De Humani Corporis Fabrica



Samedi 28 Janvier 2023 à 20h

Cinéma Jean-Paul Belmondo (ex-Mercury) – 16 place Garibaldi – Nice

Documentaire de Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor, France, 2022, 1h58

Il y a cinq siècles l’anatomiste André Vésale ouvrait pour la première fois le corps au regard de la science. De Humani Corporis Fabrica ouvre aujourd’hui le corps au cinéma. On y découvre que la chair humaine est un paysage inouï qui n’existe que grâce aux regards et aux attentions des autres. Les hôpitaux, lieux de soin et de souffrance, sont des laboratoires qui relient tous les corps du monde…

Notre article

par Josiane Scoleri

De Humani Corporis Fabrica est très certainement un des films les plus détonants du festival de Cannes l’an dernier, toutes sélections confondues. Un film qui a l’ambition de nous montrer le corps humain comme on ne l’a jamais vu et qui réussit son pari sans l’ombre d’un doute. Un film qui a aussi beaucoup divisé la critique, souvent pour des raisons différentes, voire diamétralement opposées. C’est en soi un signal à ne pas négliger. Il faut dire que les deux co-réalisateurs sont anthropologues de formation (et de métier). Ceci explique sans doute cela, tout au moins en partie. Le film est en effet avant tout de nature sociologique, portant un regard qui vise à englober le plus largement possible tous les aspects de la planète hôpital sans négliger pour autant la forme purement cinématographique de l’objet. Des rondes du personnel de sécurité aux aide-soignantes, des malades aux chirurgiens, de l’accouchement à la morgue, la «fabrique du corps humain» est emboîtée dans l’usine de la santé à la manière des poupées russes. En cela, Verena Paravel et Lucien Chastaing-Taylor sont sans doute les héritiers de la méthode Wiseman, sans aller cependant comme lui jusqu’à démonter tous les rouages de l’institution : pas de Conseil d’Administration, pas de responsables politiques des Hôpitaux de Paris, pas de discussions budgétaires, etc… Le propos du film est plutôt de rester au plus près du quotidien et de nous faire pénétrer d’un seul mouvement à l’intérieur de l’hôpital comme du corps humain.

Les images scientifiques ont très vite fait irruption dans l’histoire du cinéma et ont toujours fasciné aussi bien le public que les cinéastes eux mêmes. (cf les films du chirurgien Eugène Doyen dès 1898 destinés à l’Académie et montrés dans les fêtes foraines). Souvent conçu à des fins pédagogiques ou illustratives, le film scientifique devient véritablement du cinéma – du cinématographe aurait dit Godard- à partir du moment où il existe en tant qu’image, au-delà de sa signification strictement utilitaire. C’est ce que réussit le duo Paravel-Chastaing en nous donnant à voir non seulement les incroyables images de coupes tissulaires qui surgissent comme autant de tableaux abstraits et évoquent immanquablement les peintures des Aborigènes australiens ou ces images d’échographie en 3D qui pulsent au plus près de la vie elle-même.

Mais le film ne se résume pas à cette puissance esthétique et symbolique à la fois. Il chemine sur le film du rasoir, notamment dans toutes les scènes de chirurgie à proprement parler, où le spectateur lambda pourrait facilement détourner le regard. Ce n’est pas tous les jours qu’on voit l’ablation d’une prostate en direct ou un accouchement par césarienne en temps réel. Ce choix de la durée qui est celle de l’opération elle-même nous oblige d’abord à voir et nous fait ressentir la tension, le risque constant, inhérents au geste chirurgical où l’ombre portée de la mort rôde en permanence. Sommes-nous même censés voir de telles choses? Ce que révèlent aujourd’hui les mini caméra laser qui filment à l’intérieur des vaisseaux et des organes ne relève-t-il pas de l’effraction? Mais malgré tout, la curiosité l’emporte. D’abord, parce que ce corps que nous voyons à l’écran est nécessairement le nôtre. Et là, à nouveau, la puissance d’identification propre au cinéma – et à lui seul- fonctionne à plein. C’est probablement là que se situe la plus grande force du film, ce degré d’intimité immédiat que l’on ressent dès la toute première opération, malgré l’étrangeté de la situation, des images qu’on ne décrypte pas forcément immédiatement et ces machines énigmatiques qui nous feraient presque basculer dans la science fiction.

