Les Chevaux de feu



Samedi 15 Octobre 2005 à 19h – 3ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Sergueï  Paradjanov – URSS – 1965 – 1h30 – vostf

Dans une communauté Goutzoul des Carpates, Ivan et Marichka s’aiment malgré la haine tenace qui depuis des décennies sépare leurs deux familles, les Palitchouk et les Gouténiouk. Le dernier drame date du temps où ils n’étaient encore que deux enfants, le père de Marichka ayant assassiné suite à une énième altercation le père d’Ivan. Ils bravent cependant les interdits et sont bien décidés à se marier, mais lvan est obligé de quitter la ville pour aller gagner de l’argent dans les montagnes. Alors qu’elle attend son retour, Marichka fait une chute mortelle en essayant de sauver un agneau qui s’est égaré sur le flanc d’une falaise. Ivan sombre dans une profonde dépression, mais les années passent et il finit par se laisser séduire par Palagna. Il l’épouse mais ne parvient pas à l’aimer et cette dernière le trompe bientôt avec Yourasik, le sorcier du village, bien décidé à se débarrasser de ce mari devenu gênant…

Le film qui révéla Paradjanov.

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 » L’histoire de ce cinéaste surprend et fascine: son impétuosité, sa volonté, son courage, sa révolte, son insoumission contre un système corrompu. Il nous faut avant tout parler un peu de l’homme pour mieux comprendre l’importance du cinéma à ses yeux, mieux cerner sa valeur et ses qualités intrinsèques. Avec ce film, en 1965, Sergueï Paradjanov rompt avec les codes du cinéma réaliste et socialiste de l’époque. Ce «clown triste de la Perestroïka», comme il aime s’appeler, a longtemps été harcelé par le régime en vigueur, passant un grand nombre d’années derrière les barreaux, suspecté d’anti-soviétisme, victime de calomnies, de diffamations, envoyé dans des camps de redressements au «régime sévère». Beaucoup vont le défendre. Et rien ne va l’empêcher d’aimer courageusement le cinéma, de vouloir en vivre, tout en revendiquant sa liberté. Il prend parti contre le pouvoir en place, soutient les intellectuels de son pays, signe des pétitions adressées à la Troïka. À 64 ans, seulement, il peut sortir de l’ex-URSS pour présenter un de ses courts-métrages à Rotterdam. La vie de faste commence, mais déjà un brin de folie et un souffle de maladie viennent ternir son image. Ne fallait-il pas être un peu fou aussi, pour rentrer dans sa fière demeure de Tbilissi et remarquer tous ses collages, cette multitude d’objets étranges qui se chevauchaient et se retrouvaient dans ses films. Il ne faut pourtant pas oublier que ce charmant provocateur a vu sa première femme assassinée par sa propre famille, et surtout que, pendant quinze ans, le régime soviétique l’a empêché de toucher à une caméra: on ne devient pas fou sans raisons.

Une chose surprend dans ce film, les expressions des visages. Ils grimacent tous, peu se parlent, ils communiquent dans une danse du crabe. Sans arriver à se croiser, ni se toucher. Pour montrer l’émotion des personnages à l’écran, la nature servira de témoin. Quand Marichka pleure la pluie tombe. Quand Ivan meurt, les arbres se retrouvent dénudés de leurs feuilles, dans cette forêt qui rayonnait tant au temps de leur amour. Et du feu, il ne reste que des cendres.

Les images frôlent l’obsession à force de répétition, elles s’enchaînent, frénétiquement, comme dans les scènes de rituels, de danses, de chants. La mobilité de la caméra sert à habituer l’œil du spectateur au tableau qui se déroule sous ses yeux. Les paysages sont balayés à une vitesse vertigineuse, ne laissent pas le temps de la description. Les contreplongées abondent, donne tant aux arbres une dimension effrayante qu’une grandeur à nos héros. Sergueï Paradjanov nous invite progressivement à rentrer dans son univers, à tourbillonner ensemble, dans une même euphorie dionysiaque, surréaliste, ponctuée par une musique étrange, où des cors à trombe signalent à tue-tête un événement dramatique et ce son vient s’échelonner dans les plans suivants, comme un terrible et angoissant écho de la mort.

