Cure



Mercredi 11 Février 2015 à 20h30 – 13ième  Festival

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Frederico Fellini – Japon – 1997 – 1h51 – vostf

Un officier de police, Takabe, enquête sur une série de meurtres dont les victimes sont retrouvées avec une croix gravée dans le cou. Un jour, un jeune vagabond est arrêté près de l’endroit ou a été retrouvé le dernier corps. Il est vite identifié comme un ancien étudiant en psychologie, devenu fou et ayant d’inquiétants pouvoirs hypnotiques, lui permettant de pousser des gens à commettre des actes criminels…

Notre critique

par Martin De Kerimel

Pas besoin de connaître par cœur le cinéma nippon : le nom de Kurosawa suffit généralement à évoquer de vieux films en noir et blanc, comme autant de plongées dans le Japon moyenâgeux, théâtre d’ambitions parfois funestes ou de conflits entre brigands et samouraïs. Aussi approximatives ou partielles soient-elles, les références au grand Akira parlent généralement au plus grand nombre. Mais ce que certains ignorent sans doute encore aujourd’hui en Europe, c’est qu’un autre Kurosawa s’illustre bel et bien comme cinéaste contemporain. Prénommé Kiyoshi, l’intéressé n’est pas un lointain cousin ou un jeune neveu. S’il s’amuse à dire que son homonymie avec le vieux senseï a contribué jadis à l’éclosion espérée de sa notoriété hors des frontières de l’archipel, il insiste généralement pour rappeler qu’aucune parenté ne le lie à son prestigieux aîné. Kurosawa est, dit-il aussi, un nom courant dans son pays…

Né à Kobe un beau jour de juillet 1955, Kiyoshi Kurosawa tourne depuis la fin des années 70. Il est l’auteur de très nombreux films, de format court ou long, écrits pour la télé, le marché vidéo et bien sûr le cinéma. Beaucoup de ses toutes premières productions ont été produites au format Super 8. En 1983, son tout premier long-métrage, Kandagawa Wars, est réalisé pour le compte de la Nikkatsu, le plus vieux studio japonais, sous la forme d’un roman porno, l’un de ces films à l’érotisme diffus : il ne contient que peu de scènes osées, déplaît de ce fait à ses commanditaires et ne rencontre guère l’adhésion du public. Ce n’est en fait que 14 ans plus tard, après d’autres films et bien d’autres péripéties créatrices, que sort Cure (Kuya). Remarqué dans de nombreux festivals, cet autre long-métrage permet à Kurosawa de faire connaître son talent bien au-delà du Japon. Le film sort même en France en 1999, quatre ans avant que le réalisateur ne soit invité au Festival de Cannes (avec Jellyfish).

Pour le public occidental, Cure est une œuvre étrange, assez fascinante par son exigence formelle, perturbante pour ce qu’elle raconte et assez déroutante quant à ses enjeux narratifs. Le point de départ est classique : la caméra suit les pas de Takabe, un flic tokyoïte, chargé d’enquêter sur une série de meurtres sordides. Les suspects, bien souvent identifiés, semblent très différents les uns des autres, mais partagent des caractéristiques communes : ils semblent avoir tué de sang-froid, mais n’ont aucun début d’explication sur le pourquoi de leurs crimes. Pour tenter de comprendre, Takabe s’est donc adjoint les services de Sakuma, un ami psychiatre. Ce renfort lui est bien utile pour tenir le coup : l’inspecteur est de fait un homme sous tension, confronté à la grave dépression de son épouse et qui s’efforce d’appréhender comment des victimes dissemblables se retrouvent soudainement liées par un modus operandi criminel commun, leurs corps marqué d’une plaie sanguinolente en forme de croix. On a connu scénario moins glauque… La force implacable de Cure, c’est peut-être de parvenir à nous montrer les pires horreurs sous leur jour le plus ordinaire. Ici, l’hémoglobine ne coule qu’en de très rares occasions. Aucune explosion de violence, pas le moindre effet trop appuyé, juste de pures atrocités commises par des gens tout à fait ordinaires. Des gens
qui nous ressemblent par leur banalité. Un époux qui pourrait notre voisin de pallier, une infirmière qui ne semble pas différente d’une autre, un policier dont l’impeccable uniforme bleu paraît familier et a la même coupe que celui de son collègue. Le seul être un peu bizarre au milieu de ces anonymes interchangeables, c’est Mamiya, jeune homme amnésique et… sans capacité de mémorisation. Un drôle de garçon, dont les paroles apparemment incohérentes ne font pas franchement peur de prime abord, mais qui dissimule un potentiel hypnotique apte à faire pâlir les thérapeutes les plus endurcis. Chacun reste libre de reconnaître en lui un fou ou un sage… et quand, en fin de projection, tout semble réglé définitivement, l’effroi peut encore surgir et nous surprendre une dernière fois, au détour du plan le plus simple qui soit.

