La Danza de la Realidad



Vendredi 27 Septembre 2013 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Alejandro Jodorowsky – Chili – 2013 – 2h10 – vostf

« M’étant séparé de mon moi illusoire, j’ai cherché désespérément un sentier et un sens pour la vie. » Cette phrase définit parfaitement le projet biographique d’Alexandro Jodorowsky : restituer l’incroyable aventure et quête que fut sa vie.
Le film est un exercice d’autobiographie imaginaire. Né au Chili en 1929, dans la petite ville de Tocopilla, où le film a été tourné, Alejandro Jodorowsky fut confronté à une éducation très dure et violente, au sein d’une famille déracinée. Bien que les faits et les personnages soient réels, la fiction dépasse la réalité dans un univers poétique où le réalisateur réinvente sa famille et notamment le parcours de son père jusqu’à la rédemption, réconciliation d’un homme et de son enfance.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

La danse de la réalité porte bien son nom .Avec ce film qui danse, qui virevolte et qui joue souvent au funambule, Jodorowsky nous offre une de ces chorégraphies hautes en couleurs dont il a le secret. Il nous revient après plus de 20 ans d’absence et son cinéma n’a pas pris une ride. Il a au contraire gagné en maîtrise tout en gardant sa force de frappe légendaire. Avec ce film, Jodorowsky fait un retour sur son enfance et rend hommage à ses parents… à sa façon bien évidemment, c’est à dire en réalisant leurs rêves les plus chers par la magie du cinéma. Avec la liberté profonde d’un artiste qui n’a jamais eu rien à prouver, Jodorowsky transfigure la réalité pour aller au plus près de sa vérité propre. Et très certainement les rêves se situent au plus intime de la vérité pour chacun d’entre nous. Jodorowsky est de fait un cinéaste rare : il réussit a nous faire toucher du doigt cette réalité du rêve et nous voyons prendre corps sous nos yeux les rêves les plus baroques, les plus fantasques comme s’il s’agissait de la matière même de la vie. Le cinéma avec son mimétisme absolu vis à vis du réel permet ce miracle, et Jodorowsky prend un plaisir évident à ce jeu, ce ballet incessant de la représentation. Nous savons dès la première minute que nous sommes dans un film hors norme.Foin de rationnel, il nous faut lâcher prise, accepter de se laisser embarquer dans l’aventure. Jodorowsky ne craint ni l’outrance ni la provocation. Il reste en cela fidèle à ses premières amours surréalistes. D’aucuns feront la moue. Pas de chance pour eux…Vraiment.

Dans le monde de Jodorowsky un galet peut déclencher un tsunami comme un noyau d’abricot suffisait à faire exploser un char israélien chez Elia Souleiman. Mais là où le réalisateur palestinien enchaînait avec sobriété des saynètes finement ciselées, Jodorowsky choisit immanquablement la voie opposée.Un souffle puissant, de la couleur pure, un enchevêtrement de péripéties menées tambour battant. Ce qui crée la distanciation, c’est justement le décalage proclamé avec la réalité.

Mais ce qui fait la force de Jodorowsky et de ce film en particulier, c’est que dans tout ce délire ambiant, dans ces situations abordées systématiquement par le filtre de l’invraisemblable et/ou du grotesque, le cinéaste nous parle avant tout et de manière très profonde, non seulement de son vécu, du rôle de l’éducation, des rapports entre parents et enfants ( et n’oublions pas que le rôle du père pathologiquement autoritaire est tenu par le propre fils de Jodorowsky) mais aussi de l’histoire de son pays, le Chili, en proie, à la fin des années 30 comme trop souvent au fil des siècles à une dictature sanglante. Car son tyran de père est un communiste convaincu qui rêve d’assassiner Ibañez, le général sanguinaire. Le jeudi noir de Wall Street met 70 % des ouvriers chiliens au chômage.Ici comme ailleurs les pauvres sont suspects par nature et parqués dans ce qu’il faut bien appeler des camps…(ce qui nous vaut un magnifique premier plan énigmatique qui ne s’éclairera que plus tard).et ils peuvent aussi être « affreux, sales et méchants » voire pire…( la scène de la distribution de l’eau restera très certainement dans les annales pour sa férocité implacable ).

