Close-Up



Vendredi 11 Juin 2021 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Abbas Kiarostami – Iran – 1990 – 1h34 – vostf

Cinéphile obsessionnel et sans emploi, Hossein Sabzian ne peut résister à la tentation de se faire passer pour le cinéaste Mohsen Makhmalbaf afin de s’attirer les faveurs d’une famille iranienne bourgeoise. Une fois démasqué, cet homme est traîné devant la justice pour escroquerie. Apprenant ce fait divers, le réalisateur Abbas Kiarostami s’empresse de réunir une équipe de tournage afin de reconstituer les faits et de filmer le procès de Sabzian.

Chers amis cinéphiles,

Nous avons enfin retrouvé les salles obscures le 19 mai. Malheureusement, le Conseil Départemental persiste dans son refus des séances-débat de CSF jusqu’au 1er juillet. Nous avons donc décidé de vous proposer un film le vendredi 11 juin à 20h30 avec la possibilité de tenir un débat en terrasse après le film pour ceux qui le souhaitent.

La jauge sera de 55 spectateurs dans la salle 1. Malheureusement il ne sera pas possible de réserver sa place à l’avance.

Le film que nous avons choisi de vous présenter est Close-Up, un des grands films d’Abbas Kiarostami, ressorti en copie restaurée sous la supervision du réalisateur lui-même avant sa disparition il y a déjà 5 ans. Vous avez sans doute entendu parler de la grande exposition au Centre Pompidou du 27 mai au 26 juillet 2021, intitulée «Où est l’ami Kiarostami» qui accompagne la rétrospective intégrale de ses 46 films et qui rend hommage à cet artiste hors pair, cinéaste, photographe, vidéaste et poète. CSF tenait à apporter sa modeste contribution à cette occasion.

En espérant vous retrouver enfin,

l’équipe de CSF

Close-Up (1990) est un film qui porte déjà bien des thèmes essentiels du réalisateur : le jeu entre la fiction et la réalité, le réel dans la représentation et vice -versa, la place de l’artiste et son rôle dans la société. Avec des allers-retours souvent subtils et inattendus, des chassés croisés où l’histoire de l’histoire est au moins aussi importante que le récit lui-même, tiré d’ailleurs d’un fait divers qui avait eu un grand retentissement à l’époque en Iran.

En 1989, Abbas Kiarostami lit dans la presse un fait divers étonnant. Un homme, passionné de cinéma, s’est fait passé pour Mohsen Makhmalbaf, réalisateur iranien très connu à l’époque, et s’est installé dans la maison d’une famille de Téhéran, sous prétexte de repérages pour son prochain film. Mohsen Makhmalbaf est un cinéaste au parcours atypique. Encore adolescent, il s’engage dans le groupe des Moujahidines Révolutionnaires contre le régime du Shah. Il sera condamné à mort pour attaque d’un commissariat, fera près de 5 ans en prison, avant d’être libéré au moment de la révolution. C’est un jeune homme très pieux qui écrit de la poésie alors que la musique profane est bannie et les cinémas fermés comme lieux emblématiques de la décadence occidentale. Il n’a, à ce moment-là, pratiquement jamais été au cinéma. Il le découvre avec passion au début des années 80 et dévore tout ce qu’il peut visionner aux Archives du film.

L’ayatollah Khomeiny ayant déclaré que le cinéma n’est pas mauvais en soi et doit servir à l’éducation du peuple, les premiers films de Makhmalbaf seront largement diffusés en Iran. Cette célébrité est à l’origine du fait divers qui inspirera Kiarostami. Makhmalbaf deviendra par la suite de plus en plus critique vis à vis du régime iranien jusqu’à faire l’objet de plusieurs tentatives d’élimination et devoir s’exiler.