Les réalisateurs ont l’intelligence d’alterner les scènes purement médicales avec tout ce qui constitue l’environnement hospitalier lui-même. Là aussi le film s’adapte au rythme qui émane des scènes elles-mêmes, sans peur de la durée, ni de la répétition, si besoin est: ces deux femmes déjà âgées qui cheminent à tout petit pas dans les couloirs, cet homme qui signifie clairement à la caméra qu’il ne veut pas être filmé par le hublot de la porte de sa chambre.

La bande-son contribue fortement à la cohésion du film, que ce soit par les bruits ambiants ou les bribes de conversation. L’une des scènes les plus fortes de ce point de vue là est celle de la morgue où deux employées habillent un mort en temps réel, dans une synchronisation parfaite, en écoutant à la radio un air de salsa qui enchaîne sur de la pub, sans transition, comme dirait l’autre.

Enfin, un mot sur la scène finale qui dure plus de 10 minutes où nous nous retrouvons dans une salle de garde «traditionnelle» pour le départ d’un des médecins. Ambiance boîte de nuit, défoulement généralisé, musique à fond sur lumière psychédélique: la première chanson est «I will survive», on ne peut plus à propos. Et là nous découvrons médusés une de ces fresques pornographiques où la caméra se promène à loisir de scènes de sexe en squelettes faisant office de diablotins ou de chérubins égrillards dans une farandole carnavalesque débridée. Cette dernière scène dit mieux que tous les discours la tension permanente entre la et la mort et la nécessité absolue d’une soupape de sécurité.

De Humani Corporis Fabrica est ainsi un film d’une honnêteté absolue, qui réussit à montrer sans faiblir dans le respect tant des personnes qui apparaissent à l’écran que du spectateur. Ce n’était pas une mince affaire.

Sur le web

Le titre du documentaire renvoie à De humani corporis fabrica libri septem (« À propos de la fabrique du corps humain en sept livres« ), un traité d’anatomie humaine d’André Vésale, qu’il a rédigé entre 1539 à 1542. Il s’agit d’un ouvrage fondateur de l’anatomie moderne, marquant un tournant historique dans le rapport à la science, à la médecine et aux corps.

Alors que la médecine moderne s’est appropriée les outils du cinéma pour sa propre pratique, les réalisateurs ont voulu à leur tour utiliser les moyens développés par la médecine pour faire un film qui donne « une représentation du corps qui nous soit moins familière mais qui élargisse les manières dont nous existons dans le monde. Il s’agit de trouver un moyen de repenser notre intériorité, de façon plus incarnée, plus corporelle.« 

À l’instar de la structure du livre d’André Vésale auquel son titre fait référence, De Humani Corporis Fabrica devait être découpé en sept séquences tournées dans sept pays et montrant sept opérations chirurgicales concernant différentes parties de l’anatomie (le squelette, les muscles, les viscères, le cerveau, le système nerveux, le système sanguin, le système respiratoire). Mais les réalisateurs ont abandonné cette idée, trop complexe à mettre en œuvre et qui risquait de figer leur approche.

Après s’être intéressé au cannibal japonais Issei Sagawa dans Caniba, Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor filment le corps humain comme on ne l’a jamais vu. « Comme dans nos autres films, on se tient à un seuil entre la beauté et l’horreur« , affirme Paravel. Le duo cherche toujours à réinterroger les tabous, à expérimenter pourquoi et en quoi il y a des interdits, des refoulements. Avec De Humani Corporis Fabrica, il s’agissait de se confronter à notre propre finitude, « au double sens du rapport à la mort à venir inéluctablement et de la clôture de chaque corps : clôture qui désigne à la fois le corps physique, l’enveloppe que nous vivons étanche de notre peau, et l’individu comme valeur, peut-être surévaluée, ou qui dissimule combien nous sommes aussi des êtres collectifs« .

