Vendredi 27 octobre 2006 à 20h45
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Un film de Kenji Mizoguchi – Japon – 1946 – 1h33 – vostf
Au XVIIIe siècle, Kitagawa Utamoro est un peintre considéré comme un spécialiste du portrait féminin. Il entretient avec ses différents modèles des rapports ambigus, dans un tourbillon passionnel qui va bientôt le dépasser.
Premier film dans le cadre de notre célébration du 50ème anniversaire de la mort de Kenji Mizoguchi.
Notre critique
Par Philippe Serve
KENJI MIZOGUCHI (1898 – 1956)
Avant 1950, qui en France (et plus largement en Occident) avait vu le moindre film japonais en dehors de quelques exceptions à la fin des années 20 ? Tout changea après le triomphe du Rashomon de Akira Kurosawa au Festival de Venise dont il remporta le Lion d’Or. Le cinéma nippon débarqua en force et l’on découvrit des dizaines d’œuvres et de cinéastes talentueux. Parmi eux, le plus magistral s’avéra être Kenji Mizoguchi dont nous célébrons cette année le cinquantième anniversaire de sa disparition.
Des quatre géants du cinéma japonais (les trois autres étant Yasujiro Ozu, Akira Kurosawa et Mikio Naruse), Kenji Mizoguchi est le plus ancien, ayant commencé à tourner dès 1923 – l’année du grand tremblement de terre de Tokyo (130 000 victimes) – devançant de 4 ans Ozu, de 7 Naruse et de 18 Kurosawa. En 33 ans, il tournera 89 films dont 56 muets. Sur ces 56 films de ce que l’on peut qualifier sa « première période », trois seulement nous sont parvenus – plus le fragment d’un quatrième – tous les autres détruits ou perdus par le temps, les mauvaises techniques de conservation des films, les bombardements intenses sur le Japon lors de la seconde guerre mondiale. Autrement dit, c’est plus de la moitié de sa filmographie qui aujourd’hui nous échappe. Reste donc une trentaine de films dont plus d’une quinzaine de chefs d’œuvres absolus en matière cinématographique. A partir de là, chacun a « son Mizoguchi » préféré : Les Contes de la Lune vague après la pluie (Ugetsu Monogatari, 1953), L’Intendant Sansho (Sanshô dayû, 1954), La Vie de O’Haru, femme galante (Saikaku ichidai onna, 1952), Les Amants crucifiés (Chikamatsu Monogatari, 1954) ou L’Impératrice Yang Kwei-fei (Yôkihi, 1955). Quel qu’il soit, le film élu correspondra à un éblouissement. Le spectateur qui touche à la grâce de Mizoguchi ne s’en remet jamais. Et malgré ses efforts répétés, il ne comprend jamais tout à fait d’où provient le mystère du miracle répété de film en film. C’est que Mizoguchi déroute l’analyse de par sa simplicité même. Tournant résolu-ment le dos à toute psychologie, refusant les effets voyeurs ou appuyés, semblant toujours « facile » – impression trompeuse car sa technique cinématographique demandait une inventivité de tous les instants – le réalisateur de Mademoiselle Oyu (Oyû-sama, 1951) donne l’impression de filmer comme il respire ! Tournant vite et quasiment sans répétitions, comment pouvait-il parvenir à une telle maîtrise du cadre, de l’image, de mouvements de caméra si confondant d’élégance et de fluidité ? Mystère. A moins que ce ne soit là la marque la plus pure du génie. Ses collaborateurs, tel son fidèle scénariste pendant les vingt dernières années, Yoshikata Yoda, ou ses acteurs – la formidable Kinuyo Tanaka, par exemple, dont il fut secrètement si amoureux et que l’on retrouve parmi ces Cinq femmes autour d’Utamaro où elle nous offre la scène la plus bouleversante du film – ne se firent jamais prier pour confesser quel enfer c’était de tourner sous la direction de ce tyran aussi implacable sur un plateau que timide et doux dans la vie. Et pourtant, tous, ils revinrent systématiquement travailler avec lui, conscients de participer à des oeuvres d’une dimension tout bonnement exceptionnelle.
Dans l’opposition un peu simpliste crée et alimentée à coups de polémiques par Les Cahiers du Cinéma et Positif dans les années 50-60, Kurosawa se retrouvait qualifié de cinéaste humaniste et Mizoguchi cinéaste de femmes. L’affaire était pliée et on était prié de choisir son camp. S’il est vrai que les créatures féminines laissent aisément le pas aux hommes chez le réalisateur de Ran, il apparaît trop réducteur de cantonner Mizoguchi à cette simple dimension féminine, certes très dominante chez lui. Car en parlant des femmes, éternelles victimes des rêves de grandeur, de pouvoir ou d’argent de leurs compagnons et sacrifiées aux pressions insupportables de la société, le thème de la prostitution revenant comme un fil rouge, c’est bien aussi des hommes et, au-delà d’une société dans son intégralité dont Mizoguchi traite dans ses films. Le portrait d’une victime ne contient-il pas toujours en creux celui de son bourreau ?
Mizoguchi était un homme engagé, révolté par ce qu’il constatait autour de lui dans ce Japon d’abord militarisé et menant une agressive et sanglante politique criminelle de conquête territoriale, puis défait, martyrisé et gouverné par une puissance occupante. Sa fréquentation assidue des années durant des quartiers de plaisir, des prostituées, des geishas, l’avaient conduit à une connaissance intime du malheur, de l’hypocrisie, du sens du tragique. Il n’était pas un homme optimiste et imaginer une comédie signée de ses mains semblerait bien incongru. Le drame ou plutôt le mélodrame, voilà son terrain de prédilection. Ses personnages et surtout ses héroïnes subissent toutes les avanies possibles. Les histoires racontées par Mizoguchi sembleraient si excessives et improbables filmées par tout autre qu’elles frôleraient sans doute le too much et le ridicule. Mais voilà, Mizoguchi eut toujours le génie d’ignorer le pathos, ce sentimentalisme inhérent à tout mélodrame. Refusant par exemple et très symboliquement les gros plans sur les visages de ses interprètes, il préférait les filmer à distance, enserrés ou perdus dans leur cadre naturel, écrasés par leur destin, déclenchant du même coup une émotion extrême. La beauté et l’élégance de ses fameux plans et plans-séquences (nul n’en a jamais réussi comme lui), ses lents et parfois presque imperceptibles mouvements de caméra et travellings (surtout latéraux) accompagnant ses personnages avant que la caméra ne s’élève et vienne les surplomber dans de somptueux mouvements de grue, plaçant le spectateur comme en apesanteur, autant d’actes de pur cinéma qu’il maîtrisait à merveille et mettait au service d’une véritable vision. Sur sa tombe est écrit : Le plus grand cinéaste du Monde…
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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