Samedi 15 Février 2014 à 20h30 – 12ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Paolo et Vittorio Taviani – Italie – 2012 – 1h16 – vostf
Théâtre de la prison de Rebibbia. La représentation de « Jules César » de Shakespeare s’achève sous les applaudissements. Les lumières s’éteignent sur les acteurs redevenus des détenus. Ils sont escortés et enfermés dans leur cellule. Mais qui sont ces acteurs d’un jour ? Pour quelle faute ont-ils été condamnés et comment ont-ils vécu cette expérience de création artistique en commun ? Inquiétudes, jeu, espérances…Le film suit l’élaboration de la pièce, depuis les essais et la découverte du texte, jusqu’à la représentation finale. De retour dans sa cellule, « Cassius », prisonnier depuis de nombreuses années, cherche du regard la caméra et nous dit : « Depuis que j’ai connu l’art, cette cellule est devenue une prison. »
Notre critique
Par Bruno Precioso
Réussir un come-back 36 ans après avoir connu le succès n’est pas courant ; le faire à 168 ans (en additionnant les âges de Paolo et Vittorio Taviani, évidemment) est bien plus rare. Les frères Taviani semblaient ne plus devoir bousculer le milieu du cinéma, marqué par Padre padrone en 1977 (Palme d’or et Prix de la Critique Internationale – FIPRESCI), puis par la Nuit de San Lorenzo, Grand prix du Jury 1982. L’Ours d’or remporté en 2012 pour César doit mourir relance donc la carrière devenue plus discrète des frères octogénaires (respectivement nés en 1929 et 1931), et l’occasion leur est donnée pour ce vingtième long-métrage d’allonger la liste des jeunes réalisateurs du 3ème âge en pleine lumière, d’Alain Resnais à Manoel de Oliveira. Ce Cesare, loué pour son originalité formelle, ne rompt pourtant pas avec le parcours des frères cinéastes qui fonctionnent comme une entité unique. « Nous sommes comme le café au lait… Impossible de dire où finit le café et où commence le lait. » (Festival de Cannes, 1977) Depuis leurs débuts en effet, les deux frères peuvent être appelés « les Taviani » du fait de leur proverbiale fusion dans le travail comme dans la vie. « Nous ne voyons pas comment nous pourrions travailler l’un sans l’autre. (…) Tant que nous pourrons mystérieusement respirer au même rythme, nous ferons des films ensemble. » déclarent-ils lors d’une interview au Corriere della sera en 2012. Après des cours d’art à l’Université de Pise, la découverte du Païsa de Roberto Rossellini conduit Paolo et Vittorio au cinéma. La rencontre du pisan Valentino Orsini les oriente vers le théâtre engagé, puis après plusieurs pièces montées à Livourne, vers le cinéma. Fils d’antifascistes mazziniens, les Taviani dans leur génération seront naturellement (et resteront) marxistes. De fait, l’histoire sociale de l’Italie du Sud (en particulier les luttes paysannes et les questions de moeurs) domine les sept documentaires qu’ils tournent à partir de 1954 avec Valentino Orsini. Le premier long-métrage ‘‘autonome’’ des Taviani sort en 1961 (Un uomo da bruciare), alors qu’ils ont 30 et 32 ans.
De ce parcours, on retrouve les traces dans César doit mourir. L’attirance pour le genre documentaire d’abord, avec lequel les Taviani n’ont jamais rompu au cours de leur carrière. Comme toujours, se frotter au genre impose un nombre considérable de questions, questions d’autant plus inévitables ici que le dispositif invite très clairement au soupçon quant aux canons du genre documentaire. L’origine du projet présente pourtant les apparences les plus classiques : Paolo et Vittorio invités par une amie assistent à une représentation au théâtre de la prison centrale de Rebibbia où un détenu lit en dialecte napolitain un extrait de la Commedia de Dante, l’histoire de Paolo e Francesca dans le cercle de la luxure de l’Enfer. Choc initial pour des Toscans qui entendent pour la première fois ces vers qu’ils connaissent par coeur, auxquels le napolitain confère une nouvelle vie, et une nouvelle émotion. De là l’idée de collaborer avec le metteur en scène de la troupe, Fabio Cavalli, qui travaille avec les détenus depuis 2003. Là commence le projet, là s’arrête l’hypothèse documentaire. Ce qui frappe le plus est sans doute la grande fluidité dans la narration malgré un parti-pris anti-naturaliste qui ne cesse de bousculer le film, à commencer par la structure chronologique et visuelle. La confusion habite et éclate l’espace, les niveaux de lecture s’interpénètrent, le vrai et le faux s’entrechoquent en de multiples mises en abîme qui organisent la totalité du projet. Un seul exemple de la complexité du dispositif : les acteurs ne se contentent pas d’être des comédiens – plus si amateurs – qui interprètent autant de rôles de théâtre, ils sont surtout les interprètes de leur propre rôle (ou du moins du rôle de prisonniers homonymes de l’acteur qui joue le rôle) puisque les Taviani ont écrit jusqu’à leur répliques ‘‘non-théâtrales’’, et les font jouer de sorte à rendre le jeu apparent.
