Vendredi 15 juin 2012 à 20h30
Film de Jean Rouch – France – 1958 – 1h10
Trois jeunes Noirs, Edward G. Robinson, Eddie Constantine et Tarzan, quittent leur village du Niger pour trouver du travail à Abidjan. Mais ils n’obtiennent aucun emploi et s’installent dans un quartier très pauvre de la ville. Ils tentent d’oublier leurs problèmes en dansant et en se saoûlant.
Le film sera suivi par un documentaire de Oumara Ganda (Côte d’Ivoire, 1969, 45′, vostf):
Un soldat libéré de la guerre d’Indochine revient au pays. Il est riche et de nombreux amis s’emploient à le lui faire dépenser.
La réponse d’Oumarou Ganda au film Moi, un Noir de Jean Rouch, dans lequel il interprétait son propre «rôle», celui d’un «tirailleur sénégalais» enrôlé dans la guerre d’Indochine.
Notre critique
Par Josiane Scoleri
Moi, un Noir de Jean Rouch est un film emblématique à bien des égards. D’abord parce que le regard de Jean Rouch se situe aux antipodes de tous les discours tenus généralement par les Blancs sur les Africains, à l’époque et encore de nos jours. Ni complexe de supériorité, ni paternalisme, ni misérabilisme, Jean Rouch fonde toute son approche sur le dialogue entre filmeur et filmé, un dialogue où les Africains non seulement prennent la parole, mais définissent le contenu des images et du commentaire. De plus, tous les cinéastes africains qu’ils soient critiques ou adeptes du « cinéma du réel » de Jean Rouch, ont toujours pris soin de se référer à lui et de se situer par rapport à lui. C’est dire à quel point, cette œuvre a marqué l’histoire du cinéma en Afrique et ailleurs.
La meilleure preuve en est d’ailleurs l’existence même du film Cabascabo tourné en 1969 par celui qui avait été 11 ans plus tôt l’acteur principal de « Moi, un Noir ».Comme si Oumarou Ganda avait ressenti une impérieuse nécessité d’aller au – delà de ce portrait saisi sur le vif pendant son séjour à Abidjan et de rendre compte davantage et/ou autrement de la complexité de sa vie.
Ces deux films se répondent à la fois sur le fond et sur la forme et constituent pour nous avec le recul un témoignage vivant de cette période tumultueuse de l’ Histoire qui lie si étroitement la France à cette partie de l’Afrique. La vie d’ Edward.G. Robinson, émigré nigérien en Côte d’ Ivoire et celle de Cabascabo, ancien soldat de la France en Indochine de retour au pays sont l’incarnation sensible de toutes les tensions entre colonisateur et colonisé, des traumatismes, des blessures mais aussi des rêves où se mêlent mode de vie traditionnel et modernité, environnement urbain et rural, pacotille et authenticité.
Avec son titre, Moi, un Noir claque d’entrée de jeu comme un étendard. Et il n’est pas innocent que tous les personnages du film se présentent uniquement par un, voire deux surnoms. Surnoms qui servent d’abord à masquer leur véritable identité d’immigrés, mais qui agissent tout autant comme des révélateurs de leurs désirs, de leurs projections, de leurs fantasmes. Or ces fantasmes passent d’abord par le filtre du cinéma : Edward G. Robinson, acteur américain de l’âge d’or des studios, spécialisé dans les rôles de gangsters (cf Cabascabo, c’est à dire: dur à cuire, caïd) doublé de Ray Sugar Robinson, champion du monde de boxe considéré par Cassius Clay lui-même comme le plus grand boxeur de tous les temps!! Eddie Constantine dans son rôle de Lemmy Caution, agent du FBI, sans oublier Dorothy Lamour, sex-symbol au nom si romantique ou Tarzan, l’homme des origines. On le voit, le cinéma est à l’honneur comme grande machine à rêves, alors que nous sommes au cinéma devant un film qui se veut au plus près du réel. Mise en abime du cinéma par lui-même, le programme n’est pas mince.
Cabascabo lui, joue davantage sur le registre plus classique de la narration, tout aussi ancré dans le réel, mais moins éclaté dans sa forme, L’écho avec Moi, un Noir est puissant, mais Oumara Ganda choisit de développer la dimension historique du récit avec notamment les scènes de guerre qui transposent les rizières du Vietnam dans la savane africaine. Et ça marche!!! malgré les moyens du bord visiblement dérisoires. Où il est démontré une fois de plus que la représentation du réel n’a que peu à voir avec la réalité…L’utilisation du flash-back vient renforcer l’amertume du personnage principal face à la cruauté et aux désillusions du présent. Et la scène finale, si elle semble indiquer une possible voie de secours est tout sauf triomphaliste. .Nous sommes bien loin de la vitalité qui pulsait malgré l’adversité extrême dans Moi, un Noir à la veille de l’ Indépendance, 10 ans plus tard, l’avenir est plus que jamais incertain.
Sur le web
Avec ce film, Jean Rouch quitte tout à fait le domaine de l’ethnologie traditionnelle. « J’ai suivi un petit groupe de jeunes émigrés nigériens à Treichville, faubourg d’Abidjan. Je leur ai proposé de faire un film où ils avaient le droit de tout faire et de tout dire. Alors nous avons improvisé un film ». L’improvisation ne fut pas spontanée. Rouch avait passé une demi-année à observer ses personnages. D’accord avec eux et avec leur collaboration, il avait ensuite convenu d’un scénario, ou plutôt d’un canevas non écrit, modifié au cours du tournage. « Je me suis dit qu’on pourrait aller plus loin encore dans la vérité si au lieu de prendre des acteurs et de leur faire interpréter un rôle, on demandait à des hommes de jouer leur propre vie. Et ce fut Moi, un Noir…
Un des grands films de la fin des années cinquante. Poursuivant le travail de Robert Flaherty, le père du documentaire, réalisateur du très célèbre Nanook, Jean Rouch plonge sa caméra, avec pudeur et sans fausseté, dans le bidonville d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Une exploration jamais excessive, qui orienta Rouch, à l’origine ethnographe, vers un cinéma-vérité, où les espoirs et les désillusions se mêlent avec une déboussolante frénésie. Rouch va à la rencontre d’une poésie fugitive qu’il traque jusqu’au bout du souffle, au cœur d’un quotidien étouffant, ivre, et fragmenté. Une poésie juste, limpide, touchante, où des personnages locaux surnommés Lemmy Caution, Dorothy Lamour, Edward G.Robinson prennent pour la première fois librement la parole et racontent leur vie, chargée de peines, de colères et d’amour. Oumarou Ganda, le principal héros, commente le film, sonorisé après coup. Les séquences, admirablement montées, nous livrent des sentiments purs, évitant le désarroi gratuit. Ce film, d’un lyrisme généreux, est aussi un précieux manifeste qui dénonce les méfaits d’une grande ville africaine, agaçante, conformiste, ne laissant aucune issue à des paysans nigériens, victimes du prolétariat. Moi, un Noir, une comète dans le cinéma français, tournée à l’aube d’une révolution culturelle nommée Nouvelle Vague. Une Nouvelle Vague qui doit beaucoup à Jean Rouch (qui lui-même doit inconsciemment beaucoup à John Ford), innovateur acharné, qui a confirmé par la suite son immense talent, en réalisant d’excellents autres films tel que La Pyramide Humaine et Chronique d’un été en collaboration avec Edgar Morin. Moi, un Noir a obtenu le prix Louis Delluc.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.
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