Cent Mille Milliards/Imperial Princess



Jeudi 21 Novembre 2024 à 19h

Salle Pop-Up au 109, 89 Rte de Turin 06300 Nice

Film de Virgil Vernier, France, 2024, 1h17

Virgil Vernier est un acteur et réalisateur né à Paris en 1976. Après une maîtrise de philosophie il étudie deux ans aux Beaux-Arts de Paris où il rencontre Christian Boltanski qui le guide dans la réalisation de ses premiers films vidéos. En 2007, il réalise Chroniques de 2005, film sur la vie et les rêves de cinq personnages nés en 1980. Il co-réalise Commissariat avec Ilan Klipper en 2010. En 2009 son court métrage Thermidor est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes. La même année son long métrage documentaire Autoproduction, suivant le tournage d’un film à Belleville, est présenté au festival du Cinéma du réel à Paris. L’année suivante à Cannes son court métrage Pandore, sur l’entrée d’une boîte de nuit parisienne est diffusé dans le cadre de la sélection de l’ACID.

Continuant à réaliser de nombreux courts métrages (Orléans, Andorre, Vega, Iron Maiden), Virgil Vernier réalise son premier long métrage de fiction Mercuriales en 2014. Son film, Sophia Antipolis, fut présent dans la sélection Cineasti del presente du Festival de Locarno 2018. En 2023, son court métrage Kindertotenlieder est nommé au César du meilleur court métrage documentaire.

Notre Article

par Josiane Scoleri

Avec 100 000 milliards et Imperial Princess, Virgil Vernier signe un diptyque étonnant dans le paysage cinématographique français. À commencer par le lieu même du tournage, la principauté de Monaco et ses abords immédiats qui n’apparaissaient plus dans le cinéma d’auteur depuis belle lurette! Virgil Vernier a visiblement un goût pour des territoires un peu à part qui impliquent nécessairement des populations elles-mêmes un peu part. C’était déjà le cas avec «Les Mercuriales», tourné Porte de Bagnolet, un lieu charnière qui n’est plus tout à fait Paris sans être non plus vraiment la banlieue. Ce fut le cas également avec «Sophia Antipolis», enclave improbable sur la Côte d’Azur.

100 000 milliards et Imperial Princess peuvent se voir comme l’aboutissement de ce processus, Monaco étant à l’évidence un lieu encore bien plus à part que les précédents avec sa «monarchie de droit divin» (dixit l’ancien prince Rainier), ses princesses et ses milliardaires. C’est à ce dernier aspect que s’intéresse ici le cinéaste, laissant de côté la presse people et les intrigues de palais. Les deux films abordent deux aspects complémentaires de cette sociologie si particulière. D’un côté, les travailleurs et travailleuses du sexe, escort girls and boys plus ou moins haut de gamme qui veulent croire à l’Eldorado et de l’autre «une pauvre petite fille riche», bien paumée et très seule. Ce qui est intéressant sur le plan de la forme, c’est que Virgil Vernier utilise un médium différent pour chaque film. Imperial Princess a été entièrement tourné au téléphone portable par la protagoniste elle-même. 100 000 milliards est en 16 mm. Ça donne bien sûr deux grains totalement différents, deux textures opposées qui épousent parfaitement le sujet. Image froide du téléphone en écho à la solitude de la jeune femme prise par la peur, voire la paranoïa après avoir perdu tous ses repères (famille, argent, luxe, connaissances, etc.).

Image douce de la pellicule pour ce conte de Noël mélancolique. Car 100 000 milliards se passe pendant la période des fêtes. Les décorations de Noël dégoulinent littéralement de dorures et de lumières, accentuant encore le côté kitsch du décor où les yachts flirtent avec les boutiques de luxe en enfilade. C’est le bling-bling à la puissance 1000 qui fait rêver le chaland. Les touristes se font photographier devant des Ferrai dorées et des bateaux high-tech. Mais ce qui est remarquable dans la mise en scène de Virgil Vernier, c’est qu’il a su préserver cette atmosphère de fable qui nous enveloppe dès le départ avec la voix off de Julia qui dit «Le géant n’avait peur de rien». Le réel est bien là, sans enjolivures, mais Julia, l’enfant taiseuse, qui est un peu médium introduit le rêve et les mystères de l’inconscient, notamment avec une scène digne d’ Alice au pays des merveilles qui est très certainement l’une des les plus poétiques du film.

