La Duchesse de Varsovie



Vendredi 31 mars 2017 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Joseph Morder – France – 2015 – 1h26

Regards croisés: Joseph Morder – Rita Azevedo Gomes

En collaboration avec Regard Indépendant et en présence du réalisateur.

Valentin est un jeune peintre qui vit dans le monde imaginaire de ses tableaux. Lorsqu’il retrouve sa grand-mère Nina, une émigrée juive polonaise dont il se sent très proche, il lui confie son manque d’inspiration et sa solitude. Au fil de ces quelques jours passés ensemble dans un Paris rêvé, Valentin exprime de plus en plus le besoin de connaitre le passé que Nina a toujours cherché à dissimuler…

Joseph Morder, filmeur inlassable, auteur d’un millier de films de tous  formats, tous supports, tous  genres, mais surtout, expérimentateur hors de tous les sentiers battus, nous fait l’honneur de revenir à Cinéma sans frontières  pour accompagner son film La Duchesse de Varsovie. Un film follement audacieux qui nous emporte dans une mise en scène virtuose où se mêlent et se démêlent fiction et Histoire par la grâce de l’histoire du cinéma.

Notre critique

Par Vincent Jourdan (Regard Indépendant)

L’homme à la (petite) caméra

C’est l’histoire d’un jeune peintre en devenir qui n’arrive pas à peindre.
C’est l’histoire d’une splendide vieille dame qui ne supporte pas qu’on l’appelle « duchesse ».
C’est l’histoire d’un amour de jeunesse.
C’est l’histoire d’un secret de famille.
C’est aussi une histoire de Paris et du cinéma.
C’est le nouveau film de Joseph Morder, cinéaste, cinéphile, pape du super 8, juif tropical, auteur malicieux et audacieux de multiples courts-métrages, d’un immense journal filmé et de quelques longs métrages qui sont autant de météores sur les écrans trop sages. La Duchesse de Varsovie s’ouvre sur les retrouvailles de Valentin avec sa grand-mère Nina. Ils vont passer vingt-quatre heures ensemble. Le jeune homme confie son mal être à cette confidente idéale tout en cherchant à percer le secret de cette vielle dame digne, perspicace et aimante. Ce secret, pour peu que l’on ait quelque sensibilité, on en a vite l’intuition. La Pologne, la guerre, le Yiddish oublié, une marque sur l’avant-bras, Varsovie et le « camp de… camp de vacances » jeté à un chauffeur venu de Cracovie et trop curieux. Avec ce film, Joseph Morder aborde à sa manière délicate et frontale, la Shoah, l’expérience de la déportation et des camps et la transmission de cette mémoire.

Pour ce faire, il adopte un dispositif esthétique inattendu dans ce contexte mais riche de sens. Les décors sont intégralement représentés par des toiles peintes, oeuvres de Juliette Schwartz. Un procédé utilisé par le tchèque Karel Zeman pour ses adaptations de Jules Verne où les personnages évoluent dans les gravures inspirées de celles des éditions Hetzel, où plus près de nous, et plus près de Joseph Morder, chez Eric Rohmer dans son magnifique L’anglaise et le duc en 2001 qui recrée ainsi le Paris de la Révolution. Mais Morder pousse un cran plus loin. Les personnages secondaires sont aussi dessinés par Léa Delescluze, Sarah Lequoy et Wen Long. Dessinés et non animés même si les personnages parlent. Le tête à tête entre Valentin et Nina est ainsi absolu. Lorsque viendra le moment du récit de la grand-mère, coeur sombre du récit, les toiles peintes s’effaceront pour un fond noir uni derrière le visage en gros plan de Nina, regard caméra qui nous perce du bleu-vert des yeux de l’actrice Alexandra Stewart. Cette utilisation des peintures par Joseph Morder lui permet de donner à son film plusieurs dimensions en maintenant une parfaite homogénéité. Le Paris dessiné est d’abord l’expression mentale des deux personnages. Il est le Paris merveilleux et aimé par Nina, coloré, sans cesse renouvelé malgré les figures imposées comme cette tour Eiffel qui semble sortie d’une toile de Raoul Dufy ou de Marc Chagall. Il est le Paris insaisissable qui traduit le désarroi de Valentin, tout à tour mélancolique voire sombre, paisible et secret comme ce jardin où le jeune homme a rencontré son premier amour, niché dans un sordide recoin du quartier juif. Il est ce Paris dont le peintre aimerait faire son oeuvre mais dont il ne sait comment lui donner des couleurs. Il est ce Paris triste et gai souligné par la musique de Jacques Davidovici.

