CinémAtelier



Maison des Associations Nice-Garibaldi, Place Garibaldi (TRAM: Garibaldi)

Animation : Philippe Serve, fondateur et animateur de CSF (2002-2012)


Des anciens grands films ramenés à la mémoire à partir de résumés-montages de quelques minutes proposés par l’animateur.

Lors de cette séance:

VAMPYR

(Carl-Theodor Dreyer, Allemagne-France, 1932)

et

SOY CUBA

(Mickaël Kalatazov, Urss, 1964)


Première partie

Aujourd’hui autour du thème :

Jeunes filles et jeunes femmes dans le cinéma anglais des années 1960

1/5

(A Taste Of Honey, Tony Richardson, Grande-Bretagne, 1961)

Réalisé par Tony Richardson en 1961, A TASTE OF HONEY (Un Goût de Miel en VF) est une adaptation de la pièce de théâtre éponyme écrite en 1957 par Shelagh Delaney, jeune auteure dramatique anglaise de 19 ans, et aussitôt couronnée de succès. Son adaptation au grand écran — assurée par Shelagh Delaney elle-même avec l’aide du réalisateur Tony Richardson — devient emblématique et est régulièrement citée comme un exemple marquant du courant littéraire des Jeunes Gens en Colère, du mouvement cinématographique du Free Cinema cher à Lindsay Anderson, Karel Reisz ou Tony Richardson, et dont sortiront des cinéastes tels que Ken Loach ou Mike Leigh , et du réalisme social qui a émergé dans le cinéma britannique de la fin des années 50 et début 60. Le terme générique appliqué à toutes ces œuvres, qu’elles relèvent du théâtre, de la littérature, de la peinture, du cinéma, sans oublier la part importante des dramatiques télé du mercredi soir (sur ITV pour le nord du pays, puis nationalement avec la BBC) ? Celui de Kitchen Sink Realism, littéralement « Réalisme des éviers de cuisine ». La classe ouvrière, ses conditions de vie domestique dans des appartements délabrés souvent situés dans le nord de l’Angleterre (Liverpool, Manchester, Newcastle, etc.) — quand les personnages ont la « chance » de bénéficier d’un toit au-dessus de leur tête —, les heures passées à s’enivrer au pub du coin, les filles tombant enceinte hors mariage et cherchant à avorter, l’adultère, la violence, l’avenir bouché ouvrant la voie à toutes sortes de frustrations, voilà la toile de fond de ce mouvement qui tourne résolument le dos à la vision tranquillement conservatrice de l’époque… Un tableau rarement optimiste, faisant la part belle aux accents et argots régionaux (absents jusque-là dans les œuvres britanniques, tout comme la classe ouvrière d’ailleurs) et aux antihéros, dans une approche vue comme radicale, voire anarchiste.

L’histoire de A TASTE OF HONEY suit Jo, jeune lycéenne de dix-sept ans, interprétée par Rita Tushingham — dont c’était la première apparition à l’écran —, qui vit dans un quartier populaire de Manchester avec sa mère, Helen (Dora Bryan), laquelle passe d’homme en homme tout en buvant abondamment. Leur relation tumultueuse est marquée par le désespoir et l’absence d’affection. Après que sa mère ait décidé de se remarier et de quitter leur domicile, Jo se retrouve seule et enceinte d’un marin noir. Préjugés raciaux et défi d’une maternité non souhaitée se posent alors dans une Angleterre encore très conservatrice.

Jo accueille chez elle Geoffrey (Murray Melvin), un homosexuel légèrement plus âgé qu’elle et qui devient son ami, son confident et son soutien. Ensemble, ils naviguent comme ils peuvent, avec pour moteur l’angoisse du futur et la recherche d’identité dans un monde hostile.

A TASTE OF HONEY aborde des thèmes complexes tels que la sexualité, le genre — la libération sexuelle n’est pas encore à l’ordre du jour, et l’homosexualité ne sera décriminalisée en Grande-Bretagne qu’en 1967 —, le racisme, la maternité, la quête d’amour, la tolérance. Comme dit précédemment, le film se distingue de la production habituelle par son réalisme et ses dialogues percutants qui, entre des répliques cinglantes pleines d’un humour typique des classes populaires anglaises, offrent un aperçu poignant de celles-ci. La performance de Rita Tushingham fut à juste titre particulièrement saluée, lui valant une reconnaissance internationale et le prix de la meilleure actrice au Festival de Cannes, tandis que Murray Melvin remportait celui du meilleur acteur.

Le style visuel du film, avec ses décors authentiques de Manchester et son utilisation de la lumière naturelle, contribue à créer une atmosphère intime et immersive. Tony Richardson, en tant que réalisateur, parvient à capturer l’essence de la jeunesse désenchantée et des relations humaines compliquées.

