Vendredi 23 novembre 2005 à 20h45
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Fernando Meirelles et Katia Lund – Brésil – 2002 – 2h15 – vostf
En collaboration avec Amnesty International 06.
Dans une favela qui a vu le jour à Rio de Janeiro dans les années soixante, Fusée est un gamin noir, pauvre, trop fragile pour devenir hors-la-loi, mais assez malin pour ne pas se contenter d’un travail sous payé. Il grandit dans un environnement violent, mais tente de voir la réalité autrement, avec l’oeil d’un artiste. Il rêve de devenir photographe professionnel. Petit Dé, un enfant de onze ans, emménage dans la Cité. Il souhaite pour sa part devenir le plus grand criminel de Rio et commence son apprentissage en rendant de menus services à la pègre locale. Il admire Tignasse et son gang, qui arraisonnent les camions et cambriolent à tout va. Tignasse donne à Petit Dé l’occasion de commettre un meurtre, le premier d’une longue série…
Notre critique
Par Jef Maes
CIdade de Deus, la diabolique réalité des bidonvilles de Rio
Si vous voulez savoir comment les choses se passent dans les bidonvilles brésiliens, allez donc voir le film Cidade de Deus. Dur et choquant. Les favelas de Rio vues avec les yeux de jeunes dealers qui luttent pour la domination du quartier. Cidade de Deus est le nom d’un bidonville né dans les années ’60 à Rio. Des milliers de pauvres paysans qui ont fui les campagnes se sont dirigés vers la ville – et y sont devenus encore plus pauvres. Le film nous donne à voir trois périodes, depuis la fin des années soixante et le début des années quatre-vingt. Progressivement, les drogues sont entrées dans le quartier et la guerre sanglante des dealers a commencé. Nous suivons un petit groupe de meneurs qui portent les noms de Benny, Carotte, ZÈ-tje, Steak-Frites, etc. Rien que des enfants qui ont été choisis dans la rue par le réalisateur Fernando Meirelles et qui ont été spécialement formés pour le film. C’est à peine croyable quand on voit avec quel ‘naturel‘ ils jouent dans le film. Un film sur la pauvreté et la violence dans lequel des petits garçons manient les armes, se droguent et meurent par dizaines.
Un film sombre? Rien n’est moins vrai. Fernando Meirelles en a fait une comédie explosive, montée avec dynamisme, dans laquelle les personnages sont tous liés les uns aux autres. Meirelles a forgé son expérience en réalisant de nombreux clips et spots publicitaires. Il jongle avec des tas de petits trucs techniques qui font que le film se rapproche plus de Pulp Fiction que de Centro do Brasil. Une technique cinématographique qui témoigne d’un très haut niveau de maîtrise. Le scénario est basé sur le livre éponyme de Paulo Lins. Lins, lui-même issu des favelas, a relaté la vie de pas moins de 300 personnages, dont le timide Fusée, qui rêve de devenir photographe, est le plus doux. C’est à travers les yeux de ce photographe en herbe que nous suivons la naissance et la rapide descente aux enfers de la Cidade de Deus. Meirelles n’hésite pas à choquer. Tout à coup, il nous donne à voir une scène dans laquelle un petit garçon reçoit l’ordre de commettre son premier meurtre, juste après qu’il vienne de nous faire rire sur l’âge toujours plus jeune des gangsters.
Le président brésilien Lula a encouragé ses concitoyens à aller voir le film pour que tous les Brésiliens puissent se faire une idée de ce qu’est la vie dans les favelas. C’est sans doute une des raisons pour lesquelles le film a eu tant de succès au Brésil. A Rio seulement, un demi-million de personnes vit dans de telles conditions inhumaines, dans environ 650 favelas. Dans les bidonvilles de Sao Paulo, 5.421 personnes ont été tuées au cours de l’année 2002. Le président Lula veut s’attaquer à ce problème. L’une des plus importantes mesures du gouvernement a été de désigner les favelas comme des «quartiers légalement reconnus». Cela ouvre des possibilités à l’enseignement et aux soins de santé. Mais à cause des économies imposées par le FMI, le ministère a dû réduire les budgets destinés au développement urbain.
Il est apparu à Rio aussi que le film n’a pas toujours eu l’effet escompté. Après le succès du film, les préjugés et la répression de la police à l’encontre des 120.000 habitants de Cidade de Deus a fortement augmenté. Peut-être Meirelles propose-t-il une image tronquée de la réalité car, finalement, seulement 1 à 2 % des habitants des favelas trempent dans l’une ou l’autre forme de criminalité, alors que dans le film, tout le monde se balade avec un revolver à la main. Mais cela n’enlève rien au fait que le film vous prenne directement à la gorge. «Les gens des bidonvilles veulent que nous comprenions d’où ils viennent, pourquoi ils se trouvent dans une situation désespérée et pourquoi ils cherchent leur salut dans le crime et la drogue», déclare Meirelles dans une interview. Il ne fait aucun doute que le réalisateur réussit à nous faire ouvrir les yeux sur une réalité plutôt amère.
