El Limpiador



Vendredi 10 Janvier 2014 à 20h30

Cinéma Mercury – 16 place Garibaldi – Nice

Film de Adrian Saba – Pérou – 2012 – 1h35 – vostf

Lima. Une épidémie foudroyante s’est propagée dans la capitale Péruvienne. Eusebio est un homme solitaire dont le métier est de déblayer les rues de la ville, encombrées par les cadavres. C’est un « nettoyeur » (un « limpiador »). Sa solitude va basculer lorsqu’il rencontre Joaquín, un enfant devenu orphelin et qu’il va être contraint d’aider à retrouver son père. Mais la mort peut l’emporter à son tour, à tout moment…Une histoire unique de tolérance et d’amour va naître entre les deux personnages.

Notre critique

Par Josiane Scoleri

El Limpiador est un premier film qui retient d’emblée l’attention. D’abord par la sureté du cadre. Les images sont sobres, le découpage des plans précis. Visiblement, ce jeune réalisateur péruvien sait ce qu’il veut dire et surtout comment il veut le dire. De prime abord, tout porte à croire qu’il s’agit d’un film catastrophe. Une mystérieuse épidémie décime la population d’une grande ville déjà sinistrée (Lima, mégalopole de 10 millions d’habitants d’ordinaire si chaotique et bruyante est ici vide et surtout terriblement silencieuse). Des équipes de « nettoyeurs » (‘‘limpiadores’’ en espagnol) dans la traditionnelle combinaison intégrale blanche des films de science-fiction s’affairent pour enlever les cadavres. La menace est palpable. Mais dans le même temps, les plans sont souvent fixes et silencieux en contradiction flagrante avec le sujet ou plutôt avec la manière dont celui-ci est généralement traité. D’ailleurs lorsque El Limpiador a été présenté au FIFF en 2012 (Festival International du Film Fantastique), nombre de critiques spécialisés ont trouvé que ce film n’y avait pas sa place. (Il a tout de même obtenu une mention spéciale du jury, tout le monde n’était visiblement pas de cet avis). Disons que le genre catastrophe est rarement contemplatif. Et si le terme est sans doute ici un peu fort, il y a dans les choix de mise en scène une radicalité et une cohérence qui forcent le respect. L’apocalypse selon Adrian Saba est tout sauf spectaculaire et ses images sont froides. La lumière a quelque chose de métallique dans des tonalités presque uniformément grises et sépia grâce au très beau travail du chef opérateur César Fe qui donne au film une unité formelle lourde de sens…

Epidémie et rencontre

Et c’est là d’ailleurs ce qui rend ce premier film, formidablement intéressant, c’est cette manière presque scientifique dont la forme répond au fond : par des cadrages qui disent l’isolement du personnage principal, des plans fixes qui font ressortir le caractère méthodique et précis du travail de Eusebio (el limpiador), un montage qui souligne la monotonie d’une vie réglée au millimètre. Le réalisateur procède par petites touches successives qui nous révèlent peu à peu la personnalité de cet homme seul, taciturne, agrippé comme un naufragé à sa routine, dont le sourire semble avoir été banni depuis longtemps.

Au détour d’une de ses opérations habituelles de nettoyage, Eusebio va rencontrer Joaquin ; un petit garçon de 8 ans dont la mère vient de mourir, emportée par l’épidémie. La vie solitaire d’Eusebio bascule et le film avec lui. Partis du pseudo film de science-fiction, nous voici dans un autre grand classique du cinéma : la rencontre fortuite entre un adulte et un enfant qui n’ont a priori rien en commun. C’est sans doute le passage le plus périlleux pour le réalisateur. Tout le monde l’attend au tournant des poncifs du genre qui vont de scènes de rejet mutuel à l’apprivoisement progressif : l’enfant qui fait « craquer » l’adulte lequel finit par inspirer confiance, etc, etc… La grande force du film réside justement dans une sorte de minimalisme de la mise en scène sans le moindre pathos ou de sensiblerie, qui n’exclut pourtant pas la tendresse et l’émotion.

Dans cette situation extrême, où la mort est partout (mais épargne tout de même les enfants) ces deux êtres perdus vont apprendre in extremis que deux = plus que 1+1…Adrian Saba réussit même à glisser quelques notes d’humour totalement inattendues dans la désolation ambiante (on notera par exemple la lecture du manuel d’utilisation de la télé en guise d’histoire pour endormir l’enfant). C’est un beau contrepoint à la méfiance, voire la paranoïa qui régit désormais les rapports entre les habitants, vu que tout le monde risque de contaminer tout le monde, les silhouettes se faufilent furtivement dans les rues et chacun se terre chez soi. On le voit, à partir de deux genres archi codés, Adrian Saba pose des questions qui sont à la fois d’une actualité brûlante – la survie de la planète et de l’espèce humaine – et l’axiome qui accompagne l’humanité depuis qu’elle existe : l’homme est un animal social qui survit grâce à l’autre.