Les choix esthétiques sont remarquables de radicalité : un noir et blanc contrasté à l’extrême sur le plan visuel ; le travail des cadres très variés et les plans de coupe qui intègrent les gardiens eux-mêmes de la partie constituent une forme de panorama en même qu’un hors-champ qui filtre constamment en arrièreplan; des choix sonores malicieux – et peut-être risqués… Ramasser le passé. Tout est l’occasion de jouer avec les codes. Les Taviani s’attachent davantage à la mise en scène qu’à un quelconque témoignage ‘‘réaliste’’, à l’acteur qui joue la condition humaine plus qu’à la sociologie qu’il incarne. Le tout est là pourtant, simultanément. Les deux frères cinéastes montrent le casting, la distribution des rôles ; les Taviani ne font aucun commentaire, n’imposent aucune lecture. Ils préfèrent s’en remettre au pouvoir de la mise en scène : ouvrir sans cesse des perspectives, des pistes que chacun est libre de suivre s’il le peut car elles s’entrechoquent
souvent.
« (…) C’est à la manière de poètes et non de philosophes, qu’ils abordent les problèmes sociaux et politiques de leur temps, les transposant à travers le prisme de l’allégorie dans les temps futurs et passés. L’utopie est à la fois le ferment de leur oeuvre, leur mode de narration et le rapport fondamental que leur cinéma entretient avec le monde réel. » remarque Gérard Legrand dans les Cahiers du cinéma en… 1990, 23 ans avant Cesare.
Le choix de Shakespeare n’a rien d’anodin. D’abord du fait de la prédilection des frères à son sujet (« Longtemps Shakespeare a été comme un deuxième père pour nous. Puis, à l’âge adulte, il est devenu comme un frère. Le temps passant il est un peu comme un fils. »). La pièce qu’ils ont choisie, Jules César joué à la centrale de Rome par des Italiens de toute la péninsule, est évidemment chargée de sens : la faute, la responsabilité, le châtiment… Mais, de la ‘‘fiction’’ historique à la ‘‘réalité’’ de la prison, les correspondances n’ont rien de sentencieux. Pour retrouver la saveur de la première représentation à Rebibbia, peut-être aussi pour donner raison à Fellini (Pour faire des films qui ont une dimension internationale, il ne faut pas être international, mais provincial) les frères Taviani ont souhaité faire parler chacun de leurs acteurs dans son dialecte d’origine, faire jouer chacun à partir de son humanité, transformant la prison en pur espace de poésie. Les Taviani taillent dans cette réalité un film tout en contrastes où chaque plan est réfléchi et cadré, superbement. A tous les niveaux, le cinéma est partout dans le film.
Le théâtre au cinéma n’est pas une mise en perspective très originale, les deux arts se sont répondus à maintes reprises depuis les débuts du 7ème art, parfois avec une grande finesse de regard, souvent avec une certaine rigidité du dispositif. Si Cesare deve morire demeure, avant tout, une expérience sur le travail et les coulisses du spectacle, dans laquelle théâtre et cinéma n’en finissent pas de se croiser et de se faire écho, il est aussi le révélateur du processus de reconquête de soi par le texte et les mots qui se joue au théâtre plus qu’ailleurs ; lecture en filigrane que la mise en scène des Taviani, rigoureuse et dépouillée, ne surligne jamais. Si certaines choses vues sont ensuite dites, c’est pour prendre le contre-pied d’une lecture monologue qui parerait l’art de tous les pouvoirs rédempteurs… et le dialogue reprend entre la ‘‘pièce’’ et la‘‘réalité’’.