La caméra joue plusieurs rôles, devient notre complice. Quand une grave nouvelle arrive, la caméra s’avance, fiévreuse, rapide, comme un personnage qui court apprendre une nouvelle: un zoom violent en avant. Elle peut autant devenir actrice quand le père de Maritchka assassine d’un coup de bartka (hache) son rival, le père d’Ivan. De ce coup violent surgit à l’écran une longue coulée de sang. En surimpression arrivent les chevaux de feu. L’incroyable Youriï Illienko, chef opérateur du film s’en explique ainsi : «Ce plan viré d’un rouge sombre des chevaux sautant un fossé, c’est bien moi qui l’ai imaginé. Paradjanov trouvait cette idée stupide… Il faisait froid, j’ai acheté quatre bouteilles de vodka, saoulé un jockey, creusé une tranchée et je me suis déplacé avec ma caméra. Les chevaux ne voulaient pas sauter ! Finalement, tard dans la journée, ils se sont décidés… J’ai pris ensuite une poire à lavement pleine de peinture rouge et je l’ai vidée sur l’objectif.»  » (critikat.com)

 » La culture ukrainienne est la matière de plusieurs des premiers films de Paradjanov. Il a déjà réalisé deux documentaires (Les Mains d’or et Dumka, l’un consacré à l’artisanat, l’autre aux chants) et le long métrage Rhapsodie ukrainienne, mais il juge sévèrement ces précédents travaux, estimant qu’il manquait encore d’expérience lorsqu’il a été amené à les réaliser. Les Chevaux de feu est une nouvelle occasion de plonger dans ce monde mais surtout, du point de vue de la mise en scène, ses idées s’affinent, se précisent, même si son style évoluera considérablement après ce long métrage, justement parce que cette nouvelle expérience lui permettra de vraiment déterminer là où il souhaite aller en terme de proposition cinématographique.

Le film est à l’origine une commande du Studio Dovjenko qui souhaite célébrer le centenaire de la naissance de l’écrivain Mikhaïl Kotsioubinski. Il s’agit d’une adaptation de L’Ombre des ancêtre oubliés, une nouvelle publiée en 1910, soit l’année même où disparaissait le romancier. Si les premières réalisations de Paradjanov se situaient dans lignée Dovjenko – qui a été son professeur au VGIK de Moscou (l’institut cinématographique d’État) – il va ici s’éloigner de toute forme de réalisme social pour aller vers un formalisme absolu et un lyrisme cinématographique qui n’est pas vraiment la tendance de l’école cinématographique ukrainienne.

Les Chevaux de feu est un récit très simple qui rejoue dans sa première partie l’histoire de Roméo et Juliette, avec les familles d’Ivan et Marichka qui se combattent et empêchent le jeune couple de vivre pleinement son amour. Paradjanov se place d’emblée dans une tradition théâtrale ancestrale (combien de fois cette histoire a-t-elle été contée ?) et plus largement dans la forme tragique. S’il met en scène une histoire immémoriale, c’est peut-être en partie parce que cela lui permet d’échapper à la censure étatique ; mais ce choix est certainement plus profond, le cinéaste s’inscrivant dès ses premiers essais dans une expression artistique entièrement tournée vers le passé. Il met ici en scène les Goutzoul, des Ukrainiens montagnards qui habitent dans le sud est des Carpates et dont le mode de vie est quasi médiéval. Par la suite, Paradjanov remontera toujours plus loin dans le passé, ravivant des contes ou des légendes du Caucase et de l’Orient.

Le grand projet qui sous-tend son œuvre est de faire se rencontrer et dialoguer les différentes cultures – arménienne, ukrainienne, géorgienne – qu’il a côtoyées et appris à aimer. En témoignent les titres de ses films (Conte moldave, Rhapsodie ukrainienne, Les Fresques de Kiev) et les sujets dont il s’inspire, comme la vie du troubadour arménien Sayat Nova, la légende géorgienne de la fondation de la forteresse de Souram ou encore les tribulations de l’Achoug musulman Achik Kerib. Paradjanov aime à parler directement des artistes (d’Hagop Hovnatanian, court métrage de 1965 sur le peintre arménien du même nom, à Arabesques sur le thème de Pirosmani en 1986 sur le peintre géorgien) et chacun de ses films est une occasion de célébrer l’art sous toutes ses formes : l’inachevé Les Fresques de Kiev consacré à l’architecture de la ville, les enluminures arméniennes de Sayat Nova, les tapis et des bas-reliefs géorgiens dans La Légende de la forteresse de Souram, les miniatures persanes dans Achik Kerib. Ce goût du mixage se retrouve également dans l’évocation des différentes croyances religieuses, ses films s’attachant aussi bien aux rituels orthodoxes qu’à l’animisme, au paganisme (comme ici avec le sorcier qui séduit Palagna) qu’à l’islam. Ce syncrétisme artistique, culturel, religieux à l’œuvre dans ses films est le reflet de cet homme curieux et ouvert qui a toujours refusé les frontières.

