Vendredi 28 novembre 2008 à 20h30
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Rabah Ameur-Zaïmeche – Algérie – 2008 – 1h33 – vostf
Au fond d’une zone industrielle à l’agonie, Mao, un patron musulman, possède une entreprise de réparation de palettes et un garage de poids-lourds. Il décide d’ouvrir une mosquée et désigne sans aucune concertation l’imam…
Notre critique
Par Bruno Precioso
Dernier maquis est le troisième volet d’une trilogie unie par le maintien d’une thématique, autant que par les variations du traitement. Rabah Ameur-Zaïmèche s’intéresse à la fois aux réalités sociales les plus dures, filmant, selon ses propres mots, le peuple ouvrier actuel et à la situation particulière des populations immigrées dans le monde du travail autant que dans l’espace social. Ce Dernier maquis s’inscrit dans la perspective ouverte par ses deux films précédents : Kamel le héros de Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ? était confronté à la difficulté de se réinsérer dans sa cité des Bosquets, après avoir purgé une double peine de prison. A la décomposition sociale de la Seine-Saint-Denis répond, dans Bled number one, le regard distancié posé par un autre Kamel sur une Algérie que lui impose l’expulsion du territoire français. Chacun des deux longs métrages traite de la question de la communauté, de la tension entre unité et diversité en son sein, de relations humaines à peine mises en scène, plutôt montrées sur un mode proche du documentaire.
Thématiques
« J’ai le sentiment de terminer quelque chose que j’avais commencé avec Wesh Wesh, sur les structures sociales, sur le déterminisme et aussi sur les différentes particularités des diasporas », déclarait le cinéaste en marge du Festival de Cannes. Et en effet Ameur-Zaïmèche aborde ses films sous un angle résolument politique. L’angle surprend pourtant. Comme l’écrit Cyril Neyrat dans les Cahiers du Cinéma: « il semble, faire sienne la phase du philosophe et journaliste Jacques Rancière : les « sujets politiques » se définissent non par les identités mais par les « intervalles entre identités ». Et de fait, chacun des trois longs métrages de Rabah Ameur-Zaïmèche commence par poser les identités – sociales, ethniques, religieuses – par proclamer leur égalité de droit les unes par rapport aux autres, pour ensuite les disséquer, les opposer, y ouvrir « des intervalles ». Cette réflexion menée sur le rapport de l’individu à la communauté, l’existence de la minorité face à une majorité, sur l’ambiguïté des actes des individus vis-à-vis du groupe, ce travail est éminemment politique et cherche à éviter à la fois la caricature et la leçon.
Les personnages
Pour les mêmes raisons, les personnages ne sont pas hiérarchisés de manière stricte, aucun n’accapare l’histoire même si évidemment certains sont plus souvent à l’image. L’importance du dialogue en général témoigne de la volonté d’installer à l’écran les personnages dans l’interaction. En tant que réalisateur et acteur, Rabah Ameur-Zaïmèche s’attribue systématiquement un rôle, simultanément central et périphérique, incarnant des personnages essentiels au déroulement d’une histoire qui n’est pourtant pas prioritairement la leur. Etre acteur et témoin tout à la fois est envisageable lorsque Ameur-Zaïmèche est Kamel, décalé dans Bled number one, mais cette position paraît plus difficilement tenable dans Dernier maquis, où RAZ est Mao, le patron.
L’image et le son
Le travail du cinéaste porte précisément sur ce qui fait le discours au cinéma. Ameur-Zaïmèche établit la dialectique par bien d’autres voies que le seul dialogue : ce qui est dans le champ, quelle action il accueille (ou non), et souvent le glissement de l’action hors du champ de la caméra ou la présence constante mais invisible (puisque hors de l’écran) des sujets les plus attendus. La musique, le son, voire, à l’opposé, le silence jouent un rôle majeur dans le cinéma tel que l’entend Rabah Ameur-Zaïmèche. Dans Dernier maquis comme dans Bled number one, le soin accordé à la bande sonore trouve son pendant visuel dans la lumière et la couleur choisies. Cependant, contrairement à Bled, ce sont ici des couleurs artificielles qui portent la dramaturgie.
Une esthétique théâtrale ?