Au-delà des images chocs, le film montre la fragilité « de notre état sanitaire, à toutes les échelles, individuelles, familiales, amicales, et jusqu’au niveau de la planète. » Une vulnérabilité renforcée par la pandémie de Covid-19. Lucien Castaing-Taylor précise : « Le film voudrait inciter aussi à penser autrement à notre corps individuel et collectif, et aussi aux relations aux autres espèces – pas seulement les virus, qui sont à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de chacun(e), mais l’ensemble des êtres. C’est une des dimensions politiques du film.« 

Les réalisateurs ont obtenu un accord de principe, sans contrepartie, de la direction des Hôpitaux du Nord de Paris pour pouvoir tourner. Ils ont été eux-mêmes étonnés de la bienveillance avec laquelle ils ont été reçu par les médecins et le personnel soignant. Il en a été de même pour les patients, comme l’explique Lucien Castaing-Taylor : « Surpris que notre présence soit non seulement acceptée, mais souvent souhaitée, nous avons réalisé que nous étions fréquemment perçus comme des sortes de témoins protecteurs, que notre présence, celle d’un tiers absolument pas lié à la pathologie, les rassurait. Y compris au cours des anesthésies, lorsqu’ils sont dénudés, sans défense.« 

Les réalisateurs ont d’abord essayé plusieurs modèles de caméras endoscopiques, mais elles manquaient d’autonomie car elles devaient rester attachées à une colonne ou à une prise. Désireux d’être plus libres dans leurs mouvements, ils ont demandé à un ami à Zurich, Patrick Lindenmaier, et à sa société, Andromeda, de leur fabriquer une très petite caméra avec une esthétique très proche de celle des optiques médicales, mais qui était complètement autonome. Lucien Castaing-Taylor précise : « Il s’agit d’une version modifiée d’une “ lipstick camera ”, matériel de prise de vue très petit et maniable, de la taille d’un bâton de rouge à lèvres. Pratiquement tout ce qui est filmé par nous l’a été avec cet appareil, qui donne aux images une plasticité qui les lie aux images filmées à l’intérieur par les outils des médecins et des chirurgiens, et qui constitue près de la moitié du film. Le but est d’inviter à percevoir les liants et les affinités entre intérieur et extérieur, entre corps du patient et corps médical« . Ils ont aussi utilisé les caméras scialytiques installées au-dessus de la table d’opération et qui enregistrent tout ce qui se passe, à des fins d’archives, d’enseignement, éventuellement aussi judiciaires, ainsi que des images filmées à l’intérieur des microscopes.

Verena Paravel et Lucien Castaing-Taylor ont d’abord voulu tourner dans des hôpitaux à Boston mais il était très difficile de pouvoir filmer en raison des responsables de la communication de chaque établissement. La majorité du documentaire a été tournée dans les hôpitaux de Beaujon et de Bichat-Claude Bernard, à Clichy et Paris. Si huit hôpitaux sont cités dans le générique de fin, « nous n’avons pas filmé dans tous les endroits remerciés à la fin du film, nous sommes allés discuter, rencontrer des personnes avec des compétences particulières dans de nombreux endroits« , précise Verena Paravel.

De Humani Corporis Fabrica a nécessité entre six et sept ans de travail. Lucien Castaing-Taylor souligne : « Mais il faut comprendre que nous commençons toujours par une longue enquête de terrain. Nous sommes d’abord des anthropologues, avant le tournage proprement dit il y a plusieurs années de recherche, de terrain, parfois avec l’utilisation de la caméra, mais comme outil de prise de notes, pas en vue de séquences destinées au film« .