L’ambiance est bien différente dans Imperial Princess et il est frappant de voir comment des lieux identiques peuvent produire des effets complètement opposés en fonction de la mise en scène et de la façon dont les personnages habitent l’espace. La pauvre princesse impériale du titre tourne dans Monaco comme un poisson rouge dans son bocal. Elle se filme en permanence avec des jeux de miroirs qui démultiplient son image et brouillent encore davantage ses repères. Ses déambulations dressent une sorte d’état des lieux documentaire où elle glisse sans véritables liens affectifs. La voix off accentue encore cet effet, le timbre restant en outre pratiquement le même dans toutes les situations. Tout renvoie à l’impasse, comme la longue liste des noms de milliardaires russes qui, au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, se sont retrouvés interdits bancaires – même à Monaco – Tout d’un coup l’actualité au sens large percute le petit monde étouffant de la jeune femme. L’étau se resserre. Rien ne va plus.

Le scénario de 100 000 milliards en revanche met en oeuvre la rencontre de deux, voire de trois mondes au sein du microcosme monégasque: Julia la petite fille qui pousse toute seule, Vesna, la trentenaire qui aimerait bien surfer sur la vague new-age et Afine, le jeune gigolo qui préfère ne pas trop se demander de quoi demain sera fait. Le croisement de ces trois solitudes va permettre d’étoffer les personnages, de complexifier les situations, de créer des liens et peut-être même d’ouvrir l’horizon. À ce titre, la scène où Afine et Julia se retrouvent tout d’un coup sur une petite crique à la sortie du labyrinthe souterrain (cf Alice) a une fonction symbolique à ressorts multiples. Elle figure un monde à part, encore sauvage où les règles habituelles n’ont plus cours, où le rationnel laisse la place à l’imagination, en un mot où il est permis de rêver. Et on a bien besoin de rêve quand on a 11 ans et qu’on grandit sans voir ses parents, trop occupés à la multiplication des milliards, même à Noël. Quand on a 30 ans et qu’on est toujours babysitter pour riches, quand on a 18 ans et qu’on s’injecte de l’acide hyaluronique dans les lèvres… On a bien besoin de faire une tarte aux pommes, d’allumer des bougies et de participer à un rituel qui vient du fonds des âges, quel qu’il soit. Virgil Vernier navigue ainsi habilement entre décor et envers du décor, sans jamais donner dans le portrait à charge, avec une réelle douceur pour ses personnages qui donne au film quelque chose de ouaté, comme quand la neige tombe à Noël et amortit les sons. C‘est sans doute ce qui fait la grande originalité du film. Virgil Vernier s’affirme ainsi aujourd’hui comme l’une des voix les plus singulières du cinéma français contemporain.

IMPERIAL PRINCESS (France, 2024, 48′)

Iulia vit seule à Monaco depuis le départ de son père, retourné en Russie à cause des sanctions contre son pays. Elle ne va plus en cours. Elle Entretien avec Virgil Vernier, réalisateur de Imperial Princesse sent de plus en plus seule et menacée.

Interrogé sur la genèse de son court-métrage, le réalisateur explique: « Au départ, j’étais à Monaco pour préparer un autre film, un long-métrage. Mais les financements ont mis plus de temps à arriver que prévu et le film a été repoussé d’un an. C’est à cette époque que l’invasion de l’Ukraine a eu lieu. Il faut savoir que les Russes adorent Monaco, c’est un lieu historique de villégiature et d’investissement immobilier. Mais d’un jour à l’autre, la principauté a déclaré qu’ils n’étaient plus les bienvenus. Les russes ont commencé à quitter le territoire à mesure que la police commençait à confisquer leurs yachts et leurs appartements… C’est un film qui s’est fait dans l’urgence donc je ne savais pas à l’avance, j’avais juste l’intuition qu’il y avait des correspondances puissantes entre la ville et l’histoire de Iulia… » (blogs.mediapart.fr)