Pour préparer Les Chevaux de feu, il se rend chez les Goutzouls, les observe longuement, s’imprégnant de leur mode de vie et de pensée mais aussi des paysages dans lesquels ils évoluent. Il écoute leurs musiques, leurs histoires et essaye de comprendre l’essence de cette culture. Une approche quasi ethnographique mais qui ne va pas enserrer le film dans une forme documentaire, qui n’est pas du tout son ambition ici. Les habitants goutzouls de Jabiel, la ville où se déroule le tournage, participent au film et sont très critiques au moindre écart ou fausse note de la part du cinéaste, mais malgré tout Paradjanov prend des libertés.Si un profond respect pour les Goutzouls guide son travail, il ne s’interdit pas d’inventer à partir de ce qu’il a pu collecter et observer, de modifier un peu la réalité pour qu’elle se coule dans son imaginaire personnel. Il invente certains rites (les époux attachés au joug le jour du mariage n’est pas une coutume existante, Paradjanov a juste trouvé l’idée dans une chanson traditionnelle) ou encore s’amuse à mêler des instruments et des sonorités typiquement goutzouls (les trembites, cors aux tonalités funèbres qui résonnent régulièrement dans le film) à un orchestre symphonique. Il n’y a pas de velléité réaliste dans le cinéma de Paradjanov (du moins celui postérieur aux Chevaux de feu), même si le réalisateur s’attache à rendre justice aux cultures et aux peuples qu’il filme.

Il y a toujours ce double mouvement chez Paradjanov : à la fois un immense respect et une forme de détachement presque critique. C’est assez flagrant dans les scènes de culte des Chevaux de feu. Il y a d’évidence de sa part une grande fascination pour ces gestes millénaires dont la signification nous échappe et une incroyable beauté se dégage de ces séquences. Mais dans un même temps Paradjanov montre que sous les dogmes religieux se terrent la haine et la violence, et c’est lors d’une de ces cérémonies que le père de Marichka est chassé du lieu de culte (« Les pauvres, hors de l’église ! »), une humiliation qui va entraîner le drame qui déchirera les deux familles. Chez Paradjanov, la beauté est partout mais toujours la cruauté et la folie des hommes sont là pour la détruire. Après que la cérémonie a été filmée dans toute sa splendeur (les chants, la finesse des habits et des objets de culte, les bas reliefs de l’église…), c’est le sang du père d’Ivan qui éclabousse l’écran et fait apparaître les chevaux de feu… Si Paradjanov se méfie des dogmes religieux, il se définit bien comme un mystique. La magie, le sacré hantent constamment son cinéma et sa façon même de créer. Il écrit ses films à la suite de visions, de rêves. Il dit même ne pouvoir écrire un scénario que si et seulement si il en a rêvé chacune des parties.

C’est ainsi la prééminence de visions oniriques et fantastiques qui guide Les Chevaux de feu et emporte le film loin de tout réalisme ethnographique ou historique. Le principe formel du film est contenu dans ce plan où le sang du père d’Ivan éclabousse l’écran et fait apparaître l’image de chevaux rouges. Ces derniers se mettent en mouvement et forment une diagonale qui vient déchirer le cadre figé. C’est cette mise en mouvement et l’aspect fantasmagorique de cette image qui par un système d’écho et de rimes visuelles vont imprégner tout le film et le transformer en poème à la gloire de l’amour.

Lorsque Paradjanov signe des plans fixes, c’est essentiellement lorsqu’il s’agit de filmer des cérémonials : célébration religieuse, enterrement, mariage… Il fige alors les protagonistes dans le temps, dans une histoire au passé, inscrit ainsi les gestes, les visages et les corps dans un monde qui n’est plus. L’histoire d’Ivan et Marichka semble ainsi comme marquée du sceau de la fatalité, thème récurrent des chœurs et des chants qui rythment le film. Le découpage en douze chapitres qui correspondent aux douze mois d’une année venant encore appuyer le côté inéluctable du drame qui se joue.

