Le Château de la Pureté


 


Jeudi 01 Mai 2008 à 20h30 – 6ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Arturo Ripstein – Mexique – 1973 – 1h50 – vostf

D’après un fait divers réel, l’histoire de Gabriel, père de famille très strict, qui décide de préserver sa femme et ses trois enfants des perversions du monde, en les enfermant dans leur maison pendant dix-huit ans.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

Le Château de la Pureté (El castillo de la pureza, 1973) est à bien des égards une œuvre emblématique d’Arturo Ripstein et sans doute celle où il commence vraiment à trouver son écriture propre. On y retrouve la plupart des ingrédients caractéristiques de ses films à venir : personnages angoissés, en porte-à-faux avec le monde extérieur et la société dans son ensemble, relations familiales et personnelles tourmentées, sentiments exacerbés et paroxystiques, absurdité du quotidien gonflée à la puissance mille, comportements irrationnels portés par une logique rigide et impénétrable… En un mot, Arturo Ripstein et son monde inquiétant possèdent d’entrée de jeu toutes les qualités pour figurer dans un festival consacré aux multiples manifestations de la folie. Ici, nous jouons en quelque sorte cartes sur table : dès la première séquence, pas d’échappatoire, nous savons que nous sommes dans la folie de l’enfermement.

Le décor est planté entre cette cour intérieure qui constitue tout l’extérieur des enfants et de leur mère et le cliquètement des multiples clefs éternellement attachées à la ceinture du père. Sans oublier la pluie battante qui se déverse du début jusqu’à la fin du film sur ce monde désolé. Les enfants l’ont complètement intégrée et en font un élément de jeu, voire d’évasion (si on peut oser ce mot), mais ce qui frappe le spectateur, c’est avant tout le caractère violent, implacable et profondément triste de ces trombes d’eau grise qui oblitèrent le ciel et ne nous parlent que de drame. Et la bande-son joue le même rôle, lancinante voire stridente, en tout cas, souvent dérangeante.
C’est là sans doute l’une des grandes forces de Ripstein que de savoir créer cette atmosphère saisissante que chaque plan, chaque scène contribuent à renforcer. La caméra nous tient et ne nous lâche pas. Sans grands effets, mais avec ténacité et obstination, la caméra s’attache à tous les faits et gestes des personnages et distille de l’obsessionnel, avec une sorte de « férocité tranquille », au goutte à goutte, à l’image de Gabriel, le personnage principal, le père tyrannique, effrayant et grotesque à la fois.

Tous les aspects de la vie quotidienne sont passés à ce filtre et en ressortent plus angoissants les uns que les autres. L’atelier où travaillent les enfants, dans une sorte de chaîne d’usine miniature où s’appliquent les principes de la taylorisation (fragmentation des tâches, répétition des gestes, régularité du rythme). Les repas où, visiblement, rien n’est festif : ni les plats qui sont tout sauf appétissants, ni l’ambiance où le silence est de rigueur. Les séances de gymnastique et les leçons de classe qui ne font que refléter le sadisme et la mégalomanie du père. Tout est absurde et ridicule en même temps au point de nous paraître par moments complètement surréaliste. Mais bien sûr, dans un univers soigneusement balisé par autant de règles, la sanction tombe au moindre manquement et elle est obligatoirement terrible. Les scènes, répétitives, où les enfants sont régulièrement mis au cachot ont de ce fait quelque chose de terrifiant avec cet enfermement dans l’enfermement qui est l’aboutissement de la règle.

Le monde extérieur ne filtre dans le film qu’à l’occasion des quelques sorties du père, qui enfreint bien entendu la plupart des règles qu’il impose à l’intérieur (cf. le sandwich à la viande, la scène de drague et la visite au bordel). Mais il y règne surtout une liberté de mouvement et d’allure (en 1973, la mini-jupe règne à Mexico comme dans presque toutes les grandes villes du monde) qui saute aux yeux après toutes les scènes d’intérieur et qui du coup rend encore plus flagrant le délire de Gabriel. Là encore, la maîtrise de Ripstein est totale et quelques plans suffisent à nous dire la vie de tous les jours, le va et vient permanent de la ville, sa « banalité » mais aussi sa virulence dans la perception distordue du protagoniste.

Mais ce film ne se limite pas à une représentation admirable et terrible de la folie d’un homme (même s’il est fondé sur des évènements réels). Il nous parle surtout de la terrible force d’attraction de cette même folie (cf. le personnage de la mère) et de la soumission qu’elle peut induire. Comment est-il possible de ne pas se révolter face à l’arbitraire et à l’oppression ? Comment peut-on à ce point faire taire son instinct de survie ? C’est l’histoire de tous les totalitarismes et de tous les conditionnements. Et c’est de cela aussi dont nous parle Ripstein.

Il nous dit par antiphrase comment les failles, les erreurs, les entorses sont indispensables à l’homme. Il nous rappelle que chez l’être humain, l’à-peu-près est, en fait, synonyme de liberté et que c’est le détour qui nous permet presque toujours d’atteindre le but. Toute tentative visant à instaurer un ordre parfait aboutit immanquablement à la terreur. L’Histoire est malheureusement remplie d’exemples édifiants à ce propos, mais elle se répète malgré tout, puisque nous n’arrivons pas à apprendre notre leçon. Et que d’une certaine manière, l’espèce humaine continue à se piéger elle-même dans la recherche de la perfection. Car comment sortir de ce dilemme ? Comment faire en sorte que la noble aspiration à un monde meilleur, à une humanité plus digne ne se transforme pas en son contraire ? Vaste question à laquelle les hommes n’ont pas fini de se confronter. Pour le meilleur et pour le pire.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
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