« Imperial Princess se présente sous la forme d’un journal printanier tenu par sa protagoniste Iulia, une jeune femme russe ayant décidé de rester à Monaco après le départ précipité de ses parents par peur des sanctions consécutives à l’invasion de l’Ukraine. « Imperial Princess » est peut-être le nom de leur yacht exfiltré in extremis à Dubaï ; il qualifie aussi bien la figure de cette héroïne qui prétend n’avoir besoin de personne, prisonnière d’une cage dorée ou d’un palais des glaces soupçonné de dissimuler des présences hostiles derrière ses miroirs sans tain. Comme toujours chez Vernier, l’enregistrement brut communique directement avec la beauté capiteuse des contes, et l’image dégage un parfum mortifère. Une rumeur court selon laquelle les beaux fruits des arbres de la principauté auraient été empoisonnés par leur souverain même pour empêcher qu’on s’en saisisse. Filmé au smartphone avec un soin infini, un monde d’opulence se dévoile sous des allures clandestines ; un château de cartes se regarde comme un palais somptueux ; un monde figé dans une éternité vaniteuse se laisse contaminer par le poison du confort illusoire. Tandis que Monaco se prépare à accueillir son grand-prix de Formule 1 annuel, et que des bolides font crisser leurs gommes sur l’asphalte, ses habitants respirent la fumée toxique de leurs propres divertissements ; un monde clinquant et périssable, dont on voudrait que l’héroïne se réveille. » (fim-documentaire.fr)

« Après une plongée dans la jeunesse dorée suisse dans Sapphire Crystal (2019), le cinéaste, fasciné par les territoires de l’ultra-capitalisme, nous emmène à Monaco. Dans ce royaume à la fois archaïque ultramoderne, il y a l’obsession de l’argent qui coule à flots, des jeux et loisirs coûteux, des bijoux qui brillent, du vrombissement des luxueuses voitures du Grand Prix de Formule 1 (qui ouvrent et ferment le film). Tourné en selfie, à la verticale, le film adopte le point de vue d’une jeune russe, Iulia, princesse déchue qui refuse de quitter Monaco, même quand ses parents n’ont plus les moyens d’y rester et revendent les appartements et yacht qu’ils y ont acquis. Quand la tragédie de la guerre en Ukraine s’impose, elle décide là encore de rester, coûte que coûte. Elle tient les rênes de ce journal de bord filmé, documente sa solitude, dans une forme d’errance traînante que promet et promeut ce capitalisme outrancier, jusqu’à épuisement des ressources. Ce que suggère très bien le film, c’est qu’au milieu de ces buildings immenses, clinquants, de ces circuits automobiles zigzagants, l’accident – à l’image de celui qui a coûté la vie à la princesse Grace de Monaco en 1982 – attend tout le monde au tournant. » (troiscouleurs.fr)

CENT MILLE MILLIARDS

Ils restèrent toute la nuit à discuter dans la chambre de Julia. Elle lui parla des palais, des châteaux, des diamants, et de tout l’or qu’elle avait vu. Elle lui raconta ce qui se passait après la mort. Afine l’écoutait sans dire un mot, ébloui par toutes ces choses dont il n’avait jamais entendu parler.

Interrogé sur son film Cent mille milliards, il confie : « Ce film, en particulier, s’inspire beaucoup des récits initiatiques, notamment des fameux romans français du XIXème siècle siècle où un garçon de province arrive à Paris, plein d’illusions, essaye de se faire une place, se prend la réalité dans la gueule, et finit par retourner dans sa province, souvent parce qu’il n’a pas réussi. Je sentais vraiment que c’était une histoire qui devait passer par plusieurs étapes psychologiques et morales, et qu’elle ne pouvait pas être juste un fragment. Il fallait accompagner Afine à travers les différentes étapes de sa désillusion… Ce que je cherche dans mes films, c’est les choses qui troublent, qui donnent du désir et qui en même temps sont terrifiantes – des choses qui, parce qu’elles sont bien, sont aussi problématiques… Je savais que c’était un film dans lequel je voulais parler de l’abstraction du temps, de l’arbitraire des heures, de la magie du temps suspendu, de l’absurdité des chiffres qui ne veulent plus rien dire – le fait que, lorsqu’on est heureux, on ne voit plus le temps passer, et que, quand on s’ennuie, le temps semble interminable… » (extraits de l’entretien réalisé par Öykü Sofuoğlu)

