Dolls



Vendredi 13 juin 2003 à 20h45

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Takeshi Kitano – Japon – 2003 – 1h53 – vostf

Dolls regroupe trois histoires d’amour inspirées d’un spectacle de poupées du théâtre Bunraku.

Dans la première, Matsumoto et Sawako forment un couple heureux, mais les pressions exercées par leurs deux familles vont les forcer à faire un choix tragique. Dans la deuxième, Hiro, un chef yakuza, retourne dans un parc où il avait l’habitude de voir sa petite amie, et se souvient… Trente ans plus tôt, il était un pauvre ouvrier et s’est retrouvé forcé de se séparer de la jeune fille pour intégrer le milieu du crime. Dans la troisième, Haruna, dont le visage est recouvert de bandages, passe le plus clair de son temps à regarder la mer. Peu de temps auparavant, elle était une star de la musique, habituée à signer des autographes et à se montrer à la télévision. Nukui est sans aucun doute son plus grand fan et aujourd’hui, il compte bien le lui prouver.

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Dolls rend hommage au bunraku, l’un des genres traditionnels du théâtre japonais avec le no et le kabuki. Présent notamment dans la séquence d’ouverture du film, le bunraku est né au 16e siècle et met en scène des marionnettes en bois de 3 à 20 kilos animées simultanément par trois hommes dont deux couverts d’une capuche noire. Trois protagonistes restent alors visibles au public : l’un des animateurs, le narrateur (tayu) également chargé d’assurer les voix des marionnettes et un joueur de shamisen, un instrument à trois cordes qui assure les interludes musicaux. L’art du bunraku n’est pas inconnu à Takeshi Kitano, puisque sa grand-mère était conteuse de bunraku et joueuse de shamisen.

Le texte déclamé lors du spectacle de bunraku de la séquence d’ouverture de  fait partie de Meido no Hikyaku (Le Courrier des enfers), l’un des textes les plus connus de Monzaemon Chikamatsu, auteur du 17e et 18e siècles considéré comme le Shakespeare japonais avec 110 pièces de bunraku et 30 pièces de kabuki à son actif.

Takeshi Kitano a puisé dans ses propres souvenirs pour trouver certaines des idées fortes de Dolls. Outre la présence du bunraku qu’il a connu dans son enfance grâce à sa grand-mère, le réalisateur s’est également remémoré un homme et une femme reliés par une corde qu’il avait croisés dans un quartier de Tokyo alors qu’il était aspirant comédien. Surnommés « les mendiants errants » par les habitants du quartier, ceux-ci ont inspiré à Kitano le couple tragique formé par Matsumoto et Sawako, fil rouge du récit.

Outre le thème central du bunraku, Takeshi Kitano souhaitait également évoquer les quatre saisons dans Dolls après qu’on lui ai fait remarquer que la majorité de ses films dégageait une atmosphère grise et bleuté. Avec des prises de vue étalées sur quarante jours de novembre 2001 à avril 2002, le réalisateur a ainsi montré le printemps à travers les cerisiers en fleurs que côtoie le couple encordé, l’été à travers la mer devant laquelle se réfugie la star de la chanson défigurée, l’automne avec les feuilles rouges des forêts et l’hiver dans la montagne, ces deux derniers décors étant à nouveau traversés par le couple à la corde rouge.

« Dolls est sans doute le film le plus soigné de Takeshi Kitano. Chaque plan, chaque image semble avoir été pensée avec un extrême souci de l’harmonie des couleurs : des rouges à profusions, des dégradés de marron quand c’est l’hiver, les cerisiers en fleurs pour le printemps, etc. Kitano avoue même avoir parfois changé de décors pour que ceux-ci s’accordent mieux avec les somptueuses tenues du styliste Yoji Yamamoto portées par ses personnages. De ce point de vue, Dolls s’apparente plus à un film de graphiste ou de designer que de cinéaste. Car au niveau de la mise en scène, le cinéaste fait preuve d’un manque flagrant d’inspiration comme s’il s’était laissé débordé par la composition méticuleuse de ses plans. Kitano se contente de placer ses protagonistes au centre de ses magnifiques tableaux sans vraiment se soucier du rythme ou du découpage. Du coup, Dolls se laisse regarder comme on feuillète distraitement un beau livre d’images, une expérience un peu frustrante pour les fans du réalisateur de Jugatsu ou Hana-Bi… » (chronicart.com)