Pour revenir à Close-Up, il faut dire que cette histoire d’usurpation d’identité est un matériau tout trouvé pour Kiarostami qui peut ainsi s’adonner à son jeu favori : brouiller les pistes entre réalité et création, entre documentaire et fiction et se servir de tous les artifices du cinéma pour faire émerger une vérité moins immédiatement perceptible, une réalité autre et nous faire ainsi du doigt les multiples facettes du « réel« . C’est en fait ce que lui a l’auteur de ce « canular » dès leur première rencontre : Oui, en apparence j’ai usurpé l’identité de Makhmalbaf, mais à un niveau plus profond, cela correspond aussi vraiment à ce que je suis. Kiarostami nous invite ainsi dans ce labyrinthe où chacun joue son propre rôle entre images d’archives et reconstitution et où le montage sert à nous faire douter de ce que nous voyons.

Il faut signaler qu’une Compression de Close-Up de Abbas Kiarostami a été réalisée par Gérard Courant que nous avions invité en 2014 pour présenter son documentaire Le journal de Joseph M. Cette compression est la réduction de 25 fois la durée de Close-Up, d’une durée de 1 heure 34 minutes en un film de 4 minutes 31 secondes. Le film est « compressé » à la manière d’une œuvre de César. Mais à la différence du travail de cet artiste qui compressait des objets usuels, Compression Close-up de Abbas Kiarostami compresse une œuvre d’art ! Le tour de force et le pari de Compression Close-up de Abbas Kiarostami a été de fabriquer une compression totale : dans ce film, il ne manque pas un seul plan du film original !

Sur le web

C’est en lisant l’étonnante histoire de Hossein Sabzian dans l’hebdomadaire Sorush que le réalisateur Abbas Kiarostami a eu l’idée de suivre l’homme et de réaliser Close-Up.

C’est en 1991 en France que Close-Up a connu son avant-première mondiale. Le film sort cette fois dans une version restaurée sous la supervision même de son réalisateur, Abbas Kiarostami.

Abbas Kiarostami tient à rappeler au spectateur que Close-Up est « une réalité reconstituée, et non pas une aventure fictionnelle. Le film est une histoire de distance entre le soi idéal et le soi véritable. Plus la distance est grande entre les deux, moins l’équilibre mental de l’homme est bon. Chacun tente de rapprocher les deux et atteindre ainsi une sorte d’équilibre« .

« …c’est le dispositif mis en place, la mise en abyme vertigineuse qui en découle et la richesse des thématiques abordées qui font tout le prix de ce singulier et magnifique essai cinématographique qu’est Close Up…Mais avant tout, il faut se souvenir de l’importance de Close-Up puisque l’on peut affirmer sans trop de craintes de se tromper que c’est le film qui aura vraiment attiré l’attention de l’Occident sur « l’existence« , la richesse et la noblesse du cinéma iranien. Alors que l’Iran était probablement le pays le plus diabolisé de cette époque, on découvrait paradoxalement l’une des cinématographies non seulement les plus courageuses mais également les plus humaines qui soit; le cinéma iranien a probablement beaucoup contribué à modifier les idées préconçues que les Occidentaux avaient sur ce peuple; et c’est tout à l’honneur du septième art qui n’en est pas à une mission bienfaitrice près!

…Lors d’un entretien avec Michel Ciment pour la revue Positif (N°368 – octobre 91), le cinéaste raconte : « …Alors que toute l’équipe était prête à tourner, j’ai lu dans un journal l’histoire qui allait donner naissance à Close-Up. Comme l’a déjà dit Gabriel Garcia Marquez, ce n’est pas vous qui choisissez l’œuvre, c’est l’œuvre qui vous choisit. J’ai appelé mon producteur et je lui ai dit que je voulais changer de projet, que ce que je venais de découvrir avait pris possession de moi, que l’histoire était en train de se passer et qu’il fallait le tourner sur le vif, sinon ce serait trop tard. Je suis allé chercher mon équipe à l’école [où devait se tourner le projet alors en cours] et je l’ai emmené à la prison… » Le fait divers qui a captivé le cinéaste est donc celui d’une réelle escroquerie sans grandes conséquences, celle d’un amoureux de cinéma qui s’est fait passer pour un réalisateur connu ; les personnes abusées pensaient que ce fut dans un but malfaisant, le coupable ne paraissant cependant pas avoir eu de mauvaises intentions comme il l’affirme à Kiarostami dès leur première rencontre en prison. Cela étant dit, de part et d’autre les apparences resteront trompeuses tout du long… Accepter de travestir parfois la réalité pour en faire ressortir une plus haute vérité, c’est un peu le leitmotiv et la marque de fabrique de Kiarostami. Interrogé par Jean-Pierre Limosin en 1994, le cinéaste l’expliquait également ainsi : « Que ce soit du documentaire ou de la fiction, le tout est un grand mensonge que nous racontons au spectateur. Notre art consiste à dire ce mensonge de sorte que le spectateur le croie. Qu’une partie soit documentaire ou une autre reconstituée se rapporte à notre méthode de travail et ne regarde pas les spectateurs. Le plus important, c’est que les spectateurs sachent que nous alignons une série de mensonges pour arriver à une vérité plus grande. Des mensonges pas réels mais vrais en quelque sorte.« 