« À l’image des voyages que réalisent ses films sélectionnés dans différents festivals : à la Quinzaine des réalisateurs (Cannes), à l’ACID (Cannes), à Rotterdam, Berlin ou San Sebastian, le cinéma de Virgil Vernier dresse une cartographie des lieux où l’argent est architecture : Andorre, Genève, Sophia Antipolis. En chroniquant le monde contemporain capitaliste, Virgil Vernier s’avère être un réalisateur, coutumier du format court, qui se distingue au sein du paysage cinématographique français par son regard singulier qui brode dans un grain de l’image qui lui est propre : la fiction, le documentaire et le mythe. Avec Cent mille milliards, sélectionné cette fois-ci à Locarno, Virgil Vernier retrouve le décor de la Principauté monégasque, espace qu’il avait déjà exploré lors d’un moyen métrage, Imperial Princess, présenté cette année au Festival Cinéma du Réel. Ce premier essai monégasque racontait l’errance de Iulia, jeune femme russe qui avait décidé de rester à Monaco après le départ précipité de ses parents par peur de sanctions consécutives à l’invasion de l’Ukraine. Deuxième essai avec une nouvelle errance sur le chemin d’une solitude, celle d’Afine (Zakaria Bouti).

Alors que ses colocataires partent en vacances à Dubaï, Afine, dix huit ans, passe son Noël à travailler en tant qu’escort-boy dans les rues décorées de Monaco. Se laissant porter par les missions qui sont les siennes et par les rencontres qu’il fait, Afine se retrouve à garder Julia, une jeune fille abandonnée par ses parents fortunés partis fêter la fin de l’année.

La grande force de Virgil Vernier est d’arriver à saisir une époque, comme une peinture en mouvement entamée depuis plusieurs films sur laquelle on percevrait les désirs funèbres d’une génération mondialisée et, plus en profondeur, le cœur de constellations de solitudes. Délaissés, les vagabonds se retrouvent dans la mythologie d’un quotidien de façade où se reflète, rues après rues, ce sentiment d’une absence totale de sens dans l’existence. Le plus touchant, c’est qu’émerge en un rien de temps, la beauté, un sentiment né de la rencontre de ces personnages sans aventure ni ambition. Et deux images, cerise sur le château, d’une simplicité cinématographique majestueuse pour décrire le tout : un plan d’écran de veille d’un ordinateur pour le passage à la nouvelle année ; puis le plan final, celui d’une maquette d’île en 3D comme terre d’avenir et d’immortalité. » (movierama.fr)

« … La recette magique du cinéaste français ? Un lieu (cette fois, la très luxueuse principauté de Monaco dans l’écrin étrange de Noël et de rues quasi désertes inondées de guirlandes lumineuses et de sapins géants), un parfum de conte pré-apocalyptique (« le géant n’avait peur de rien. Avec sa force, il détruisait tout sur son passage… Personne ne pouvait l’arrêter. Il allait conquérir le monde« ) ancré dans la modernité (le chantier d’extension de la ville sur la mer et les augures d’une catastrophe imminente à laquelle des ultra-privilégiés se préparent en construisant des îles privées), et un zest de lutte des classes avec les anonymes oeuvrant dans les coulisses de la vitrine de l’abondance. Des invisibles aspirant à passer de l’autre côté du miroir et incarnés dans le film par Afine (Zakaria Bouti), un « escort » de 18 ans se retrouvant dans la solitude de l’opulente cité quand ses trois co-équipières partent en vacances à Dubaï (après une soirée d’échanges nourris sur les souvenirs, les ambitions et les perspectives d’avenir professionnel du petit groupe).

Dans une atmosphère paradoxale entre temps qui n’existe pas (les indications dans les souterrains de Monaco renvoient aux luttes entre Guelfes et Papalins) et aiguilles de l’horloge tournant à toute allure (injection d’acide hyaluronique en prime), l’escort Afine enchaîne sur quelques jours deux « boulots » ressemblant davantage à un job d’accompagnant (faire les boutiques des grandes marques, se promener en bord de mer, partager le repas de Noël, etc.) et presque d’ami réservé. Le premier avec une affectueuse quinquagénaire dont les enfants sont devenus des étrangers pour elle, le second avec Vesna (Mina Gajovic), une jeune Serbe rêvant d’ouvrir un salon d’énergéticienne à Nice et babysittant pour les fêtes Julia (Victoire Kong), une pré-adolescente de 11 ans qui en sait déjà énormément sur l’univers « des châteaux, des diamants et de l’or » et qui a aussi mis le feu à son pensionnat pour rejetons de l’élite. En leur compagnie, Afine va découvrir des secrets qui vont totalement changer sa perception du monde…

