Vendredi 26 septembre 2003 à 20h45
Film de Lars von Trier – Danemark – 2003 – 2h57 – vostf – Interdit aux moins de 12 ans
Dans les années trente, des coups de feu retentissent un soir dans Dogville, une petite ville des Rocheuses. Grace, une belle femme terrifiée, monte en courant un chemin de montagne où elle fait la rencontre de Tom, un jeune habitant de la bourgade. Elle lui explique qu’elle est traquée par des gangsters et que sa vie est en danger. Encouragée par Tom, la population locale consent à la cacher, en échange de quoi Grace accepte de travailler pour elle. Lorsqu’un avis de recherche est lancé contre la jeune femme, les habitants de Dogville s’estiment en droit d’exiger une compensation, vu le risque qu’ils courent à l’abriter. Mais la pauvre Grace garde en elle un secret fatal qui leur fera regretter leur geste…
Sur le web
Lors de la conférence de presse cannoise donnée après la projection de Manderlay, Lars von Trier expliquait pourquoi il avait souhaité consacrer une trilogie à l’Amérique : « L’Amérique est un sujet qui m’intéresse, car les Etats-Unis occupent une très grande place dans ma vie, comme dans celle de chacun d’entre nous. Je considère que l’Amérique occupe environ 60% de mon esprit. Je suis de fait concerné par tout ce qui touche ce pays, et pourtant je ne peux pas voter là-bas si je veux changer les choses. C’est pour cette raison que je fais des films sur l’Amérique. »
Lorsque des journalistes reprochèrent à Lars von Trier d’avoir fait un film (Dancer in the dark) sur les Etats-Unis sans y avoir jamais mis les pieds, celui-ci rétorqua qu ‘ »ils n’étaient jamais allés à Casablanca quand ils ont fait Casablanca ». Agacé par ces critiques, le cinéaste danois décida de tourner d’autres films situés en Amérique. Ainsi naquit le projet de Dogville. « Dogville se situe en Amérique, mais une Amérique vue à travers mon regard. Je ne me suis pas restreint en me disant, « Il faudrait que je fasse telle ou telle recherche ». Ce n’est ni un film scientifique, ni un film historique. C’est un film d’émotion. Bien sûr, on parle des Etats-Unis, mais aussi de n’importe quelle petite ville dans le monde« .
« Dogville, sous ses aspects faussement compliqués, est un film intéressant bien que formel, bien plus audacieux dans la forme comme dans le fond que son prédécesseur Dancer in the Dark, pourtant auréolé d’une Palme d’or en 2000. Le propos est celui d’une fable dont il faut considérer le manichéisme et une évidente forme de moralisme, mais le réalisateur le gratifie ici d’un désenchantement assez déconcertant, un parti pris qui fait débat et qui donne à l’œuvre tout l’intérêt qu’on peut sciemment lui prêter. Le dispositif peut d’abord paraître repoussant: un décor dépouillé et minimaliste, un studio passablement austère, un sol froid sur lequel sont tracées les contours des maisons, des rues, et un banc, tourné vers cet extérieur qui n’existe même pas. Une étrangère arrive, affublée d’un nom, en forme d’entité plutôt que d’identité, celui de Grace. Elle vient du coté obscur, des coulisses, et révèle assez rapidement la paranoïa d’un village (du réalisateur?) et sa peur de l’étranger. Pourtant, elle se pose immédiatement en situation de vulnérabilité, étant à protéger, à cacher de ceux qui la poursuivent. Réfugiée pour quelque raison obscure dont on est incapable d’évaluer la gravité, cette femme étrangère semble sans âge, sans goût, sans affect, sans aspiration ni expériences particulières. Lars von Trier n’a pas choisi l’actrice au hasard: Nicole Kidman a le physique idéal pour incarner ce personnage mystérieux: un visage beau et lisse que le temps ne semble pas avoir menacé, mais surtout un regard étonnement bleu et clair, troublant d’ambiguïté, en contraste de cette chevelure blonde et lisse qui nous la rend au premier abord si angélique. Dévouée à la cause villageoise, elle va tour à tour endosser quantité de rôles: garde-malade, aide-soignante, nourrice. Elle participe de plein gré à la vie économique du village, jusqu’à se laisser dépasser par ce qu’elle croit cautionner et maîtriser. Elle devient finalement l’élément révélateur et l’esclave des pulsions les plus animales des habitants du village. Le dispositif est alors en place et le spectateur se familiarise sans mal à ce décor transparent, au parti pris d’une mise en scène à priori théâtralisée mais que la caméra à l’épaule et le montage riche de faux raccords nous ramène immédiatement au langage cinématographique…Avec Dogville, il consolide un film cinéphilique, truffé de subtiles références au septième art: on pense à L’Opéra de quat’sous de Bertolt Brecht, à Théorème de Pier Paolo Pasolini, au Parrain de Coppola ou encore à L’Homme des hautes plaines de Clint Eastwood. Reste que l’accueil critique du film aux États-Unis fut musclé, accusant le réalisateur d’avoir tenu un propos clairement anti-américain. Il est clair que l’intention de Lars von Trier était, entre autres, de pointer l’hypocrisie d’un pays qui se pose en grand moralisateur, un territoire duquel part l’anéantissement de toute forme d’idéalisme et qui ne court plus qu’après toute représentation imagée de la haine. Facile? Le débat reste ouvert. » (critikat.com)