Monde aux images figées, personnages prisonniers du passé, destin implacable, fatalité… est-ce que vraiment « tout est écrit » comme l’indique un des intertitres du film ? Non, car s’il l’homme est soumis à des forces destructrices, s’il corrompt et sème le malheur, il y a toujours l’amour comme salut possible. Ainsi aux plans fixes Paradjanov va venir opposer une caméra très mobile, aux tableaux savamment composés des cadres bousculés, aux images glacées des flamboiements de couleurs. Couleur qui est chez Paradjanov un véritable principe narratif, un des socles de son art comme ici avec ce rouge qui revient à chaque fin de séquence, qui inonde l’écran et qui symbolise la colère, la révolte, la vie.

La mise en scène accompagne l’histoire des deux amants, prend fait et cause pour eux notamment par la mise en mouvement de la caméra. Celle-ci est agissante et n’est pas un simple témoin du drame qui se joue. Elle ne cesse de tourner autour des personnages, d’accompagner chacun de leurs mouvements, de prolonger leurs regards, de plonger dans leurs pensées. Elle s’emporte, vole, tournoie, se penche, se couche, se dresse vers le ciel. On sent l’empreinte très forte de Soy Cuba, le grand succès de Kalatozov qui va donner le la de toute une partie de la production soviétique. Car si Paradjanov réalise ici sa première œuvre vraiment personnelle, il ne considère cependant pas Les Chevaux de feu comme étant totalement sien, le chef opérateur Youri Ilienko ayant énormément pesé sur le film. Il y a eu de nombreux conflits entre les deux hommes durant le tournage, Paradjanov ne croyant pas vraiment à cette mobilité de la caméra qu’Ilienko impose, au fait que par ses mouvements elle devienne actrice de l’histoire. Si son usage est ici aussi puissant et stupéfiant que dans Soy Cuba, ce n’est simplement pas le cinéma que Paradjanov veut faire. C’est avec les courts métrages Hagop Hovtanian et Les Fresques de Kiev, réalisés en 1965 et 1966, qu’il va commencer à mettre en place cet art qui se déploiera enfin librement à partir de Sayat Nova.

Si formellement, le film ne le satisfait pas, cette histoire à la Roméo et Juliette le touche profondément. Paradjanov prend le drame des deux amants totalement à cœur car il l’a lui même vécu. C’est à Moscou, alors qu’il fait ses études de cinéma au VGIK, qu’il rencontre Nichiar, son premier grand amour. Seulement, la jeune fille est tartare et ses parents refusent qu’elle épouse quelqu’un qui n’appartient pas à leur communauté. Nichiar décide de désobéir et ils se marient, mais elle est rattrapée par sa famille et son propre père la jette sous un train. La suite de l’histoire raconte que Paradjanov lui érige une magnifique sépulture que la famille détruit, puis une autre, à nouveau brisée, puis d’autres encore…

Est-ce vraiment ce qui explique l’intensité du film ? Difficile à dire, mais ce sont bien les plans qui saisissent l’amour ou le désespoir des deux amants qui nous bouleversent au-delà des mots et qui impriment notre rétine, bien plus au final que les flamboiements de la caméra. On sent alors l’empathie totale du cinéaste pour ses personnages et c’est en grande partie sur cela qu’il travaillera par la suite, s’attachant à la beauté des visages et des corps. Une approche maniériste certes, mais de laquelle il sait faire naître une intense émotion.

Les Chevaux de feu est présenté au Festival de Mar de Plata où il remporte le Prix de la mise en scène et le Prix spécial du Jury, puis sélectionné à San Francisco, Montréal ou encore à Rome. Si le nom de Paradjanov commence à s’imposer dans la sphère critique internationale, le film rencontre bien moins de succès en U.R.S.S et sa présentation lors du Festival de Moscou provoque de nombreuses critiques négatives de la part de la presse et du public. Il est finalement peu montré et fait l’objet d’un remontage qui ramène sa durée de 110 à 97 minutes (voir moins en fonction des copies), version qui sera la seule distribuée hors des frontières de l’U.R.S.S. et qui aujourd’hui encore est la seule visible.  » (dvdclassik.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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