...Close-Up est également l’hommage d’un grand réalisateur à un autre de ses compatriotes, celui de Kiarostami à Makhmalbaf, le cinéma de ce dernier étant mis sur un piédestal durant une bonne partie du film. C’est également une déclaration d’amour au 7ème art au travers la passion qui anime son protagoniste principal…Plus que le cinéma, c’est l’art en général que le réalisateur se sent pour mission de remettre au premier plan au sein de cette société rigoriste qui l’a toujours plus ou moins rejeté. Il l’explique entre autre dans ce très beau panégyrique : « Quant aux mises en abyme dans mes films, elles servent moins une réflexion sur le cinéma que sur le rôle de l’art en général, cinéma compris. Dans Close-Up je décris le face-à-face de l’art et de la loi. Je pense que les législateurs n’ont pas suffisamment de temps pour prêter attention à ce qui se passe à l’intérieur d’un être humain. Mais l’art dispose de plus de temps. C’est pourquoi le dispositif du film repose sur deux caméras : la caméra de la loi qui montre le tribunal et le procès en termes juridiques pour ainsi dire, et la caméra de l’art qui s’approche de l’être humain pour le voir en gros plan, pour regarder plus profondément l’accusé, ses motivations, sa souffrance. C’est le travail et la responsabilité de l’art de regarder les choses de plus près et de faire réfléchir, de prêter attention aux hommes et d’apprendre à ne pas les juger trop vite.« 

…Enfin – et ce n’est pas la moindre de ses qualités – le film interroge également avec discrétion et subtilité la censure (la mère qui rappelle son fils à l’ordre quand ce dernier ose se plaindre de la situation économique de son pays), la dictature, le chômage, les conditions sociales, la souffrance et le désarroi des Iraniens, la place prépondérante de l’art dans la société iranienne, etc. Close-Up, en plus d’être un film d’une grande noblesse de sentiments et, malgré son apparence brute de cinéma-vérité au plus près du réel, d’une grande beauté plastique, se révèle également être une démonstration époustouflante de la toute-puissance du cinéma ainsi qu’une passionnante méditation sur la création artistique. Avec une étonnante économie de moyens et une remarquable apparente simplicité, Kiarostami nous rend témoins d’une désarmante et touchante aventure humaine ». (dvdclassik.com)

« …Quelle est la part de fiction et quelle est la part de reportage dans Close-Up ? Pourquoi et comment l’imposteur accepte-t-il d’être manipulé à son tour ? Le film mélange les scènes de cinéma-vérité et les séquences de pure mise en scène pour troubler le spectateur et brosser, en sous-main, un portrait de la société iranienne et du désarroi de ceux qui n’y trouvent pas leur place. Les fabuleux artifices de Close-Up et son étrange construction signent la montée en puissance d’un cinéma qui, pendant des années, va contourner la censure du régime islamique par le biais de l’invention formelle et poétique. Comme le dit Nanni Moretti (qui fût un fervent défenseur du film, il le programma dans son cinéma à Rome et réalisa même un court métrage, Le jour de la première de Close Up (1995), dans lequel il se représente dans ses fonctions d’exploitant de cinéma, lors de la première journée d’exploitation du film) en quelques répliques drôles et sibyllines, il marque aussi les esprits d’une génération de cinéastes qui vont détourner les règles de la fiction et du documentaire pour abolir les frontières, chroniquer l’état chancelant du monde moderne et s’inventer un nouveau langage »…(telerama.fr)