A TASTE OF HONEY eut un impact significatif sur le cinéma britannique et provoqua des débats sur les questions sociales et culturelles. Le film fut acclamé par la critique et remporta plusieurs prix (1), consolidant la réputation de Tony Richardson, cinéaste Angy Young Man innovant après ses deux réussites initiales : Look Back In Anger (Les Corps Sauvages, adapté de la pièce de John Osborne, 1957, avec Richard Burton) et The Entertainer (Le Cabotin, scénario d’Osborne, 1960, avec Laurence Olivier). Il enchaînera après A Taste Of Honey avec un nouveau succès, toujours lié au mouvement des Jeunes gens en colère et au Kitchen Sink Realism, l’adaptation de la nouvelle d’Alan Sillitoe The Loneliness Of The Long-Distance Runner (La Solitude du coureur de fond, 1962, avec Tom Courtenay).

A TASTE OF HONEY est encore aujourd’hui considéré comme un classique du cinéma britannique, apprécié pour sa représentation honnête de la vie moderne que représentait l’Angleterre à la veille de ses mythiques Sixties, et son exploration des relations humaines. Il n’a cessé d’inspirer de nouvelles générations de cinéastes et de spectateurs, témoignant par là même de l’importance de raconter des histoires pertinentes et ancrées dans le réel.

(1) Outre les deux prix d’interprétations cannois, A TASTE OF HONEY remporta six BAFTA Awards (meilleur film, réalisateur, scénario, actrice, espoir féminin, espoir masculin).

Philippe Serve.


Deuxième partie

(Neuvième saison)

L’ÂGE D’OR

(1930-1939, 5e partie)

LE RÉALISME POÉTIQUE (Suite)

MARCEL CARNÉ

(Première partie)

Après sept séances consacrées à l’immense — et trop souvent sous-estimé — Julien Duvivier, le CinémAtelier entame l’étude d’un autre géant de l’époque, figure fondamentale du cinéma français et mondial, et comme Duvivier l’un des plus parfaits représentants du Réalisme poétique : Marcel Carné.

Cadet de dix ans de Duvivier, Marcel Carné (né en 1906) se passionne pour le cinéma dès son plus jeune âge. Il débute dans le métier comme assistant de Jacques Feyder, sous les bons auspices de l’épouse de ce dernier, l’actrice et grande vedette des écrans de l’époque, Françoise Rosay. Carné participe ainsi à trois œuvres majeures de Feyder : Le Grand Jeu (1934), Pension Mimosas (1935) et La kermesse héroïque (1935).

Il s’est auparavant essayé à un court métrage de quinze minutes — sur lequel nous nous pencherons lors de cette séance — dès 1929 : NOGENT, ELDORADO DU DIMANCHE.
Cette première réalisation s’inscrit dans un genre très prisé de la décennie, celui des films, courts, moyens et longs métrages de type documentaire peignant la réalité des citadins et dénommés souvent « Symphonies urbaines », tels que Manhatta (Charles Sheeler et Paul Strand, USA, 1921), Rien que les heures (Alberto Cavalcanti, France, 1926), Berlin, symphonie d’une grande ville (Walther Ruttman, Allemagne, 1927), Études sur Paris (André Sauvage, France, 1928), Un Rayon de Soleil (Jean Gourguet, France, 1929), et bien sûr L’Homme à la caméra (Dziga Vertov, URSS, 1929, le plus expérimental). Quelques films de fiction aux intrigues réduites se rattachent aussi très directement au genre. Ainsi, Paris qui dort (René Clair, France, 1924) ou les emblématiques Lonesome (Solitude, Paul Fejos, 1928) et Les hommes le dimanche (Robert Siodmak, Allemagne, 1929)… Le cinéaste canadien Guy Maddin s’inspirera bien plus tard de ces symphonies urbaines pour son excellent My Winnipeg (2007).

Nogent, eldorado du dimanche (1929)

Il faut ensuite — après son apprentissage en tant qu’assistant-réalisateur auprès de Feyder, mais aussi de Richard Oswald (Cagliostro, 1929) et René Clair (Sous les toits de Paris, 1930) — attendre sept ans et 1936 pour voir Carné tourner son premier long métrage, dont nous montrerons de larges extraits : JENNY.
Mélodrame ayant quelque peu vieilli sans doute, mais marqué par une réalisation déjà maîtrisée, et une solide distribution avec cinq interprètes majeurs de l’époque : Françoise Rosay, Albert Préjean, Charles Vanel, Lisette Lanvin, Jean-Louis Barrault, auxquels on peut rajouter dans de seconds rôles Robert Le Vigan, Sylvia Bataille, Roland Toutain…

Il s’agit aussi de la première collaboration de Carné avec Jacques Prévert, co-auteur avec Jacques Constant des dialogues et de l’adaptation du roman de Louis Ribaud, La Prison de Velours, publié deux ans plus tôt. Joseph Kosma participe également à la composition de la musique du film… Prévert, Kosma, deux noms qui resteront associés aux futurs chefs d’œuvres de Carné sur lesquels les prochaines séances du CinémAtelier se pencheront : Drôle de Drame, Hôtel du Nord, Le Quai des Brumes, Le Jour se lève, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du Paradis

Jenny (1936)

La deuxième séance du CinémAtelier pour cette saison 2024-2025 aura lieu le Vendredi 13 décembre, même heure et même lieu.

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