De l’aube à minuit



Mercredi 06 Octobre 2010 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Karl-Heinz Martin – Allemagne – 1929 – 1h28 – NB – muet

Diffusé dans le cadre de La Semaine du Cinéma Allemand,  présenté par FRANCE-ALLEMAGNE CÔTE D’AZUR, en partenariat avec CINEMA SANS FRONTIERE et le Cinéma MERCURY

Le caissier d’une banque accablé par la monotonie de son existence, décide un beau matin d’en finir et quitte son travail en emportant la caisse, à la recherche de la vraie vie.

Notre critique

Par Philippe Serve

Georg Kaiser montre dans sa pièce expressionniste les tentatives d’un employé de banque pour échapper à son quotidien. L’adaptation du metteur-en-scène allemand Karlheinz Martin transforme la pièce de Kaiser en un film expressionniste à la stylisation radicale. Le résultat était si dérangeant que le film ne trouva pas de distributeur en Allemagne. La seule copie existante fut préservé par la National Film Center de Tokyo après avoir connu une exploitation en salle et un succès critique.

Une véritable borne de l’histoire du cinéma mondial. La spécialiste du cinéma allemand de l’entre-deux guerres, Lotte Eisner (co-fondatrice de la Cinémathèque française) l’a décrit comme le seul film véritablement, totalement expressionniste, plus encore que le fameux Cabinet du Docteur Caligari (Robert Wiene, 1920), présenté par CSF il y a deux ans.

Projeté en version complètement restaurée et serti d’un accompagnement musical composé à cette occasion, un événement majeur, inédit et exclusif à Nice, à ne manquer sous aucun prétexte !

100% EXPRESSIONNISTE

Lorsque Karlheinz Martin achève le tournage de Von Morgens bis Mitternacht, adapté de la pièce de George Kaiser qu’il avait mis en scène au Grosses Schauspielhaus de Berlin, [Le Cabinet du Docteur Caligari->182] (Robert Wiene, 1920), commencé légèrement avant, n’est pas encore terminé. De l’Aube à Minuit mérite donc le qualificatif de premier film 100% expressionniste jamais tourné au monde. Mais, à l’inverse de Caligari,  il ne sera pas projeté sur les écrans allemands. Que s’est-il passé ? On ne le sait pas vraiment. Le film obtient son visa de censure tardivement, au mois d’août 1921, alors que Caligari est sorti depuis un an et remporte un triomphe partout où il est présenté. Mais l’industrie cinématographique allemande n’en veut pas et la projection réservée à la presse en juin 1922 ne change pas la donne. Les Allemands ne verront donc pas De l’Aube à Minuit. En fait, personne ne le verra sauf… les spectateurs japonais qui obtiennent une copie du film – la seule qui demeurera – et se prennent de passion pour l’Expressionnisme en général et ce film en particulier. On en trouve des traces directes dans le fascinant chef d’œuvre de Teinosuke Kinugasa, Une Page folle (Kurutta ippeiji,1926) tourné sur un texte-scénario original du grand romancier Kawabata, futur Prix Nobel de littérature. Puis le film disparait. N’en reste plus pendant des décennies que des photos montrant de bien étranges choses, plus extrêmes encore que dans Caligari. Un jour pourtant, la copie japonaise est retrouvée et le Musée National d’Art Moderne de Tokyo en association avec le Centre National du Cinéma nippon en assure une copie. Nous sommes en 1959. Près de trente ans plus tard, le visa de censure est retrouvé et les cartons (intertitres) originaux allemands sont réintroduits. Le travail de restauration peut débuter, aboutissant à la superbe copie d’aujourd’hui.

Loin de cacher son origine théâtrale, De l’Aube à Minuit s’en prévaut. Mais le fait même qu’il s’agisse de théâtre expressionniste – et j’ajouterai du plus pur – évite au film de sacrifier aux clichés habituels  du genre théâtre filmé. En fait, tout comme Caligari et même davantage, l’œuvre échappe à toute autre définition que ce 100% expressionniste. Du coup, il semble encore au spectateur de 2010 appartenir à un autre monde, être l’un de ces très rares OFNI (Objets filmiques non identifiés) qui font toute la saveur de l’histoire du cinéma. Car des films vraiment, totalement expressionnistes, on en compte en réalité très peu, certains historiens du cinéma ou critiques allant jusqu’à n’en compter que six ou sept : outre les deux films précités, on y ajoutera alors Genuine (Robert Wiene, 1920), Le Montreur d’Ombres (Schatten, Arthur Robison, 1923), Raskolnikov (Wiene, encore lui, 1923). Les Mains d’Orlac (Orlacs Hände, qui ? Wiene bien sûr, 1924) et enfin Le Cabinet des figures de cire (Das Wachsfigurenkabinett, Paul Leni, 1924).

