Ceddo



Vendredi 13 mars 2009 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Ousmane Sembene – Sénégal – 1977 – 1h51 – vostf

Le film se situe au 17ème siècle au moment où l’islam et le christianisme pénètrent l’Afrique de l’Ouest. Pour les deux religions, tous les moyens sont bons pour remplir la mosquée ou l’église : armes à feu, alcool et pacotille de toute sorte. L’imam, après avoir converti la famille royale et les grands dignitaires, se heurte au refus des  » Ceddos « , le peuple. Pour eux, adhérer à une religion étrangère, c’est renoncer au spiritualisme africain.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

CEDDO ou l’esprit de résistance

CEDDO (1977)  illustre parfaitement la conception qu’Ousmane Sembene se faisait du cinéma. Le film comme objet de culture, comme outil de réflexion au service de tous et surtout de ceux qui n’ont pas accès au livre, et comme arme politique face à tous les pouvoirs. Le film a d’ailleurs été interdit au Sénégal jusqu’en 1984…

Le film s’appuie certes sur l’histoire, mais ce n’est pas un film historique pour autant. Sembene précise bien qu’il se situe à une époque indéterminée entre le XVIIème et le XIXème siècle, voire le XXème… On l’aura compris, ce qui intéresse le réalisateur, ce n’est pas la reconstitution historique en tant que telle. L’objectif vise plutôt à rendre possible une véritable ré-appropriation de  l’histoire, souvent peu ou mal connue des Africains eux-mêmes (et bien sûr soigneusement occultée par les colonisateurs de tout poil). Une ré-appropriation de l’histoire qui permet à son tour  une réflexion sur l’identité et l’évolution de cette identité au fil des époques et des bouleversements de l’histoire.

Mais au-delà de l’histoire ancrée dans un territoire, Ousmane Sembene pose des questions universelles qui ont trait au fonctionnement de la société humaine. Articulation du spirituel et du temporel : l’imam et le prêtre catholique face au roi et au marchand. Manipulation des peuples par les « élites« .  Identité et aliénation. Tradition et évolution. Relation Hommes/femmes. Soumission ou révolte. Compromis(sion) ou refus radical. On voit que les questions sont d’envergure. Et Ousmane Sembene a parfaitement assimilé tous les ressorts cinématographiques qu’il peut tirer d’une exposition  dialectique de son sujet. Sa conviction de marxiste « mécréant« – comme il se définit lui-même – nous brosse un tableau impitoyable, sans pour autant sombrer dans le manichéisme ou la propagande.

Sur le plan de la forme, ce qui est peut-être le plus frappant pour un spectateur occidental, c’est la place de la parole accompagnée d’une bande son prenante, qui n’a rien de « folklorique » ou d’illustratif. Nous sommes dans le récit, tel que le pratiquent les griots ou les conteurs. Aux antipodes de la  narration linéaire, nous sommes le plus souvent emportés dans la métaphore  et le symbolique. Certains évoqueront le théâtre ou encore la déclamation mais ce serait,  à mon avis, passer à côté de ce que le cinéma d’Ousmane Sembene a peut-être de plus original et de plus profondément africain : un rythme bizarrement indolent et soutenu à la fois. D’une manière totalement imprévisible, l’école du montage soviétique a ainsi sauté par-dessus l’équateur et donné un rejeton  surprenant, désarçonnant, hybride à plus d’un titre. Nous sommes dans ce que Edouard Glissant appellerait sans doute la « créolisation » du langage cinématographique. C’est ce qui fait toute sa force et sa beauté.

On ne saurait parler du cinéma d’Ousmane Sembene sans parler du rôle des femmes dans presque tous ses films. Le réalisateur aurait certainement pu dire avec Aragon  « la femme est l’avenir de l’homme« . Il  avait en tout cas coutume de dire qu’ « en Afrique, c’est la femme qui libèrera l’homme ». De « La Noire de… » à « Moolade » en passant par « Xala » ou « Faat Kine », le cinéma de Sembene est riche en figures de femmes fortes, énergiques, qui ne s’en laissent pas compter et font preuve d’une belle lucidité face à des hommes immanquablement attirés par le miroir aux alouettes du pouvoir sous une forme ou sous une autre.

Dans CEDDO, cette veine féministe se retrouve dans un final inattendu où la belle princesse relève le défi de l’Histoire, se substitue à son père défaillant et montre à son peuple la voie de la liberté. Et si le terme « Ceddo » a subsisté dans l’Afrique contemporaine; c’est qu’il désigne encore aujourd’hui non plus les tribus qui se révoltèrent à l’époque dans l’Ouest de l’Afrique mais un état d’esprit, un souffle d’indépendance et de résistance. D’ailleurs, Ousmane Sembene avait fait graver au-dessus de sa porte « Galle Ceddo » que l’on pourrait traduire par « la maison de l’insoumis« .

Chacun des films d’Ousmane Sembene illustre cette nécessité absolue de la résistance. Face à tous les pouvoirs – qui par définition tentent d’asservir l’homme – celui-ci n’a pas d’autre choix, s’il veut conserver sa dignité, de relever la tête et de dire . « Non »…

Encore une fois, on peut donc dire que le cinéma nous emmène très loin, nous fait voyager dans le temps et dans l’espace, mais sa véritable fonction consiste avant tout à  nous faire réfléchir à notre condition, la condition humaine, en passant par le prisme des émotions et de la beauté. Comme toute forme d’art….


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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