« …Si Close-Up parvient au dépassement de la simple confrontation réel-fiction, c’est en entretenant une ambiguïté désarçonnante quant au statut de l’image. Kiarostami pousse à son point extrême la logique de son cinéma marqué par une illusion de la continuité (temporelle, spatiale). Ce principe trouve ici une expression puissante en faisant intervenir un dispositif discontinu et plusieurs statuts de l’image. Ceux-ci ne sont pas signalés d’un point de vue narratif, ni toujours visibles à l’écran…Du point de vue du spectateur, Close-Up est ainsi largement basé sur cette incertitude quant aux statuts de l’image. Si cette manière de naviguer entre le réel et son simulacre, de les faire dialoguer, s’avère déstabilisante, le cinéaste parvient ainsi à un éclatement de la logique de l’un comme de l’autre. Comme si l’on se trouvait non plus face à une image, mais face au cinéma lui-même, dans sa toute puissance…

…Avec un tel pouvoir, le tour de force de Kiarostami est de n’être ni abusif ou exclusif, mais de convier chacun à une réflexion dont il aurait proposé, avec sagesse, malice et bienveillance, les possibles chemins. De ceux qu’il aime imprimer sur pellicules, cinématographiques ou photographiques. Car le sujet de Close-Up ne se limite pas à un exercice de style autour de la question du rapport documentaire-fiction. Le film est en l’occurrence une méditation sur la justice. Kiarostami en fait, par l’intervention du medium cinématographique, un principe moral. Deux instances de jugement cohabitent ici, face auxquelles l’imposteur propose la justification de sa supercherie : le juge et la caméra. » (critikat.com)

« …Close-Up est avant tout une expérience cinématographique fascinante mêlant la puissance “imageante” des images et le rapport contigu qu’elles entretiennent avec le théâtre. Ce mélange de documentaire et de fiction confère à Close-Up une perception du réel toute particulière, toute “transformée”, qui invite le spectateur à participer ainsi qu’à réfléchir sur les possibilités artistiques du médium. Comment à partir du faux, ou d’une réalité truquée, Close-Up parvient à nous faire croire à une réalité bouleversante qui, consciente de ses inégalités sociales, révèle la complexité et la beauté du caractère humain…

Close-Up redistribue largement les cartes de la fiction inspirée de faits réels en faisant jouer l’histoire par les véritables protagonistes du fait divers. Le scénario est déjà une mise en abyme de cette étroite frontière que celle construite entre l’univers de la fiction et le documentaire, à savoir notre capacité totale ou partielle à croire en l’existence d’un personnage fictif et/ou réel. Cette usurpation d’identité – un certain Hossein Sabzian vole l’identité du réalisateur Mohsen Makhmalbaf – est un des aspects fantasmatiques inhérent à la performance de l’acteur et au théâtre. Il y a quelque chose de fantastique de voir cet homme inconnu se prendre au jeu et habiter littéralement la personnalité d’un autre, qui plus est célèbre. Pour filmer cet acte de folie, le cinéma a besoin du théâtre, d’où l’utilisation des reconstitutions et du film à procès pour, comme le souligne le critique Charles Tesson dans Théâtre et cinéma (2007) : « redonner à cette passion singulière le théâtre qui lui manque pour la dire ». Le théâtre brouille le partage des identités et des activités ; chacun y est libre d’incarner ce qu’il veut. La mise en scène de Kiarostami va en quelque sorte construire une réalité seconde, exacerbant les lignes de forces dramatiques du film. “Tout dans Close-Up fabrique et aspire à une réalité qui n’a rien de réelle, mais qui pourtant nous oblige à réfléchir sur elle.” C’est par le travail de la mise en scène de Kiarostami que la fiction se nourrit de cette dualité entre illusion et vraisemblance, rêve et réalité. C’est pour ainsi dire le propre du plaisir théâtral que de jouer sur la différence des savoirs : entre les personnages, entre le spectateur et les personnages, etc… » (leblogducinema.com)


Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

Entrée : Tarif unique 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

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