Le film s’achève dans une salle de garde, sur les murs de laquelle a été dessinée une fresque pornographique représentant les médecins de différents services. « Pour moi, cette scène montre le trouble inhérent à l’activité médicale, qui consiste à faire un grand nombre d’actes interdits dans la vie courante, qui font intrusion dans les corps de multiples manières. Tout le monde fait comme si cela allait de soi mais il y a une zone de malaise énorme pour ceux qui pratiquent cela en permanence, malaise qui a besoin d’exutoires, de traductions visibles pour que les praticiens puissent continuer à vivre et à exercer leur métier. C’est typiquement une thérapie carnavalesque, où le recours à l’obscène est une réponse purgative ou cathartique aux violences qu’ils subissent« , déclare Lucien Castaing-Taylor.

Jusqu’où peut aller le documentaire ? Partout bien sûr, et sous bien des masques différents. On l’a bien vu depuis Leviathan, la caméra de Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor sait aller partout. Pour ce nouveau film, elle se faufile dans la plus folle des intimités : l’intérieur du corps humain. Accompagnant les gestes de chirurgiens, elle se faufile au cœur des personnes filmées : dans leurs crânes, leurs viscères, leur pupilles. Davantage que de l’infiniment petit, le duo de cinéastes filme ici l’infiniment secret, tout en lui donnant des dimensions épiques. Ainsi dévoilé sur grand écran, l’intérieur du corps humain devient un paysage plein d’ombres et de dédales…

« …De humani corporis fabrica est un film sensoriel qui suit son propre fil d’Ariane en passant par différents registres : de la science-fiction au drame pathétique, de l’horreur au film social en passant par le cinéma abstrait. Reporters sans frontières cinématographiques, les deux cinéastes défient les définitions trop strictes du documentaire. Leur caméra va loin au sens propre (s’enfonçant dans la chair sans répit) ainsi qu’au sens figuré, par son audace stupéfiante. Le film soulève autant les estomacs qu’il soulève les questions, et l’éprouvante scène d’opération sur un patient encore conscient risque fort de hanter les spectateurs sensibles.

De humani corporis fabrica dissèque le corps hospitalier, son organisation humaine, parfois même politique, mais surtout sa fragilité. Les corps humains sont faillibles, mortels, et la même fatalité semble hanter l’hôpital ici filmé. Derrière la surface des progrès techniques et médicaux, une ombre morbide plane partout, comme dans dans ces couloirs où certains patients errent tels des spectres ou dans cette fête entre médecins qui ressemblent à un inquiétant sabbat de sorciers. Unique, le résultat est un voyage fantastique, fascinant autant que perturbant. Pas mal pour un documentaire, non ? » (lepolyester.com)

« Le film se déroule au sein de plusieurs hôpitaux de la région parisienne et s’ouvre sur une scène qui nous entraîne dans le boyau souterrain de l’un des bâtiments. L’idée est claire : il s’agit de faire la lumière sur ce qui est longtemps resté dans l’obscurité, profondément enfoui sous la surface de la chair. Pour cela, le duo met en relation deux mondes parallèles, l’un intérieur, l’autre extérieur, au fil d’un montage bicéphale. D’un côté, des scènes d’opération chirurgicale nous invitent à explorer l’intériorité du corps humain, en livrant des images, disons-le, encore jamais vues sur grand écran. De l’autre, des séquences montrent le quotidien des patients et du personnel soignant, notamment les difficultés des employés à mener à bien leur travail dans les conditions, précaires voire piteuses, qui sont celles de l’hôpital public en France. Il n’y a pas que les corps qui sont malades : la grande machine hospitalière, elle-même filmée comme un agencement organique avec ses artères (les couloirs, les sous-sols), apparaît aussi en état de décrépitude avancée. La comparaison illustre bien la nature hybride du cinéma de Paravel et Castaing-Taylor, qui exploite toujours un dispositif plastique particulier (caméras embarquées, images sous-exposées, flou du signal vidéo) afin d’ausculter une thématique stimulante sur le plan anthropologique (pêche maritime, cannibalisme, et ici imagerie médicale)… les images du corps confinent souvent à l’abstraction et évoquent de grands paysages où le monde organique, trituré par le mécanique (ciseaux, pinces et autres bistouris), conservent une part de mystère. Désorienté par la complexité de ce qui se révèle, on voit tout et en même temps presque rien… De Humani Corporis Fabrica est donc autant un film sur le corps humain que sur le regard que nous posons sur lui. » (critikat.com)