Partager pour survivre

Cela dit, ces questions graves, à la fois sociologiques et ontologiques, sont posées en mode mineur. Elles découlent des images et de l’histoire qui nous est contée. Car on peut parler de conte ou de fable à mille lieux du récit revendicatif, accusateur ou explicatif. Nous sommes fort heureusement… aux antipodes du film à thèse, c’est aussi, mine de rien, une très belle histoire sur la filiation. La recherche du père absent permet la révélation du lien qui se tisse entre cet homme seul qui doit pour la première fois prendre soin de plus vulnérable que soi et lui transmettre ce qu’il peut; ce qu’il a appris de la vie et qui lui semble essentiel, avant de disparaître à son tour. Autre vaste sujet abordé lui aussi avec une sobriété extrême, qui semble déjà la marque de fabrique de ce jeune réalisateur. Les deux acteurs aussi bien Victoire Prada (grand acteur chevronné du cinéma latino-américain) que le jeune Adrian du Bois sont tout simplement stupéfiants de justesse et de présence. Pratiquement seuls à l’écran ils portent le film de bout en bout, dans une alchimie qui fonctionne au quart de tour, non seulement entre eux, mais surtout avec l’esprit même du film, ce qui dénote aussi une sureté remarquable dans la direction d’acteur;. Une très belle réussite donc pour un premier long-métrage qui démontre une fois de plus que l’argent ne fait pas le bonheur ou, en tout cas, que le budget ne fait pas le film.

Sur le web

El Limpiador est marqué par une vaste épidémie qui ravage les adultes de la Terre mais pas les enfants. Un phénomène qui s’est déjà produit dans l’histoire de l’humanité notamment au XVème siècle en Angleterre quand la « suette anglaise » tua plusieurs milliers de citoyens britanniques. Cet épisode historique est évoqué par le médecin dans le film. C’est en regardant un documentaire à la télévision qu’Adrián Saba a eu l’idée de réaliser ce film avec en toile de fond une épidémie décimant la population humaine. « Pour mon premier long-métrage », dit-il,  « j’avais envie de créer un monde qui subirait une épidémie mystérieuse et mortelle. Une épidémie impossible à enrayer mais qui ne soit pas l’axe principal du film. Elle serait plutôt le contexte qui permettrait à l’histoire de se dérouler. Je crois que nous vivons dans une époque où l’éventualité d’une épidémie n’est pas insensée et j’imagine que nous le devons au mauvais traitement que nous infligeons à la planète et à notre usage de la technologie et de la science. Parfois, j’ai le sentiment que la nature tend à rééquilibrer les choses. Et bien qu’elles semblent ennemies, la vie et la mort vont de pair et se répartissent équitablement leurs espaces quand elles en ont besoin. El Limpiador est malgré tout un film sur la vie. »

Afin d’instiller l’ambiance qu’il souhaitait donner à son film, Adrián Saba a souhaité tourner l’ensemble des scènes dans des lieux dépourvus de présence humaine : « Nous avons tourné dans le Stade National, dans l’aéroport, dans le métro, dans plusieurs rues… et toujours dans des endroits déserts. Cela n’a pas été facile à trouver ! Nous avons surtout filmé les dimanches à l’aube ou très tard la nuit, pour obtenir cette image de Lima vide… », explique le cinéaste péruvien.

La précocité à la réalisation d’Adrián Saba n’a rien d’étonnant puisque son père était metteur en scène et acteur. Une passion partagée par la mère d’Adrián qui était également actrice. Faute d’école au Pérou, c’est à New York que le jeune cinéaste a appris son métier.

Si Victor Prada (Eusebio) a accepté de tourner dans le premier film d’Adrián Saba, c’est qu’il connaissait bien le jeune réalisateur. En effet, l’acteur péruvien a déjà joué aux côtés de son père Edgar Sada au théâtre et a connu l’enfant qu’était Adrián. Victor Prada est un acteur, metteur en scène et producteur de théatre reconnu au Pérou. Au cinéma, le public français le découvre pour la première fois dans Octubre des frères Vega, Prix du Jury – Un Certain Regard, Cannes 2010.

Le film d’Adrián Saba a été retenu pour représenter le Pérou lors de la prochaine cérémonie des Oscars. S’il venait à être sélectionné par les membres de l’Academy, El Limpiador deviendrait le second film péruvien à concourir pour l’Oscar du meilleur film étranger, après La teta asustada de Claudia Llosa en 2010. En cas de sélection, il deviendrait, à 25 ans, le plus jeune réalisateur de l’histoire à être nominé pour l’obtention de l’Oscar du meilleur film étranger. Pour son premier film, Adrián Saba s’est fait remarquer dans tous les festivals où il est passé. Nominé au festival international du film de Chicago en 2012 dans la catégorie « Meilleur nouveau réalisateur », Saba a été récompensé à La Havane (Meilleur premier film), à San Sebastián (mention spéciale du jury de la section « Nouveaux Réalisateurs ») et à Palm Spring (Prix Nouvelles voix et nouvelles visions).

Adrián Saba a intégré durant plusieurs semaines la Cinéfondation du Festival de Cannes en 2013. C’est durant son passage sur La Croisette qu’il a écrit le scénario de son second long-métrage Donde sueñan los salvajes qu’il cherche à présent à financer.


Présentation du film et animation du débat avec le public : Josiane Scoleri.

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