Pour le réalisateur, ces peintures sont aussi une manière d’exprimer sa cinéphilie. « On dirait un décor de cinéma » s’extasie Nina devant un panorama de Notre Dame sur l’île de la Cité. De fait, Paris est en partie pour Morder un Paris hollywoodien classique. C’est le Paris s’inspirant des grands peintres qu’utilise Vincente Minelli dans la grande scène de An american in Paris (Un américain à Paris – 1951) où Gene Kelly danse sur des décors de Renoir, Lautrec ou Van Gogh. C’est le Paris en technicolor de Stanley Donen et celui en noir et blanc somptueux d’Ernst Lubitsch. Ninotchka est d’ailleurs l’affectueux surnom que donne Valentin à sa grand-mère. Il aurait été impossible à Morder et son chef opérateur Benjamin Chartier d’obtenir la même richesse d’effets en travaillant sur le réel. Et ces peintures prennent un sens plus profond encore quand elles expriment ce que des mots seraient impuissants à formuler. Si le noir se fait au moment du récit des camps qui est une plongée dans l’horreur et vers la mort, c’est que la peinture, la couleur, l’expression artistique sensible représentent la vie. En mettant ses mots aussi limpides et terribles que ceux d’un Primo Levi sur son expérience pour la transmettre à son petit-fils, Nina se défait de ce qui la ronge et soulage Valentin de ce poids inconnu qui entravait sa vie. Il faut dire pour dépasser et vivre semble être la leçon de la duchesse de Varsovie. Il faut filmer à tout prix est le credo de Joseph Morder car filmer c’est vivre en matérialisant son monde intérieur. Montrer qui l’on est. Symboliquement, le cinéaste qui avait sollicité Steven Spielberg dans une lettre cinématographique pour faire un film racontant l’expérience de sa mère et de ses amies déportées, s’est donné la voix du père de Valentin, le fils de Nina. A tout point de vue, une affaire de famille.

Sur le web

Habitué des documentaires et des espaces naturels, Joseph Morder a tourné pour la première fois un film entièrement en studio. Il développe : « J’ai trouvé une grande liberté en studio : on contrôle tout et on supprime tous les aléas du décor naturel. Moi qui viens de l’économie de moyens et d’une approche documentaire, j’ai renoué avec ce que j’aimais quand j’étais enfant en Amérique latine.« 

C’est après avoir réalisé le documentaire Mes sept mères, traitant de la déportation, que Joseph Morder a décidé de se concentrer sur La Duchesse de Varsovie. Il voulait trouver un moyen de parler du même sujet (la Shoah), mais sous forme de fiction: « Alors que je venais de faire un documentaire sur ma mère, La reine de Trinidad et de tourner Mes sept mères, dont le point central était la déportation, je me suis demandé comment je pouvais traiter du même sujet sous forme d’une fiction, sans être dans la reconstitution. Car je me revendique plutôt de l’école de Claude Lanzmann qui estime qu’on ne peut pas représenter la Shoah, qui est du domaine de l’indicible : pour moi, le visage des témoins – ou de leurs interprètes – est un «paysage» qui raconte l’histoire qu’ils ont traversée. Comment pourra-t-on évoquer la Shoah lorsque tous les témoins auront disparu ? C’est une question fondamentale pour moi. Dans le même temps, j’avais très envie de situer le film dans un Paris fantasmé, qui s’inspirait de Gigi de Vincente Minnelli et qui correspondait au Paris rêvé que je voyais, enfant, dans les comédies musicales hollywoodiennes, à l’époque où je vivais en Équateur. Pour moi, Gigi est un film phare réalisé après la grande période des comédies musicales – Tous en scène, Funny Face et Un Américain à Paris – et largement tourné en extérieurs : il y a quelque chose dans le traitement de l’histoire et dans les images qui me fascine depuis toujours.  » La Duchesse de Varsovie a failli être une comédie musicale. Mais après avoir longtemps réfléchi, Joseph Morder est revenu à son idée première. La Duchesse de Varsovie étant un hommage à Méliès et aux Frères Lumières, Joseph Morder a privilégié une mise en scène la plus artisanale possible. Il explique également que  » d’autres collaborateurs, comme Harold Manning avec qui j’avais travaillé sur El Cantor, ont participé à l’écriture. Au départ, Valentin était un animateur de radio qui conseillait les autres sur leurs peines de coeur alors que lui était en plein marasme sentimental. On rencontrait aussi Nina, qui ne parlait pas de son passé et Eva, qui arrivait du Canada et qui poussait son amie à parler. Il y avait un côté comédie musicale et les personnages se mettaient à chanter sur une chorégraphie qui s’inspirait notamment de Funny Face. Progressivement, j’ai repris ma vieille idée du film sur toiles peintes : je me suis enfermé chez moi pendant une semaine et j’ai repris la toute première version du script. J’ai puisé dans cette première mouture et dans les versions successives du scénario les éléments qui me semblaient les plus efficaces et pertinents : je me suis surtout réapproprié l’idée de me limiter à deux protagonistes incarnés par des comédiens en chair et en os, tandis que les autres personnages étaient réduits à du carton-pâte. Sauf – car j’aime les exceptions – les deux personnages en noir et blanc du film muet que regardent Nina et Valentin. Grâce aux décors, mon rêve hollywoodien prenait enfin vie.« 