« L’une des caractéristiques du film est qu’il ne cherche pas à nous prendre dans ses rets, mais, au contraire, à nous inspirer. La mise en scène laisse au spectateur des interstices où se glisser. Elle étire le récit, le dilate jusqu’à atteindre un tel niveau de clarté et d’évidence que l’on finit par penser à autre chose… Et c’est le but recherché. Car Dolls fait partie de ces films ­ souvent des chefs-d’œuvre ­ dont Raoul Ruiz écrit (dans un livre paru en 1995 et intitulé Poétique du cinéma) qu’ils « possèdent une haute qualité d’ennui« . Pas un ennui dépressif, mais l’ennui que Pessoa définissait par « la perte, pour l’âme, de sa capacité à se mentir, le manque, pour la pensée, de cet escalier inexistant par où elle accède, fermement, à la vérité« , un ennui créatif, inspirateur d’imagination, où le spectateur peut s’insérer : « Tout dépend aussi de ce que veulent apporter les spectateurs… Et c’est délibérément que je leur offre quelque chose de minimal, pour qu’ils puissent y glisser leur richesse personnelle. Il serait présomptueux de dire que ça dépend du niveau des spectateurs, mais c’est tout à fait volontaire. Comme les tableaux : ils vous donnent à voir, et vous y apportez tout ce qui n’y est pas. Et moins il y a de choses, plus vous avez de place pour apporter votre propre part« , poursuit TakeshiKitano. 
On pourrait comparer le film à un écrin vide que chacun pourrait remplir. L’ennui serait cet « instant privilégié, affirme Ruiz, qui survient quand l’âme est à la fois au repos et en mouvement, tournant vertigineusement sur elle-même, comme un cyclone autour de son œil, pendant que les événements du passé et du futur s’évanouissent dans la distance« . Le montage de Dolls nous entraîne justement vers ce point de fusion du temps : morcelé, éclaté, mêlant images du passé, du présent et du futur (on pense à ce passage du Mépris de Godard où Camille/Bardot se confie au spectateur). Kitano explique : « J’ai aussi essayé de faire des décalages dans le temps. Le temps du cinéma est un temps raccourci ou un temps rallongé. Je voulais créer des glissements de temps. Dans l’histoire de l’art, les mouvements artistiques se chevauchent souvent. De même, je voulais faire en sorte que les époques se chevauchent dans mon film. » Il n’y a pas de film plus moderne. Si l’on peut considérer qu’ « aller voir ailleurs si l’on y est » est un souhait assez commun aux humains et toujours voué au succès (on « y » est toujours, c’est bien le problème), nul doute que le spectateur se retrouvera dans les méandres de ce récit bâti pour lui offrir une place au sein de l’imaginaire et de la création, au milieu des ombres dont on n’est pas certain de revenir si l’on se laisse aller à se retourner pour les regarder ­ à moins de se crever les yeux, pour ne pas voir la laideur, pour se punir de la faute dont on est innocent (œdipe ne savait pas, après tout, que sa femme était aussi sa mère). Kitano joue avec ces ombres que nous confondons avec la réalité, trompés par nos sens. 
Et maintenant ? « Avec Dolls, j’ai essayé de jouer avec le temps, d’avoir une nouvelle approche du temps au cinéma. C’est un coup d’essai. Je continuerai et j’essaierai de plus en plus de faire un puzzle et de raconter des histoires en temps éclaté. Ce n’est qu’à la fin qu’on comprendra l’histoire. Le temps sera utilisé d’une autre manière. Avant d’arriver à l’épure, j’ai encore beaucoup de films à faire, où il y aura encore beaucoup d’effets qui cacheront l’épure », conclut Kitano. On attend avec impatience.  » (lesinrocks.com)

Fidèle à son habitude lorsque qu’il endosse le costume de réalisateur, Takeshi Kitano a une nouvelle fois cumulé les fonctions sur Dolls. Crédité en tant que metteur en scène, scénariste et monteur, Kitano a également largement participé à la photographie de son film. Dolls est cependant le troisième film où Kitano réalisateur ne se met pas en scène devant l’écran, après A Scene at the Sea et Kids Return.

S’il cumule de nombreuses fonctions, Takeshi Kitano ne s’est pas moins une nouvelle fois entouré de fidèles collaborateurs. Ainsi le compositeur Joe Hisaishi, également fidèle au maître de l’animation Hayao Miyazaki, retrouve-t-il Kitano pour la septième fois après A Scene at the Sea, Sonatine, mélodie mortelle, Kids Return, Hana-Bi, L’ Ete de Kikujiro et Aniki, mon frère. Mêmes collaborations pour le chef opérateur Katsumi Yanagishima, auxquelles se rajoute Getting any ?, alors que le créateur des costumes Yohji Yamamoto retrouve le réalisateur trois ans après Aniki, mon frère.

Les principaux protagonistes de Dolls ont connu des trajectoires bien différentes. Si Tatsuya Mihashi (le mafieux) et Chieko Matsubara (la femme dans le parc) sont des comédiens reconnus, Tsutomu Takeshige (le fan aveugle) n’en est qu’à sa deuxième expérience devant la caméra après Aniki, mon frère, lui qui était auparavant le chauffeur de Takeshi Kitano. Interprète de la vedette défigurée Haruna, Kyoko Fukada est, pour sa part, également star de la pop et actrice reconnue au Japon.

Dolls a été présenté en compétition officielle à la 59e Mostra de Venise en 2002.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Philippe Serve.

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