« Dogville est une fable, une parabole. Il nous montre que l’humanité n’est pas jolie jolie, que la population d’un village est toujours prête à sombrer dans l’abjection lorsqu’elle est confrontée à des circonstances extrêmes. Au départ singuliers et plutôt sympathiques, les habitants de Dogville finissent tous par rejoindre le camp majoritaire, celui qui humilie, trahit et cherche à tirer avantage de la pauvre Grace. Même celui qui l’aime se révèle faible, velléitaire, décevant. Le retournement de l’ultime chapitre n’arrangera pas les choses. Evidemment, la noirceur de Lars von Trier va à l’encontre des fictions consolatrices, des fariboles positives, des happy ends et autres héros en acier trempé qu’Hollywood refourgue à longueur d’année. Pour autant, on peut se demander si le pessimisme absolu du cinéaste n’est pas le négatif trop commode et trop simple des fictions américaines planétaires, comme si le cinéaste avait voulu à lui seul faire contrepoids à Hollywood en surchargeant le caractère foncièrement abject de la nature humaine. Car, si l’on ne croit plus depuis longtemps aux héros qui vont sauver le monde (ni que le monde puisse être sauvé), on ne croit pas plus que l’humanité entière est pourrie et qu’il faudrait se résigner à désespérer de l’homme, de tous les hommes. Or, les personnages de Dogville font tous le trajet du meilleur vers le pire. On aurait préféré qu’au moins l’un d’entre eux fasse le chemin inverse, non par angélisme, mais parce qu’on préfère les œuvres polysémiques au déterminisme noir. Tout le génie de Lars von Trier, c’est que, malgré sa noirceur majuscule et son peu de foi en l’homme, son film ressemble à tout sauf à une thèse glauque ou rébarbative : divinement écrit (la voix du narrateur est une merveille qui évoque celle de La Splendeur des Amberson), génialement mis en scène, superbement incarné par un casting globalement remarquable, au sommet duquel trône l’impératrice Kidman, Dogville est un coup de maître cinématographique, d’ores et déjà un candidat très sérieux au podium cannois et aux palmarès annuels. » (lesinrocks.com)
Dans Dogville, l’actrice australienne Nicole Kidman interprète Grace. Lars von Trier dit avoir écrit le rôle de Grace pour elle ou, plutôt, à partir de l’image qu’il avait d’elle, l’actrice lui ayant fait comprendre qu’elle désirait travailler avec lui.
Lars von Trier s’est entouré d’un casting de luxe pour interpréter les personnages de Dogville. Le réalisateur dit avoir toujours été impressionné par les performances de l’acteur fétiche de John Cassavetes, Ben Gazzara, c’est un héros pour lui depuis Meurtre d’un bookmaker chinois. C’est la directrice de casting qui a suggéré Lauren Bacall pour son talent, pas pour son nom précise le cinéaste. Enfin James Caan est aussi pour Lars Von Trier un très bon acteur, que l’on associe trop souvent à des rôles de gangsters depuis Le Parrain, dans lequel il interprète le rôle de Sonny, fils de Don Corleone.
Pour écrire Dogville, Lars von Trier dit avoir été inspiré par « Pirate Jenny« , la chanson de « L’opéra de Quat’sous », de Bertolt Brecht. Dixit le réalisateur danois : « C’est une chanson très forte, dont le thème de vengeance m’a beaucoup plus« .
« Quand on invente un personnage, on prend quelqu’un qu’on connaît et on le replace dans un autre contexte. Les gens de Dogville sont tous danois, ce sont des gens qui existent. »
Lars von Trier décide de situer Dogville dans les Rocheuses, en pleine crise économique américaine (1929). Le cinéaste s’est en effet inspiré des photos en noirs et blancs de l’époque prises par le gouvernement américain.
En faisant traduire son scénario du danois en anglais, Lars von Trier a demandé au traducteur de préserver l’esprit danois, pour ne pas rendre cela trop parfait. Pour justifier cela, il fait d’ailleurs un parallèle avec l’auteur tchèque, Franz Kafka qui décrit les Etats-Unis dans L’Amérique, avec un oeil étranger, sans jamais en avoir foulé le sol.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.
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