« … Des films, il en sort, plus que de raison, en quantité chaque semaine. Parfois de très beaux films, parfois seulement des films «intéressants», par leur sujet ou leurs propositions de mise en scène. De loin en loin, ce qu’il convient d’appeler un grand film, qui restera dans les mémoires, peut-être dans l’histoire du cinéma. Et, bien sûr, un nombre significatif de réalisations auxquelles on ne reconnaît aucune des qualités qui précèdent. Et puis, très rarement, on voit un film dont on se dit qu’il change l’idée même du cinéma, la capacité de mobiliser ses outils (le cadrage, la lumière, le son, le montage…) pour ouvrir à des nouvelles approches, de nouvelles sensations, de nouvelles façons de penser. Ainsi en va-t-il de De humani corporis fabrica, de Lucien Castaing-Taylor et Verena Paravel… Le film entreprend une exploration non seulement du corps humain, mais du corps humain comme territoire à risques – les maladies, les accidents, les malformations, la sénilité et la mort sont les inévitables corollaires de la présence à l’hôpital –, et du corps humain comme un état parmi d’autres «corps» se contenant les uns les autres et interférant les uns avec les autres. En quoi ce film, qui n’a en apparence rien à voir avec l’écologie, construit bien une autre relation entre humain et non humain, réfute les vieilles séparations qui fondent notre désastreux «rapport au réel»…

… D’une diversité et d’une précision jamais approchée, en tout cas pour une diffusion autre que spécialisée, ces images ont surtout cette vertu – qui est, elle, absolument inédite – de connecter par un sidérant travail de montage les images filmées par les réalisateurs et celles enregistrées par les machines. Ce travail, qui organise les images et les sons, les rythmes et les déplacements, est au sens propre un travail poétique, une composition pour percevoir autrement, sentir autrement, penser autrement. Là se jouent en effet un déplacement et un questionnement qui ne concernent pas que les hôpitaux ou la médecine, mais activent de façon bien plus vaste la réflexion sur la nature des images, le point de vue, les rapports à l’espace et au temps qu’engendrent de tels dispositifs scientifiques et «politiques», au sens de ce qui organise la vie collective.

Bien entendu, ce qu’on voit est de prime abord dérangeant. Une des vertus majeures du film est, sans jamais faire disparaître entièrement ce trouble, d’accompagner pas à pas le chemin intérieur qui consiste à se demander pourquoi nous avons tant de mal à regarder ce qui nous compose et qui nous fait vivre… À quoi tient le fait que l’on trouve généralement dégoûtant ou horrible l’intérieur d’un intestin, l’organisation réelle d’une colonne vertébrale, les membranes qui composent un sein, les flux sanguins et des autres liquides corporels? Le film ne répond évidemment pas à cette question, mais invite de manière souvent affectueuse, émerveillée ou ludique à se la poser différemment, à ne plus la tenir pour réglée.

Un des plus puissants ressorts pour accompagner ce cheminement est le travail visuel de De humani corporis fabrica, la beauté des images, l’étrangeté attirante qu’offrent à regarder les modalités de vision activées par le film.