Pour autant, si Dernier maquis ne s’installe pas dans le paysage méditerranéen quasi mythologique et baigné de lumière du Bled, la dimension symbolique portée par le décor n’en tire pas moins le film vers un espace hybride, à cheval entre le théâtre et l’installation artistique. Ce décor dépouillé et mouvant, où Ionesco eut pu rencontrer Brecht, permet un traitement esthétique de l’espace sans sortir de l’image documentaire propre aux premiers films de Ameur-Zaïmèche. Le cinéaste voulait un décor de théâtre antique. On oscille par ce biais de mise en scène entre la dureté et la trivialité de l’univers presque clos qui nous est proposé, et une forme d’épure esthétique à la limite de la stylisation désincarnée. Dernier maquis a abandonné les travelling des deux films précédents, et s’installe dans un univers sonore et visuel propice à une perception crue des couleurs et des mots. Les plans durent, souvent, sans démonstration de virtuosité de la caméra. Il faut dire que Rabah Ameur-Zaïmèche revendique cette immobilité, puisqu’il a « posé [sa] caméra pour peindre, alors que jusque-là on utilisait la caméra comme des instruments de musique. » Après tout, comme il le dit lui-même, le maquis, lieu ultime de la résistance, ne peut pas être transporté. Il constitue le refuge de ceux qui résistent, mais pas forcément pour les mêmes raisons, par toujours contre les mêmes ennemis. Ce maquis a un patron, Ameur-Zaïmèche lui-même, et nous verrons s’il respecte la conclusion d’un autre Ameur-Zaïmèche, Kamel dans Wesh Wesh : « Les patrons c’est tous les mêmes : ils se font de l’argent sur le dos de travailleurs. »
Filmographie:
2001 : Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ? 2006 : Bled number one 2008 : Dernier maquis
Diplômé en anthropologie urbaine, Rabah Ameur-Zaïmèche s’est tourné vers le cinéma parce qu’il sentait qu’il y avait « quelque chose au fond de son coeur qui avait besoin de moyens pour atteindre l’expression libre. »
Les films qu’il réalise visent donc rejoindre son discours d’anthropologue, mais sur un mode nouveau. Ce mode consiste à déployer des « espaces de perception », selon l’expression du cinéaste, où la présence d’un fond riche de sens est porté par une forme qui se veut intuitive, allusive, poétique. La volonté de ne pas imposer une dialectique dure, de ne pas souffler le sens, donne naturellement une priorité à l’art, à l’installation plutôt qu’à la mise en scène, dit Ameur-Zaïmèche.
Sur le web
Dans Dernier maquis, Rabah Ameur-Zaimeche aborde un sujet délicat : les liens entre la pratique de l’Islam et le monde du travail. Le cinéaste, « pas spécialement marqué par le cinéma ouvrier ou militant« , mais attaché à « l’impact documentaire« , a souhaité traiter cette question avec « une complexité » dont on ne tient pas assez compte dans les relations aux travailleurs musulmans, alors que la religion est souvent pour eux un dernier rempart. La scène où les ouvriers s’opposent sur le choix de l’imam est importante parce que cette question-là, celle de la désignation de l’imam, est historiquement capitale : après la disparition du Prophète, c’est devenu un problème central, un motif de déchirement. « Ce qui m’intéresse, c’est de montrer cette controverse aujourd’hui en France, dans une zone industrielle de la région parisienne, avec des ouvriers et un patron au caractère prosélyte ; et ce que cela déchaîne dans leurs rapports et leurs aspirations. Il y a un mur entre eux, mais celui-ci est percé de trous et la lumière le traverse de partout. Ça pourrait être ça le dernier maquis…«
Le cinéaste revient sur la genèse du projet : « La première version du scénario a été écrite après Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ?. A l’époque je n’avais pas réussi à obtenir des financements, aussi je l’ai mis entre parenthèses et avec Louise Thermes, la coscénariste, nous sommes partis sur l’écriture de ce qui allait devenir Bled number one. Puis je suis revenu au Dernier maquis par facilité, puisque le scénario était écrit et qu’il ne demandait qu’à être retravaillé… J’ai gardé la base : une tragédie prolétarienne qui interroge la place de l’Islam et son rapport avec le monde du travail. Nous avons choisi de décrire l’univers et le sort réservé à ceux qui, après avoir franchi les mers et les déserts, s’abîment pour un salaire de misère.«