La danza de la realidad nous fait passer en fait par tous les aspects de la vie, du plus trivial au plus profond, nous parle aussi de la part de mystère avec lequel il nous faut bien composer faute de virer dans un hyper-rationalisme stérile. Ce qui nous vaut nombre de scènes savoureuses où les personnages secondaires apportent chacun sa pierre à l’édifice : le théosophe énigmatique, l’anarchiste ambitieux, le travelo engagé dans la lutte clandestine, le clown philosophe et le palefrenier résigné du dictateur, tous nous parlent de l’effort de donner un sens à sa vie.dans le peu de temps qui nous est imparti. Car « Le temps s’en va, le temps s’en va, Madame. Las le temps non, mais nous nous en allons »

Jodorowsky qui est aujourd’hui un vieux monsieur de 84 ans a forcément une conscience aiguë du peu de temps qu’il lui reste et le cinéma lui permet précisément d’être à la fois le petit enfant soumis au désir contradictoire des adultes et le narrateur qui se met lui même en scène au soir de sa vie. Sans nostalgie aucune, sans la moindre dose d’apitoiement sur soi ou de sensiblerie, avec un appétit de vivre à toute épreuve qui s’avère hautement communicatif, d’autant plus que nous sommes sans cesse surpris par la créativité débordante du réalisateur. Ce qui nous fait le plus grand bien en retour. Pas si fréquent par les temps qui courent, n’est ce pas ?

Sur le web

Dans son éternelle lutte contre l’industrie, le metteur en scène Alejandro Jodorowsky a décidé de recourir au Crowdfunding pour financer ce film. Ainsi, plus de 900 personnes lui ont versé une somme d’environ 50 000 euros. Cette dernière était bien évidemment insuffisante pour pouvoir réaliser le film, mais elle a donné assez de courage au cinéaste pour démarcher les producteurs. Jodorowsky a décidé de rembourser l’ensemble des dons et de créditer ces 900 donateurs au générique.

Réaliser un film sur sa vie et celle de ses parents constitue la parfaite occasion de mettre en scène sa famille : « La Danza de la Realidad n’est pas seulement un film mais aussi une forme de guérison familiale, puisque trois de mes fils jouent dedans. Je retourne à la source de mon enfance, dans le lieu même où j’ai grandi, pour me réinventer« , explique Alejandro Jodorowsky, précisant également que son épouse Pascale Montandon prend part au projet en tant que costumière.

Très présent sur les réseaux sociaux, Alejandro Jodorowsky n’a pas hésité à demander de l’aide à ses centaines de milliers de followers, quand il ne savait pas où trouver certaines choses nécessaires aux besoins du tournage (comme par exemple des acteurs avec des membres en moins pour incarner les mineurs mutilés). Pour le metteur en scène, Internet est la littérature du futur…

Le réalisateur chilien Alejandro Jodorowsky n’avait pas touché une caméra depuis Le Voleur d’arc en ciel en 1990 soit 23 ans. Il revient en force à l’âge de 84 ans après cette longue absence, avec un film qui s’est fait loin des journalistes, dans le secret et le silence le plus total. En filmant la ville de son enfance, Alejandro Jodorowsky a pris sa revanche sur le passé. Il a sauvé cette ville qui l’avait tant rejeté et en est même devenu le héros : « Grâce au tournage du film et aux améliorations que nous avons apportées à la ville je suis devenu le sauveur, le fils idéal de Tocopilla, finalement. Ils m’ont même délivré un diplôme« . Symboliquement et pour les besoins du film, le metteur en scène a également reconstruit le magasin de ses parents détruit par un incendie.

La Danza de la Realidad peut être perçu comme redéfinissant la réalité dans le but de guérir l’âme du réalisateur. Ce dernier appelle ça la psychomagie, une sorte de thérapie inventée par Alejandro Jodorowsky lui-même, visant à bousculer la réalité avec tendresse. Ce long-métrage en est le parfait exemple : « Dans le film je réalise les rêves de mon père et de ma mère, et je réalise mon propre rêve de les réunir à nouveau et de créer une famille.« 

Le film a été présenté au Festival de Cannes 2013 dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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