Sur le web
L’idée du film est née suite à un coup de téléphone d’une amie de Paolo et Vittorio Taviani. Elle les a appelés pour leur raconter la découverte d’un théâtre à la centrale de Rebibbia, une prison hautement sécurisée, dans la périphérie de Rome : « Le jour où nous y sommes entrés, l’obscurité de la vie carcérale s’opposait à l’énergie d’un évènement culturel et poétique. Sur leur scène de théâtre à l’intérieur de la prison, les détenus récitaient certains chants de « L’Enfer » de Dante, le comparant avec leur propre enfer (…). Quand nous sommes sortis, nous avions besoin d’en savoir plus, d’approfondir. Nous sommes revenus et nous leur avons proposé de réaliser ensemble « Jules César » de Shakespeare. La réponse de Fabio [le metteur en scène] et des détenus a été immédiate : Vous commencez, nous commençons« , se souviennent les deux réalisateurs.
Tous les acteurs présents dans le film sont des détenus de la centrale de Rebibbia, à l’exception de Salvatore Striano (Brutus) et de Maurilio Giaffreda qui, après avoir purgé leurs peines respectives, sont aujourd’hui en liberté.
La pièce que Paolo et Vittorio Taviani ont choisi d’adapter est Jules César de Shakespeare. En comparant le texte original à leur adaptation, les deux réalisateurs expliquent : « L’âme de la tragédie est la même, ainsi que la narration, rendue plus simple et plus éloignée des rythmes du théâtre.«
Les détenus qui ont participé au projet de ce film ont fait tout un travail de traduction sur les textes qu’on leur a proposés. Chacun d’eux a traduit ses dialogues dans son propre dialecte. Les répliques varient ainsi entre le napolitain, le sicilien et le dialecte de Pouilles. Saluant cette initiative des acteurs-détenus, les deux réalisateurs ajoutent : « Nous avons découvert quelque chose qui nous a fait sourire, de surprise et par complicité (…) c’est également à travers tout cela que le film trouve un sens.«
Les acteurs ont préféré garder leurs vraies identités malgré la proposition des frères Taviani, qui leur ont suggéré de changer leurs noms par pure circonspection : « Le fait que tous, avec insistance, aient voulu utiliser leurs propres noms, le nom de leur père, de leur mère, leur lieu de naissance, nous a frappé. C’était peut-être une façon, à travers le film – nous y avons pensé seulement après – de rappeler aux autres du monde extérieur qu’ils étaient là, dans le silence de la prison, vivants« , confient les deux réalisateurs.
La fin du tournage a été très difficile pour toute l’équipe, étant donné la particularité de la situation : « (…) le jour de la fin du film, lorsque nous avons quitté la prison et nos acteurs, l’au-revoir a été émouvant. Cosimo Rega-Cassius, en montant les escaliers vers sa cellule, a levé le bras et s’est écrié : Paolo, Vittorio, à partir de demain, rien ne sera plus comme avant ! « , rapportent les deux frères.
Étant le neveu des deux réalisateurs, Giuliano Taviani a toujours voulu éviter de travailler avec ses oncles. Ce n’est qu’après vingt ans de carrière que le compositeur a accepté de le faire, et c’est ainsi qu’il s’est joint au projet de César doit mourir : « C’est nous qui, après deux belles saisons avec Morricone et Piovani, lui avons demandé de collaborer avec nous comme s’il était un étranger. Au même moment, Giuliano avait rencontré dans un lieu particulier, les Îles Éoliennes, un jeune pianiste talentueux, Carmelo Travia. Peu à peu, la collaboration est devenue toujours plus intense…« , affirment les deux cinéastes.
Outre de nombreuses nominations, César doit mourir a remporté l’Ours d’Or à la 62ème édition de la Berlinale, ainsi que le David du Meilleur Film en Italie à l’occasion du David di Donatello 2012.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
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