Cure fait partie de ces films qui ne délivrent pas toutes les clés de compréhension, laissant parfois le public livré à lui-même, seul face à ses questionnements. Est-ce un polar ? Un film d’épouvante ? Une œuvre ésotérique ? Kiyoshi Kurosawa n’a pas vraiment répondu. Interrogé sur la question du genre en 2001, il indiquait ceci : « La décision du genre auquel un film appartient revient au public quand le film en question est terminé. Il est vrai que je commence toujours mes projets en réfléchissant sur le genre pour lequel je veux travailler, mais je suis souvent mal compris. Je ne démarre pas avec une approche philosophique ou thématique. Disons que je commence souvent avec quelque chose de facile à comprendre et qu’ensuite, j’explore les façons de travailler à l’intérieur d’un genre donné ». Le public a donc un rôle important, voire décisif, à jouer dans l’interprétation à donner au film…

Souvent anxiogène, parfois glacial, Cure impose de fait l’image d’un Japon déprimé, très loin du juste mélange de modernité triomphante et de respectable tradition que l’Occident lui envie parfois. Bientôt vingt ans ont passé et son réalisateur n’a pas renoncé à observer la face sombre de son pays ou plutôt les raisons qui, parfois, le poussent vers l’abime. « Il faudra mener le procès de notre responsabilité dans Fukushima, et notamment par le cinéma », jugeait-il en mai 2013 dans une interview donnée à Libération. « Si je parle de responsabilité, c’est qu’il y a longtemps que nous utilisons le nucléaire, tout en étant conscients des dangers, et que nous avons toujours fait comme si de rien n’était. La catastrophe devrait nous obliger à remettre en question cette insouciante manière dont nous vivons (…). Il s’agirait au fond moins de représenter le désastre que de scruter dans nos vies comment il a pu advenir, du fait d’un certain esprit japonais ». Kiyoshi Kurosawa n’en a sûrement pas fini avec la noirceur…

Sur le web

Sorti en novembre 1999 en France et en juillet 2001 aux Etats-Unis, Cure est le 15e long métrage de son réalisateur et le film qui permet enfin à Kiyoshi Kurosawa de se faire un prénom et d’être découvert en Occident. Interrogé sur ses sources d’inspiration lors de la présentation de Cure à Hollywood, Kiyoshi Kurosawa, également scénariste du film, avoue avoir été influencé par les journaux télévisés japonais et les reportages sur des meurtres dans lesquels les voisins du tueur avouaient classiquement ne se douter de rien. De là l’idée de la folie cachée sous le couvert de la normalité.

Pour Kiyoshi Kurosawa, « c’est ironiquement quand les personnes vivent une terreur intérieure que leur vie semble la plus intense. Mon approche fondamentale est de monter cette terreur personnelle que quelqu’un peut rencontrer accidentellement et l’intensité de la vie qui accompagne inévitablement cette rencontre« .

« Nous pressentons que le genre dans Cure est subordonné au sujet traité, en l’occurrence la déliquescence de la société japonaise, mais que d’un autre côté celui-ci permet au cinéaste de prendre du recul avec la réalité pour mieux la déconstruire. Kurosawa établit une fusion subtile entre le film noir et le film fantastique qui nous fait glisser du constat social à sa vision du Japon, laquelle entretient un lien étroit avec le film dit d’anticipation…Le constat de Kurosawa est pessimiste puisque personne ne semble pouvoir échapper à la gangrène qui ronge la société japonaise. A ce titre, le cinéaste soutient la thèse que son pays est perdu et qu’il ne peut espérer trouver le salut que dans sa destruction, c’est à dire dans une renaissance qui se ferait sur les cendres du Japon actuel. Cette idée sera reprise et développée dans Kairo, un film fantastique qui se termine dans le chaos annoncé dans Cure, la fin d’un monde dominé par les hautes technologies, le travail et l’absence de communication entre les êtres. » (Frédéric Astruc, Cadrage, décembre 2005)

Comme à son habitude, Kiyoshi Kurosawa a travaillé de façon très rapide : un mois pour écrire le script, deux à quatre semaines de tournage de son propre aveu. Le cinéaste a d’ailleurs la réputation d’être très prolifique, avec en moyenne trois à quatre films par an. Réalisé deux ans après Cure, le thriller Charisma est souvent considéré comme une semi-séquelle de Cure, notamment par la présence aux deux génériques de l’acteur Koji Yakusho. Même s’il accepte le rapprochement,  Kiyoshi Kurosawa avoue qu’il avait écrit l’intrigue de Charisma plus de dix ans avant de signer Cure. Deuxième tête d’affiche de Cure, l’acteur Tsuyoshi Ujiki est également un chanteur connu au Japon. Présenté aux festivals de Toronto et Rotterdam, Cure a été récompensé lors de la cérémonie des Oscars japonais en 1998 à travers son acteur Masato Hagiwara, sacré second rôle masculin. Son collègue Koji Yakusho avait déjà été sacré meilleur acteur lors du Festival International de Tokyo 1997 quelques mois plus tôt. Comme bon nombre de récents thrillers japonais, Cure fait l’objet d’un remake américain, développé par la société United Artists.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Martin De Kerimel

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