Jeudi 10 Février 2011 à 20h30 – 9ième Festival
Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice
Film de Johan Grimonprez – Belgique – 2009 – 1h20
Thriller politique, Double Take met en scène un récit orchestré par Alfred Hitchcock, où se mêlent faux-semblants, couples étranges et histoires croisées. Alors que la guerre froide s’intensifie, la télévision prend peu à peu le cinéma en otage en s’immisçant dans les foyers américains. Les dirigeants des deux blocs s’efforcent désespérément de rester cohérents lors d’un débat à la télévision. Et, Hitchcock et son insaisissable double apparaissent de plus en plus obsédés par le meurtre parfait… de leur double respectif ! A partir d’un collage d’archives télévisuelles et cinématographiques, Johan Grimonprez, sur un scénario inspiré d’une nouvelle de Borges, détourne la figure mythique du « maître du suspense ». Sous la forme d’une intrigue ludique, il dissèque la paranoïa d’un individu comme métaphore de la crise politique et nous invite à réfléchir à notre propre rapport aux images.
Notre critique
Par Bruno Precioso
Sans doute fallait-il une personnalité aussi composite que Johan Grimonprez pour tenter le pari d’un tel film : Flamand d’origine mais diplômé de la School of Visual Arts de New York, professeur-anthropologue de formation, habitué du monde des musées (il est conservateur des archives), plasticien, cinéaste expérimental, ses incursions dans le monde du cinéma ont jusqu’ici été largement saluées au moins par la critique cinématographique et artistique. Ses films ont d’ailleurs trouvé refuge dans les musées autant (sinon plus) que dans les salles de cinéma. La carrière de Grimonprez en tant que cinéaste, commencée en 1992 alors qu’il n’a que 30 ans, est relativement restreinte ; elle témoigne cependant d’une remarquable constance dans ses thématiques et le travail formel qui leur est associé.
Après le documentaire Dial H-I-S-T-O-R-Y (1997), son premier long-métrage, salué pour son questionnement du statut de l’image médiatique en général, et cinématographique en particulier, Grimonprez se penche déjà sur la figure d’Alfred Hitchcock dans son Looking for Alfred (2004), portant le soupçon sur le cinéma. En 2009, Double Take illustre parfaitement la mosaïque d’influences qui s’expriment chez Grimonprez. Ni documentaire, ni fiction, ni pure oeuvre de cinéma expérimental mais tout cela à la fois, ce film se développe dans la juxtaposition et la polyphonie.
Palimpsestes hitchcockiens…
Grimonprez choisit de situer son film dans le contexte des années 60, l’ambiance de Guerre Froide constituant la toile de fond, l’esprit idéal pour développer ses thématiques : face à face de l’original et du double, utilisation à outrance de l’image-propagande, culture de la méfiance, trahison des apparences et double discours (à travers les figures de l’espion et de l’agent double), équilibre de la terreur qui réside dans l’inflation paradoxale d’une menace irréalisable…Les années 60 sont aussi celles d’une variation de forme de l’image très présente ici, puisqu’on croise des prises de vue dignes de vidéastes amateurs, des spots publicitaires d’époque, et bien entendu l’empreinte immense de la télévision. Précisément et quoi qu’en dise Grimonprez, le choix d’Hitchcock comme personnage central du film, cinéaste parmi les plus connus du public occidental, sinon mondial, ne relève pas du hasard. Outre les inquiétudes propres au cinéma hitchcockien, en phase avec celles que veut aborder Double Take, le « maître du suspense » est une vivante métaphore des déplacements du statut de l’artiste suite à l’irruption de la télévision dans un monde d’images jusque là dévolu au seul cinéma. Cet européen vivant et créant sur un autre continent, gardant un pied dans le monde du cinéma tout en investissant le nouvel espace télévisuel, à la fois devant et derrière la caméra, est à lui seul un « double ». Quoi donc de plus logique que ce double soit effectivement présent ici ?
…à la sauce Found Footage
Malgré l’apparente complexité de ces préoccupations, Grimonprez reste attaché à une narration qu’il qualifie lui-même de « traditionnelle ». Il y a donc une histoire (parfois déconstruite), même si dans Double Take la fiction procède autant d’images d’archives – donc « réelles » – et de reconstitutions que de scènes proprement fictionnelles. Le réalisateur d’ailleurs tient à une certaine esthétique. La très belle qualité des images au grain saturé, l’attention accordée à la composition musicale par Christian Halten, le rythme savamment dosé de lenteur et brusques ruptures produisent en effet un objet cinématographique achevé. L’esthétique de Double Take est donc celle du « film à l’ancienne » selon l’expression de Grimonprez, et non celle d’un projet en cours de développement, ni même celle plus iconoclaste des « valises » de Tulse Luper ou d’un Peter Greenaway. L’esthétique relève ici d’une exigence formelle d’autant plus identifiable que l’utilisation du procédé du Found Footage donne régulièrement lieu à des formes moins abouties. Le Found Footage consiste dans la réappropriation d’extraits de séquences, parfois emblématiques et universelles, parfois au contraire à la limite de l’archive familiale. Le montage donne naissance à une oeuvre nouvelle qui diffère radicalement des oeuvres « empruntées », sans les faire disparaître puisque la reconnaissance joue également un rôle majeur. Bruce Conner propose la recette suivante pour un Found Footage réussi :
« Ingrédients
– Un zeste de curiosité
– Une pincée d’idéologie
– Trois cuillerées à soupe d’humour (peut être remplacé par 1/4 de cynisme à l’occasion)
– Une demi-douzaine d’images trouvées, à sélectionner selon vos envies, entre images oubliées ou
surmédiatisées…
– Un nappage musical de qualité, ésotérique ou ringard.
Préparation
Découpez vos images, salissez-les ou brûlez-les. Jetez le tout dans un chapeau, secouez-le, et ressortez-en votre bobine collée et prête à être projetée. Réussir son film est aussi complexe que cuisiner un fondant parfait : la recette est simple, mais sans une grande dextérité, une patience démoniaque et une précision parfois ingrate, le résultat peut rapidement devenir indigeste. Le Found Footage est un genre à part, fondé sur une technique certes, mais aussi et surtout sur la
notion de détournement, qui peut avoir comme objectifs la dénonciation, la démonstration, ou encore l’humour. Le discours peut être narratif ou abstrait, et le film reprendre une ou plusieurs sources d’images. Ce qui compte avant tout, c’est le talent de son auteur à en dégager une force empathique, que le spectateur pourra à son tour détourner à sa guise. » Conformément à cette recette, chacun est donc invité à interpréter, voire à détourner ce film dont les niveaux de sens ne sont pas donnés mais construits et reconstruits par chaque occasion de projection : expositions, salles de cinéma, télévision avec coupures de publicité… Mais il est vrai qu’une telle entreprise pouvait difficilement se proposer d’être univoque.
Présentation du film et animation du débat avec le public : Bruno Precioso.
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