Alchimiste en distillation d’atmosphères à travers un Super 16 magnifié par la chef-opératrice Jordane Chouzenoux, Virgil Vernier façonne une oeuvre elliptique, voire cryptique, à la frontière des genres (entre ultra réalisme social et double-fond des contes et légendes, entre documentaire et fiction, entre conscient individuel et inconscient collectif) opérant dans le champ des sensations (« les yeux ne mentent pas« ) et de l’écoute attentive. Esquivant à dessein la dramatisation sans jamais perdre le fil d’un scénario toujours intriguant (écrit par le réalisateur et Benjamin Klintoe), Cent mille milliards dresse en finesse et avec un relatif et élégant détachement, le portrait de multiples solitudes enchevêtrées dans le tissu sophistiqué d’un univers d’opulence minéralisée vacillant au bord du gouffre (« si ça continue, tout va s’écouler« ). En émerge un film très singulier et très réussi qui invite autant à la réflexion qu’à une forme de lâcher-prise : « fermez les yeux et détendez-vous. Cette pierre va nettoyer toutes les taches noires de votre cerveau. » (cineuropa.org)

« … Dans cette curieuse fable de Noël, l’économie de mots et l’absence générale de contexte n’empêchent jamais les émotions d’affleurer. Le spleen des personnages entre naturellement en écho avec celui d’une principauté désincarnée, qui mise tout sur l’artifice et les rêves en toc. De son corps souple, ses désirs mystérieux et son air tendre, Afine adoucit la violence d’un monde déshumanisant, qui pourtant continue d’attirer sans réserves. » (troiscouleurs.fr)

« … Le prix de la mise en scène aurait pu distinguer également Cent Mille Milliards, de Virgil Vernier, fleuron d’une représentation française curieusement déplumée. La mélancolie de la jeunesse brille aussi, et d’un éclat particulier, dans ce film tourné à Monaco pendant la période des fêtes de Noël, décor brillant et vide où un jeune escort boy se lie avec une petite fille riche, abandonnée par ses parents à une nounou qui veut lancer son business de bien-être par les pierres précieuses. Une poésie de conte se mêle à une réalité qu’on devine vaguement désolante mais qui reste, c’est le curieux charme du film et peut-être aussi sa faiblesse, un peu éthérée. Virgil Vernier a, en tout cas, un très beau regard, un véritable instinct de cinéaste. » (telerama.fr)

« Il existe certains films, rares, qui parviennent à instaurer, dans la matière même de l’image, une ambiance sentimentale et sensorielle si raffinée et profonde que tenter de l’expliquer par des mots ou des phrases alambiquées semble en altérer toute la magie. À travers un parcours de cinéaste modeste mais assez long, Virgil Vernier a toujours été en quête de ces ambiances qui, échappant à la logique du langage verbal, se matérialisent sous le regard attentif de sa caméra…Vernier a cette particularité de retrouver ces ambiances dans des lieux stériles et inertes, presque des non-lieux, souvent ornés de symboles étincelants de luxe et de richesse, là où il est difficile d’éprouver un sentiment d’appartenance ou de créer des connexions. Présenté cette année dans la compétition internationale du Festival de Locarno, son nouveau film, Cent mille milliards, n’y fait pas exception.

Après avoir traversé différents lieux des merveilles du capitalisme, tels que Genève, Andorre ou Sophia Antipolis, Vernier débarque cette fois-ci à Monte-Carlo, royaume (ou plutôt principauté) des casinos où règnent le hasard et l’argent noir. Quoique très peu explicite, le cinéaste a toujours eu un penchant pour des histoires avec des protagonistes féminins et, à cet égard, Cent mille milliards se présente comme une nouveauté – en proposant une exploration de la masculinité et des rôles auxquels on l’associe à travers le personnage d’Afine… Âgé de 18 ans, Afine travaille comme escort et vit avec ses trois amies, elles aussi travailleuses du sexe. Il mène une existence flottante et sans but précis, naviguant entre ses clients – un homme noir, adepte de bodybuilding et de fitness, qui paraît plus intéressé à coacher Afine qu’à lui faire l’amour, ou une vieille dame qu’Afine accompagne dans des activités banales et quotidiennes : tours des magasins de luxe, apéros, repas en tête-à-tête. Vernier, en laissant la nature sexuelle de ces rencontres hors champ par des ellipses, semble souligner que c’est moins le désir sexuel que la solitude que l’on cherche à assouvir. Mais quant à Afine, c’est l’absence de la volonté, du désir pour l’autrui ou pour une ultime réalisation de soi, qui caractérisent vraiment son humeur. Même lorsqu’il est avec sa bande d’amies qui, à la différence de lui, cherchent à réussir leur vie tant bien que mal, Afine est distant, dissocié de tout ce qui se passe autour.