Rabah Ameur-Zaimeche situe Dernier maquis par rapport à ses deux premiers longs métrages, Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ? (2002) et Bled number one (2006) : « Avec Dernier maquis, j’ai l’impression d’être revenu près de Wesh Wesh : dans mon premier film, on descendait le long des fenêtres, des étages avec des panoramiques verticaux. Ici, on monte le long des empilements de palettes. Du coup, j’ai le sentiment d’avoir terminé quelque chose autour des structures. Le rapprochement se fait aussi par la lumière, la texture de l’image. Bled Number one est un détour par la nature, avec une lumière dorée, éthérée. C’est un film flottant, suspendu entre deux brises. La lumière de Wesh Wesh et de Dernier maquis est plus froide, plus bleutée, métallique. Cela dit, j’ai beaucoup pensé au tournage de Bled Number one.«
Le décor constitue un véritable personnage de Dernier maquis : « C’est un garage en région parisienne, dans une zone industrielle semblant abandonnée, avec des cuves de carburant, un canal, des avions qui passent », explique le réalisateur. « On a commencé par filmer ce décor comme celui d’un théâtre antique. On a eu de la chance, juste à côté du garage il y avait une colline depuis laquelle on pouvait faire des plans qui ressemblent à des plans de grue. Puis, on a plongé au milieu de l’arène, on a placé la caméra au centre des rapports de production avec une vision à 360 degrés, et on filmait comme ça de tous les côtés, en tournant la caméra sur elle-même pour attraper des morceaux du décor et des personnages. Le meilleur, c’est que ce plateau composé de milliers de palettes rouges était toujours mouvant, sans cesse déplacé par l’activité humaine.«
Les palettes constituent un des motifs essentiels du film, aussi bien sur le plan esthétique que symolique : « A l’époque, il n’y avait que quelques palettes autour de ce garage rempli de camions en réparation, et elles nous ont tout de suite subjugués. On y a vu leur puissance symbolique inouïe. On n’a pas hésité, on en a réclamé mille milliards (…) Elles sont le coeur du film. Ce rouge, ça sautait aux yeux… La palette est la preuve éclatante du côté archaïque de tout système de production. C’est un objet central dans le transport des marchandises, et en même temps un objet élémentaire, un assemblage ingénieux de morceaux de bois qui n’a de valeur que fonctionnelle. Ce sont les Américains qui l’ont inventée après la seconde guerre mondiale. Et puis il y avait quelque chose de magique avec ces palettes : tandis que je préparais le film, j’avais peint une toile abstraite avec des formes rouges qui rappellent énormément une colonne de palettes. En fait, j’avais imaginé sans le savoir le dernier plan du film.«
Le cinéaste revient sur le mélange entre acteurs professonnels et non-professionnels : « Il n’y a que des acteurs dans le film, mais seuls les mécanos et moi avions déjà joué auparavant. Les autres, les manoeuvres qui triaient, réparaient et peignaient les palettes, le sont devenus pendant le tournage. Il a fallu peu de temps pour se comprendre, même si au départ ils nous prenaient pour des fous. Mais ils se sont imposés d’eux-mêmes. Le muezzin vient du Sénégal. Il me rappelle Bilâl, un esclave affranchi, compagnon du prophète, qui est devenu le premier muezzin de l’histoire de l’Islam. L’imam, formé en Algérie, a toujours rêvé de faire du cinéma. C’est comme ça qu’on a trouvé nos personnages, en découvrant nos acteurs.«
Initialement, le film devait être centré sur l’histoire de deux frères, l’un étant contremaître (joué par Rabah Ameur-Zaimeche lui-même), l’autre étant patron. Mais Fellag, acteur choisi pour interpréter ce dernier s’étant désisté, le cinéaste a décidé de fusionner les deux personnages. Ainsi est né Mao, le patron musulman incarné par Ameur-Zaïmeche. Fellag est crédité dans les remerciements. Dans cet univers très masculin, il y avait au départ une femme (une prostituée, interprétée par Nathalie Richard) mais ce personnage a été éliminé du montage final.
Dernier Maquis a été présenté en 2008 au Festival de Cannes, dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
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