Extrait du roman La Cité de Dieu de Paulo Lins :
Les nouveaux occupants apportèrent les ordures, les boîtes de conserve, les chiens bâtards, les Échous et les Pombagiras sur des colliers sacrés, les jours de rixes, les vieux comptes à régler, les lambeaux de rage de coups de feu, les nuits pour veiller les cadavres, les marques des crues, les troquets, les marchés du jeudi et du dimanche, les vers rouges dans le ventre des enfants, les revol-vers, les représentations d’Orichas entortillées autour du cou, les poulets pour les offrandes, les sambas chantées et syncopées, les jeux clandestins, la faim, la trahison, les morts, les christs sur des chaînettes fatiguées, les forros chauds pour danser, les lampes à huile pour éclairer le saint, les petits fourneaux à charbon, la pauvreté pour vouloir s’enrichir, les yeux pour ne jamais voir, ne jamais dire, jamais, les yeux et le cran pour faire face à la vie, déjouer la mort, rafraîchir la rage, ensanglanter des destins, faire la guerre et être tatoué. Ce furent les lance-pierres, les revues pornos, les serpillières usées, les ventres béants, les dents cariées, les catacombes incrustées dans les cerveaux, les cimetières clandestins, les marchands de poisson, les boulangers, la messe du septième jour, le bâton pour tuer le serpent et aller de l’avant, la perception de l’action avant l’action, les gonorrhées mal soignées, les jambes pour attendre l’autobus, les mains pour les travaux durs, les crayons pour les écoles publiques, le courage pour passer le coin de la rue et la chance pour les jeux de hasard. Ils apportèrent aussi les cerfs-volants, leur dos pour que la police les cogne, les pièces de monnaie pour jouer, et la force pour tenter de vivre. Ils transportèrent aussi l’amour pour rendre la mort digne et faire taire les heures muettes.
Sur le web
La Cité de Dieu est tiré du roman homonyme écrit en 1997 par Paulo Lins, un ancien enfant de cette favela de Rio. Avec près de 300 personnages à travers 600 pages d’écriture, ce best-seller est le premier livre à décrire la lutte pour le pouvoir dans les bidonvilles et le développement du trafic de drogue en une véritable économie parallèle.
« Lors de ma première visite à Cidade de Deus, j’avais parqué ma voiture dans une rue très animée et poursuivi à pied, escorté par un jeune complice des dealers, censé m’éviter les ennuis. A peine avais-je fait trente mètres dans la Cité, qu’un garçon me braqua par derrière avec un énorme pistolet. Il aurait fait feu sur le champ si mon accompagnateur ne s’était interposé. Cinq secondes plus tard, le gosse au pistolet s’était évanoui dans la nature. Le coeur battant, j’ai réalisé que Paulo Lins n’avait rien exagéré, » raconte le réalisateur.
« La grande originalité de Fernando Meirelles est d’avoir su conserver l’esprit du roman de Paulo Lins (alias Fusée dans le film) suffisamment bien ciselé pour nouer de fils en fils une trame riche en sensations fortes et en rebondissements. Un roman qui a su décrire l’atmosphère de la Cité non pas avec des mots de médecin légiste mais avec ceux d’un poète, s’attachant à l’humanité de chacun des acteurs du drame. Le montage, faussement chronologique, emprunte les accents lyriques de Paulo Lins (le romancier) et fait la part belle aux prolepses (flashs forward ou anticipations) et analepses (flashs-back) afin de nous plonger dans une lecture organique de cette Cité. Petit Zé, Béné, Manu le Tombeur, Nabot…et bien évidemment Fusée (le narrateur) sont omniprésents tout au long de la narration et même si on en perd certains de vue, ils influencent la suite et marquent de leur passage le destin (la fatalité) de leurs camarades, ennemis et successeurs. Les morts viennent à nouveau hanter les vivants, les blessés éclabousser de leur sang les rares habitants encore indemnes et les truands corrompre les honnêtes et les innocents. Jamais atmosphère n’aura été si dense pour ne pas dire irrespirable et pourtant si fascinante et spectaculaire. La Cité de Dieu est l’essence de la vie, de la passion, de l’amour, de la haine. Ses habitants sont des martyrs et son histoire un incontestable chemin de croix. Le désespoir de ces (con)damnés est ici filmé comme aucun autre réalisateur n’aurait pu les filmer. Peut-être parce que « La Cité de Dieu » surpasse les ambitions de ces créateurs. Et Fernando Meirelles d’ajouter »à ce moment, nous (l’équipe technique) perdons le contrôle du film « . Rien de surprenant ! ! ! On se sent très rapidement emporté, submergé par des répliques frappantes (« un truand ne s’arrête pas, il marque une pause« ), des images saisissantes, une bande-son palpitante, des situations poignantes et des personnalités bouleversantes. De quoi marteler les esprits et sensibiliser les gouvernements (des Etats-Unis, de Colombie, de France, de Hong-Kong…) aux sorts de ceux qu’ils négligent trop fréquemment dans leur course au développement et à la croissance. » (dvdfr.com)