D’autres films emprunteront largement à l’Expressionnisme sans s’y fondre totalement. Ce sont ceux que la grande critique allemande Lotte Eisner appellera les {films démoniaques}. Ainsi du Golem (Paul Wegener et Carl Boese, 1920) ou de L’Etudiant de Prague dans sa deuxième version, celle de Henrik Galeen (1926). Des œuvres, souvent magnifiques, feront une sorte de synthèse entre certains traits de l’Expressionnisme (à tour de rôle le décor, l’éclairage, le thème ou le jeu – les quatre piliers incontournables du genre – mais jamais tous en même temps) et le Kammerspielfilm, littéralement « film de chambre » sur le modèle du théâtre de Strindberg ou d’Ibsen. Parmi eux, L’Escalier de service (Die Hintertreppe, Leopold Jessner et Paul Léni, 1921), Le Rail (Scherben, Lupu Pick, 1921), La Rue (Die Strasse, Karl Grüne, 1923), La Nuit de la St Sylvestre (Sylvester, Lupu Pick, 1923), l’excellentissime Asphalte (Asphalt, Joe May, 1928-1929). Enfin, d’autres cinéastes, par leur génie propre, dépasseront tout cela tout en s’inscrivant dans un évident héritage. Les trois plus célèbres sont évidemment F.W. Murnau (Nosferatu, Le Dernier des Hommes, Faust, Tartuffe et plus tard à Hollywood L’Aurore), Fritz Lang (Les Trois Lumières, Le Dr Mabuse, Les Nibelungen, Metropolis, M le Maudit, Le Testament du Dr Mabuse) et G.W. Pabst (La Rue de la Joie, Les Secrets d’une âme, Loulou, Journal d’une fille perdue).

Mais que ce soit dans l’un ou l’autre de ces films, aucun ne mettra vraiment ses pas dans les traces de Caligari et surtout de Von Morgens bis Mitternacht. Il faut sans doute comprendre le refus des distributeurs allemands de l’époque par une peur panique devant les  réactions possibles du public face à l’Expressionnisme total et sans concessions du film, qui plus est parfaitement assumé par son réalisateur. C’est que, outre sa forme aussi sidérée que sidérante, l’histoire que raconte le film – et à l’origine la pièce de Kaiser – avait de quoi déranger ! Si l’Allemagne vaincue ne connait pas encore l’hyperinflation qui explosera en 1923, la situation économique commence déjà à se dégrader sérieusement suite aux exigences – surtout françaises – du Traité de Versailles. La tentative de révolution spartakiste qui provoque la chute du Kaiser a marqué les esprits et répandu des idées socialistes et anarchistes que les artistes et auteurs expressionnistes partagent bien souvent.

Voir donc un caissier de banque, gardien de cet argent si difficile à faire fructifier et que tant de révolutionnaires voudraient distribuer au peuple, perdre la tête, voler, renier et abandonner sa famille, mener une vie de luxure avant de donner l’argent aux pauvres en une tentative de rédemption puis finir – symboliquement – crucifié après avoir été littéralement vendu à la police par une pure jeune fille de l’Armée du Salut, voilà qui était sans doute trop provocateur aux yeux des distributeurs comme des exploitants de salles. Si Caligari, lui, n’a pas posé de problème quant à sa distribution, c’est que son idée force – très dérangeante aussi – d’un tyran respectable manipulant les êtres à sa guise – était comme annihilée par une fin conventionnelle imposée aux auteurs du film : toute l’histoire racontée s’avérait en fin de compte le récit d’un fou… Rien de tel dans De l’Aube à Minuit. Si le caissier perd la boule et s’en va affronter un inexorable destin – thème essentiel au romantisme allemand dans lequel baigne toujours l’Expressionnisme – illustré par la récurrente apparition du visage de la Mort sur chaque femme croisée (femme fatale mais aussi victime), ce n’est pas le thème de la folie qui prédomine mais plutôt celui du chaos engendré par la possession – ou l’absence de possession – de l’argent. La fin du film, au-delà d’une apparente confusion, voire d’une certaine ambigüité, se révèle d’un profond pessimisme sur la société et la nature humaine. L’humour qui parsème le film, pas tout de suite décelable, l’ironie mordante et même la caricature (à l’intérieur d’un choix de représentation – l’Expressionnisme – que beaucoup verront déjà caricatural) donne son sens au film. Celui d’une violente dénonciation. C’est aussi en cela que, oui, De l’Aube à Minuit est un film 100%expressionniste.

Quant à son aspect formel, je dirais qu’il suffit de le regarder pour en être convaincu.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

Merci de continuer à arriver suffisamment à l’avance pour être dans votre fauteuil à 20h30 précises.

N’oubliez pas la règle d’or de CSF aux débats :
La parole est à vous !

Entrée : 7,50 € (non adhérents), 5 € (adhérents CSF et toute personne bénéficiant d’une réduction au Mercury).

Adhésion : 20 €. Donne droit au tarif réduit à toutes les manifestations de CSF, ainsi qu’à toutes les séances du Mercury (hors CSF) et à l’accès (gratuit) au CinémAtelier.
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