Très proche de la manière dont Afine vit son expérience, Cent mille milliards se caractérise par une structure fragmentaire et laconique, parcourue d’un fil temporel souple dont les extrémités nous échappent parfois. Néanmoins, les vacances de Noël, durant lesquelles les amies d’Afine partent à Dubaï, constituent le noyau narratif du récit. Noël chez Vernier, période par excellence des merveilles et des miracles, autant dans l’histoire du cinéma que dans toute forme de récit, revêt Monaco d’une beauté froide et artificielle, illuminée par les vitrines guirlandées des magasins de luxe, où les mannequins semblent plus vivants que les citadins eux-mêmes. C’est durant cette période qu’Afine passe son temps avec Vesna, une thérapeute énergétique d’origine serbe, et Julia, une adolescente dont les parents richissimes ont confié la garde à Vesna, ainsi que leur villa, pour les vacances. Thème crucial parcourant toute sa filmographie, Cent mille milliards illustre également la prédilection du cinéaste pour des personnages déracinés, dans lesquels il se retrouve en partie lui-même. Dans cette villa somptueuse, dépourvue d’ancrage et d’appartenance, Afine, Vesna et Julia cherchent un ersatz d’intimité les uns chez les autres. Même si ce n’est que pour quelques jours, avant que les tensions accumulées ne se déchaînent, ils mettent de côté leurs réalités respectives et se livrent au jeu de la famille – un jeu souligné de façon métonymique dans la scène où Vesna fait semblant de mener une séance de lithothérapie avec Afine et Julia.

Or, la réalité guette Afine à chaque instant – reflétée par l’image récurrente du calendrier de l’Avent qui, tel un compte à rebours, rappelle la séparation imminente. Afine est constamment effrayé à l’idée de se retrouver face à face avec sa propre solitude, à laquelle il s’échappe en se réfugiant dans la compagnie des autres. Il est le Cendrillon qui songe à retarder les cloches de minuit. Alice, Cendrillon, ou la petite fille aux allumettes, figures tragiques dont Afine semble craindre de partager le sort — ou même Raiponce, qui rappelle la petite Julia, enfermée dans ce monde stérile mais sûr que ses parents ont créé pour elle : toute une lignée de personnages dont on retrouve les réminiscences dans Cent mille milliards. Si le film puise beaucoup dans l’imaginaire des contes de fées, les richesses dont Julia parle à Afine sont-elles vraiment l’équivalent moderne des royaumes magiques de ces récits, ou bien incarnent-elles un monde où il n’y a plus de place pour le miracle, la magie et le bonheur éternel ? La vision de Vernier est suffisamment riche et complexe pour contenir, aussi contradictoires soient-elles, ces deux possibilités simultanément : l’impression d’un temps figé, évoqué par le paysage urbain intemporel de Monaco, et celle d’un temps qui fuit, toujours en mouvement, à l’image des nouvelles constructions qui commencent à se dresser à l’horizon — autant de contrastes qui cohabitent au sein du film et se cristallisent de manière encore plus complète dans son titre. Le dernier chiffre prononcé en voix-off par Afine, lorsqu’il les énumère dans l’ordre croissant, cent mille milliards, correspond à une valeur presque inatteignable, tellement immense qu’elle finit par ne plus rien signifier : un simple enchaînement de 1 et de 0, d’une grandeur au-delà de notre compréhension, sans sens concret. » (filmexplorer.ch)

« Virgil Vernier a toujours été un cinéaste capable de capter les états d’âme fugaces et complexes qui caractérisent les individus vivant dans l’ombre du capitalisme tardif –aussi bien ceux qui y trouvent refuge et prospérité que ceux, moins fortunés, qui besognent sans relâche dans ses recoins les plus souterrains, cherchant simplement à survivre. Aliénation, errance, mélancolie, mais très peu de nostalgie – nostalgie de quoi, justement, dans un présent où le passé n’a plus de sens ? Jusqu’à présent, son cinéma se situait dans une exploration atmosphérique des lieux de transition et de l’anonymat. Avec Cent mille milliards, Vernier dépasse cette exploration et imprègne ses images empreintes de sentiments aux couleurs douces, pastels. » (debordements.fr)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri, Virgil Vernier.

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