Les projecteurs braqués sur cette autre humanité, la lumière découvre ces visages de nouveaux nés, miraculés de l’existence dans cette Cité où ni police, ni politique, ni journaliste n’a pu encore pénétrer. Fernando Meirelles est le premier. Pionnier parmi les pionniers, caméra à l’épaule, à rapporter avec le concours de 200 jeunes issus de ces quartiers la turbulence de ces destins semblables à ceux des comètes. Mieux qu’un documentaire, c’est la vérité toute nue que les artisans de ce tableau vivant nous livrent à travers leur rage, leur expérience de la rue, leur fraîcheur et leur attachement à faire vivre l’oeuvre.
Deux ans avant La Cité de Dieu, Fernando Meirelles et Katia Lund réalisèrent comme première ébauche un court dans la favela même évoquée dans le film. Mais les difficultés rencontrées les dissuadèrent d’y tourner leur long métrage. Fernando Mairelles raconte : « une partie du film se déroule dans un lotissement de l’époque de la Cité, mais situé à l’autre extrémité de la ville. Son « propriétaire » avait la quarantaine et était plus stable que les gamins de 19 ans qui contrôlent d’autres zones. Il demanda à voir le scénario et posa certaines conditions comme fixer personnellement le montant du droit d’utilisation du site. Le tout à travers une série d’intermédiaires , car le monsieur était en prison. Après cela, nous n’eûmes pas le moindre problème.«
« Cité de Dieu, peut-être, mais oubliée des hommes. Favela de la banlieue de Rio érigée à la hâte au milieu des années 1960, cauchemar d’urbaniste aux rues de terre battue qui deviendra peu à peu, par prolifération anarchique et insalubre, un coupe-gorge dédaléen. Chaque milieu génère son évolution : Fernando Meirelles, cinéaste brésilien (devenu « américain », depuis, avec The Constant Gardener), décrit ces vingt années de glissement vers la sauvagerie, vers un Etat de non-droit, du simple pillage au crime organisé. La terrifiante mutation que montre avec brutalité ce film choc est authentifiée par Paulo Lins, auteur du roman qui l’a inspiré, ancien habitant, pardon, survivant, de la Cidade de Deus. Un gamin de cette favela, Fusée, va être le témoin privilégié du microcosme en ébullition. C’est lui qui sera notre guide et, en contrepoint du tableau criminalo-social, se dessine un attachant récit d’apprentissage : mémorialiste du bidonville, Fusée s’inventera un destin (authentique) de reporter-photographe. La mise en scène hachée, speedée, reflète le pouls du quartier, ses accélérations fiévreuses, ses brusques montées d’adrénaline. Mieux encore, elle accompagne le morcellement du récit, signale son oralité, en fait une geste sauvage et embrouillée. Fascinante. » (telerama.com)
L’acteur Leandro Firmino Da Hora, qui interprète Petit Zé, est un véritable enfant du quartier des favelas appelé « La Cité de Dieu« . Lors du casting, il accompagnait simplement un de ses amis quand il fut repéré.
Sur la version américaine du DVD, les pistolets furent retirés des mains des enfants en groupe, pour cause de censure. Ceci donne l’impression un peu étrange qu’ils visent avec des pistolets imaginaires.
Pour que le spectateur ait un rapport direct avec les personnages, Paulo Lins décida de tourner avec des inconnus, le plus dur étant de trouver une centaine de garçons de 12 à 19 ans. Secondé entre autres par Katia Lund (qui avait réalisé plusieurs documentaires dans les favelas) et le directeur d’une troupe de comédiens du quartier de Vidigal, le réalisateur organisa une vaste audition dans un centre culturel de Rio et divers théâtres amateurs. Il sélectionna au final 200 jeunes qu’il forma sur plusieurs mois à raison de deux jours par semaine, onze heures par jour.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Gigliola Caneschi (Amnesty) et Philippe Serve (CSF).
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