui fait déclamer le Cantique des cantiques ; pour la dernière, enfin, le simple bonheur d’avoir un homme qui l’aime et joue avec sa fille. Un instant, grâce à l’amour féroce de Coral et Nicolas (Regina Orozco et Daniel Gimenez Cacho, bouleversants), chacune a échappé à sa solitude. Les veuves auront été joyeuses, les célibataires auront vécu. Devant la beauté sauvage de ces images et la musique enivrante qui les scande, on songe à ce que disait, de ce côté-ci de l’Atlantique, un autre grand maître du mélodrame, Rainer Werner Fassbinder : « L’amour est plus froid que la mort. » Chez Arturo Ripstein le Mexicain, l’amour a le goût de la mort, et c’est un goût de cendres brûlantes.

Vincent Remy (telerama.fr)

(1) Le réalisateur mexicain s’est ici « approprié » un fait divers survenu aux Etats-Unis, qui a déjà inspiré Les Tueurs de la lune de miel, de Leonard Kastle.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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