À ce travail visuel, qui n’enjolive rien mais cherche en permanence la véritable beauté de ce qui vibre et palpite, mais aussi les jeux de relations très fins entre des êtres en situations violemment inégalitaires – patients et soignants, personne en état de grande dépendance mentale –, sans jamais les enfermer dans cette seule inégalité, répondent les mises en perspectives permises par le son…

… Au fond c’est peut-être d’abord de cela dont il s’agit dans De humani corporis fabrica: des innombrables modalités de notre volonté de ne pas savoir. Ne pas savoir à quoi ressemblent nos organes, ne pas savoir ce que disent les toubibs lorsqu’ils ont les avant-bras enfoncés dans notre abdomen, ne pas savoir à quoi ressemblent les parties non publiques de l’hôpital. À ces innombrables blocages et aveuglements qui nous constituent, le film n’oppose nullement une injonction de transparence absolue. Mais il propose constamment – avec une sensibilité qui aide à ne pas fermer les yeux et surtout les esprits – de déplacer tout un appareillage intérieur auquel chacun est soumis et, le plus souvent, entend le rester… » (slate.fr)

« … Le nouveau long métrage de Verena Paravel et Louis Castaing-Taylor est un documentaire aussi éprouvant qu’exaltant dont il est difficile de sortir tout à fait indemne. Au-delà de ce qu’il montre, entre beauté abstraite d’un univers corporel inconnu et images insoutenables d’une chair en souffrance, il propose une réflexion passionnante sur ce qui fait corps.

Le dernier territoire inconnu était donc notre corps. Ou plus exactement, l’intériorité secrète de ce corps, savamment dissimulée derrière la membrane opaque de son enveloppe dermique – et des siècles d’un tabou persistant. C’est ce que l’on réalise en découvrant le nouveau documentaire immersif et radical du duo Verena Paravel et Louis Castaing-Taylor (auquel on devait déjà, entre autres, l’hypnotique Léviathan et le puissant Caniba) qui nous embarque dans plusieurs salles d’opérations hospitalières dont il entreprend de nous montrer les coulisses. C’est-à-dire, non pas ces scènes vues à la pelle dans les séries consacrées aux services d’urgences ou de chirurgie, mais celles qui se déroulent simultanément autour et à l’intérieur du patient anesthésié. Le film est d’ailleurs né de cette idée : puisque “la médecine moderne s’est approprié les outils du cinéma pour sa propre pratique”, pourquoi le cinéma ne s’emparerait-il pas à son tour des technologies développées pour le corps médical ? On parle, ici, de cette imagerie produite par des instruments robotisés capables de filmer dans notre organisme, et qui constitue une part importante de De humani corporis fabrica

… En parallèle, les deux cinéastes ont filmé les soignants au travail avec une caméra miniature fabriquée spécialement pour eux, et ont également utilisé les images des caméras scialytiques installées au-dessus des tables d’opération et utilisées pour archiver tout ce qui s’y passe. Ce mélange dans les registres d’images permet d’alterner les séquences intérieures, indéchiffrables, mystérieuses et souvent abstraites, et les gestes médicaux filmés de très près, qui perdent eux aussi toute signification concrète pour le spectateur profane. Tout ce que l’on sait, tiraillé entre ces deux formes de plans, c’est la vulnérabilité bouleversante du corps humain, et l’énergie, la force, et même la puissance mises à son service afin de lui permettre de continuer à fonctionner….

… A bien des égards, De humani corporis fabrica change le regard du spectateur : sur lui-même, bien sûr, sur ses semblables, c’est évident, mais aussi sur le monde dans lequel il vit et dont il perçoit que le principe d’interconnexion générale qui le fonde est à la fois sa plus grande force et son irrémédiable faiblesse : aucun organe n’est susceptible de survivre à la disparition de tous les autres. » (avantscenecinema.com)


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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Entrée : Tarif adhérent: 6,5 €. Tarif non-adhérent 8 €. Adhésion : 20 € (5 € pour les étudiants) . Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier et à l’atelier Super 8. Toutes les informations sur le fonctionnement de votre ciné-club ici


 

 

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