Le réalisateur Joseph Morder a commandé à l’artiste Juliette Scwhartz environ 60 toiles peintes, qui ont été ensuite photographiées, agrandies et imprimées sur tissu afin de constituer les décors du film. En effet, aucun décor « réel » n’a été utilisé pour le film. Il confie qu’ « avec Chloé Cambournac, la chef-décoratrice, on a beaucoup consulté les ouvrages d’art et on s’est inspirés du ballet final d’Un Américain à Paris. Les toiles s’appuyaient à l’origine sur des collages de photographies que j’ai validés, puis que Juliette Schwartz a réalisés en peinture. Chloé a fait un travail très cinématographique, qui me correspondait profondément et on a évoqué ensemble plusieurs écoles de peinture, comme l’impressionnisme de Caillebotte et les Nabis. Pour l’appartement de Nina, on s’est pas mal inspiré de Matisse, Dufy, Bonnard et Vuillard, ces peintres du début du XXème siècle qui représentaient souvent les intérieurs bourgeois. Chloé m’a aussi fait découvrir le peintre et photographe américain Saul Leiter qui est l’un des premiers à avoir utilisé la couleur dans ses reportages photo dans les années 50. Il a signé des clichés extraordinaires de Paris et de New York, avec du Kodachrome, la base du Technicolor.« 

On ne voit que quatre acteurs réels dans le film : Alexandra Stewart et Andy Gillet , que Joseph Morder a découvert dans Les Amours d’Astrée et de Céladon, dernier long métrage d’Eric Rohmer, correspondant aux  personnages principaux (Nina et Valentin), et Rosette et Françoise Michaud que l’on aperçoit dans le film muet. Les autres acteurs recrutés prêtent leur voix à des figurants en carton-pâte. Le rôle de Nina, grand-mère juive, devait être initialement joué par Jeanne Moreau pour qui il avait été écrit. Mais deux jours avant le tournage, le rôle a finalement été attribué à Alexandra Stewart.  Le père d’Alexandra Stewart a participé à la libération du camp de Bergen-Belsen en avril 1945, où avait été déportée la mère de Joseph Morder. La scène la plus dure à tourner pour Alexandra Stewart a été celle où Nina se trouve face caméra et récite un long monologue. Elle explique : « Il y avait énormément de textes à apprendre et de détails sur la rafle, le petit frère de Nina, le déroulement précis des événements etc. J’ai donc dû mémoriser par coeur de nombreuses descriptions des lieux et des situations que la mère de Joseph avait traversés en Pologne. » Jouer aux côtés de figurants en carton-pâte a été un véritable défi pour le jeune Andy Gillet. Il développe : « Jouer avec ces silhouettes plates, les rendre vivantes, était chaque jour déstabilisant, mais aussi très excitant.« 

Le seul véritable accessoire présent dans le film est le manuscrit des souvenirs de déportation de la mère de Joseph Morder. Tous les autres accessoires sont en carton-pâte.

Le compositeur Jacques Davidovici s’est inspiré de la musique Madame de… de Max Ophuls et de la comédie musicale Gigi pour créer une musique à la fois grave et légère.

Interrogé sur son parcours de cinéaste, Joseph Morder répond: « La Duchesse de Varsovie contient pour moi toutes les expériences de cinéma(tographe) que j’ai vécues jusqu’à présent. Je tiens un journal filmé depuis que j’ai commencé à tourner en 1967 : j’ai fait des documentaires, des archives, des fictions, toutes sortes de films dans des formats divers (Super 8, 16 mm, 35 mm, vidéo, numérique etc.). En réalité, ce film contient, à mon sens, la somme de ce que j’ai essayé de faire depuis le début : il est surtout l’incarnation de mon rêve d’enfant lorsque, en Équateur, j’allais voir au cinéma des films, quasiment tous hollywoodiens : face aux films qui me touchaient le plus, j’éprouvais un frisson que je ressens encore. Mon ambition a été de retrouver ce frisson d’enfant : ce moment de plaisir infini où je me disais que le cinéma était ce qui rendait ma vie encore plus belle. Que c’était ma vie. Par un miracle extraordinaire, il l’est toujours. C’est ce bonheur-là que j’aimerais faire partager aux spectateurs.« 


Présentation du film et animation du débat avec le public : Vincent Jourdan et Joseph Morder

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